Caractère démocratique de l’insurrection

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Prague

Il se confirme de jour en jour que notre interprétation de l'insurrection de Prague (voir le n° 18 de ce journal) est la bonne, que les insinuations des feuilles allemandes contre le parti tchèque disant qu'il sert la réaction, l'aristocratie, les Russes, etc. étaient de purs mensonges.

On ne voyait que le comte Léo Thun et ses aristocrates; on ne voyait pas la masse du peuple de Bohême, des nombreux travailleurs de l'industrie, des paysans. Le fait que l'aristocratie chercha un instant à confisquer le mouvement tchèque à son profit et à celui de la camarilla d'Innsbruck, voilà qui impliquait bien sûr que le prolétariat révolutionnaire de Prague lui qui en 1844 fut trois jours durant maître absolu de Prague[1] - représentait les intérêts de la noblesse et de la réaction en général !

Mais le premier coup sérieux et décisif porté par le parti tchèque a fait voler toutes ces calomnies en poussière. L'insurrection était si résolument démocratique que les comtes Thun, au lieu d'en prendre la tête, se retirèrent aussitôt et furent retenus comme otages autrichiens par le peuple. Elle était si résolument démocratique que tous les Tchèques du parti aristocratique prirent la fuite. Elle était autant dirigée contre les seigneurs féodaux tchèques que contre la soldatesque autrichienne.

Les Autrichiens attaquèrent le peuple, non parce qu'il était tchèque, mais parce qu'il était révolutionnaire. Pour l'armée, l'assaut de Prague n'était qu'un prélude à la prise d'assaut et à la réduction en cendres de Vienne.

Voici ce qu'écrit la Berliner Zeitungs-Halle[2]

Vienne le 20 juin.
C'est aujourd'hui que la délégation envoyée par le comité civique[3] d'ici à Prague est revenue, chargée en tout et pour tout de s'occuper de la surveillance des comptes rendus télégraphiques afin que nous n'ayons pas à attendre 24 heures les nouvelles de là-bas, comme ce fut le cas ces jours derniers. La délégation a rendu compte de sa mission au comité. Elle rapporte les horreurs commises par les autorités militaires de Prague. Elle n'a qu'un terme pour qualifier toutes les horreurs d'une ville conquise, bombardée, assiégée : à savoir qu'il n'y a pas de mot pour décrire ces atrocités. C'est au risque de leur vie que les délégués, au départ de la dernière étape avant Prague, ont atteint la ville en voiture; c'est au risque de leur vie qu'ils ont atteint le château de Prague en se frayant un chemin au milieu des soldats.
Partout, les soldats leur criaient : « Vous aussi, vous êtes là, chiens de Viennois ! Maintenant nous vous tenons ! » Beaucoup voulaient tomber sur les délégués à bras raccourcis; les officiers eux-mêmes se conduisirent avec une brutalité sans bornes. Les délégués parvinrent enfin au château. Le comte Wallmoden prit les lettres de créance que leur avait données le comité, regarda la signature et dit « Pillersdorf ? En voilà un qui ne compte pas pour nous ! » Windischgraetz accueillit la racaille bourgeoise avec plus de rudesse que jamais et dit : « La révolution a vaincu partout; ici c'est nous qui sommes les vainqueurs et nous ne reconnaissons aucune autorité civile. Tant que j'étais à Vienne, tout y est resté tranquille. À peine étais-je parti que tout fut bouleversé par la tourmente. » La délégation fut dépouillée de ses armes et retenue prisonnière dans une pièce du château. Deux jours plus tard, les délégués reçurent l'autorisation de partir; en ne leur restitua par leurs armes.
Voilà ce que rapportèrent nos délégués, voilà comment le Tilly de Prague les a traités, voilà comment se comportèrent les soldats, et ici on fait encore semblant de croire à une simple lutte contre les Tchèques. Les délégués parlaient-ils la langue de Bohème ? Ne portaient-ils pas l'uniforme de la garde nationale de Vienne, n'avaient-ils pas en main les pleins pouvoirs du ministère et du comité civique, habilité par le ministère à exercer l'autorité législative.
Mais la révolution a déjà fait de trop grands progrès. Windischgraetz se prend pour l'homme qui doit l'endiguer. On abat les Bohémiens comme des chiens et quand l'heure du coup d'audace sonnera, on marchera sur Vienne. Pourquoi Léo Thun fut-il libéré par Windischgraetz, le même Léo Thun qui avait pris la tête du gouvernement provisoire de Prague, qui préchait la sécession de la Bohème ? Pourquoi, demandons-nous, fut-il repris aux Tchèques et libéré, si tous ses faits et gestes n'étaient pas un jeu truqué avec l'aristocratie pour provoquer la rupture ?
Avant-hier un train est parti de Prague. Il s'y trouvait des étudiants allemands en fuite, des gardes nationaux viennois, des familles fuyant Prague; malgré le calme rétabli, elles ne s'y sentaient pas chez elles. Au premier arrêt aux abords de Prague, le piquet militaire qui montait la garde exige que tous les voyageurs sans distinction remettent leurs armes, et comme ceux-ci refusent, les soldats tirent dans les voitures sur des hommes, des femmes et des enfants sans défense. On retira six cadavres des voitures et les voyageurs essuyaient sur leurs visages le sang de ceux qui avaient été assassinés. Voilà comment ont agi à l'égard d'Allemands des militaires que l'on veut considérer ici comme les anges protecteurs de la liberté allemande.

  1. Il s'agit du soulèvement spontané des travailleurs du textile de Prague et de ses environs, qui vivaient dans le dénuement le plus extrême; il eut lieu dans la deuxième moitié de juin 1844. Le mouvement des ouvriers qui détruisirent des fabriques et des machines fut réprimé avec cruauté par les troupes gouvernementales autrichiennes.
  2. La Berliner Zeitungs-Halle était un quotidien paraissant à Berlin depuis 1846, sous la direction de Gustav Julius; en 1818, il représentait la démocratie petite-bourgeoise.
  3. Le comité civique fut constitué à Vienne en mai 1848; il était composé de bourgeois, de la garde nationale et d'étudiants; il se proposait de maintenir l'ordre et la sécurité et d'assurer la défense des droits du peuple.