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Special pages :
Débat de la Commission politique au Ve congrès de l'IC
Auteur·e(s) | Amadeo Bordiga Nikolaï Boukharine Ruth Fischer Troisième internationale |
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Écriture | 28 juin 1924 |
Président : KOLAROV.
Orateurs : GESCHKE, MAC MANUS, RUTH FISCHER, BORDIGA, BOUKHARINE,
THAELMANN, MACCHI.
Au nom de la commission politique, Ruth Fischer (Allemagne) prend la parole au sujet de la résolution sur le rapport du Comité Exécutif.
La résolution présentée a été soumise à un examen approfondi par la commission et a été adoptée après une série d’amendements. Le projet Bordiga émanait d’une conception tout à fait différente. Bordiga n’attaque pas les tendances et déviations de droite, mais l’Internationale Communiste et son Comité Exécutif. Il cherche les causes des fautes de la période écoulée non pas dans les tendances de droite, mais dans la politique de l’Exécutif et les décisions du IVe Congrès. Cela contredit complètement les faits. En ce qui concerne le front unique, il divise la question en une question économique et une question politique, et il repousse absolument le front unique politique. Il demande que le gouvernement ouvrier et paysan soit absolument abandonné — même comme mot d’ordre d’agitation.
Le projet Bordiga fut repoussé contre sa voix, car cette résolution constituerait dans une certaine mesure un appui pour l’aile droite de l’internationale.
La commission recommande au Congrès d’adopter cette résolution à une majorité aussi forte que possible.
Bordiga. — Ruth Fischer a exagéré la portée de notre attitude en lui donnant le caractère d’une lutte contre l’Internationale tout entière et contre le Comité Exécutif.
Si nous avons senti la nécessité de présenter une résolution différente de la résolution votée par la commission, c’est que nous trouvons que cette dernière ne donne pas de garanties suffisantes contre la droite et contre le danger d’opportunisme de droite.
C’est en toute sincérité que nous nous sommes livrés à ce travail de critique vraiment révolutionnaire. C’est pourquoi nous regrettons d’être seuls, et que les camarades de la gauche allemande nous disent que nous servons la droite. Mais quand même nous maintenons notre résolution jusqu’au vote du Congrès.
Boukharine. — Nous ne venons pas ici discuter contre Bordiga, nous nous contenterons de combattre le bordiganisme tel qu’il apparaît dans notre Parti italien. Bordiga dit qu’il défend le marxisme contre l’opportunisme de l’Exécutif. Mais c’est lui qui manifeste des tendances révisionnistes, bien que sous une forme peu ordinaire. Marx avait toujours en vue les masses. Bordiga et ses partisans les oublient complètement. Un des derniers numéros du Stato Operaio définit de la façon suivante le rôle du Parti : « A la minorité terroriste de la bourgeoisie, nous opposons la minorité terroriste du prolétariat ». Cette définition montre que l’auteur de l’article comprend moins les masses que Mussolini. Nous, marxistes, nous avons appris de Marx et même de Lassalle, que la classe ouvrière doit vaincre parce qu’elle met en mouvement les masses contre l’appareil de l’Etat bourgeois. Chez le prolétariat, c’est la masse qui compense les autres moyens de lutte qui lui manquent.
Bordiga nous reproche d’être pessimistes ; c’est plutôt sa conception à lui qui est pessimiste. Nous lisons dans ses thèses : C’est une illusion enfantine que de s’imaginer que nous pouvons conquérir les masses alors que règne le fascisme. Voilà une idée qui n’a évidemment rien de commun avec le marxisme. Bordiga et ses amis ne comprennent pas le rôle des masses, ils veulent transformer le Parti en une secte et de cette erreur découlent toutes les autres.
Nous disons : Nous devons gagner la majorité du prolétariat ; le plus sera le mieux. Le point de vue de Bordiga semble signifier : le moins sera le mieux.
De ce point de vue découle l’opposition au front unique. Bordiga pose la question de telle façon que, d’après lui, nous ne pouvons le proposer qu’aux organisations non politiques, syndicats, comités d’usines, etc., mais en aucun cas aux organisations politiques. Nous, qui ne sommes pas des pessimistes, nous sommes convaincus que l’exaspération de la lutte de classe finira par scinder les partis opportunistes et qu’une partie viendra vers nous. C’est à nous de hâter ce moment. La théorie de la minorité est capable de ruiner pour de longues années, non seulement le Parti, mais tout le mouvement ouvrier d’un pays. Nous ne devons pas le permettre. Si nous n’avons pas besoin de majorité, à quoi nous servent la fusion, la création des cellules communistes.
Il y a eu un gouvernement ouvrier en Russie, en Hongrie, également en Saxe (bien qu’en ce dernier pays il n’ait pas été excellent), mais pourtant le gouvernement ouvrier est un fait. Bordiga nie les faits lorsqu’ils ne concordent pas avec sa théorie de la minorité terroriste. Il dit que le gouvernement ouvrier est un mot d’ordre opportuniste et dangereux. Que fait-il de l’expérience internationale, de l’expérience de la révolution russe ? Avec notre tactique, nous avons gagné la révolution.
Maintenant, quelques mots sur la discipline internationale. Nous lisons dans le journal mentionné plus haut : « La tactique fusionniste de l’Internationale n’a pas d’utilité et il est nécessaire que notre Parti s’y oppose activement et résolument. Assez parlé de discipline ! Quand l’internationale va à droite, nous devons former une fraction de gauche »... Il n’est pas question ici d’une fraction de gauche, mais simplement d’une fraction anticommuniste. Nous voyons ici, tout au moins une tendance vers le tranmaelisme.
Bordiga et ses partisans sont, dans un certain sens, d’excellents révolutionnaires. Mais ce qu’ils font ici ne peut avoir que de mauvaises conséquences. Nous surprenons parfois chez eux des paroles très dangereuses, particulièrement au sujet de la discipline internationale.
Bordiga donne lecture d’une déclaration dont voici la substance :
Boukharine a basé son discours sur un article publié dans un organe officiel de notre Parti qui maintenant n’est plus dirigé par la tendance que je représente. Cet article n’engage que la responsabilité de son auteur. Je ne trouve pas la chose si grave qu’un simple ouvrier, un camarade de notre Parti, se trouvant peut-être à l’extrême-gauche, dise des choses qui ne sont pas justes. Ce qui est très grave pour le mouvement communiste, c’est qu’un grand chef, un marxiste comme Boukharine, consacre une heure et demie à l’article d’un militant quelconque.
On a dit de plusieurs côtés que l’exposé de notre point de vue sur la direction générale de l’Internationale Communiste n’est pas assez clair. Un projet complet de thèses sur la tactique sera présenté à la Commission par la gauche italienne. Nous demandons qu’on désigne un de nos camarades, moi par exemple, comme co-rapporteur. J’aurai ainsi la possibilité de développer notre thèse et les points non encore éclaircis.
On accuse la gauche italienne de faire le jeu de la droite. On affirme que Radek a voté avec moi. Ce n’est pas vrai. Il y a eu deux résolutions et Radek n’a voté ni l’une ni l’autre. Il ne pouvait voter qu’une résolution encore plus à droite. Vous êtes entre nous et Radek ; pour donner la main à Radek, il nous faudrait passer par-dessus vous.
On se contredit lorsque, d’une part, on nous traite d’antimarxistes, de terroristes, de petitsbourgeois, de pseudo-anarchistes et que d’autre part on nous appelle, à un tournant décisif de l’histoire, à prendre la direction du mouvement prolétarien en Italie. Cette manière de discuter, je ne la trouve pas digne d’une Internationale révolutionnaire.
Boukharine. — Je tiens à dire quelques mots. Si l’article dont il a été question n’est pas de la plume de Bordiga, il n’en est pas moins un symptôme de l’état d’esprit que Bordiga a fait naître dans le Parti italien.
Bordiga. — Le texte cité par Boukharine n’est que le compte rendu, non révisé par moi, d’un de mes discours. J’ai dit ceci : Si dans l’avenir, l’Internationale s’orientait à droite, nous verrions alors à constituer dans l’Internationale une fraction de gauche.
Macchi déclare qu’en tant que membre de la délégation française, en tant qu’organisateur des émigrés italiens adhérant actuellement au Parti français, il vote pour le projet de la gauche italienne. Le Congrès passe au vote des résolutions. La résolution de la commission est adoptée par presque tous les délégués contre 8 voix et pas une seule abstention. (Applaudissements).