Deux compte-rendus du VIe Congrès de l'IC

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1. Les résultats du VIe Congrès de l’Internationale communiste par N. BOUKHARINE[modifier le wikicode]

(Discours prononcé devant les cadres de l’organisation de Moscou du P.C. de l’US, le 5 septembre 1928)

I. La caractéristique générale du VIe Congrès et de ses travaux[modifier le wikicode]

Camarades !

Le congrès qui vient de se terminer sera sans aucun doute considéré comme un des congrès les plus importants dans l’histoire du mouvement communiste. L’ordre du jour du congrès se composait de cinq points : 1° La situation internationale et les tâches de l’Internationale communiste ; 2° Les mesures pour la lutte contre les dangers de guerre ; 3° Le programme de l’Internationale communiste: 4° La question coloniale; 5° La situation en Union soviétique et dans le P.C. de l’U.S. et de différentes questions de portée moindre parmi lesquelles la question de la demande de réintégration dans l’I.C. de certains groupes exclus, l’adhésion de nouveaux partis, etc. Cinq cents camarades environ participèrent aux travaux du congrès. Il est intéressant de constater que, déjà, la composition du congrès reflète son caractère vraiment international, vraiment révolutionnaire. Si nous comparons la IIe Internationale prise à sa meilleure époque (l’époque du Congrès de Stuttgart du 18 au 24 août 1907) avec le VIe Congrès de l’I.C. en ce qui concerne leur composition nous avons le tableau suivant :

Nombre total des délégués Délégués des pays non européens Délégués des pays non indépendants et coloniaux
En chiffres absolus En % En chiffres absolus En %
Stuttgart   884 28 3% 5 0,5%
Moscou     515 100 20% 74 14,4%

Le pourcentage des éléments « non européens » au congrès de Moscou fut donc 6 fois plus grand que le pourcentage correspondant de Stuttgart, et le pourcentage des représentants des pays coloniaux et non indépendants à Moscou, fut 28 fois plus grand que le nombre correspondant du Congrès de Stuttgart. En ce qui concerne le Congrès de Bruxelles de la II e Internationale, il n’y eut là-bas presque pas de représentation coloniale, surtout si l’on ne compte pas les quelques invités qui exprimèrent de la façon la plus catégorique leur indignation contre les « travaux » du Congrès dans la question coloniale.

Les travaux du Congrès durèrent assez longtemps. L’Arbeiter Zeitung de Vienne crut opportun de rapporter cela à la police internationale et aux imbéciles aux souliers vernis de la diplomatie impérialiste. Dans le n° 248 de ce journal, nous trouvons dans l’article: « Le Congrès mondial des communistes », les perles suivantes :

« Le Congrès de l’Internationale communiste a siégé à Moscou six semaines entières ; quand on dispose des moyens d’un grand Etat, on peut très facilement s’offrir le luxe d’un congrès de longue durée et fréquenté par des centaines de délégués. »

Ces « piqûres de puces », ces « jappements littéraires » ne valent pas la peine qu’on y réponde.

Passons à l’essentiel de la chose : les tâches qui se posaient devant le congrès étaient si compliquées et si grandes que l’on ne pouvait les régler en un temps plus court. En outre, nul congrès n’a encore fait un travail interne aussi large, large dans le sens que chaque question fut réellement soumise à une discussion collective. Il suffit de citer quelques chiffres : Au sujet du rapport sur le premier point de l’ordre du jour (la situation internationale et les tâches de l’I. C.) plus de 90 orateurs prirent la parole. La question du programme fut travaillée comme jamais encore aucune question ne le fut dans nos congrès. Il y eut de grands débats sur le programme dans ce qu’on appela la grande commission du programme à laquelle participa presque tout le Congrès et à laquelle furent admis aussi des « tirailleurs volontaires » parmi les non délégués. Mais dans d’autres questions aussi comme, par exemple, dans la question coloniale, dans la question de la guerre, on fit un grand travail qui, pour sa plus grande partie, ne pouvait être vu de l’extérieur, car il se passait en grande partie dans les commissions.

Si nous nous posons la question du caractère général des travaux du Congrès, nous pouvons dire avec conviction que les travaux du congrès en liaison avec le caractère des questions à l’ordre du jour furent tenus à un niveau très élevé de principes.

Déjà une seule question aussi importante que la question du programme exigeait un niveau élevé de .discussion. Le programme est la synthèse de thèses fondamentales de, principes. Ce n’est pas une question politique pour un jour, ce n’est pas une question qui s’approche de nous pour s’en éloigner demain, qui échauffe aujourd’hui les esprits et qui demain disparaîtra de l’horizon politique, sans laisser de trace. Déjà la discussion d’une seule question de ce genre eût été suffisante pour déterminer le caractère du congrès. Beaucoup de camarades ont exprimé aussi cette opinion : il eût mieux valu se borner au premier point de l’ordre du jour et au programme, car ces deux questions, à elles seules, donnent assez de travail pour tout un congrès. En effet, si nous avions eu cette possibilité, il eût été judicieux d’agir ainsi. Mais depuis le Ve Congrès, il s’est déroulé un certain temps ; il nous a fallu rassembler les résultats d’une grande période historique, sur des années, période qui fut remplie de faits d’une importance politique exceptionnelle. Nous nous trouvons devant des phénomènes importants, comme le changement de caractère de la^ crise générale du capitalisme ; nous avons vécu une série de luttes grandioses de la classe ouvrière ; les événements dé la grande révolution chinoise ; tout le tableau économique et politique du monde s’est foncièrement modifié; les relations fondamentales entre les puissances du monde capitaliste, entre elles et l’économie, entre elles et l’Union soviétique ont pris une autre forme alors que, dans le même temps, le pays qui édifie le socialisme gagnait en croissance et en force. Ce pays se trouve devant de nouvelles difficultés et de nouvelles tâches. De grands changements se sont accomplis aussi dans le camp de nos ennemis, aussi bien dans celui des impérialistes « de la plus belle eau » que dans ses agences social-démocrates. Le fait donc que le VIe Congrès s’est tracé la tâche du programme et le fait qu’il nous faut embrasser le cours des événements d’une grande période historique, et que nous avons dû fixer notre tactique sur cette- base, tout cela confère aux travaux du VIe Congrès un caractère de principe particulier.

II. Le programme de l’Internationale communiste[modifier le wikicode]

a) La forme du programme[modifier le wikicode]

Avant tout, je voudrais vous parler du programme. Dans la discussion sur le programme (dans la presse du Congrès même) la question de la forme du programme fut discutée : il s’agissait de savoir si le programme doit être long ou court, s’il doit avoir la forme d’un manifeste ou la forme ordinaire; s’il peut être populaire au sens populaire du mot, ou si cela est impossible. Un certain nombre de camarades avaient, dans cette question, des exigences tout à fait catégoriques que l’on pourrait formuler par exemple de la façon suivante : il faut que le programme soit aussi court que possible ; qu’il n’ait que quelques pages, il faut que le programme soit assez populaire pour que — c’est ainsi que parlait un camarade — chaque mot puisse en être compris par un fellah égyptien, c’est- à-dire par le paysan colonial le plus arriéré. Pour défendre ces exigences, certains camarades s’appuyaient sur des remarques correspondantes de Marx, d’Engels et de Lénine. Quel que fût le caractère séduisant et tentateur de ces exigences, elles n’avaient qu’un « seul » défaut : c’est qu’elles étaient inexécutables. Pour être juste, il faut faire remarquer que les défenseurs les plus résolus de la brièveté, de la popularité, etc., firent des propositions qui allongèrent le programme. Le premier projet qui fut publié dans la Pravda, sortit du creuset du Congrès, après une série d’adjonctions, de corrections, de remaniements, etc., non point abrégé, mais allongé. Les camarades qui exigeaient de nous des choses aussi bonnes que la popularité et la brièveté, n’avaient pas compté avec l’époque où nous vivons et pour quelle organisation le programme doit être élaboré.

Jusqu’ici aucun document du parti n’avait formulé les principes idéologiques et tactiques de l’ensemble de tous les partis appartenant à l’Internationale sur la base du mouvement révolutionnaire de masses. Déjà auparavant, la IIe

Internationale n’en avait pas été capable et elle l’est encore moins maintenant, car les contradictions entre ses différentes sections sont si grandes que ce problème ne peut même pas être soulevé et qu’on y supplée seulement par des déclarations vides, creuses et mensongères. Par conséquent, c’est nous qui, dans les congrès passés (IVe et Ve congrès) et maintenant faisons à proprement parler la première tentative pour mettre debout un programme international. C’est précisément ce fait qui rend inexécutables les exigences dont je parlais. Il faut tenir compte de ce que doit être notre programme international. Nous vivons dans une situation extrêmement compliquée, nous vivons à l’époque où le tableau des rapports internationaux et des rapports internes est extrêmement, bigarré, où la révolution mondiale qui mûrit par diverses voies se développe de façons diverses dans les divers pays alors qu’elle a déjà triomphé en Union soviétique. Comme le congrès a élaboré un programme pour plusieurs dizaines de partis, et, ce qui est mieux encore, un programme et non pas une simple proclamation de quelques principes « généraux », on ne pouvait pas se contenter de parler de capitalisme à l’ancienne manière. Le capitalisme dans les Etats-Unis se trouve à un certain degré de développement ; en Chine, a un développement absolument différent ; en Pologne et en Espagne encore à .un autre niveau. Il nous fallut tenir compte des conditions diverses du développement, car le programme devait, maintenant, à l’époque de la lutte pour le pouvoir, continuer [contenir] pour le moins l’esquisse des conditions de lutte, des objectifs et des normes de lutte dans les pays de types différents.

Toutes ces circonstances montrent clairement que l’on ne peut formuler maintenant le programme de l’Internationale communiste en « six petites pages » et que même avec un plus grand format et au prix de tous les efforts pour lui donner une forme aussi populaire que possible, il ne saurait prétendre à une grande popularité : il a besoin d’explications, de commentaires, etc. Il exige toute une série de brochures consacrées spécialement à ce programme.

b) Le caractère international du programme[modifier le wikicode]

Quel est le trait fondamental de tout le programme adopté ? Le trait fondamental du programme est son caractère international. Ceci ne pouvait être évidemment le cas pour les types précédents de programmes, dans les programmes des différents partis « nationaux ». Ce qui caractérise le programme de l’I.C. c’est le motif international auquel tout le programme est subordonné du commencement à la fin, de l’introduction aux conclusions. Ceci s’exprime aussi par le fait que le programme n’examine pas de façon abstraite, mais concrète le capitalisme mondial actuel ; il analyse la répercussion réciproque des différentes parties de l’économie mondiale actuelle, en particulier, il analyse l’Union soviétique, mais aussi en relation avec les pays capitalistes qui lui sont hostiles. Lorsque le programme parle du prolétariat révolutionnaire, il souligne le caractère international du processus révolutionnaire et le caractérise tel qu’il est en réalité, c’est-à-dire non comme un tout, non comme quelque chose d’unique, de simple dans toutes ses parties, non comme un processus sans complications, mais au contraire comme un processus varié dans ses parties, très compliqué et s’étendant sur des époques différentes. Il est varié, car il se compose aussi bien des soulèvements prolétariens que des soulèvements coloniaux et des guerres de libération nationale. Il est varié et ses parties s’étendent sur des époques différentes, mais en dépit de cette variété et quoique le développement de ses parties essentielles s’étende sur des époques différentes, celles-ci, du point de vue historique objectif, forment un tout et ont un même but, à savoir, la destruction de l’ordre capitaliste ainsi que l’édification du nouvel ordre socialiste en Union soviétique. Le caractère international de notre programme est souligné aussi dans la caractéristique de notre but final : la société communiste. Le programme parle du système mondial du communisme, d’une répartition des forces productives sur les différents pays, etc. Il parle de la dictature mondiale du prolétariat qui se composera des dictatures dans les divers pays, des dictatures qui ne seront pas réalisées d’un seul coup : dans certains pays la révolution passera par toute une série d’étapes intermédiaires et se haussera à la révolution prolétarienne. Pour divers types de pays, le programme détermine diverses étapes du développement du processus révolutionnaire. De cette façon, on a un large tableau du développement du processus révolutionnaire international du point de vue de son mouvement progressif dans la direction de la dictature mondiale de la classe ouvrière. Ce caractère international du programme détermine aussi « ses exigences ». Il trace des tâches différentes pour les pays coloniaux et pour les pays plus développés, mais ces tâches différentes ne signifient pas du tout qu’elles conduisent dans des directions différentes. Au contraire. Elles marchent toutes sur la même voie, sur la voie de la dictature mondiale de la classe ouvrière. Dans le programme le congrès a mis aussi une critique des idéologies qui nous sont hostiles et qui sont malheureusement encore enracinées dans les masses de la classe ouvrière des différents pays. Nous ne réunissons plus seulement dans notre Internationale la partie révolutionnaire des prolétaires européens, l’Internationale communiste a étendu ses antennes dans le monde entier ; le communisme a commencé à pénétrer dans les coins les plus éloignés de la terre, dans les couches les plus arriérées de la classe ouvrière internationale et des masses laborieuses. Aussi, à la différence des anciens programmes qui étaient surtout des programmes de la classe ouvrière européenne, notre programme donne une critique de courants comme le « Sunyatsenisme » en Chine, le Gandhisme aux Indes, le Garveyisme parmi les nègres des Etats-Unis de l’Amérique du Nord. Notre programme est une généralisation de l’expérience révolutionnaire, non seulement des ouvriers industriels d’Europe et d’Amérique, mais aussi de l’expérience du prolétariat chinois, des premiers pas du mouvement ouvrier hindou, et de l’expérience de ces couches prolétariennes que la social- démocratie considère comme des couches en dehors des rangs des ouvriers « civilisés ».

Dans son numéro d’août, l’organe théorique de la Social- démocratie autrichienne, Der Kampf, publie un article leader dont le sens est que les social-démocrates sont prêts à accueillir dans leur « amitié spirituelle » les prolétaires des pays coloniaux rétrogrades. Tel est le point de vue des maîtres européens qui se décident, il est vrai en dégoûtés, à accepter dans leur maison le « malpropre ». Notre point de vue est le point de vue des révolutionnaires, qui comprennent très bien que si nous n’appelons pas les masses les plus larges de la classe ouvrière et des travailleurs de toutes les races et de tous les continents à la lutte révolutionnaire, nous ne pouvons renverser l’impérialisme international, et que notre force la plus grande, la garantie de notre victoire définitive réside précisément dans le fait que nous pouvons précipiter sur les impérialistes l’avalanche énorme des masses coloniales opprimées et asservies.

C’est pourquoi le motif international de notre programme est le principe fondamental de tout le programme de l’I. C. D’après son contenu, notre programme est le programme de la lutte pour la dictature mondiale du prolétariat.

c) Notre programme est le programme de la lutte pour la dictature mondiale du prolétariat[modifier le wikicode]

Dans la pièce « Lioubov Yarovaïa » il y a un matelot révolutionnaire chez qui tout se passe « à l’échelle mondiale » (Hilarité). Dans cette caractéristique comique « à l’échelle mondiale », il y a néanmoins un grand lyrisme révolutionnaire qui est l’expression de ce qui anime déjà des masses considérables de la classe ouvrière internationale.

Nous considérons de notre devoir de réaliser la révolution mondiale comme une tâche pratique. Nous solutionnons cette tâche dans la situation de la crise générale du capitalisme sur la base de la dictature prolétarienne déjà existante en Union soviétique et sur la base des mouvements coloniaux de masses. Cette estimation de l’époque actuelle comme époque de la lutte pour la dictature mondiale du prolétariat forme la ligne de démarcation qui sépare notre programme du programme de tous les partis socialistes réformistes.

Déjà au commencement de la guerre, lorsque la social-démocratie « internationale » capitula de façon si regrettable et si honteuse, un des théoriciens social-démocrates les plus considérables. Heinrich Cunow, écrivit une brochure qui poursuit le but de rompre avec tous les derniers vestiges « d’illusions » révolutionnaires des différents milieux de la social-démocratie d’avant-guerre.

Dans cette brochure, H. Cunow pose la question; par exemple, de la façon suivante : Le bavardage d’un socialisme proche n’a aucune base : le capitalisme se trouve encore dans la plénitude de ses forces ; il y a encore beaucoup de pays où des conquêtes toujours nouvelles attendent le capitalisme ; il faut regarder les choses comme elles sont ; même la guerre mondiale ne signifie pas l’effondrement du capital mondial ; la guerre fait partout surgir une nouvelle période de grand développement capitaliste ; le capitalisme ne fait qu’entrer maintenant dans l’étape réelle de sa floraison et de sa puissance. On ne peut parler d’une lutte pour le pouvoir ; c’est une illusion utopique d’esprits fantasques.

La théorie de H. Cunow fut la théorie la plus propre à « justifier toute la honte de la socialdémocratie ». On aurait cru que toute la période d’après-guerre aurait toujours mis au rencart le développement de cette théorie. Mais après un long espace de temps, elle est reprise, non pas par Cunow qui fut et qui resta un social-démocrate de droite, mais bien par les socialdémocrates « de gauche », par les austro-marxistes. Dans la revue Der Kampf que j’ai déjà citée, on publia dans le numéro consacré au Congrès de Bruxelles un article qui reproduit absolument cette théorie de Cunow. Permettezmoi d’en faire une citation. L’auteur de l’article est Oskar Pollak. Il écrit : « Le capitalisme a surmonté les ébranlements de l’époque de guerre et d’aprèsguerre. Le monde d’après la guerre mondiale s’est stabilisé. « En Extrême-Orient, sur ce continent énorme, il y a le fait énorme de la Révolution nationale. A travers l’Asie, renversant les cultures millénaires, s’avance la révolution industrielle qui intègre ces régions gigantesques dans l’économie capitaliste mondiale. Des peuples de centaines de millions vivent la révolution bourgeoise, luttent pour leur liberté nationale et pour un Etat indépendant. Au sein du devenir de la société bourgeoise, le prolétariat s’éveille et fait à tâtons ses premiers pas pour se constituer en classe.

« Tout l’Occident européen et la gigantesque Russie en tête, ont vécu le bouleversement de la répartition des terres. Sur un territoire qu’habitent les 2/5 de l’humanité européenne, la révolution agraire a disloqué là possession terrienne féodale, elle a accompli dans de nouveaux Etats la révolution bourgeoise et éveillée la classe paysanne sans histoire à l’action politique.

« En Europe centrale, la classe ouvrière qui achève la révolution bourgeoise commencée en 1848, a renversé le compromis de la bourgeoisie capitaliste avec la monarchie féodale et créé la république démocratique sous la pression de la classe ouvrière.

« En Europe occidentale, dans les pays de vieille démocratie, où la révolution bourgeoise s’est accomplie plus tôt, où la liberté politique complète fut conquise bien avant, la guerre mondiale n’a pas amené de changements dans l’ordre de l’économie ou de l’Etat. Le capitalisme est resté inébranlé, la classe ouvrière lutte dans une ascension lente pour la majorité et le pouvoir.

« Mais là-bas, par-dessus l’Océan, une nouvelle puissance s’accroît, marche à l’assaut, rassemble ses forces et s’arme. L’impérialisme américain dépasse les frontières de l’Union et s’apprête à conquérir du point de vue économique et politique la domination mondiale. »

A première vue, il semble qu’on dise là des choses tout à fait justes : la révolution en Orient, la suppression de la propriété terrienne, l’anéantissement du tsarisme en Russie; mais regardez d’un peu plus près « en quoi consiste l’esprit de toute la philosophie ». L’esprit de cette appréciation de notre époque consiste à dire qu’il n’y a pas de dictature prolétarienne et qu’il n’y en aura pas encore pendant très longtemps.

Pendant la guerre et immédiatement après, de l’avis de l’honorable revue Kampf, il n’y eut que l’achèvement de la révolution bourgeoise, c’est-à-dire ce que la grande Révolution française a déjà accompli il y a plus de cent ans et la Révolution anglaise au XVII e siècle déjà. La période d’après-guerre est la période d’accomplissement de la révolution bourgeoise, et elle n’est que cela. Pas un mot d’une révolution prolétarienne quelconque en Union soviétique. Ce qui s’est passé dans la Russie, autrefois tsariste, est exclusivement estimé comme une révolution agraire des paysans contre les propriétaires terriens ; la classe ouvrière en est tout à fait absente. Nous voyons la même estimation aussi en ce qui concerne les mouvements en Orient dont la signification consiste, parait-il, uniquement dans le fait qu’ils ont frayé le chemin au développement capitaliste.

Pour mettre ces thèses opportunistes en harmonie de façon quelconque avec la réalité, il faut manifestement violenter aussitôt cette réalité ou quelques-uns des faits les plus importants de celle-ci. C’est précisément cela que la social-démocratie — et encore celle de « gauche » — présente comme sa théorie ; on ne peut pas « nier » la Révolution d’octobre. Pourquoi donc ne la rangerait-on pas parmi les révolutions bourgeoises ? On ne peut pas « contester » les conflits entre l’Union soviétique et les pays capitalistes — pourquoi ne les rangerait-on pas dans la section « conflits entre coalitions impérialistes » ? On ne peut pas nier l’influence de l’Union soviétique sur les colonies et en particulier sur les colonies anglaises ? — pourquoi n’aurait-on pas l’impudence de représenter la politique de l’Union soviétique comme la « continuation » de la politique tsariste « orientée vers les Indes » ? Différence radicale profonde, infranchissable dans toute l’estimation de l’époque, dans tout le jugement sur le rôle du capitalisme, dans le jugement sur l’Union soviétique et, par conséquent, aussi, dans l’estimation des tâches de la classe ouvrière, des perspectives du développement général et du développement colonial en particulier !

Or, il est caractéristique que les social-démocrates dans leur jugement sur le développement capitaliste prennent actuellement, en se plaçant au point de vue capitaliste, une position considérablement plus optimiste que les idéologues les plus éminents de la bourgeoisie même. Si je ne me trompe, j’ai cité au XVe Congrès du parti un savant bourgeois aussi éminent que Sombart qui disait que le capitalisme est déjà sénile, qu’il a déjà des « cheveux blancs », et que ses dents tombent déjà. Un économiste comme Bernhard Harms, spécialiste des questions d’économie mondiale, est d’avis que l’Europe souffre de sénilité et qu’elle rappelle la Rome classique à la veille de sombrer. Le Professeur Mieses, duquel un autre économiste allemand bourgeois également « de premier rang », Adolf Weber, disait qu’il est « le critique le plus perspicace que l’économie collective ait jamais eu » (Allegemeine Volkswirtschaftslehre) écrit dans son ouvrage sur la question de l’économie collective : « Le monde s’approche du socialisme parce qu’une majorité énorme des hommes le désire. » Le professeur Schmalenbach (voir son article : « Le capitalisme enchaîné », dans la Vossische Zeitung, n° 255) constate avec regret l’accroissement énorme de la pourriture monopoliste, du parasitisme, de la dégénérescence croissante des capitaines d’industrie.

Toute cette pléiade d’idéologues bourgeois du meilleur aloi (impérialiste) considèrent comme de leur devoir de se lamenter sur la crise du capitalisme, alors que les chefs socialdémocrates ne se tiennent pas de joie en face de l’épanouissement actuel du capitalisme et de ses perspectives brillantes. Karl Renner a battu tous les records dans ce domaine (voir son article : « Les bases économiques mondiales de la politique socialiste d’après-guerre », Der Kampf, n° 8/9). Il prophétise joyeusement :

« Ce n’est pas sur un monceau de ruines qu’il (le socialisme, N. B.) devrait être édifié, mais comme le fruit mûr d’un capitalisme trop mûr qui revient à la classe ouvrière (souligné par l’auteur). C’est la richesse toujours croissante et non la pauvreté générale qui devrait l’amener ! C’est d’un paradis et non d’un hospice que le socialisme devrait hériter du capitalisme. »

Ainsi le capitalisme doit d’abord devenir un paradis pour la classe ouvrière et ensuite, le socialisme demanderait à hériter de ce paradis. Maintenant, on comprend pourquoi les oiseaux du paradis du capitalisme, de l’acabit de l’ex-ministre Renner, édifient avec tant de zèle ce paradis capitaliste. Mais on comprend d’autant moins pourquoi ce capitalisme paradisiaque doit passer au socialisme ? Ainsi, notre programme, en opposition tout à fait énergique aux bases théoriques de la social-démocratie, découle du jugement sur toute l’époque comme époque de la révolution prolétarienne, de la lutte pour le pouvoir, de la lutte pour la dictature du prolétariat.

d) L’impérialisme, le socialisme et les perspectives des révolutions coloniales[modifier le wikicode]

Que signifie la position social-démocrate? Elle signifie que le capitalisme joue encore à un très haut degré un rôle progressif; qu’il a encore beaucoup de chemin « devant lui », que la classe ouvrière n’est nullement devant la tâche de tordre le cou à l’ordre capitaliste. Mais de là découle aussi la position de la IIe

Internationale à l’égard de la question coloniale. De ce point de vue, il est déjà tout à fait utopique, bête et stupide de soulever simplement la question de savoir si la phase du développement capitaliste peut être dépassée dans les colonies ou réduite à un minimum.

La thèse de la possibilité du développement non capitaliste des colonies est une hérésie effroyable, une chimère à la Bakounine, un communisme de Narodniki ou, comme Plékhanov s’exprimait un jour sur la position de Lénine, un mélange barbare de rêves et de farces. C’est précisément de cela que nous entretient M. Dan, colonne et soutien de toute la vérité du menchevisme russe. Dans.son article sur le Congrès de Bruxelles de la II e Internationale (Soc. Viestnik, n° 16/17), Dan prononce le jugement suivant sur les résolutions en Orient :

« Alors que le capital international trouve déjà dans l’industrialisation commençante de ces pays (coloniaux N. B.) un soutien puissant pour son raffermissement et pour sa pression sur le mouvement ouvrier des pays à capitalisme développé, les ouvriers de Chine, des Indes etc., font seulement leurs premiers pas dans la voie de la formation et de la lutte de classes. Ils traînent encore des illusions qui aveuglent leurs mouvements et qui les entraînent sur des voies fausses, illusions dont le prolétariat de l’Europe Occidentale ne s’est libéré qu’après des dizaines d’années de sévères expériences historiques. »

Les Cunow, Renner et Cie détruisent « l’illusion » de la possibilité de la conquête du pouvoir par le prolétariat dans les centres industriels capitalistes, aux croisements décisifs du système impérialiste. Les Dan et Cie font leur partie dans le chœur général et détruisent « l’illusion » d’une possibilité quelconque pour l’économie de passer par-dessus les frontières du capitalisme. Il nous faut dire ici que c’est vraiment torturer la vérité et jouer avec des cartes truquées que de nous traiter de « Narodniki » ou de « Bakouninistes ». C’est précisément nous qui défendons ici les conceptions les plus orthodoxes. Jamais et nulle part Marx n’a soutenu qu’il fallait que chaque pays passât absolument par une phase de développement capitaliste avant qu’on puisse poser pour lui la tâche du passage à la société socialiste. Marx était révolutionnaire et Marx chercha une combinaison historique de circonstances qui permettent de « passer par-dessus » la phase capitaliste. Il était extrêmement éloigné de la thèse générale et universelle d’après laquelle toutes les nations et tous les pays, indépendamment du milieu historique qui les (environne, marchent sur la scène de l’histoire comme des soldats prussiens, et partout et en tous lieux doivent nécessairement passer par le bureau de quarantaine capitaliste avant d’avoir le droit d’entrer dans le paradis socialiste. (La formule de M. Renner sur le paradis capitaliste était alors encore inconnue sur notre planète.) En un mot, Marx partageait les mêmes « illusions » (de la prise du pouvoir, de la destruction de l’Etat capitaliste, de la dictature du prolétariat) contre lesquelles les Renner, les Cunow et tous les autres grandsprêtres, magiciens et chantres de « l’ordre » capitaliste se sont mis si fortement en colère. D’après Marx, pareil état de choses est possible là où les circonstances historiques particulières, c’est-à-dire le milieu historique particulier, la périphérie historique particulière, peuvent favoriser le passage immédiat de sociétés précapitalistes et à économie sociale vers le socialisme. La condition pour cela est avant tout l’aide du prolétariat victorieux d’autres pays. C’est précisément ainsi que Marx et Engels posèrent la question à propos de la Russie sur le seuil historique de son développement.

Dans sa lettre connue à la rédaction des Vaterlaendischen Aufzeichmungen, Marx écrivît sur le « sort du capitalisme en Russie » :

« ...Si la Russie s’efforce de devenir une nation capitaliste à la manière des nations de l’Europe occidentale — et la Russie a fait des efforts qui sont loin d’être insignifiants dans cette direction au cours des dernières années — elle n’y arrivera point sans transformer auparavant une grande partie de ses paysans en prolétaires ; ensuite, une fois qu’elle aura rejoint le giron de l’ordre capitaliste, elle sera, comme toute autre nation profane, soumise à ses lois inexorables. C’est tout ! Mais pour mon critique, c’est trop peu. Il faut qu’il transforme continuellement la description de la naissance du capitalisme en Europe Occidentale en une théorie historico-philosophique du cours général du développement économique, en une théorie à laquelle tous les peuples doivent se soumettre fatalement, quelle; que puissent être les conditions historiques dans lesquelles ils se trouvait, pour parvenir finalement à une forme économique telle qu’elle assure la liberté la plus grande pour le développement des capacités productives du travail social et un développement universel de l’homme. Mais je lui demande pardon, c’est me faire beaucoup trop d’honneur et me causer en même temps un trop grand préjudice. » (Retraduit du russe.)

Friedrich Engels était du même avis. Il écrivit à l’occasion de la discussion sur la communauté villageoise russe :

« La communauté villageoise russe a déjà dépassé depuis longtemps l’époque de sa période d’épanouissement et selon toute vraisemblance, elle marche à sa dissolution.

Mais il existe indiscutablement la possibilité de son passage à une forme supérieure de communauté, si elle peut se maintenir jusqu’à ce que les circonstances permettent une transition de ce genre, et si elle se montre capable de développement dans le sens que les paysans ne travailleront pas en commun sur des économies isolées, mais en tant que communautés villageoises ; dans ce cas, les paysans russes passeront directement à la forme supérieure et sauteront par-dessus l’étape intermédiaire de lu petite propriété bourgeoise. Cependant ce ne sera possible que si le prolétariat d’Europe Occidentale accomplit sa révolution victorieuse encore avant la dislocation définitive de la communauté villageoise russe, assurant ainsi les conditions nécessaire”, pour le passage mentionné plus haut — et avant tous les moyens matériels dont a besoin la paysannerie russe pour une transformation aussi fondamentale de tout son système économique. » (Retraduit du russe.)

Ce serait vraiment une réserve facile et vulgaire de « réfuter » ces thèses .par le « cours réel des événements ». Ni Marx ni Engels n’ont parlé nulle part du caractère inévitable de la voie de développement non capitaliste dans toutes les conditions. Ils ont fait dépendre le caractère de cette voie précisément de l’ensemble complexe des conditions. A la veille du développement de la Russie, qui sortait de la forme économique féodale avec servage, la Russie n’avait pas ces conditions. Mais comment peut-on exclure à l’avance cette possibilité pour la Chine, les Indes, l’Egypte, etc., maintenant, à l’époque des guerres et des révolutions, à l’époque où en Union soviétique la dictature du prolétariat est déjà réalisée ? Il est évident que l’issue réelle des événements se décidera pratiquement, c’est-à-dire par la lutte et seulement par la lutte. En théorie l’autre perspective n’est évidemment pas exclue, si les relations de forces de classes dans la période historique donnée sont à l’avantage de notre perspective. Mais renoncer à cette voie et se cacher pour faire cela derrière des arguments soi-disant marxistes, c’es: trahir encore une fois de plus le marxisme et la cause du prolétariat.

Mentionnons ici, en passant, que la question du développement non capitaliste (c’est-àdire la possibilité du développement socialiste dans des conditions préalables déterminées) de pays arriérés, constitue une partie d’une question plus générale, à savoir la question de la possibilité du développement socialiste des formes économiques précapitalistes et de la simple économie marchande (c’est-à-dire de formes de sociétés petite-bourgeoises). La question des économies paysannes, des artisans, dans les conditions de la dictature prolétarienne, est par sa nature la même question.

Si donc notre programme part d’une appréciation de notre époque comme époque des révolutions prolétariennes, s’il part de l’appréciation de l’Union soviétique comme pays de la dictature prolétarienne, il partira aussi en même temps de la possibilité du développement non capitaliste (c’est-à-dire socialiste) des colonies et des pays arriérés en général, et il en résulte que le devoir de tous les communistes est précisément la lutte pour cette voie de développement.

e) Les questions du programme en discussion[modifier le wikicode]

Il est maintenant nécessaire de dire quelques mots des questions en discussion [«] dans le programme ou plus exactement des questions : qui déclenchèrent au congrès des débats assez énergiques et qui, comme le dit le proverbe : « C’est de la discussion que jaillit la lumière », ont trouvé leur solution véritable dans le programme adopté par le congrès. Il est évident qu’il n’y avait et qu’il ne pouvait y avoir au congrès de divergences d’opinions dans les questions fondamentales qui séparent par un abîme sanglant le communisme de la trahison socialiste. Ni la question du « capitalisme organisé » qui écarte soi-disant les crises et travaille « rationnellement », ni la question du « superimpérialisme » qui écarte soi-disant les guerres impérialistes, et, grâce à la Société des Nations agréable à Dieu, et au président américain, apportera la « paix sur la terre le bien-être aux hommes », ni les questions de démocratie et de dictature, des conseils et de « l’expropriation des expropriateurs », etc., ne provoquèrent le moindre doute. La discussion fut menée principalement sur des questions fragmentaires.

La question du capital financier, de sa définition, de sa nature économique, des limites de sa puissance par rapport à d’autres formes du capital, joua dans nos discussions un rôle important.

La théorie des crises capitalistes fut abordée à nouveau, mais il s’avéra que cette fois il n’y avait pas de divergences sérieuses d’opinions sur cette question et que tout se ramenait à une formulation plus parfaite.

La question de l’impérialisme, de son développement, de la façon multiple dont il se déploie (avant tout l’accentuation du fait que la libre concurrence subsiste à côté des monopoles) fut élaborée de façon plus exacte et exprimée sous une forme considérablement améliorée.

La question de la social-démocratie, de son rôle, de ses racines sociales, de sa vitalité relative, fut un des problèmes qu’on discuta de la façon la plus ardente, aussi bien dans la commission du programme que dans les séances plénières du congrès. Cette question fut traitée sous tous ses aspects dans la discussion, aussi bien l’enracinement de la socialdémocratie dans la petite bourgeoisie, dans la mesure où le prolétariat lui-même se recrute dans des couches petite-bourgeoises (paysannerie, artisans, petits commerçants, etc.) que tout comme ses racines sociales dans leurs rapports directs avec le développement impérialiste (questions de l’aristocratie ouvrière, de la diversité de la situation du prolétariat dans divers pays, des surprofits, de la corruption des couches prolétariennes mieux payées, etc., etc.) furent à nouveau examinés et contrôlés. La question des surprofits comme fonds de réserve de la bourgeoisie fut éclairée et étudiée de tous les côtés ; (surprofits par le pillage colonial ; surprofits par l’exportation de capital dans des pays à normes supérieures de profits; surprofits par l’échange de marchandises entre les pays à degrés différents de développement technique, surprofits de caractère monopoliste en général, etc.). Ainsi fut réglée la question dès surprofits dans les pays qui né possèdent pas de colonies « à eux » (Allemagne, Suisse, etc.). Cette large base sociale de la social-démocratie n’est pas encore détruite, mais seulement ébranlée par la crise du capitalisme, ce qui nous explique pourquoi au congrès des syndicats réformistes allemands les communistes furent exclus et pourquoi l’on y applaudit le ministre bourgeois Dr. Curtius ; pourquoi au congrès des syndicats anglais on adopta des résolutions, sur la « paix industrielle » et pourquoi les socialistes du croiseur cuirassé à la manière de Müller, les impérialistes du genre de Paul-Boncour et les fascistes comme Albert Thomas, sont encore dans les pores du mouvement ouvrier.

La question du fascisme provoqua également des débats assez .passionnés. Les uns considéraient toute réaction, toute pression sur la « classe ouvrière, tout régime de répression comme du fascisme; les autres camarades se plaçaient à un point de vue diamétralement opposé : ce n’est pas chaque réaction qui est du fascisme, mais seulement une réaction qui se développe dans des pays sans possessions coloniales ou dans des pays agricoles arriérés. Après un échange de vues très sérieux, on réussit à trouver ici une formulation tout à fait exacte. Car le fascisme suppose toute une série de caractéristiques particulières, spécifiques, propres (il attire à soi les masses petite-bourgeoises, il achète une partie de la petite bourgeoisie et parfois même une partie de la clause ouvrière). Cependant il n’est pas juste de dire qu’il est soi-disant impossible pour une série de pays ayant des colonies ou pour des pays industriellement développés ; là où l’ordre capitaliste est ébranlé, où la position de la bourgeoisie est minée, où la bourgeoisie ne peut gouverner sans les masses, là où les éléments de guerre civile mûrissent — et tout ceci peut « se passer » aussi dans des pays à développement élevé — la bourgeoisie a recours à la méthode du fascisme.

Les questions de la politique économique du prolétariat dans la période de sa dictature (N.E.P., communisme de guerre) ont provoqué des discussions presque encore plus longues, bien que dans cette question, l’immense majorité (tous à quelques-uns près) se soit placée complètement dès le début sur le terrain des résolutions adoptées. Dans les problèmes de la N.E.P., on discuta les questions suivantes : 1° la « nature » de la nouvelle politique économique : 2° la valeur générale ou la valeur simplement limitée de son emploi ; 3° ses variétés dans les différents pays, l’ampleur de la « nouvelle politique économique ».

Dans la question de la « nature » de la nouvelle politique économique, le congrès en arriva unanimement à la conclusion que cette « nature » est l’existence (c’est-à-dire l’existence conforme aux buts) de rapports de marché qui constituent une forme nécessaire de liaison entre l’industrie d’Etat et la petite économie dont la dislocation et la dispersion apparaissent précisément dans la nécessité objective de rapports de marchés. C’est pourquoi j’ai défini déjà au IVe congrès de l’I.C., de la manière suivante approuvée par tous les camarades, les racines de la « Nouvelle économie politique ».

« Je prétends que le prolétariat de chaque pays qui tient le gouvernail du pouvoir politique, a devant lui, comme problème organique de l’économie le plus important, le problème des rapports entre les formes de production que le prolétariat peut rationaliser, organiser et exploiter d’après un plan et les formes de production qu’il n’est pas capable, au stade initial de son développement, de rationaliser et d’exploiter d’après un plan. C’est le problème économique le plus important auquel il aura affaire.

Au cas où le prolétariat ne maintient pas une proportion juste, c’est-à-dire prend trop sur lui, il en arrivera inévitablement à la situation suivante : les forces productives non seulement ne se développeront point, mais elles seront entravée ;. Le prolétariat n’est pas capable de tout organiser à la fois.

« Il ne doit pas évincer par ses plans le petit producteur, le petit paysan qui exploite son économie individuelle. A la place des fonctions sociales utilitaires de ces couches, le prolétariat n’obtient rien. Le processus d’accroissement s’arrête. Cela constitue une diminution ultérieure des forces productives et un relâchement de la vie économique en général.

« Dans de pareilles circonstances, le prolétariat se voit encore en face d’une autre phénomène; s’il prend trop sur soi, il est obligé de créer un énorme Appareil administratif pour régler les fonctions économiques des petits producteurs, des petits paysans, etc., il lui faut prendre à son service trop d’employés et de fonctionnaires. La tentative de remplacer tous ces petits détails par des fonctionnaires — qu’on les appelle comme on veut, en fait, ce sont des fonctionnaires d’Etat — fait surgir un appareil si énorme que les dépenses pour son entretien s’avèrent comme des dépenses improductives, infiniment plus grandes que celles qui sont la conséquence de l’état anarchique de la petite production ; en définitive, toute cette forme d’administration, tout cet appareil économique de l’Etat prolétarien ne facilite pas le développement des forces productives, mais ne fait que l’alourdir. En réalité, il en résulte exactement le contraire de ce qu’il devrait être. C’est pourquoi une nécessité de fer contraint à briser un appareil de ce genre. Que ce soit un résultat Je la contre-révolution, de l’ingérence active de la petite bourgeoisie ou que l’appareil soit supprimé et réorganisé par le parti lui-même comme en Union soviétique, — cela se produira dans l’un comme dans l’autre cas — si le prolétariat ne s’en charge pas lui-même, ce sont d’autres forces qui le renverseront. » (IV e Congrès mondial de l’I.C., voir C.I., 1922.)

C’est ainsi qu’encore au IVe congrès mondial on liait les questions de la lutte de classes aux questions de la politique économique, les questions de l’économie d’après un plan, les questions de la proportion entre les différentes sphères de l’économie les unes avec les autres. On voit ici clairement comment une politique fausse et des fautes dans la direction peuvent transformer les rapports de classes de façon qu’il ne reste plus de la dictature du prolétariat que l’ossature. Ici, on indiqua de façon tout à fait claire le danger du supercentralisme bureaucratique incapable de vie et qui transforme inévitablement toute bonne intention en son contraire. C’est ainsi que, déjà au IVe congrès du temps de Lénine et sous sa direction immédiate, on motiva la nécessité objective de la « Nouvelle politique économique ». On comprend que le IVe congrès ne pouvait qu’accepter cette position de principe de Lénine.

La question de la valeur générale ou du « caractère national conditionné » de la nouvelle politique économique est décidée déjà à l’avance par la première question. Si la situation fondamentale de la « NEP » consiste dans la « méthode » du marché, dans la liaison entre la ville et la campagne ou plus exactement entre l’industrie et l’économie paysanne, l’existence de fait d’économies petites bourgeoises dans tous les pays décide de cette question de la façon la plus catégorique ; autre chose est la question de l’ampleur des dimensions des rapports du marché c’est-à-dire de « l’extension de la NEP ». Ici, des différences extraordinairement importantes sont inévitables suivant les différences dans la structure économique de la société, suivant le degré de « maturité » des rapports économiques. Il faut beaucoup de temps pour transformer 25 millions de fermes paysannes au moyen d’une industrie faible et avec des postes de commandement faibles. Pour cela, il faut également des formes particulières d’organisation des rapports du marché. Dans des pays de ce genre, la coopération paysanne par exemple aura une importance gigantesque. Mais là où il y a une industrie puissante et un nombre relativement insignifiant d’économies paysannes, les rapports du marché seront liquidés plus rapidement, le processus de la centralisation économique, de la socialisation du travail et, suivant cette centralisation, de l’organisation de l’économie d’après un plan se poursuivra de façon considérablement plus rapide. La nouvelle politique économique se développera elle-même avec une rapidité beaucoup plus grande.

La question des différents types de pays devait naturellement trouver aussi sa place dans la discussion sur le programme. Nous avons établi trois types : pays au capitalisme développé, pays à développement capitaliste moyen, et finalement colonies et pays non indépendants. La discussion roula sur le fait de savoir dans quelle rubrique on devait placer tel ou tel pays. Pour les différents types de pays, nous avons établi des cours de développement schématiques différents, sans naturellement les « imaginer » purement et simplement. Nous avons déterminé au contraire ces cours de développement sur la base de la riche expérience révolutionnaire que nous avons rassemblée dans ces pays d’après une analyse exacte et concrète de l’ensemble des rapports économiques et politiques fondamentaux dans ces pays.

Telles sont les questions principales dont nous avons discuté.

f) Le programme de l’I.C. comme un tout[modifier le wikicode]

Maintenant il nous faut passer à une caractéristique plus concrète du programme comme un tout.

En tête de l’édification théorique du programme se trouve 1’« introduction » où les rapports entre la I re et la IIe

Internationale, d’une part, et la IIIe Internationale communiste, d’autre part, sont établis ainsi que la liaison historique du mouvement communiste révolutionnaire actuel avec les mouvements révolutionnaires précédents de la classe ouvrière dans les différents pays. De même, on explique de façon démonstrative dans 1’« introduction » que l’I.C. se place complètement sur le terrain du matérialisme dialectique, sur le terrain du marxisme et du léninisme.

Le premier chapitre, dans lequel est traité le système mondial du capitalisme, son développement, la tension de ses contradictions internes et de sa disparition-inévitable suit immédiatement; on y donne une analyse de la société capitaliste en général et de l’époque passée du développement capitaliste, l’époque du capitalisme industriel en particulier. Puis vient aussitôt après le deuxième chapitre qui explique comment sur la base du mouvement général du système capitaliste, le capitalisme industriel se transforme en capitalisme financier; comment cartels, trusts et banques se développent ; comment ceux-ci sont intégrés au système des rapports du capitalisme financier; comment le monopole du capital trustifié prend la place de la libre concurrence; comment le monde capitaliste entre dans la nouvelle phase impérialiste de son développement ; comment se modifie le rapport des forces en relation avec tout cela ; comment les différentes fractions de là bourgeoisie s’unissent, comment les bataillons ouvriers se forment contre l’impérialisme, comment l’impérialisme, de son côté, met à nouveau la main sur les chefs de la classe ouvrière, comment il achète la bourgeoisie nationale, comment s’aggrave l’antagonisme entre les forces de la classe ouvrière et les forces de l’impérialisme, ce qui conduit en dernière analyse à l’effondrement de l’impérialisme. Puis, c’est le chapitre sur la crise générale du capitalisme et sur la première phase de la révolution mondiale.

Ici le programme pose la question de la révolution internationale en cours de développement en décrivant clairement comment après la guerre toute une série de luttes révolutionnaires se sont déclenchées qui n’ont pas cessé et qui ne font que reculer en un lieu pour s’embraser de plus belle-dans un autre. Puis c’est le processus du changement de forme de la crise générale du capitalisme qui est esquissé, la lutte des forces sociales au sein de ce processus ; le rôle honteux de la social-démocratie et du fascisme, l’analyse de la stabilisation du capitalisme, l’accroissement de ses contradictions. On y donne ainsi la ligne générale du développement actuel et on esquisse le processus de la révolution prolétarienne internationale qui conduit à son but final : le communisme mondial. Dans l’article suivant, on expose en traits généraux ce que sera la société communiste internationale, ainsi que l’étape préalable de cette société, la première phase embryonnaire du mode de production socialiste.

Après avoir tracé le « but final », le programme pose la question de la période de transition (IVe chapitre). On y analyse en même temps le cours du développement objectif et on fixe sur cette base les tâches du prolétariat et de la dictature prolétarienne. Ici le programme traite du problème de la prise du pouvoir, de la forme soviétique de la dictature prolétarienne, de l’expropriation des expropriateurs, des bases de la politique économique, de la dictature prolétarienne, des classes dans cette période, du rôle des organisations de masses, de la révolution culturelle, des divers types des pays, de leurs diversités et particularités, de la période de transition, surtout dans les colonies. En décrivant ici le tableau général des diverses phases de la lutte pour la dictature prolétarienne dans les différents pays, il nous a fallu consacrer un chapitre particulier à l’Union soviétique, à son rôle dans le processus révolutionnaire, à ses obligations à l’égard du mouvement ouvrier international et aux obligations de la classe ouvrière internationale vis-à-vis de l’ Union soviétique. Dans le dernier chapitre on pose de façon plus concrète les principales tâches stratégiques et tactiques de l’I.C. Il commence par une analyse des différents courants dans la classe ouvrière et parmi les masses laborieuses en: général ayant une attitude hostile à l’égard du communisme. En même temps on y donne la pratique sociale variée de ces courants, ainsi qu’une caractéristique fondamentale : on y décrit systématiquement l’idéologie du réformisme avec ses sousvariétés, de même qu’une caractéristique du Sunyatsenisme, du Gandhisme, du Garveyisme. Ensuite, on énumère les tâches stratégiques et tactiques de l’I.C. dans sa lutte pour la dictature prolétarienne mondiale. Le programmé de l’I.C se termine par les paroles enflammées du « Manifeste communiste ». L’adoption de ce programme marque sans aucun doute une borne extrêmement importante sur la voie historique du mouvement communiste.

C’est incontestablement un événement très important dans la vie de l’I.C. ; l’élaboration du programme déterminera la physionomie du VIe

Congrès pour toute l’histoire ultérieure de notre mouvement. Pour le mouvement lui-même, le programme jouera un rôle énorme d’unification et d’indication de la direction.

III. La situation internationale et les tâches de l’I.C[modifier le wikicode]

a) La question de la stabilisation du capitalisme[modifier le wikicode]

Déjà le projet de programme prenait une orientation déterminée dans l’estimation de la phase actuelle de la crise générale du capitalisme. Une analyse plus approfondie de cette phase devait être nécessairement le point de départ pour déterminer la ligne tactique de l’I.C. dans la prochaine période.

Le point central de tout le problème réside dans l’estimation de la forme particulière de la crise générale du capitalisme, de la forme qui est en liaison avec ce qu’on appelle la stabilisation du capitalisme. Il faut se rappeler qu’au Ve congrès de l’I.C. la question de la stabilisation capitaliste ne fut pas encore soulevée. Mais déjà au IIIe Congrès de l’I.C., Lénine dit de la façon la plus nette qu’il est maintenant tout à fait clair qu’il faut constater dans la situation mondiale un revirement assez important, que le capitalisme commence peu à peu à sortir de la crise révolutionnaire immédiate et accentuée d’après guerre. C’est précisément en relation avec cela que Lénine déclarait alors une guerre aussi résolue à ce qu’on appelait la « théorie de l’offensive », c’est précisément pour cela qu’il réclamait l’emploi de la tactique du front unique et qu’il soulignait de la façon la plus énergique la nécessité de poser des revendications et des mots d’ordres partiels, etc. Avec soit flair génial, Lénine sentait qu’un revirement considérable se produisait dans toute la situation mondiale, que la forme la plus aigüe de la crise était remplacée par une possibilité pour le capitalisme de progresser encore un certain temps. Mais il y a plus encore. Déjà au IIe Congrès de l’I.C., Lénine, contrairement à ceux qui prétendaient que le capitalisme avait abouti à une impasse dont il ne pourrait jamais sortir, disait qu’il ne peut y avoir aucune situation désespérée, que la bourgeoisie peut trouver une issue momentanée et que seule la lutte est capable de décider de cette question.

Après le Ve congrès, la question de la stabilisation fut abordée et ne disparut plus des documents de l’I.C. en tant que question centrale de toute l’estimation de la situation mondiale. Au VIe congrès, il fallait tirer le bilan de tout ce secteur du développement historique et donner une caractéristique de la stabilisation qui corresponde au degré actuel de son développement et en même temps au développement de ses contradictions. A quoi cela rime maintenant d’appeler la stabilisation du capitalisme momentanée et partielle, si nous expliquons de façon tout à fait claire que l’économie capitaliste mondiale a dépassé le niveau d’avant-guerre, que l’essor des forces productives du capitalisme dans une série d’états capitalistes les plus importants est un fait, que les Etats-Unis d’Amérique, que l’Allemagne peuvent marquer un essor technique important qui, comme il est dit dans la résolution du congrès, porte le caractère d’une révolution technique ?

Si on peut marquer un progrès technique indiscutable, si l’accroissement des forces productives est indiscutable, si — sur cette base — le processus de trustisation de la production, de l’accroissement de monopoles capitalistes gigantesques se manifeste clairement, si la tendance au capitalisme d’Etat apparait nettement, cela ne signifie-t-il pas en général que la crise d’après-guerre du capitalisme est purement et simplement liquidée ?C’est de cette façon que la Social-démocratie résout la question. Pour ne pas tomber dans le piège de l’idéologie social-démocrate, quelques-uns de nos camarades ont tendance à nier les faits cités plus haut pour tomber dans une autre « chausse-trappe », bien que non socialdémocrate. Quelle est donc la réponse juste ? Elle consiste à dire que le développement ultérieur du capitalisme se poursuit dans des formes qui furent créées par la crise d’aprèsguerre, formes qui expriment cette crise et son cours ultérieur et qui aggravent de façon extraordinaire tous les antagonismes de la stabilisation capitaliste. A lui seul, le fait de l’existence de l’Union soviétique, quelque désagréable qu’il puisse être aux apologistes socialdémocrates du capitalisme, est une expression de la crise révolutionnaire générale du capitalisme : Jusqu’à la guerre, le capitalisme était la forme, générale dés rapports existants ¡ maintenant, l’économie mondiale est divisée en deux « secteurs » avec une position, de principe réciproquement hostile. Autrefois, les colonies n’étaient que des objets de l’histoire; maintenant, elles en deviennent les sujets. Autrefois, il y avait entre l’Europe et l’Amérique un certain équilibre et voilà maintenant que ces anciens rapports sont mis sens dessus-dessous, ce qui provoque au sein du secteur capitaliste lui-même toute une montagne de contradictions d’un nouveau genre. Autrefois, le conflit entre les forces productives et la force d’achat des masses était un accessoire permanent du développement ; maintenant, cette contradiction est renforcée des deux côtés: la paupérisation de l’après-guerre est accentuée de façon particulièrement forte par l’essor technique et le conflit entre l’accroissement des forces productives et l’étroite base de la consommation se manifeste sous une forme particulièrement aiguë. C’est sur cette base qu’augmentent fortement toutes les contradictions du capitalisme; la chasse aux marchés met à l’ordre du jour le danger de guerre avec une ampleur inouïe ; le trouble dans l’équilibre entre l’Europe et l’Amérique devient la base du conflit anglo-américain de plus en plus menaçant à l’échelle mondiale ; le développement de l’Union soviétique stimule les capitalistes à la préparation de la guerre révolutionnaire contre elle ; le progrès technique lui-même et la prétendue rationalisation capitaliste créent un chômage chronique de dimensions gigantesques ; les rapports de classes s’aggravent ; les conflits coloniaux continuent à se développer et les contradictions de la société capitaliste s’accroissent.

Cette appréciation de la phase actuelle de la crise générale du capitalisme est formulée dans la thèse sur la troisième période dans le développement capitaliste. La résolution de l’I.C.

dit à ce sujet :

« Enfin, la troisième période dans laquelle l’économie du capitalisme et presque en même temps aussi l’économie de l’U. R. S, S. dépassent le niveau d’avant-guerre (commencement de la « période de reconstruction », nouvel accroissement des formes socialistes de l’économie sur la base de la nouvelle technique). Pour le monde capitaliste, c’est une période de développement rapide de la technique, du développement intensifié des cartels, des trusts et des tendances au capitalisme d’Etat. C’est eu même temps une période du développement le plus puissant des contradictions de l’économie mondiale qui se poursuit sous des formes prédéterminées par tout le cours précédent de la crise générale du capitalisme (resserrement des marché, Union soviétique, mouvement colonial, accroissement des contradictions internes de l’impérialisme). Cette troisième période dans laquelle s’est aggravée de façon toute particulière la contradiction entre l’accroissement des forces productives et le rétrécissement des marchés amène inévitablement une nouvelle phase de guerre entre les Etats impérialistes, de guerres contre l’Union soviétique, de guerres de libération nationale contre l’impérialisme, d’interventions de l’impérialisme, des luttes de classes gigantesques).

Cette période dans laquelle s’aggravent toutes les oppositions internationales (les oppositions entre les pays capitalistes et l’Union soviétique, l’occupation militaire du Nord de la Chine, comme début du partage de la Chine et de la lutte des impérialistes entre eux, etc.) dans laquelle se tendent les contradictions internes dans les pays capitalismes (le processus du développement à gauche des masses ouvrières, l’aggravation de la lutte de classes où se déclenchent les mouvements dans les colonies: Chine, Indes, Egypte, Syrie) amène inévitablement par-dessus un nouveau développement des contradictions de la stabilisation capitaliste un nouvel ébranlement de la stabilisation capitaliste et une tension aiguë de la crise générale du capitalisme. »

b) Le problème de la guerre: le chaînon décisif de la situation[modifier le wikicode]

Il ressort de cette analyse que le problème du danger de guerre est le chaînon décisif de la situation donnée. Cela ne signifie pas du tout que la guerre éclatera dans les mois prochains et même 1 année prochaine, mais tout le développement international se poursuit dans cette direction. Le conflit mondial anglo-américain et son développement, la lutte américano-japonaise pour la Chine et pour les. bases navales dans l’océan Pacifique, les antagonismes franco-italiens, la menace constante contre l’Union soviétique par les géants capitalistes qui sont prêts à envoyer au combat leurs émissaires capitalistes, la Roumanie et la Pologne, la guerre d’intervention en Chine, les armements continuels, les traités secrets, etc., la préparation poussée avec vigueur de l’arrière pays, et en liaison avec cela les obstacles mis sur le chemin de la classe ouvrière, la terreur, les lois draconiennes anti prolétariennes, les agressions de plus en plus provocatrices contre les organisations ouvrières, l’adaptation de la politique intérieure à la politique extérieure, qui n’es, en dernière analyse que la politique de préparation à des guerres — tout ceci illustre de façon suffisamment claire la situation. Dans une situation pareille, la sous-estimation du danger de guerre et, par voie de conséquence, une lutte insuffisante contre la guerre sont le danger principal pour le prolétariat et son avant-garde communiste. Ceci est d’autant plus juste qu’il n’y eut dans aucune période de développement de la société capitaliste une situation dans laquelle la préparation réelle à la guerre ait été masquée de façon si cynique et en même temps avec une variété aussi grande de moyens et de manœuvres d’abêtissement qu’actuellement.

Il n’y a aujourd’hui aucune force, aucune organisation en dehors de l’Internationale communiste qui puisse dévoiler ces mensonges pacifistes, qui puisse dissiper les nuages et les gaz asphyxiants du pacifisme. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la répartition des forces des plus grands brigands internationaux : l’impérialisme américain intervient comme le « héraut de la paix »; il propose même de mettre la guerre « hors la loi ». Tout homme raisonnable se pose la question: Comment peut-on faire des préparatifs de guerre aussi insensés que les Etats-Unis, et mettre cela en harmonie, ainsi que le fait que le capital américain étrangle le Mexique et le Nicaragua, qu’il envoie ses navires de guerre en Chine, etc., avec ses propositions de mettre la guerre hors la loi ? Comment peut-on s’expliquer que les autres brigands impérialistes, .y compris le Japon qui a accaparé le tiers de la Chine, qui y a pénétré en armes et qui y mène une guerre sanglante, ont néanmoins signé le chiffon de papier sur lequel était écrit : la guerre est interdite. Tout cela n’est qu’une mascarade destinée à couvrir le véritable cours des événements. Naturellement cette mascarade est soutenue par la social-démocratie. Ces circonstances exigent de nous que nous déchirions impitoyablement ce masque, que nous montrions à la classe ouvrière les choses dans une lumière qui permette de reconnaître leur véritable caractère, que nous démolissions tout l’échafaudage du bavardage pacifiste par nos appels et nos avertissements sévères, que nous orientions toute la classe ouvrière vers la préparation systématique de la lutte contre le danger de guerre et que nous poursuivions journellement et avec ardeur cette préparation. C’est pourquoi il faut que les questions de la politique quotidienne des sections de l’I.C. soit subordonnés à la question de la lutte contre la guerre, de même que l’impérialisme entreprend chacune de ses démarches en calculant à longue portée ses perspectives de guerre. Lorsque le bourgeois anglais évoque des époques antédiluviennes et prive de leurs droits politiques les syndicats, c’est qu’il veut protéger ses arrières. Lorsque les bourgeois anglais, allemands, américains et tous les autres bourgeois font prêcher par les social-démocrates la paix industrielle, lorsque les chefs de syndicats s’intègrent dans les organes des trusts capitalistes et de l’Etat capitaliste, tout ceci sert également à la préparation à ia guerre. Lorsque la bourgeoisie veut maintenant exterminer les communistes à l’aide de la terreur, elle le fait en perspective de guerres. La politique manœuvrière de la bourgeoisie est actuellement extrêmement compliquée. La bourgeoisie internationale met en mouvement tous les leviers. Elle dispose d’un assortiment extrêmement riche d’armes pour tromper et violenter, pour terroriser et prêcher l’édification chrétienne ; elle dispose des corruptions cyniques et des légendes pacifistes endormantes, des armements diaboliques et des branches d’olivier céleste. Elle conclut, d’une part, des alliances militaires et utilise, d’autre part, la Société des nations et intervient avec le pacte de Kellogg. Elle emploie la terreur et demande en même temps la « paix industrielle » et s’assure l’appui réformiste docile des syndicats par de petits présents. Elle ne répugne pas à louer la classe ouvrière de son pays « pourvu qu’elle se tienne tranquille ; elle achète les chefs de la classe ouvrière afin de mettre la scission dans le mouvement prolétarien et elle donne comme instructions aux bureaucrates social-démocrates de chasser des syndicats les couches révolutionnaires des ouvriers. C’est ainsi que nous voyons devant nous un système compliqué de mesures calculées à longue échéance et qui sont toutes subordonnées à une idée centrale, à l’idée de la préparation aux rencontres guerrières menaçantes avec l’aide de la social-démocratie.

c) Le visage de la social-démocratie actuelle[modifier le wikicode]

Le revirement dans la situation objective (la forme particulière de la stabilisation, la trustisation, les tendances au capitalisme d’Etat) ont soulevé à nouveau la question de la socialdémocratie. Le rôle de la social-démocratie est maintenant infiniment plus honteux qu’il ne le fut, même en 1914. Les chefs de la social- démocratie sont vraiment aujourd’hui les chiens de garde de l’impérialisme. Ils scissionnent les organisations ouvrières au bénéfice du capital, mettent hors des syndicats les communistes et les simples ouvriers révolutionnaires ; ils s’égosillent en sermons en faveur de la paix avec les patrons, avec les loups capitalistes les plus méchants et les plus avides. Ils tiennent avec eux des conférences communes et ils combattent en même temps de façon systématique, idéologiquement et politiquement, l’Union soviétique. Les chefs syndicaux, les chefs des partis social-démocrates sont intégrés directement et immédiatement avec les chefs des trusts aux organes de l’Etat capitaliste et ils se placent ouvertement au point de vue de la soumission sans conditions, de la collaboration active et de la défense sans conditions de l’Etat impérialiste. Songez seulement à la figure « glorieuse » du socialiste Albert Thomas, de ce supersocial-démocrate typique. Cet homme qui s’appelle socialiste, part en Italie pour lécher les bottes de Mussolini et pour chanter les louanges de la « liberté fasciste ». Il est employé en permanence dans la Société des nations, c’est-à-dire dans l’organisation internationale des brigands impérialistes où — plaisanterie à part — il administre la « section du travail ». Les journaux ont déjà fait savoir qu’il a envoyé à un synode ecclésiastique un message d’amour dithyrambique parce que la même idée du « bien-être du monde entier » réunit les socialistes et les jésuites. Voilà le type du chef social-démocrate d’aujourd’hui. C’est vraiment une belle figure. (Hilarité). Thomas qui accomplit sa mission en Russie en essayant autrefois de persuader les ouvriers russes de continuer la guerre impérialiste, Thomas qui s’apparentait avec Kerensky pour traîner à la boucherie les ouvriers russes au nom de la démocratie, continue à jouer encore le rôle de fournisseur de chair à canon, tout comme Vandervelde qui, en son temps, fit bloc non seulement avec le « gouvernement provisoire » mais même avec le gouvernement tsariste. Thomas est la figure la plus caractéristique de la IIe Internationale en même temps qu’il en est la caricature mouvante.

Cette position de la social-démocratie (son intégration aux organisations capitalistes, sa politique de scission dans les syndicats, sa politique de défense de l’impérialisme) fut la condition du revirement tactique qui fut déterminé déjà un certain temps avant le congrès par le Comité exécutif de l’Internationale communiste pour les partis communistes d’Angleterre et de France, revirement pour une lutte renforcée contre la social-démocratie. Ce revirement a signifié pour les deux partis une coupure de la plus grande importance historique dans l’ensemble de leur développement. Au VIe Congrès, il devint tout à fait clair que ce tournant tactique doit être approfondi et continué parce que les tendances des partis social-démocrates à la scission du mouvement ouvrier sont devenues un phénomène général. Il nous faut accentuer notre lutte contre la social-démocratie, aussi bien dans notre propagande que dans notre agitation, dans tout notre travail quotidien et dans la lutte gréviste. Mais de la tension de notre lutte contre la social-démocratie, il ne ressort pas du tout que nous devions renoncer à la lutte pour l’ouvrier social-démocrate, au contraire. Le problème de la conquête des masses et avant tout’ la conquête des masses qui suivent encore la social-démocratie — et malheureusement cette masse est encore grande — se pose maintenant devant nous dans son acuité entière. Aux dernières élections en Allemagne, où le parti communiste remporta un grand succès, où il réunit trois millions et demi de voix, neuf millions d’électeurs ont voté pour la social-démocratie. Une partie de ces voix fut prise par la social- démocratie à la petite bourgeoisie, mais cependant il y a encore des millions d’ouvriers qui votent pour les social-démocrates. C’est un fait avec lequel il faut compter. Nous ne devons nullement cesser de lutter pour ces ouvriers social-démocrates. Au contraire. Plus nous posons de façon aiguë la question du rôle honteux et traître de la social-démocratie, plus haut nous dressons le drapeau de l’unité de la classe ouvrière, plus il nous faut montrer de l’énergie dans la mobilisation de toutes les forces de la classe ouvrière contre les chefs de la social-démocratie, plus nous devons montrer d’habileté dans la lutte dans chaque question partielle et journalière, dans chaque grève, dans chaque conflit avec des patrons, pour conquérir les ouvriers social-démocrates.

d) La lutte pour les masses et l’unité des rangs prolétariens[modifier le wikicode]

Le problème de la lutte pour les masses, le problème de la conquête des masses est et reste notre problème tactique principal. Cependant notre position est maintenant, même aux yeux des couches arriérées du prolétariat, plus favorable. Au début de la guerre, la trahison de la social-démocratie posa devant les communistes le problème de la scission ; il nous fallut rompre avec les chefs social-démocrates ; le drapeau de la scission fut notre signe de ralliement, bien que ce fussent les héros social-démocrates du 4 août qui étaient responsables de cette scission. Maintenant nul communiste ne s’avise même en rêve de penser à une collaboration avec les social-démocrates : et cependant, précisément parce que les partis communistes ont grandi, précisément parce qu’ils sont devenus une force de masses, précisément parce qu’ils mènent une lutte véritable contre le capital, alors que les socialdémocrates scissionnent les syndicats et fraternisent avec Mond, Krupp, Loucheur, Morgan et C ie — c’est précisément pour cela que la chose subit un changement complet. Dans la nouvelle « situation historique », les faits apparaissent dans une nouvelle lumière. Maintenant une seule organisation défend l’unité de la classe ouvrière, une seule organisation défend l’idée de l’unité entre la classe ouvrière et les peuples coloniaux. Et c’est l’Internationale communiste. On chasse les communistes des syndicats parce que les communistes grandissent, mais nous luttons pour l’unité, nous la réalisons, nous déployons le drapeau de l’unité de la classe ouvrière organisée syndicalement aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Mais la lutte contre nous est de plus en plus accentuée. C’est nous qui réalisons et nous seuls qui pouvons réaliser l’unité dans les actes alors que la IIe Internationale, tout comme Amsterdam, ne nous donne que le spectacle de querelles nationales impérialistes et d’un évincement par les réformistes de tous les ouvriers tant soit peu honnêtes. C’est nous qui sommes les porteurs de l’idée de l’unité avec les peuples coloniaux, alors que les réformistes relèguent ces peuples coloniaux dans la chambre des domestiques et se moquent d’eux tout à fait de la même manière que les négriers de la Société des nations.

L’histoire a parcouru ce cercle dialectique. Le drapeau de l’unité n’est pas pour nous une manœuvre, un jouet, une « attraction » rien de pareil ! Nous sommes vraiment la seule organisation qui intervienne contre l’unité avec les capitalistes et pour l’unité des rangs ouvriers, pour une unité réelle du prolétariat organisé syndicalement.

Les contradictions de la stabilisation capitaliste, la pression sur la classe ouvrière, une exploitation de brigandage impitoyable et croissante, un chômage terrible dans une série de pays, le pressentiment d’une époque de’ guerres effroyables, avec toutes ses conséquences horribles et destructrices créent la base pour la radicalisation de la classe ouvrière en masse, pour l’accroissement de ses sympathies pour l’Union soviétique, pour sa volonté de défense, pour son désir ardent d’unité. Ce drapeau de l’unité par en bas, de l’unité contre les capitalistes, l’I.C. ne doit l’abandonner pas même pour un instant. La lutte journalière, le travail dans les syndicats, la direction des grèves, le travail renforcé parmi la jeunesse, parmi les ouvrières, les ouvriers agricoles et les petits paysans, une orientation plus vigoureuse vers les masses — telles doivent être les conclusions de l’ensemble de la situation d’aujourd’hui.

e) La lutte contre les divisions de droite est la ligne principale au sein des partis[modifier le wikicode]

La situation dans laquelle nous menons notre lutte dans les conditions de la stabilisation est très compliquée. Nos partis ont devant eux des tâches qui ne sont pas moins difficiles. Aussi est-il compréhensible que la vie au sein des partis exprime les difficultés du chemin que nous parcourons et qu’il y ait dans la politique de nos partis des déviations de la ligne léniniste juste. Si nous généralisons toute une série de faits qui sont caractéristiques pour la majorité des partis, si nous posons la question du danger central dans l’I.C., nous devons constater nettement que le danger central le plus important et le plus décisif dans l’I.C. est maintenant le danger de droite.

Après que l’opposition trotskiste fut battue, après qu’une partie de cette opposition fut passée aux social-démocrates, comme ce fut le cas en Allemagne, c’est le danger de droite qui est le principal au sein de nos rangs. Nos partis travaillent côte à côte avec les partis socialdémocrates — il leur faut dans les syndicats lutter journellement avec eux. Il est clair que, étant donnée la force encore grande de la social-démocratie, tout ceci fait que l’influence socialdémocrate pénètre dans nos rangs. On n’a pas le droit d’oublier non plus qu’il y a dans l’I.C. une série de partis qui n’ont pas encore reçu le baptême du feu. Il y a chez nous des partis qui sont venus littéralement du champ de bataille au congrès, qui se développent sous le régime cruel de la terreur blanche, mais il y a aussi une série de partis qui n’ont pas encore subi l’épreuve de combats sérieux. On peut citer comme exemple le parti tchécoslovaque qui est sorti du parti social-démocrate, qui n’a jamais été dans une lutte directe de masses et qui n’a encore -jamais été réellement sous la pression de la dictature bourgeoise ; ce parti n’a pas encore subi d’épreuve réelle. Et cette épreuve que le parti a lui même organisée — ce qu’on a appelé la « Journée rouge », où il s’est agi de mobiliser les masses et de les conduire dans la rue — s’est terminée lamentablement. Nous avons adopté sur le Parti communiste tchécoslovaque une série de résolutions, mais nous avons maintenant de clairs indices que les dirigeants du parti et les organisations locales sont encore loin de s’être libérés de leur passé social-démocrate.

Dans tous les partis il y a des tendances de droite d’une sorte ou d’une autre. En France, elles se manifestent dans l’opposition contre le revirement tactique accompli par le parti, dans les derniers vestiges d’illusions parlementaires, dans la sous-estimation du rôle de traître de l’aile gauche des socialistes, dans la soumission qui n’est point nécessaire à la légalité bourgeoise, etc...

En Angleterre, les déviations de droite se montrent avant tout dans la résistance à l’exécution de la nouvelle tactique à l’égard du Labour Party, dans l’activité insuffisante pour démasquer les chefs du Labour Party, etc...

En Allemagne, les tendances de droite se montrent dans l’opposition aux décisions du VI e Congrès de l’I.S.R., dans une rupture de la discipline du parti au nom de la discipline syndicale, dans le mot d’ordre du « contrôle de la production » et dans la fausse estimation de l’aile « gauche » de la social-démocratie.

Dans le Parti communiste des Etats-Unis d’Amérique, les fautes de droite ont consisté avant tout dans une fausse politique à l’égard des socialistes. On pourrait allonger cette liste, mais ces exemples sont déjà suffisants. Dans la partie des thèses générales où l’on parle de la situation au sein des partis, le congrès a fait à tous les membres de l’internationale communiste l’obligation de combattre de la façon la plus résolue les courants et les tendances au sein des partis communistes qui sous-estiment ce danger. Dans quelques partis, le danger central est le danger de « gauche ». C’est ainsi qu’il y eut, par exemple, ces tout derniers temps dans notre parti chinois qui souffrait auparavant de fautes opportunistes, un danger de déviations « de gauche » qui pourrait faire périr tout le parti. Ce danger a consisté, alors que la vague révolutionnaire refluait déjà, alors que les cadres considérables de notre parti avaient été détruits physiquement, alors qu’une nouvelle vague révolutionnaire n’avait pas encore commencé, à organiser dans quelques districts, pour ainsi dire en un tournemain, des insurrections qui étaient condamnées d’avance à l’échec. Cela amena une nouvelle destruction du noyau des meilleurs communistes. Il nous fallut regrouper résolument la direction du parti vers la lutte pour les masses et nous l’avons fait. Mais je le répète : si nous prenons toute l’Internationale communiste, le VIe Congrès a souligné tout à fait avec raison que le danger central est précisément le danger de droite.

Dans le domaine des rapports internes de partis, il nous faut souligner également de façon particulière le danger de luttes fractionnelles et la nécessité de la consolidation des partis. Dans ces dernières années, la lutte de fractions dans une série de pays a dépassé toutes limites ; il en fut ainsi dans le parti yougoslave où la lutte fractionnelle qui n’était justifiée par aucune divergence d’opinion de principe dura environ sept ans et amena le parti au bord de l’effondrement complet. Nous avons aidé ce parti à s’engager dans le chemin d’un travail concret, mais c’est seulement en donnant à de nouveaux cadres la possibilité de participer au travail de direction que nous sommes arrivés déjà maintenant à une amélioration de la situation. Nous avons pareille situation aussi dans le parti polonais qui est au poste le plus responsable ; les divergences d’opinions politiques sont tout à fait insignifiantes, mais par suite de la lutte fractionnelle acharnée on en est venu à la scission dans l’organisation la plus importante, l’organisation de Varsovie. Il nous a fallu adopter pour toutes ces questions des résolutions spéciales et nous espérons beaucoup qu’elles seront efficaces. Il nous a fallu poser en ce qui concerne tous les partis la question de la consolidation. Nous avons mis la direction des partis en face de la tâche de l’élévation du niveau théorique des communistes, du rassemblement plus vigoureux des forces dirigeantes les plus importantes de nos partis et de l’appel à la direction de tous les camarades capables qui se placent sur le terrain de U.C. Il m’a fallu rappeler au congrès les mots tout à fait sages de Lénine qu’il m’écrivait ainsi qu’au camarade Zinoviev : « Si vous ne conservez que des imbéciles serviles et si vous réformez tous ceux qui ne sont pas aussi dociles, mais qui ne sont pas des imbéciles, vous détruirez certainement les partis ». Nous sommes d’avis qu’il faut se souvenir de cette règle et agir en conséquence. Cependant elle ne doit pas dégénérer en une tolérance point du tout nécessaire à l’égard des déviations. Il faut lutter contre les déviations et en venir à bout. Cela découle de l’évidence même, c’est une vérité de La Palisse pour tout bolchévik. Mais dans une « pratique » comme celle de nos partis, étant donnés les cadres dirigeants tout à fait insuffisants, il faut se graver dans l’esprit de la façon la plus énergique ce discours de Lénine. L’élévation du niveau théorique est presque dans tous les partis sans exception une des tâches les plus importantes. Il faut dire que la discussion sur le programme a permis de constater un accroissement des partis communistes aussi bien en largeur qu’en profondeur. Néanmoins les exigences du mouvement s’accroissent plus vite que les moyens pour les satisfaire, aussi est-il nécessaire de renforcer le travail sur ce front aussi. La difficulté de la situation et la complexité des tâches posées par cette situation exigent dans une mesure croissante une direction de plus en plus qualifiée, c’est-à-dire une direction qui unit les connaissances pratiques du travail avec les expériences politiques et la fermeté théorique. La tension de la lutte contre la social-démocratie, la lutte renforcée pour la conquête des masses, la tactique du front unique par en bas, le travail renforcé dans les syndicats et dans toutes les organisations de masses du prolétariat, la propagande pour l’unité des rangs ouvriers, la lutte contre les déviations de droite dans les partis, le renforcement et la consolidation des partis, la maîtrise résolue des querelles fractionnelles, la contre-attaque courageuse contre l’offensive du capital avec la question du danger de guerre au centre de toute la lutte — telles doivent être nos tâches actuelles dans les pays les plus importants du capitalisme. Il est de toute évidence que tous les mots d’ordre partiels doivent être subordonnés au mot d’ordre de la dictature prolétarienne.

IV. La question de la lutte contre la guerre et la question coloniale[modifier le wikicode]

Sur la question du danger de guerre, on n’a rien dit de principal, comparativement avec les résolutions du 8e

Exécutif. Sur la base de nos résolutions précédentes, on élabora une résolution détaillée. Une partie de ces résolutions n’est pas publiée, car nous n’avons pas besoin de les faire connaître à nos ennemis de classe. Notre travail contre la guerre est lié au passage d’une partie de nos organisations de partis dans l’illégalité, au renforcement des formes et méthodes illégales de la lutte.

La question coloniale qui occupa dans l’activité du VIe Congrès un place éminente, avait déjà été touchée dans une certaine mesure dans l’analyse de la question du programme. Dans le programme, le congrès donna l’orientation de principe au sujet de la question coloniale. Mais le congrès a traité cette question de façon spéciale comme un point particulier de son ordre du jour et y a sacrifié une partie importante de son temps. Il est évident que les résolutions du II e Congrès que Lénine avait écrites devaient nécessairement rester la base des résolutions du VIe Congrès. Cependant depuis le IIe Congrès beaucoup de changements étaient survenus ; nous avons rassemblé dans une série de pays coloniaux, et non seulement en Chine, des expériences gigantesques où les événements orageux de la révolution chinoise ont soulevé et réglé une série de questions tactiques extrêmement compliquées, où nos expériences, et en vérité nos expériences de masses, se sont énormément enrichies. Le soulèvement en Indonésie, les luttes en Syrie, en Egypte et au Maroc, les expériences pour la lutte de libération des pays de l’Amérique du sud et finalement aux Indes — tout ceci nous a donné des matériaux pour régler la « question coloniale » de façon considérablement plus concrète et par une élaboration bien meilleure. Les discussions auxquelles on en vint au congrès se firent dans deux directions : Premièrement la discussion sur le rôle de l’impérialisme à l’égard des colonies et deuxièmement l’estimation du rôle de la bourgeoisie dans les révolutions nationales révolutionnaires, avant tout aux Indes. Déjà la façon dont on posa la première question suppose une certaine division de cette question. Il s’agit du fait que l’on ne peut pas appliquer le même traitement aux pays de l’Amérique du Sud, qui ne sont pas indépendants du point de vue économique, et aux Dominions anglais, etc., d’un côté, et aux Indes et à la Chine, de l’autre. Le cours du développement, le rôle du capital des métropoles, la question internationale (comme au Canada et aux Indes) — tous ces facteurs se différencient largement. C’est pourquoi on ne peut pas prendre de résolutions générales, si celles-ci ont la moindre prétention d’être concrètes. Le congrès a concentré son attention sur le jugement à porter sur les expériences chinoises et avant tout sur les problèmes de l’Inde.

Le problème chinois est déjà suffisamment connu. Maintenant nous sommes devant une grande « expérience » hindoue. L’Inde est un pays de dimensions gigantesques avec une population énorme. Il est actuellement dans un état d’effervescence extrêmement profonde. Au sujet de la première question, le congrès a établi le rôle tout à fait contradictoire de l’impérialisme en Chine et surtout aux Indes : l’impérialisme favorise jusqu’à un certain degré le développement du capitalisme dans ses colonies, mais, il retient en même temps ce développement, il contient le développement des forces productives, il conduit à la paupérisation de la paysannerie, il maintient sur des parcelles infimes un nombre gigantesque de pauvres gens, il rétrécit le marché intérieur industriel ; il paralyse lé développement de l’industrie et freine par des mesures artificielles de façon particulière le développement de branches de production comme la construction des machines, l’industrie des métaux et de la métallurgie, etc. C’est ainsi que fut réglée la question de l’impérialisme. Au sujet de la question de la bourgeoisie nationale, le congrès indiqua que pour des pays comme les Indes, des accords momentanés avec la bourgeoisie sont possibles dans des cas particuliers, mais qu’on ne saurait parler de la création d’un parti en commun avec la bourgeoisie ou d’une entente de longue durée avec la bourgeoisie. Il est nécessaire de dévoiler déjà maintenant sa duplicité, ses hésitations, son jeu avec l’impérialisme. II faut déjà maintenant indiquer aux ouvriers le caractère inévitable du passage de la bourgeoisie dans le camp contre-révolutionnaire. La tâche principale est la création d’un parti indépendant du prolétariat qui fasse un travail de masses, qui conquière les syndicats, qui organise les’ unions paysannes, la propagande la plus large pour la révolution agraire, pour chasser les impérialistes, etc….

Bien qu’on ne puisse pas du tout mettre sur le même pied la bourgeoisie hindoue et la bourgeoisie chinoise contre-révolutionnaire telle qu’elle est, il faut écarter, d’autre part, complètement une situation aux Indes telle qu’elle exista réellement en Chine, lorsque la bourgeoisie joua pendant un certain nombre d’années un rôle révolutionnaire. Pareille perspective est exclue aux Indes parce que l’essor du mouvement des masses soulève immédiatement avec une acuité extrême des questions qui poussent la bourgeoisie dans le camp de la contre-révolution.

Le congrès s’est arrêté particulièrement sur la position de la IIe Internationale à l’égard de la question coloniale et il a donné une estimation marxiste de son rôle comme agence honteuse des gouvernements impérialistes et de la Société des nations, dans les statuts de laquelle elle puise ses « normes » pour son attitude à l’égard des colonies.

V. L’Union soviétique, l’opposition dans le P.C. de l’U.S. et la question des groupes trotskistes internationaux[modifier le wikicode]

La question de l’Union soviétique et du P.C. de l’U.S. était à l’ordre du jour en tant que point particulier. La question du P.C. de l’U.S. et de l’Union soviétique fut posée du point de vue de l’examen des événements dans le développement de la dictature du prolétariat dans notre pays et du point de vue des succès de notre lutte contre l’opposition trotskiste. Cette lutte contre l’opposition trotskiste fut accompagnée de la lutte contre les courants idéologiques correspondant dans toute une série d’autres pays : en Allemagne, en France et en Italie. Le groupe de Bordiga sympathisant avec les trotskistes envoya une déclaration bien amusante dans laquelle on proposait les choses suivantes : le VIe Congrès de l’Internationale communiste doit élire L.D. Trotski comme président. Le VIe Congrès doit exclure de l’I.C. tous ceux qui ont voté pour les résolutions du XVe Congrès du P.C. de l’U.S. {Hilarité.) Cette proposition ne fut naturellement traitée ni par le congrès ni par aucune commission.

Le congrès a ratifié les décisions du XVe Congrès du parti, avec une rare unanimité et une série de déclarations au nom des sections les plus importantes de l’I.C. ont souligné de façon encore particulière leur profonde solidarité aussi bien avec l’Union soviétique qu’avec le P.C. de l’U.S. et avec la classe ouvrière héroïque de notre pays.

Une série de petits groupes d’opposition — les gens de Sapronov, des trotskistes, le groupe français de Suzanne Girault, le groupe allemand de Maslow avaient transmis des déclarations d’appels au congrès. Quelques camarades demandent : Les opposants se sont-ils convertis ? Ils ne se sont pas du tout convertis ! les documents en question sont bien rédigés sous une forme un peu plus polie et plus douce que les documents précédents (manifestement ces gens ont appris quelque chose) mais même sous cette forme plus douce, ils posent les mêmes questions, ils profèrent les mêmes accusations qu’auparavant. On raconte que le groupe trotskiste a envoyé son projet comme contre-projet à notre projet de programme. Je suis obligé de dire que nous n’avons rien trouvé de concret ou de sérieux dans les remarques et critiques envoyées au sujet de notre projet de programme. Dans les remarques trotskistes, on répète les mêmes choses que l’opposition trotskiste a écrites déjà à plusieurs reprises sur l’édification du socialisme dans un seul pays ; sur le Comité anglo-russe et sur la Chine.

En ce qui concerne d’autres documents de Trotski, je puis dire qu’on trouve soutenu dans l’un d’entre eux le point de vue suivant : La séance plénière du Comité central qui a supprimé les mesures extraordinaires concernant l’achat des céréales a presque trahi la révolution d’Octobre. (Hilarité) Vous savez sans doute par les résolutions comment le congrès a réagi à tout cela. Tous les appels qui ne laissaient voir aucune trace quelconque de conversion ou de sentiments et un état d’esprit correspondant furent écartés par le congrès. De cette façon nous avons manifestement perdu pour longtemps ceux qui firent appel, car le congrès est la dernière instance auprès de laquelle ils pouvaient en appeler. Mais il faut que je dise que si nous avons perdu ces gens, nous avons accueilli par contre sept nouveaux partis, avant tout des partis de l’Amérique du Sud, et nous croyons que pareil troc est tout a fait judicieux. (Hilarité). Camarades ! Notre congrès, les résolutions ‘qu’il a adoptées et avant tout le programme sont des témoignages de nos forces croissantes. L’adhésion de nouveaux partis en présence de représentants des prolétaires de tous les pays extra-européens et de nombreuses colonies montre la grande portée de notre mouvement. Nous ne sommes pas seulement une force européenne, pas seulement une force européo-américaine, nous sommes vraiment maintenant devenus une force mondiale. Notre organisation communiste est devenue une véritable communauté internationale des ouvriers.

En résultat de la première période des guerres impérialistes, nous avons une organisation politique excellente, l’Internationale communiste, et un Etat de la dictature ouvrière tout à fait fort, l’Union soviétique. La dictature prolétarienne a célébré, il n’y a pas très longtemps, le Xe anniversaire de son instauration. L’Internationale communiste célébrera l’année prochaine la première décade de son existence. Mais dans toute notre histoire un des moments les plus solennels fut celui où fut adopté au VIe Congrès le programme de l’Internationale communiste.

Chaque délégué de l’Equateur comme d’Allemagne, de la Chine comme de l’Amérique avait le même sentiment ; maintenant nous avons grandi au point que nous unissons dans le même effort, dans une volonté commune dans un système unique de pensée, les millions des lutteurs les plus énergiques et les plus fidèles du prolétariat.

Il nous faut maintenant exécuter les résolutions de notre congrès et porter dans les masses notre programme qui est notre drapeau et notre guide. Nous pouvons regarder tranquillement en face les dangers qui nous attendent sur notre chemin difficile. Nous avons terminé le projet de programme par le mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissezvous ! » C’est avec ce mot d’ordre, c’est avec l’idée plus claire, avec la conscience plus nette de nos devoirs que nous irons maintenant dans les masses, pour conquérir ces masses, pour les rassembler sous notre drapeau pour la lutte résolue contre la social-démocratie et contre l’impérialisme international, pour gagner en commun avec ces masses la victoire décisive, (Tempête d’applaudissements).

2. Ve Congrès de l’I.C.J. Les résultats du VIe Congrès mondial de l’Internationale Communiste[modifier le wikicode]

Rapport de Boukharine

Camarades, j’ai pour tâche de vous présenter une analyse de la situation actuelle ainsi que les problèmes qui se posent devant l’Internationale communiste d’après le travail et les résolutions du VIe Congrès mondial de l’I.C.

Beaucoup de temps est passé depuis le dernier congrès de l’Internationale communiste ; divers phénomènes se sont produits dans les domaines de la technique et de l’évolution de l’économie mondiale ; les positions du capitalisme et du socialisme qui se développe dans le premier pays de la dictature du prolétariat, ont subi à cause de cela une assez grande modification.

Au cours de la première période de la crise générale du système capitaliste, immédiatement après la fin de la guerre mondiale, nous avons eu une période aiguë de cette crise. D’immenses campagnes, des actions révolutionnaires de masses du prolétariat s’affirmèrent, en particulier dans l’Europe centrale. Ce fut le point culminant du cours des événements révolutionnaires. Beaucoup d’entre nous, presque tous, crurent que la crise du capitalisme était tellement intense, qu’elle se développerait d’une façon tellement âpre, que la courbe de l’évolution capitaliste devrait continuer à baisser : suivant cette conception, le capitalisme aurait traversé littéralement un processus de désagrégation : une régénération même partielle des composantes du système capitaliste mondial était estimée absolument impossible. La période passée nous a montré du point de vue de l’évolution du capitalisme que la crise de celui-ci n’adopte pas des formes aussi simples que nous l’avions cru.

Cela ne signifie nullement que cette crise serait complètement terminée. Ses formes et son intensité furent autres que celles que nous avions prévues, mais il est incontestable que la crise elle-même continue.

Il est particulièrement intéressant d’analyser justement maintenant l’état actuel du système capitaliste. Il ne subsiste aucun doute sur ce que nous vivons à une époque d’assez grand progrès technique. La croissance des forces productives de tout le système envisagé est absolument incontestable. Le commerce extérieur est actuellement plus grand qu’il ne l’était avant la guerre ; l’exportation des capitaux, ce phénomène économique international de la plus haute importance, s’est aussi considérablement accrue. Mais nous voulons poser une autre question. Cela veut-il dire que le capitalisme en général se trouve dans une situation analogue à celle d’avant-guerre ? Cela signifie-t-il que les social-démocrates auraient parfaitement raison en affirmant que nous serions arrivés à une époque, une période d’un cycle immense, nouveau, de développement capitaliste rapide, que nous serions en présence d’une phase de prospérité du capitalisme ? A cette question, nous voulons répondre bien nettement : non.

En effet, si nous comparons dans les grandes lignes le tableau actuel du capitalisme moderne avec l’image de celui d’avant-guerre, nous trouverons des différences extraordinaires réellement profondes. La lutte qui existe au sein du système capitaliste actuel est en réalité celle de deux systèmes ; il n’y a plus d’unité dans l’économie mondiale. Il y a un secteur capitaliste, une partie capitaliste, qui est encore extraordinairement grande et forte mais qui néanmoins ne règne pas seule. Il existe à côté d’elle comme force de sens contraire, comme pôle opposé, comme principe antagoniste, l’économie de l’U.R.S.S.

Avant la guerre, nous avions, en ce qui concerne la périphérie coloniale, une situation dans laquelle toutes les colonies n’étaient que (pour s’exprimer d’une façon savante) des objets de l’histoire ; il faut comprendre cela notamment dans le sens qu’elles subissaient l’exploitation, la domination de la part des Etats capitalistes, l’exploitation politique et culturelle et l’oppression économique. Après la guerre il y a eu en cela aussi d’assez grands changements : beaucoup de colonies cessant d’être des objets de l’histoire se sont transformées en ses sujets. Ainsi, un grand pays comme la Chine est maintenant un facteur puissant de l’évolution générale du monde, un facteur de force politique, et, pour parler plus exactement, de force politique révolutionnaire. Nous avons aussi à peu prés le même phénomène dans d’autres pays ; nous le retrouverons dans un avenir très proche (tel est notre prognose) dans une contrée comme l’Inde.

Nous constatons aussi un grand changement des marchés en les comparant avec l’accroissement des forces productives. La guerre a agi en ruinant ; la situation de grandes masses de la population a empiré dans toutes les parties du monde ; la capacité d’achat a donc aussi baissé. La contradiction (une des contradictions essentielles du système capitaliste) existant entre l’augmentation des forces productives et la capacité d’achat des masses est devenue beaucoup plus violente qu’elle ne l’était avant la guerre.

Enfin, si nous tenons devant nos yeux une carte de géographie économique nous verrons immédiatement que d’immenses changements ce sont produits également dans ce domaine. La part de la production européenne, et par conséquent du commerce d’Europe, dans la production totale du monde, dans le commerce extérieur comme on l’appelle, a énormément baissé. La proportion de la valeur des Etats-Unis de l’Amérique, de l’Australie et du Japon a considérablement augmenté. Le centre de l’industrie ne se trouve plus dans la vieille Europe mais bien dans les Etats Unis d’Amérique. Et, camarades, si nous nous demandons ce que signifient à proprement parler tous ces phénomènes, nous ne pourrons donner qu’une seule réponse, à savoir : ils sont l’expression de la crise générale durable du système capitaliste. Nous pouvons dire tout à fait tranquillement que malgré le fait de la stabilisation cette crise est durable ; elle persiste en se développant sous une forme nouvelle inconnue autrefois. L’erreur criminelle des partis social-démocrates consiste précisément en ce qu’ils nient, atténuent, diluent les traits essentiels du moment présent, de la situation actuelle ; ils les représentent comme le contraire de ce qu’ils sont, pour évoquer l’image d’un développement du capitalisme idyllique pacifique, harmonique, sans crises ; ils trompent ainsi toute la classe ouvrière. C’est précisément en se plaçant au point de vue de l’analyse du moment que nous vivons, de toute cette période nouvelle, sur la hase de la technique se développant dans le monde capitaliste, en s’appuyant sur la croissance des forces productives de ce système, que l’on aperçoit maintenant le problème de la guerre au centre de tous les problèmes. Personne d’entre nous n’a jamais dit, et personne n’a affirmé au congrès, que nous aurons demain une guerre entre l’U.R.S.S. et les pays capitalistes. Mais il est une chose que nous pouvons affirmer avec une certitude absolue : le danger de guerre devient chaque jour plus pressant ; l’époque de la guerre, de la déclaration de celle-ci, approche de plus en plus.

Si nous analysons la situation dans le secteur capitaliste du monde, nous verrons que l’axe de tous les conflits passe à travers la lutte principale qui se produit entre l’Empire britannique, cette force conservatrice impérialiste tenant tant dans sa main, et un autre brigand gigantesque nouveau, les Etats-Unis de l’Amérique du Nord.

Mais, dans la situation présente, le cours des événements suit également une autre ligne. C’est l’hostilité de principe qui existe entre le monde capitaliste tout entier et l’U.R.S.S. Le conflit entre les pays capitalistes et l’Union soviétique est inévitable : cela ne peut être mis en question ; ce n’est pas une exagération ; c’est la vérité la plus profonde du présent. Ce heurt peut se produire un peu plus tôt ou plus tard ; il peut arriver plus ou moins rapidement ; il peut amener plus on moins vite une collision directe des forces armées mais il est inéluctable. Dès maintenant, le monde capitaliste en reprend divers préparatifs militaires, diplomatiques et autres.

Si nous passons de l’analyse des rapports existant dans l’économie mondiale à celle de la situation interne dans les divers pays capitalistes les plus importants, nous voyons que le soidisant progrès en ce qui concerne la technique, l’économie, la « vie publique » en général n’est obtenu, au cours de la période actuelle, que par l’exploitation intense des masses prolétariennes et partiellement aussi des colonies. Le moyen utilisé pour y arriver est la fameuse rationalisation capitaliste.

Nous sommes en présence d’une nouvelle croissance des tendances du capitalisme d’Etat ; divers trusts capitalistes privés se sont soudés, de différentes façons et par toutes sortes de procédés, avec les organes de l’Etat ; en même temps le processus de l’intégration des organisations réformistes dans l’ensemble du système capitaliste se développe particulièrement vite.

La social-démocratie a maintenant une position bien plus criminelle que celle qu’elle occupa même en 1914. En ce qui concerne ses rapports avec l’Etat bourgeois, elle apporte maintenant l’attitude de la collaboration active avec l’Etat, avec toutes les institutions de l’Etat bourgeois, avec l’armée, la police, la gendarmerie et les autres moyens puissants dont cet Etat capitaliste pillard dispose.

Dans la question de la politique dite extérieure, la social-démocratie soutient celle des organisations de l’Etat bourgeois, de l’oppression des colonies, des diverses alliances secrètes ou publiques, des attaques contre l’Union soviétique. C’est là quelque chose qui dépasse même les exploits héroïques de 1914 et de l’époque de la guerre. La social-démocratie est maintenant tellement éhontée, criminelle, cynique, qu’elle acclame Kautsky poussant au soulèvement armé en U.R.S.S. et excitant les désirs d’intervention contre celle-ci. En même temps elle prêche l’idylle pacifique de l’évolution capitaliste. C’est une prétention idéologique des partisans de la social-démocratie qui ne s’était jamais encore produite jusque maintenant ; il ne faut pas s’étonner si certaines figures classiques social-démocrates, comme Albert Thomas, glorifient d’abord Mussolini, écrivent ensuite des lettres aux Eglises, travaillent dans la Société des nations, etc.

Camarades, cette analyse qui a été établie dans les grandes lignes par notre VIe Congrès mondial a, au point de vue tactique, des conséquences étendues, assez importantes. La principale d’entre elles est que le congrès sanctionne, appuie et étende la ligne de conduite fixée il y a déjà quelques mois par le Comité exécutif de l’Internationale communiste aux partis français et anglais.

Dans ces conditions, nous avons été obligés de renforcer la lutte contre les partis socialdémocrates ; nous l’avons fait non seulement contre la droite mais aussi contre les socialdémocrates de gauche particulièrement menteurs et donc spécialement dangereux ; ainsi, c’est sur tout le front, sur toute la ligne, une lutte intense qui commence contre les traîtres socialdémocrates. L’accentuation de notre attitude envers la social-démocratie ne signifie nullement que nous occupions une position nettement hostile contre les ouvriers social-démocrates. La lutte autour des masses n’est nullement annulée parce que le combat contre les partis socialdémocrates a augmenté d’intensité. Le problème de la conquête des masses n’acquiert pas une signification moindre, mais, au contraire, plus grande qu’autrefois, surtout si on l’envisage du point de vue des préparatifs de guerre. Le problème de la mobilisation des masses sous le drapeau du communisme, sous celui de nos partis communistes, est maintenant, beaucoup plus grand qu’avant, le grand problème des partis et des Jeunesses communistes. Dans la bataille menée avec une tactique plus intense contre la social-démocratie, nous devons attribuer à la conquête des masses ouvrières social-démocrates une importance beaucoup plus grande que dans le passé.

C’est précisément en partant de ce point de vue que le congrès, dans différentes questions, s’est fixé une position tout à fait claire tendant à conquérir les masses. C’est pour cette raison qu’il a décidé, spécialement au sujet de la question de la jeunesse (et c’est également la nouvelle orientation de tactique de votre congrès), d’opérer un grand changement brusque, une forte modification dans le sens du travail de masses au sein de la jeunesse.

En ce qui concerne notre parti, nous avons particulièrement souligné la question de l’activité syndicale. Nous l’avons également fait à notre congrès pour les problèmes du travail de masses parmi les jeunes.

Le VIe Congres a adopte le programme de l’Internationale communiste. Je voudrais dire quelques mots sur le caractère général de ce programme et sur l’importance de cet événement assez considérable dans l’histoire de notre mouvement communiste. Notre programme a un aspect tout autre que ceux qu’établissaient autrefois les anciens partis social-démocrates ; en effet, c’est un programme international, c’est bien celui de l’Internationale communiste. Si nous voulions le caractériser brièvement, nous pourrions dire que c’est celui de la dictature mondiale du prolétariat. L’histoire du mouvement ouvrier ne connaît pas dans le passé de tels documents. C’est l’Internationale communiste qui, pour la première fois, inaugure une phase aussi grande au point de vue idées ; la classe ouvrière a, pour la première fois, grâce au mouvement communiste, un pareil document qui, sous une forme condensée, touche à toutes les questions les plus importantes du mouvement ouvrier moderne.

Camarades, nos ennemis, les social-démocrates de toutes tendances, affirment maintenant que nous serions arrivés à l’époque du début de la nouvelle période, de l’épanouissement du capitalisme, ou bien, comme disent les social-démocrates autrichiens, nous assisterions à une « pause » du mouvement ouvrier.

Quant à nous, nous avons une tout autre estimation de la situation au point de vue principe. Nous ne vivons pas à une époque de parachèvement des révolutions bourgeoises, mais bien dans celle du début des révolutions prolétariennes. Nous ne vivons pas dans une période de prospérité nouvelle du capitalisme, mais bien dans celle de l’extinction du système capitaliste. Nous ne vivons pas au temps de l’idylle pacifique capitaliste, mais plutôt à une époque menaçant de déclencher d’immenses catastrophes, des insurrections grandioses du prolétariat et des colonies.

Les petits bourgeois social-démocrates peuvent chercher à se consoler dans leur esprit en dépeignant à leur façon la situation Nous n’avons pas besoin de consolation pareille. Nous voyons les choses telles qu’elles se présentent dans la réalité. Nous voyons tous les dangers, toutes les difficultés, la difficulté tout entière de la tâche qui nous incombe. Mais c’est justement parce que nous estimons la situation de fait de la façon la meilleure, la plus réaliste, la plus « antiutopique », parce que nous fournissons l’analyse la plus réaliste de l’évolution du capitalisme, parce que nous voyons les périls de la manière la plus vraie, c’est précisément pour cela qu’à l’heure du danger nous saurons accomplir notre tâche. Et surtout vous, nos jeunes camarade, qui avez en tout temps tenu bien haut le drapeau rouge, vous aurez votre mot à dire à cette heures du danger.

Vive l’Internationale communiste ! Vive notre Internationale des Jeunesses communistes ! Vive la révolution mondiale du prolétariat ! (Tempête d’applaudissements. – Les délégués chantent « L’Internationale »).

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La Commission d’organisation comprenant 30 délégués, chargée d’élaborer les résolutions sur l’organisation, est élue à l’unanimité par le congrès.

La Commission d’agitation et de propagande devant élaborer les thèses dont le principe est accepté, est également élue à l’unanimité.

La résolution suivante, vivement applaudie, fut adoptée unanimement par le congrès :

« Après avoir entendu le rapport de Boukharine le Ve Congrès mondial de l’I.C.J. se joint entièrement aux résolutions adoptées par le VIe Congrès mondial de l’Internationale communiste. Ces résolutions et le programme de l’I.C. formeront dans l’avenir la base du travail et des décisions du Ve Congrès mondial de l’I.C.J. ainsi que de toutes ses sections. Au nom de l’I.C.J. et de ses sections, le Ve Congrès mondial assure une fois de plus l’Internationale communiste léniniste de son inébranlable fidélité. Il promet que l’I.C.J. tout entière, fidèle à ses traditions, continuera dans l’avenir à lutter dans les premiers rangs, avant tout contre le danger de guerre et pour la défense de l’U.R.S.S., en suivant les directives de l’Internationale communiste. Sous l’étendard de Lénine, l’I.C.J. conquerra les masses de jeunes travailleurs et les conduira à la victoire. »