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Déclaration inévitable
M. Lombardo Toledano et sa clique, après une préparation longue et soigneuse, ont fait la tentative malhonnête d’abuser l’opinion publique du Mexique. Les « matériaux » avec lesquels ils opèrent ne représentent ni ne contiennent rien de nouveau ce sont ceux qu’emploient Iagoda, Ejov et Vychinsky. Ce sont les matériaux de Staline. C’est sur la base de postulats semblables qu’on a exécuté des milliers de gens qui n’étaient coupables que de haïr la dictature exercée par la clique du Kremlin et de mépriser ses laquais. Les « matériaux » utilisés aujourd’hui par M. Lombardo Toledano pour abuser l’opinion publique mexicaine ont déjà été jugés comme ils le méritent par le verdict de la commission internationale d’enquête de New York. Par leur stature morale, par leur passé, par leur réputation irréprochable, par leur désintéressement personnel, tous les membres de cette commission, à commencer par son président, le Dr Dewey, dépassent de plusieurs têtes Toledano et ses semblables. La commission a réfuté point par point les accusations des Iagoda, Ejov, Vychinsky, Staline et de leurs avocats internationaux. Le paragraphe 21 du verdict déclare : « Nous trouvons que le Procureur a falsifié de façon extravagante le rôle de Trotsky avant, pendant et après la révolution d’Octobre. » C’est précisément cette « falsification » extravagante qui se trouve à la base des calomnies de M. Toledano et de ses auxiliaires.
Ma véritable politique peut être connue de tous. Elle est exposée dans mes livres et dans mes articles. En U.R.S.S., comme je l’ai fait en octobre 1917, je défends les intérêts et les droits des ouvriers et des paysans contre la nouvelle aristocratie, rapace et tyrannique. En Espagne, je défends, dans la lutte mire le fascisme, les mêmes méthodes qui ont assuré la victoire des soviets dans la guerre civile – contre les méthodes funestes du Kremlin qui ont assuré la victoire du fascisme en Allemagne et en Autriche et qui préparent la victoire du général Franco. Dans le inonde entier, je défends les méthodes intransigeantes de lutte contre l’impérialisme qu’employaient Lénine, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, mes vieux compagnons d’armes et amis, contre les méthodes du Comintern actuel, complètement pourri désormais, qui se met à genoux devant l’impérialisme « démocratique » et trahit ainsi les peuples coloniaux et semi-coloniaux pour sauver les privilèges temporaires de la bureaucratie soviétique. Telles sont mes idées. Je ne suis pas disposé à en changer. J'en porte l’entière responsabilité.
Engager une polémique juridique ou politique contre M Toledano après le verdict de la commission n’a pour moi aucun sens. Mais je ferai connaître la vérité aux gens qu’il a abusés, et c’est précisément de cela qu’ont peur M. Toledano et sa clique. Toute cette machination, comme ses auteurs eux-mêmes l’ont reconnu, n’a qu’un seul objectif : me fermer la bouche.
Le verdict de la commission internationale, la publication les comptes rendus sténographiques des sessions de la commission d’enquête de Coyoacán, les révélations des anciens agents responsables du Kremlin, Reiss, Barmine et Walter Krivitsky, ont porté à Staline, au G.P.U. et à leurs agents un coup irréparable. Mon dernier livre, Les Crimes de Staline, a déjà été publié dans plusieurs langues, et, j’espère, va bientôt paraître également en espagnol. C’est ce qui explique l’effort désespéré du G.P.U. pour me forcer à me taire.
M. Lombardo Toledano et sa clique se trompent s’ils pensent réussir à accomplir la mission qui leur a été confiée. D’autres, et bien plus puissants qu’eux, ont essayé dans le passé, avant eux, d’exécuter cette tâche, mais sans succès. Le tsar a entrepris de m’apprendre à garder le silence pendant quatre années, me gardant deux ans en prison et m’envoyant à deux reprises en Sibérie. Le Kaiser Guillaume m’a condamné par contumace à la prison parce que j’avais refusé de me taire pendant la guerre. Les alliés français du tsar m’ont expulsé de France en 1916 pour le même « crime ». Alphonse XIII m’a jeté dans la prison modèle de Madrid pour me faire taire. Les impérialistes britanniques, avec le même objectif, m’ont enfermé dans un camp de concentration au Canada. L’avocat Kerensky, qui avait également réussi pendant un certain temps à abuser l’opinion publique, a essayé de me fermer la bouche dans la célèbre prison Kresty de Petrograd. Mais il était écrit dans les pages de l’histoire que je n’apprendrai à me taire sur l’ordre de personne. Par ailleurs, durant mes quarante années de lutte révolutionnaire, j’ai rencontré, dans les rangs du mouvement ouvrier, bien des arrivistes qui, non seulement savent se taire, mais également calomnier au commandement.
Si j’avais voulu garder le silence sur les crimes de la bureaucratie du Kremlin contre les ouvriers et les paysans, elle m’aurait élevé très haut sur mon pavois et les MM. Lombardo Toledano du monde entier auraient rampé à mes pieds comme ils rampent aujourd’hui à ceux de la clique du Kremlin. Les social-démocrates norvégiens, « frères de cœur » de Toledano, n’ont trouvé qu’un unique moyen de m’empêcher de parler contre le G.P.U. : me mettre en prison. Par son livre, mon fils, que seule la mort a pu aujourd’hui réduire au silence, a répondu pour moi.
Staline comprend mieux que ses agents que Toledano ne réussira pas à me réduire au silence par ses calomnies réchauffées : c’est pourquoi il prépare d’autres moyens plus efficaces. Mais, pour ces plans-là, dont nous reparlerons le moment venu, Staline a besoin, préalablement, d'empoisonner l’opinion publique. C’est pour ce travail qu’il a besoin de Lombardo Toledano.
MM. les calomniateurs construisent leur intrigue en se basant sur l’accusation selon laquelle je suis en train de rompre mon engagement de ne pas intervenir dans la politique intérieure du Mexique. Ces messieurs identifient la politique intérieure du Mexique avec l’importation de Moscou – et la traduction en castillan – de calomnies infâmes. Je l’affirme : personne n’a jamais exigé de moi et je n’ai jamais promis à personne de renoncer à défendre mon honneur politique contre les calomniateurs ni mes idées contre mes adversaires. J’ai promis au gouvernement du général Cárdenas de ne jamais m’immiscer dans la politique intérieure de ce pays, dans l’acception ordinaire du terme. J’ai tenu scrupuleusement cet engagement. Mais si, dans les rues de cette capitale, quelqu’un met sa main dans ma poche pour me voler ma correspondance et mes papiers, je crois avoir le droit de saisir la main qui fait cela. Et je crois que le propriétaire de cette main ne va pas ensuite se mettre à crier que je m’immisce dans la politique intérieure du Mexique ! Lombardo Toledano essaie de me voler quelque chose d’infiniment plus important, mon honneur politique, et il exige ensuite – ô démocrate, ô révolutionnaire ! – qu’on m’empêche par la force de donner à sa personne et à ses actes les noms qu’ils méritent.
Je ne me suis jamais préoccupé du programme politique ni des actions publiques de M. Toledano, pas plus que des références qu’il fait à Lénine et qui relèvent de l’humour involontaire. De la même façon, je ne m’intéresse pas aujourd'hui à la question de savoir quelle machination a permis à M. Toledano de faire porter par un congrès syndical une décision sur une question dont l’écrasante majorité des votants n’avaient pas la moindre idée.
Mais il est tout à fait clair que, lorsque M. Toledano, au moyen de « matériaux » fabriqués, mobilise ce congrès contre moi, contre une personne privée, contre un exilé politique qui n’a aucune relation d’aucune sorte avec les syndicats mexicains, et qu’il le fait avec l’unique objectif de me réduire au silence ou de me priver de mon asile, alors M. Toledano agit non pas en représentant de la politique intérieure du Mexique, mais en tant qu’agent de la politique extérieure du G.P.U.. Qu’il porte donc la responsabilité de cette peu honorable fonction !
Ni les circonstances actuelles de ma vie personnelle, ni le caractère général de mon travail, ne me poussent à consacrer du temps à m’occuper de M. Toledano. Mais il s’agit d’autre chose, à savoir de l’opinion publique du pays qui nous a donné l’hospitalité, à ma femme et à moi, de ce pays qu’au cours d’une année nous avons appris à apprécier et à aimer. Ce sont seulement ces circonstances-là qui me forcent à répondre par cette déclaration à la conjuration des avocats de Staline.