Chute du ministère Camphausen (2)

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Note de l'éditeur :

Après l'assaut donné à l'arsenal, le 17 juin 1848, les ministres von Kanitz, le comte Schwerin et le baron von Arnim se retirèrent, et le 20 juin, ce fut le tour du ministère Camphausen tout entier.


Cologne, 22 juin

Le soleil a beau briller d'un bel éclat,
Il lui faudra bien disparaître à l'horizon[1]

et le soleil du 30 mars, rouge du sang ardent des Polonais, a disparu lui aussi à l'horizon.

Le ministère Camphausen s'était drapé dans le vêtement du libéralisme bourgeois de la contre-révolution. La contre-révolution se sent assez forte pour rejeter ce masque gênant.

Il est possible que quelque ministère du centre gauche, sans stabilité, succède, pour quelques jours, au ministère du 30 mars. Son véritable successeur est le ministère du Prince de Prusse. C'est à Camphausen que revient l'honneur d'avoir donné au parti féodal absolutiste son chef naturel et de s'être donné à lui-même un successeur.

Pourquoi flatter plus longtemps les tuteurs bourgeois ?

Les Russes ne sont-ils pas à la frontière de l'Est, et les troupes prussiennes à la frontière occidentale ? Les Polonais ne sont-ils pas gagnés à la propagande russe grâce aux schrapnells et à la pierre infernale ?

N'a-t-on pas pris toutes mesures pour réitérer dans la plupart des villes de Rhénanie le bombardement de Prague ?

Au cours des guerres contre le Danemark et contre la Pologne, ainsi que dans les nombreux petits conflits entre la troupe et le peuple, l'armée n'a-t-elle pas eu tout le temps de se transformer en soldatesque brutale ?

La bourgeoisie n'est-elle pas fatiguée de la révolution ? Et le rocher sur lequel la contre-révolution bâtira son église, l'Angleterre, ne se dresse-t-il pas en pleine mer ?

Cherchant encore à happer quelques sous de popularité[2], à attendrir l'opinion publique, le ministère Camphausen assure quitter en dupe lascène de l'État. Il est, bien sûr, un trompeur trompé. Au service de la grande bourgeoisie, il a dû chercher à frustrer la révolution de ses conquêtes démocratiques; en lutte contre la démocratie, il a dû s'allier au parti aristocrate et devenir l'instrument de ses appétits contre-révolutionnaires. Ce parti est devenu assez fort pour jeter son protecteur par-dessus bord. M. Camphausen a semé la réaction au sens où l'entend la grande bourgeoisie, il l'a récoltée au sens où l'entend le parti féodal. Telles furent ses bonnes intentions, tel fut son triste destin. Un sou de popularité pour l'homme déçu.

Le soleil a beau briller d'un bel éclat
Il lui faudra bien disparaître à l'horizon

Mais à l'est il réapparaît !

  1. Raimund : Le Paysan millionnaire; cf. aussi Heine : préface à la 2° édition du Livre des chants (1837).
  2. « Un sou de popularité à Menzel et à ses souabes » (Heine : L'Allemagne, « Un conte d'hiver » (1844), Chant XXIV, strophe 21.