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Combattre l’impérialisme pour combattre le fascisme
La chose la plus importante et la plus difficile en politique est, à mon sens, de définir d’une part les lois générales qui déterminent la lutte et la vie de tous les pays du monde moderne et, d’autre part, de découvrir comment ces lois se combinent dans chaque pays en particulier. L’humanité moderne, sans aucune exception, des ouvriers britanniques aux nomades éthiopiens, vit sous le joug de l’impérialisme. Il ne faut pas l’oublier une seule minute. Mais cela ne signifie pas du tout que l’impérialisme se manifeste sous une forme identique dans tous les pays. Non. Certains pays sont porteurs de l’impérialisme, d’autres sont ses victimes. Telle est la ligne de clivage essentielle entre les nations et les États modernes. C’est de ce seul point de vue que l’on doit examiner le problème actuel du fascisme et de la démocratie.
La démocratie, pour le Mexique, par exemple, signifie l’aspiration d’un pays semi-colonial à échapper aux liens de dépendance, donner la terre aux paysans, permettre aux Indiens d’accéder à un niveau supérieur de culture, etc. En d’autres termes, les tâches démocratiques du Mexique ont un caractère progressiste et révolutionnaire. Mais que signifie la « démocratie » en Grande-Bretagne ? Le maintien de l’ordre existant, c’est- à-dire avant tout le maintien de la domination de la métropole sur les colonies. Il en est de même pour la France. Le drapeau de la démocratie couvre ici l’hégémonie impérialiste de la minorité privilégiée sur la majorité opprimée.
De la même façon, on ne peut pas parler du fascisme « en général ». En Allemagne, en Italie et au Japon, fascisme et militarisme sont les armes d’un impérialisme cupide, affamé et par conséquent agressif. Dans les pays latino-américains, le fascisme est l’expression de la dépendance la plus servile vis-à-vis de l’impérialisme étranger. Nous devons être capables de découvrir le contenu économique et social sous la forme politique.
Dans certains cercles de l’intelligentsia aujourd’hui, l’idée d’une « union de tous les États démocratiques » contre le fascisme est populaire. Je la considère comme extravagante, chimérique, seulement susceptible d’abuser les masses, surtout les peuples faibles et opprimés. Peut-on croire réellement un seul instant que Chamberlain, Daladier ou Roosevelt peuvent faire la guerre pour sauvegarder le principe abstrait de la « démocratie » ? Si le gouvernement britannique aimait tellement la démocratie, il aurait donné la liberté à l’Inde. C’est également vrai pour la France. La Grande-Bretagne préfère en Espagne la dictature de Franco à la domination politique des ouvriers et des paysans, parce que Franco serait un agent plus souple et plus sûr de l’impérialisme britannique. L’Angleterre et la France ont livré sans résistance l’Autriche à Hitler, mais, s’il touchait à leurs colonies, la guerre serait inévitable.
La conclusion de tout cela est qu’il est impossible de combattre le fascisme sans combattre l’impérialisme. Les pays coloniaux et semi-coloniaux doivent avant tout combattre le pays impérialiste qui les opprime, qu’il porte ou non le masque du fascisme ou celui de la démocratie.
Dans les pays d’Amérique latine, le meilleur et le plus sûr moyen de combattre le fascisme, c’est la révolution agraire. C’est uniquement parce que le Mexique a fait en ce sens des pas importants que l’insurrection du général Cedillo est restée suspendue en l’air. Au contraire, les cruelles défaites des républicains en Espagne sont dues au fait que le gouvernement Azana, allié à Staline, a réprimé la révolution agraire et le mouvement indépendant des ouvriers. Une politique sociale conservatrice et même réactionnaire dans les pays faibles et semi-coloniaux constitue au plein sens du terme une trahison de l’indépendance nationale.
Vous allez me demander comment expliquer que le gouvernement soviétique, issu de la révolution d’Octobre, extermine en Espagne le mouvement révolutionnaire. La réponse est simple : une nouvelle caste bureaucratique privilégiée, très conservatrice, cupide et tyrannique, est parvenue à s’élever au-dessus des soviets. La bureaucratie n’a pas confiance dans les masses : elle en a peur. Elle cherche à se rapprocher des classes dominantes, en particulier des impérialismes « démocratiques ». Pour prouver qu’il est digne de confiance, Staline est prêt à jouer le gendarme dans le monde entier. La bureaucratie stalinienne et son agence, le Comintern, représentent aujourd’hui le pire danger pour l’indépendance et le progrès des peuples faibles et opprimés.
Je connais trop mal Cuba pour me permettre un jugement sur votre patrie. Vous pouvez juger mieux que moi celles des idées que je viens d’exprimer qui peuvent être appliquées à la situation de Cuba. En ce qui me concerne personnellement, j’espère pouvoir visiter la perle des Antilles et mieux connaître votre peuple auquel, par l’intermédiaire de votre journal, j’envoie mes salutations les plus chaleureuses et les plus sincères.