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Dans la littérature du centrisme
Cette brochure est éditée par la Société des étudiants marxistes. Comme son nom l'indique, cette société s'est assigné comme tâche l'étude du marxisme. On ne pourrait que se féliciter d'un objectif aussi louable en ces temps de prostitution complète de la doctrine marxiste, si cette société abordait sa tâche avec le sérieux nécessaire. Malheureusement, la préface de cette brochure, écrite et signée de tous les membres de la société, ne donne pas les preuves d'un tel sérieux. Il serait inadmissible de chercher à polémiquer avec des jeunes qui ne sont pas encore familiarisés avec l’A B C du marxisme, s’ils se rendaient aux-mêmes compte de l'état de leurs connaissances. L'ignorance est naturelle à un certain âge et on peut la vaincre en étudiant. Mais le malheur est quand l'ignorance se joint à la prétention, quand, au lieu de s’instruire avec application, on veut instruire les autres. C’est malheureusement ce qui caractérise la préface des éditeurs. Nous notons ici leurs principales erreurs, car il n'est pas possible de toutes les énumérer !
La préface tente d’établir un rapport entre le développement de la théorie révolutionnaire et les différentes étapes du développement de la société bourgeoise. L’intention est tout à fait louable, mais il faut, pour la réaliser, connaître l’histoire de la société bourgeoise et celle des idéologies et nos auteurs ne connaissent ni l’un ni l’autre. Ils commencent par affirmer qu’au milieu du siècle dernier, la bourgeoisie « a consolidé son pouvoir politique à l’échelle mondiale et ouvert l’étape de l’impérialisme », et que c’est de là qu’est sortie l’œuvre de Marx et d’Engels dans le domaine de la politique et de la doctrine. Tout est faux de A à Z. Au milieu du siècle dernier, la bourgeoisie était encore très éloignée du « pouvoir politique à l’échelle mondiale ». N’oublions pas que Le Manifeste communiste a été écrit à la veille de la révolution de 1848. Après sa défaite, la bourgeoisie allemande est restée nationalement éparpillée, sous l’oppression de nombreuses dynasties. L’Italie bourgeoise n’était ni libre, ni unifiée. Aux États-Unis, la bourgeoisie devait encore traverser la guerre civile pour parvenir à l’unification de l’État national (bourgeois). En Russie, l’absolutisme et le servage dominaient entièrement, etc.
Dire, par ailleurs, que l’époque de l'impérialisme a commencé au milieu du siècle dernier, c’est n’avoir pas la moindre notion, ni du siècle passé, ni de l’impérialisme. L’impérialisme est le système économique et la politique intérieure et extérieure du capital monopoliste (financier). Au milieu du siècle dernier n’existait que le capitalisme « libéral », c’est-à-dire le capitalisme de libre concurrence qui n’avait que des tendances à créer à son profit la forme politique de la démocratie. Les trusts, les syndicats, les konzern ne se sont formés à grande échelle qu’à partir de l’année 80 du siècle dernier et ont rapidement occupé une position de prépondérance. La politique de l’impérialisme au sens scientifique du terme a commencé au tournant du siècle passé au siècle actuel. Si les auteurs avaient lu le livre bien connu de Lénine sur l’impérialisme, ils n’auraient pas commis d’erreurs aussi inquiétantes. Ils invoquent pourtant Lénine. Que signifie tout cela ?
Ce n’est pourtant que le début d’une série d’erreurs. Citant apparemment de seconde main l’affirmation de Lénine selon laquelle l’impérialisme est « le stade suprême du capitalisme », nos auteurs essaient de compléter Lénine et de l’approfondir... « Notre génération, écrivent-ils, peut, à son tour, interprétant Lénine, établir sur le plan doctrinal que le fascisme est la phase ultime, le stade suprême du capitalisme, l’ultime étape du régime bourgeois. » Les cheveux se dressent sur la tête à lire ces lignes prétentieuses. « Notre génération » doit étudier avant d’enseigner. L’impérialisme est le stade suprême du capitalisme au sens objectif, économique : l’impérialisme a amené les forces productives au point le plus élevé concevable sur la base de la propriété privée et a fermé la voie de leur développement ultérieur ; par là même, il a ouvert une ère de décomposition du capitalisme. D’autre part, ayant centralisé la production, l’impérialisme a créé une pré-condition économique très importante pour l'économie socialiste. Ainsi, la caractérisation de l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme s'appuie sur la dialectique du développement des forces productives, et ce avec un caractère strictement scientifique.
La conclusion par analogie qu’essaient de faire nos auteurs : « Le fascisme est le stade suprême de l’impérialisme » n’a absolument aucun contenu économique. Le fascisme est avant tout le régime politique qui couronne la décomposition économique. Issu du déclin des forces productives, le fascisme ne leur ouvre aucune possibilité de développement ultérieur. L’impérialisme a été une nécessité historique. Marx a prévu l’instauration d’un régime de monopole. Il était impossible de prévoir le fascisme, parce qu’il n’était pas déterminé par la nécessité économique, au sens dialectique et non mécanique du terme. Le prolétariat, du fait de causes historiques, ne s’étant pas trouvé capable de prendre à temps le pouvoir et de prendre l’économie en mains afin de la reconstruire sur les principes socialistes, la société capitaliste pourrissante n’a pu continuer à vivre qu’en substituant à la démocratie bourgeoise la dictature fasciste. Alors que l’impérialisme est apparu comme forme suprême du capitalisme, le fascisme est apparu comme un pas en arrière, un recul politique, le début de la chute de la société dans la barbarie.
Nos auteurs se trompent complètement quand, voulant démontrer leur découverte que « le fascisme est l’ultime étape de l’impérialisme », ils citent Marx qui disait qu’une société ne disparaît pas de la scène avant d’avoir épuisé jusqu’au bout ses possibilités de production. Car, précisément, l’impérialisme avait épuisé, dès avant la guerre, ses possibilités créatrices. La société bourgeoise n’a pas quitté la scène à temps, parce qu’aucune société qui se survit ne disparaît d'elle-même : il faut qu’une classe révolutionnaire la chasse. La IIe, puis la IIIe Internationales ont empêché que cela se fasse. C’est pour cette raison, et exclusivement pour cette raison, que le fascisme a surgi. La crise actuelle de la civilisation humaine est le résultat de la crise de la direction prolétarienne. La classe révolutionnaire ne possède pas encore le parti qui puisse assurer par sa direction la solution du problème fondamental de notre époque : la prise du pouvoir par le prolétariat.
Du fait que l’impérialisme a atteint son stade « suprême » ( ? !), le fascisme, nos auteurs tirent la conclusion de la nécessité de rénover la doctrine révolutionnaire. Et ils se proposent cette tâche à eux-mêmes. Ils se proposent de commencer par la critique de la doctrine de la IIIe Internationale. Il semble qu’ils ignorent totalement l'énorme travail critique effectué dans ce domaine, au cours des quinze dernières années, par la fraction internationale des bolcheviks-léninistes, particulièrement à partir de la révolution chinoise, c’est-à-dire depuis 1925-1927. Les auteurs de la préface se permettent une légèreté et une désinvolture inadmissibles vis-à-vis de l’unique tendance marxiste de notre époque. Voici ce qu’ils disent à propos de la IVe Internationale :
« Il nous paraît indiscutable que dans les questions internationales [la IVe Internationale] a commis des erreurs — appelons-les ainsi — qui l’ont privée de sa capacité en tant que groupe d’avant-garde. Nous citerons, juste à titre de rappel, les éloges de Trotsky sur nos célèbres avocats Cabrera et De la Fuente. »
Et c’est tout. Une appréciation de ce genre ne peut germer que dans des têtes qui ont été infectées par les microbes du stalinisme. La IVe Internationale est l’unique organisation qui ait fait une analyse marxiste de tous les événements et processus de la dernière période historique : la dégénérescence thermidorienne en U.R.S.S., la révolution chinoise, le coup d’État de Pilsudski en Pologne, le coup d’État de Hitler en Allemagne, la défaite de la social-démocratie autrichienne, la politique de la troisième période du Comintern, la politique des « fronts populaires », la révolution espagnole, etc. Qu’est-ce que nos auteurs connaissent de tout cela? Apparemment rien. Pour démontrer la « carence » de la IVe Internationale, ils citent les « éloges » adressés par Trotsky à Cabrera et De la Fuente. L’épisode avec Cabrera a consisté dans le fait que cet intelligent avocat conservateur a discerné la fabrication des procès de Moscou cependant que quelques imbéciles « de gauche » y croyaient. Trotsky a attiré l’attention de l’opinion publique sur l’analyse juridique absolument exacte de Cabrera. Rien de plus ! Il serait parfaitement absurde d’y voir une solidarité politique quelconque. Nos étudiants « marxistes » n’ont rien dit jusqu’à présent — absolument rien sur les procès de Moscou dont le parti de Lénine a été victime. N’est-il pas honteux, dans ces conditions, de se dissimuler derrière Cabrera ? Le stalinisme a fabriqué consciemment des épouvantails de ce genre pour faire peur aux petits enfants. Cabrera ! Quelle horreur ! Pourtant, d’un point de vue marxiste révolutionnaire, la différence n’est pas grande entre Cabrera et Toledano. Tous les deux restent sur le terrain de la société bourgeoise et en conservent les caractéristiques. Toledano est plus dangereux et plus méprisable parce qu’il se couvre du masque du socialisme. Quant à De la Fuente, nous ne savons pas de qui il s’agit. Nos désinvoltes auteurs pourraient-ils nous l’expliquer?
En tout cas, on ne peut rien faire de plus léger, de plus indigne, qu’apprécier le rôle historique d’une organisation internationale au moyen d’un épisode journalistique de dixième ordre. Sur le fond, les auteurs de la préface s’adaptent au stalinisme. Tout est là : ils permettent de faire une critique « indépendante » de toutes les doctrines, mais, en fait, ils sont à genoux devant les méthodes pourries et nauséabondes de la bureaucratie stalinienne. Pour avaliser leurs lamentables exercices en marxisme, ils jugent opportun de se tourner contre le trotskysme. II faut dire que cette « méthode » pour se rassurer soi-même est par ailleurs caractéristique de tous les intellectuels petits-bourgeois de notre époque.
En ce qui concerne le travail de Trevino — la conférence et les articles —, son trait positif est l’effort qu’il constitue pour se débarrasser des toiles d’araignée du stalinisme et du toledanisme, lequel représente la pire forme du stalinisme, la pire parce que la plus superficielle, la plus insaisissable, la plus creuse. Le malheur, avec Trevino, c’est qu’il pense et écrit comme si l’histoire commençait avec lui. Le marxiste aborde tous les phénomènes, y compris les idées, dans leur développement. Dire « revenir à Lénine », « revenir à Marx », c’est ne pas dire grand-chose. Actuellement, il est impossible de revenir à Marx en laissant de côté Lénine, c’est-à-dire en fermant les yeux sur l’énorme travail d’application, d’explication et de développement du marxisme qui a été réalisé sous la direction de Lénine. Après que Lénine eut cessé ce travail, il s’est écoulé quinze années, toute une période historique pleine d’événements mondiaux formidables! Pendant ce temps, le « léninisme », si on en traite de façon formelle, s’est divisé en deux : le stalinisme, l’idéologie et la pratique officielles de la bureaucratie soviétique parasitaire, et le marxisme révolutionnaire que ses adversaires appellent « trotskysme ». Tous les événements mondiaux ont été passés à travers ces deux « filtres » théoriques. Trevino considère pourtant qu’il a le droit — celui du subjectiviste, pas du marxiste — d’ignorer le développement idéologique réel qui s’est exprimé dans la lutte implacable entre ces deux tendances. Lui-même, sans en être conscient, se nourrit, avec bien du retard, des débris de notre critique qui se sont répandus. Il ne s’agit évidemment pas du retard en lui-même : toute la jeune génération doit passer avec un certain retard par l’école de la IVe Internationale. Le malheur n’est pas là. Le malheur, c’est que Trevino essaie d’adapter sa critique à la « doctrine » officielle du stalinisme. Il essaie de faire des idées révolutionnaires et des « remarques amicales » sur les lieux communs et les banalités pacifistes et social-impérialistes. Il veut convaincre le Comintern de ses bonnes intentions et des avantages du marxisme dilué (le centrisme) sur l’opportunisme ouvert. Mais la tâche du révolutionnaire n’est pas de rééduquer la bureaucratie stalinienne (c’est sans espoir), mais d’éduquer les ouvriers dans un esprit de méfiance intransigeante à son égard à elle.
Nous n’allons pas nous engager ici dans une évaluation détaillée de la brochure de Trevino, parce qu’il nous faudrait faire des remarques à chaque page et chaque ligne. Trevino a tort même quand il a raison. Nous voulons dire par là que même certaines observations justes — et il n’en manque pas — sont intégrées par lui dans le cadre d’une conception incorrecte, d’une perspective inexacte, parce que l’auteur demeure fondamentalement un centriste. Et il est impossible de garder une telle position. Le devoir immédiat de Trevino est d’effectuer une révision radicale de son bagage politique en comparant les corrections hybrides qu’il a voulu apporter au stalinisme avec les critiques clairement et précisément formulés de la IVe Internationale. Ce n’est que de cette façon qu’il pourra quitter le terrain du centrisme.
Lorsque Trevino énumère les erreurs de la IVe Internationale, découvertes occasionnellement ici ou là, pour apprécier le mouvement dans son ensemble et en arriver à la conclusion monstrueuse qu’il joue un rôle « contre-révolutionnaire », il essaie au fond de faire la même chose que les malheureux auteurs de la préface, de s’adapter à ses alliés et camarades d’hier. Jetant un coup d’œil terrorisé sur les bonapartistes du Kremlin, il se vêt d’une couleur susceptible de le protéger. Ses diverses critiques sur quelques épisodes secondaires sur la vie de certaines sections de la IVe Internationale peuvent être ou non exactes (en général, elles sont inexactes). Mais c’est avant tout sa façon d’aborder les problèmes qui est fausse. La tâche et le devoir d’un marxiste sérieux consistent à distinguer ce qui est fondamental, principal, collectif, et à faire reposer son jugement sur ces bases. Nous craignons cependant que la question ne soit pas, en réalité, que Trevino soit simplement peu au courant de la littérature de la IVe Internationale. Le dilettantisme, le caractère superficiel et l’absence de préoccupations théoriques sont très répandus actuellement dans les rangs des intellectuels, notamment de ceux qui se croient « marxistes ». C’est le résultat de l’oppression de la réaction mondiale, celle du stalinisme y compris. Mais il est impossible de faire un pas en avant sans revenir à la tradition de la conscience marxiste scientifique.
Quand Lombardo Toledano, avec la grâce qui lui est propre, demande quand et où les représentants de la IVe Internationale ont écrit quelque chose sur le fascisme, on ne peut que hausser les épaules avec pitié. La IVe Internationale est née et a grandi dans la lutte contre le fascisme. Depuis 1929, nous avons prédit la victoire de Hitler, si le Comintern continuait sa politique de la « troisième période ». Les bolcheviks-léninistes ont écrit sur ce thème un grand nombre d’articles, de brochures et de livres en des langues différentes. Si Lombardo Toledano ignore tout cela, c’est dans l’ordre des choses. Mais Garcia Trevino ? Est-ce possible qu’il parle de ce qu’il ne connaît pas ?
Nous avons déclaré publiquement en 1933 : si la victoire de Hitler, assurée par la politique du Kremlin, n’apprend rien au Comintern, cela veut dire qu’il est mort. Et comme la victoire de Hitler n’a rien appris au Comintern, nous en avons tiré toutes les conclusions : nous avons fondé la IVe Internationale. Les pseudo-marxistes petits-bourgeois qui ne sont bons à rien, même comme démocrates, s’imaginent que la lutte contre le fascisme consiste en discours dans les réunions et les congrès. La véritable lutte contre le fascisme est inséparable de la lutte de classes du prolétariat contre les bases de la société capitaliste. Le fascisme n’est pas une étape économiquement inévitable. Mais il n’est pas non plus un simple « hasard ». Il est le résultat de l’incapacité des partis dégénérés et profondément pourris du prolétariat à assurer la victoire du socialisme. La lutte contre le fascisme est par conséquent avant tout la lutte pour une direction révolutionnaire du prolétariat international. C’est en cela que réside la signification historique du travail de la IVe Internationale. Ce n’est que de ce point de vue qu’il est possible de la comprendre et de la juger.
L’aspect gnoséologique du marxisme est indissolublement lié à son aspect d’action. A notre époque de réaction débridée, aggravée par la décomposition de ce qui fut autrefois le Comintern, il n’est pas possible d’être marxiste sans une volonté inébranlable, sans un courage idéologique et politique, sans la capacité de nager contre le courant. Nous souhaitons sincèrement que Trevino possède tout cela. S’il en finit avec l’indécision et les hésitations, il aura la possibilité de rendre de sérieux services à la cause du marxisme révolutionnaire.
Rodrigo Garda Trevino, El Pacto de Munich y la Tercera Internacional (Una conferencia y cuatro articulos). Ed. de la Sociedad de Estudiantes Marxistas de la Escuela Nacional de Economia, México, 66 p.