Circulaire du 25 septembre 1931

De Marxists-fr
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1. Dans ma dernière circulaire, j'ai déjà écrit que la stagnation de la Ligue, ses conflits nouveaux et scissions, ont une allure générale : le mouvement ouvrier français n’est pas encore sorti de son étape de reflux et l'affaiblissement général de l'aile révolutionnaire du prolétariat affecte aussi l'Opposition de gauche. Les événements apporteront les changements nécessaires, comme ils l'ont fait en Espagne et en Allemagne. Mais c'est précisément l'exemple de ces deux pays qui montre la grande importance qu'il y a avant le tournant révolutionnaire dans le développement de préparer une organisation aussi homogène et aussi solide que possible, qui soit passée par l'expérience sérieuse d'une lutte interne. La création d’une telle organisation est maintenant la tâche principale en France.

2. La Ligue était à l'origine un conglomérat de groupes et scissions variées. C’était le résultat de la situation en France, de l'existence et la vie repliée de nombreux groupes, du fait qu'il y avait une certaine confusion dans tous les groupes, de l’absence d’un groupe qui pourrait jouer un rôle avec autorité vis à vis des autres et sur lequel on pourrait s'appuyer avec une sécurité totale.

L'hétérogénéité de la composition de la Ligue prédéterminait l'inévitabilité ultérieure d'une sélection et d'une épuration de ses rangs. Mais ce processus s'est prolongé pour des raisons que je ne discuterai pas ici. Je dirai simplement qu'en ce qui concerne certains groupes "douteux" ou des groupes d'origine étrangère, on n'a pas mené une politique assez conséquente qui aurait commencé par des tentatives de collaboration loyale pour mettre à l'épreuve les éléments douteux et, sous la surveillance de tous, leur donner la possibilité de se corriger ou de se discréditer, et, dans le second cas, de les éliminer de l'organisation. En tout cas, le moment est venu de tirer les conclusions organisationnelles nécessaires d'une expérience politique qui a beaucoup trop traîné.

3. Toutes les discussions dans la Ligue tournent maintenant autour de la définition de la "fraction". Je n'ai pas vu les textes des différentes définitions, mais je crains énormément que cette lutte n'introduise une bonne dose de scolastique. Sommes nous une fraction du parti ou une fraction du communisme ? Formellement, nous ne sommes pas une fraction du parti parce que nous sommes en dehors de ses rangs et pourchassés par lui. D’un autre côté, la conception de communisme est inséparable de celle de parti. Dans notre situation, c'est une contradiction créée non par une faute de logique formelle, mais par les conditions historiques objectives. Cette contradiction ne peut durer éternellement. Elle doit être résolue d’une façon ou d’une autre. Il n'est pas du tout probable que des exercices formels sur le mot "fraction" nous permettent de parvenir à une solution. Tout ce qui est fondamental dans la détermination de nos rapports avec le parti officiel et le Comintern a été dit avec suffisamment de clarté dans les documents fondamentaux de l'Opposition. Il n’y a pas de raison de modifier ce qui a été dit, car la situation objective dans ses lignes fondamentales n'a pas encore changé, ni dans un sens ni dans l'autre. Nous continuons notre lutte, comme avant, pour la dégénérescence de la III° Internationale, pas pour la remplacer par une IV°.

4. La tentative de tracer une ligne de démarcation à l’intérieur de la Ligue en procédant exclusivement ou en grande partie par de nouvelles discussion sur la "fraction" ne me semble pas juste. Surtout parce qu'elle semble ignorer tout le passé de la Ligue et essayer de recommencer une fois de plus toute son histoire. Cependant une politique organisationnelle juste exige que la sélection à l'intérieur de la Ligue se fasse sur la base de toute son expérience qui est très précieuse en dépit de son horizon très limité, et pas seulement sur la base d'une discussion isolée, particulièrement scolastique là dessus.

Le camarade Treint présente les choses de cette façons : d'un côté, il y a les "liquidateurs", le groupe juif, et de l'autre les conciliateurs (Naville et Gérard) et c’est pourquoi il est nécessaire de diriger notre politique vers l'amputation des liquidateurs maintenant pour s'occuper des conciliateurs ultérieurement.

Il est vrai qu'une situation de ce type n'est pas rare dans des organisations, surtout des organisations de masse, quand la présence d'une aile droitière ou ultra gauchiste se manifeste et conduit à la formation d'une couche intermédiaire, une fraction conciliatrice.

Mais ce schéma général ne couvre pas du tout ce que nous avons dans la Ligue. Les traditions et la ligne de développement du groupe Naville n'ont rien de commun avec les traditions et la ligne de développement du groupe juif. Dans le premier cas, on a un groupe d’intellectuels petits bourgeois, de spectateurs de la touche idéologique.

Dans l'autre, nous avons un groupe de prolétaires nomades qui ont toutes les forces et toutes les faiblesses des émigrés révolutionnaires. Toute relation entre ces deux groupes ne peut résulter que des combinaisons personnelles; ils n'ont pas de racines communes.

C'est pourquoi il est tout à fait faux de prendre la question Naville comme une question de fonction, c'est à dire, un dérivé, une quantité dépendant de la question du groupe juif.

5. Le point de vue de Naville était primitivement celui de deux partis et il imaginait le "sien" à la manière de Paz et de Souvarine, comme une sorte de cercle dominical de discussion dans lequel il apparaîtrait dans le rôle du soliste. Plus tard Naville a pris la position de "fraction indépendante", mettant dans cette notion l'ancien contenu. Il a assimilé le point de vue de l’Opposition de gauche, mais en paroles seulement. Il reste petit bourgeois, anarchique et non parti dans la même mesure contre le parti officiel comme contre la Ligue. En un an et demi, Naville n'a pas avancé d'un pouce. Même restant dans les rangs de la Ligue, il demeure notre adversaire irréconciliable.

Prenez La Lutte de Classes. Même après que nous ayions chassé Landau de nos rangs, Naville a publié un article de lui dans cette revue qu'il considère comme sa propriété privée (le petit-bourgeois anarchiste donne toujours une importance énorme à la question de la propriété). Le dernier numéro de La Lutte de Classes portait le sous titre suivant : revue théorique de l'Opposition communiste en France. Il y a eu une lutte acharnée pendant plusieurs mois sur la question de la transformation de La Lutte des Classes en un organe officiel de l’Opposition de gauche (la Ligue). Et ce qui arrive : Naville une fois de plus manifeste avec éclat qu’il ne veut pas identifier "sa" publication avec cette organisation à laquelle, semble-t il, il appartient. Cela ne suffit il pas pour éliminer de nos rangs une personne clairement étrangère et hostile ? Le fait que la Ligue et sa direction n'aient pas encore réagi contre ses révoltantes provocations est en soi un symptôme troublant. Car le premier caractère d'un révolutionnaire est la fermeté de son attachement à son organisation, son patriotisme d’organisation, sa sensibilité à toutes les attaques contre le drapeau de son organisation.

Comment Naville définit il aujourd'hui le concept de fraction ? Je l’ignore et j'avoue que cela ne m'intéresse guère. Il est possible de donner une définition théoriquement fausse de l'opposition de gauche et en même temps de prouver par tout son travail son propre attachement à elle. Dans ce cas, on peut calmement et en camarade corriger la définition erronée. Il est possible de donner de l'Opposition de gauche une définition juste et en même temps de fouler aux pieds son drapeau.

6. J’ai longtemps insisté sur la nécessité de lier les adhérents de la Ligue en général avec l'accomplissement d'une tâche précise et systématique. C'est cela, le reste mis à part, la règle pour exclure les amateurs, les flâneurs, les outres à vent, les parasites politiques. Certains parmi eux sont assez adroits pour ne pas s'autoriser à se faire prendre dans une formulation anticommuniste. Mais cela ne les empêche pas de poursuivre un sabotage quotidien sous le couvert des meilleures formulations et de trahir l'organisation au moment favorable.

7. La situation du groupe juif, comme on l'a déjà dit, n'a rien de commun avec la situation du groupe Naville. Peu importe ce que sont les combinaisons au sommet, les membres du groupe juif sont liés par l’uniformité de la langue et leur insuffisante connaissance de la France. Cela permet à quelques uns des dirigeants de ce groupe de jouer en France un rôle exagéré et de cultiver une atmosphère étouffante, d’étouffement. Il y a seulement quelques mois, Mill fulminait contre le groupe juif comme source principale de tout le malheur. Maintenant il est du côté de Félix, à cultiver ses traits négatifs, ses caractères d‘immigrés et en étouffer les traits prolétariens positifs.

Il est tout à fait. évident que ce groupe a été trop isolé dans le passé. Les dirigeants de la Ligue pensaient que le soutien de ce groupe leur était assuré. Ils n'ont pas pris beacoup de peine pour que chaque membre du groupe juif reste en contact avec ce qui se passait dans la Ligue. Le groupe a été victime des manoeuvres de ses dirigeants actuels. Il m’est difficile de juger d’ici dans quelle mesure il est possible de corriger le dommage qu’ils ont fait. En tout cas, nous devons tout faire pour aider ce groupe à se libérer lui méme de la direction actuelle et garder dans la Ligue tous les éléments prolétariens sains du groupe. La différence entre le groupe juif et le groupe Naville s’exprime de façon un peu tranchée sur le plan de nos rapports pratiques avec ces deux groupes. Tandis que les partisans de Naville qui prenaient ses déclarations plus ou moins au sérieux ont quitté la Ligue depuis longtemps et attendent leur chef hors de ses rangs, nous sommes enclins à penser que les éléments révolutionnaires du groupe juif vont abandonner leurs dirigeants temporaires et accidentels et resteront à la Ligue. Tous nos efforts doivent être orientés dans cette direction.

8. Poser la question de la fraction de façon purement formelle, sans tenir compte de tout le passé de la Ligue et indépendamment du contenu social et personnel de chaque groupe, non seulement rend difficile la démarcation vis à vis des éléments étrangers, mais crée également le danger d'une nouvelle scission du noyau fondamental de la Ligue. Je ne veux nullement nier d'avance l'importance théorique et politique des divergences associées à la question de la fraction. Mais il serait criminel de souligner ces divergences en les séparant de l'activité politique de la Ligue. Si, derrière les nuances dans les définitions du mot "fraction" sont réellement dissimulées deux tendances différentes, alors elles doivent se manifester plus clairement sur les questions fondamentales de l'Internationale et surtout celles du mouvement ouvrier français. La fraction se forme non en se définissant elle même à chaque pas, mais dans l'action. Le besoin de remâcher toujours la question de la fraction est sans doute créé par la stagnation de la Ligue. Continuer obstinément et sans fin dans cette direction signifie briser le noyau fondamental et en outre le long d’une ligne accidentelle et dans une large mesure scolastique.