Avant le 9 janvier

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Le «printemps» de la bourgeoisie et l'irruption du prolétariat[modifier le wikicode]

La guerre et l'opposition libérale[modifier le wikicode]


[1] Considérons le trimestre qui vient de s'écouler.[2]

Des membres connus[3] des zemstvos tiennent une réunion à Petersbourg qui n’est ni secrète ni publique; on y rédige quelques revendications de nature constitutionnelle. L'intelligenzia organise une série de banquets politiques. Des membres de tribunaux d'arrondissement voisinent avec des exilés célébrant leur retour, des intellectuels arborant des œillets rouges à la boutonnière voisinent avec des conseillers d'Etat, des professeurs de droit administratif sont assis côte à côte avec des ouvriers qui font l'objet d'une surveillance policière.

Des négociants, membres de la Douma municipale de Moscou[4] se declarent solidaires du programme constitutionnel du congrès. des zemstvos[5] et les courtiers de la Bourse de Moscou se déclarent solidaires des négociants de la Douma municipale.

Les avocats descendent manifester dans la rue, les exilés politiques mènent une campagne de presse contre l'institution de l'exil, les personnes sous surveillance policière — contre la filature ; un officier de marine part en guerre contre le ministère de la Marine et lorsqu'on le met en prison l'opinion publique se cotise pour lui offrir sa dague d’uniforme.

L'incroyable devient vrai et l’impossible apparaît probable.

La presse légale rend compte des banquets, publie les résolutions, informe sur les manifestations et va jusqu'à citer au passage le « dicton russe bien connu » [c'est ainsi que la presse légale désignait alors le slogan «à bas l'autocratie»]elle va même jusqu'à vilipender généraux et ministres mais, prudente, elle s'en prend de préférence aux défunts ou aux retraités.

Les journalistes prennent feu. Ils rappellent le passé, soupirent, espèrent, s’avertissent mutuellement du danger des espoirs démesurés, ne savent pas quelle position adopter, tentent de se défaire de leur langue d'esclave, ne trouvent pas les mots, se heurtent à des mises en garde, s’essayent sincèrement à être radicaux, ils veulent appeler à l'action, mais ils ne savent pas à laquelle, ils lâchent des bordées d'impertinences, mais ils le font à la sauvette car ils ne savent pas de quoi demain sera fait, ils masquent leur incertitude derrière un semblant d’audace. Chacun s'efforce de faire croire que les autres sont décontenancés, mais pas soi-même...

Actuellement cette vague reflue se retire, mais c'est pour laisser immédiatement la place à une autre, encore plus puissante.

Arrêtons-nous ici pour prendre la mesure de ce qui a été dit et fait pendant cette période, et pour en augurer ce qui va suivre.

La situation actuelle est, à première vue, le fruit de la guerre. Elle accélère furieusement le processus naturel de décomposition de l'autocratie; comme un forceps, elle contraint à descendre dans la rue des groupes sociaux habitués à l’indolence; elle pousse de toutes ses forces à la formation de partis politiques.

Pour ne pas nous égarer dans cet écheveau, prenons quelque distance à l'égard de cette fronde « printanière » et revenons au début de la guerre pour faire un rapide bilan de la politique des différents partis au cours de cette période où deux guerres se sont entremêlées.

La guerre a été donnée à la société comme un fait brut mais il restait encore à savoir l'utiliser.

Le parti de la réaction tsariste s'est lancé fébrilement dans l'action. Il voyait dans la guerre une circonstance favorable :
l'absolutisme ne faisait plus semblant de vouloir conduire la nation sur la voie d'un développement civilisé. Choisissant la guerre, l'absolutisme avait décidé de se montrer sous l'aspect où, croyait-il, il pourrait faire la preuve de sa puissance a ses propres yeux et à ceux des autres. La presse réactionnaire se fit offensive et déploya ses slogans: autocratie, nation, armée, Russie! Tous autour de l'intérêt commun et d'une victoire qui ne tardera pas à venir !

« Novoïe Vremia » [«Temps Nouveaux»][6] claironne sans arrêt :
« C'est dans son armée, plus que dans toute autre institution que la nation prend conscience de son unité. C'est l’armée qui tient entre ses mains l'honneur international de la nation. Une défaite de l'armée serait une défaite de la nation

Ainsi, l'objectif de la réaction est clair: faire de la guerre une oeuvre nationale; unir la « société » et le « peuple » autour de l'autocratie en sa qualité de gardienne de la puissance et de l'honneur de la Russie; susciter dévouement et enthousiasme patriotique autour du trône. Pour son projet, la réaction n'épargna ni ses forces ni son habileté pour nourrir un sursaut d'indignation patriotique, exploitant sans vergogne la soi-disant attaque perfide des Japonais contre notre flotte. Elle présentait l'ennemi comme un peuple rusé, lâche, avide, méprisable et inhumain. Jaune et païen de surcroît. Elle s'efforçait ainsi de susciter un afflux d'orgueil patriotique, de haine et de mépris de l’ennemi.

Le événements ont infirmé ses prédictions. La malencontreuse flotte du Pacifique alla de pertes en défaites[7]. La presse réactionnaire les justifiait et les expliquait par des causes fortuites et promettait une revanche sur terre. Puis vint la série de combats terrestres[8] et autant d'immenses défaites et une suite de déroutes de l'invincible Kouropatkine[9], héros de caricatures sans nombre dans la presse européenne. La presse réactionnaire tenta même d'utiliser les défaites pour provoquer un sursaut d'orgueil national et un désir de revanche.

La réaction, dans la première période de la guerre, encadra étudiants et canaille urbaine dans des manifestations patriotiques et couvrit le pays d'affiches criardes~vantant la supériorité de l’armée russe sur celle du Japon.

Lorsque le nombre des blessés augmenta, la réaction, exploitant le patriotisme et les bons sentiments, appela à soutenir la Croix Rouge gouvernementale. Lorsque la supériorité de la flotte japonaise devint évidente, la réaction, invoquant le patriotisme et les intérêts gouvernementaux, appela la société à soutenir la flotte par des dons d'argent.

Bref, la réaction faisait tout ce quelle savait et pouvait faire pour exploiter la guerre au profit du tsarisme, c'est-à-dire à son profit propre.

Quant à l'opposition officielle que faisait-elle dans ce moment critique alors qu'elle avait à sa disposition les organes de l'auto-administration, les zemstvos et les doumas municipales, ainsi que la presse libérale ?

Disons-le d'emblée: elle se conduisit de façon infâme.

Les zemstvos ne se contentèrent pas d'assumer pour la Défense les travaux et les dépenses que leur imposait la loi. Ils en ont rajouté, venant à l'aide de l'autocratie par la création de leur propre organisation d'aide aux blessés.

Ce crime se perpétue jusqu'à aujourd'hui et contre ce crime aucune voix libérale ne s'est élevée.

« Si le patriotisme vous pousse à prendre votre part dans les malheurs de la guerre, prêchait Mr. Struve[10], allez nourrir et réchauffer ceux qui souffrent du froid, allez soigner les malades et les blessés! ». Ce n'est pas au « patriotisme », mais bien à l'hypocrisie patriotique, que Struve sacrifie ainsi les dernières miettes qui lui restent de logique oppositionnelle et de dignité politique. Au moment où la réaction fabrique un sanglant mirage d'œuvre nationale, n'est-il pas évident que n'importe quel parti oppositionnel conséquent devait tout faire pour s’éloigner de cette honteuse entreprise et pour se mettre à l'abri de la contagion !

Au moment où la Croix Rouge gouvernementale, ce repaire de fonctionnaires prévaricateurs, étouffe par manque de moyens, au moment où le gouvernement se débat dans l'étau de la crise financière, voilà que les zemstvos, nimbés de leur aura oppositionnelle, prennent sur eux une bonne part des dépenses de l'aventure militaire. Ils aident les blessés ? certes, oui, mais ils soulagent d’autant le fardeau financier du gouvernement et lui facilitent la poursuite de la guerre et, par conséquent, la fabrication ultérieure d'autres blessés.

Mais ce n'est pas tout. Car la tâche de l'heure est le renversement définitif de cet ordre où la frénésie politique d'une bande de fonctionnaires pousse à un massacre insensé et à la mutilation de dizaines de milliers de gens. Ce renversement est encore plus urgent avec la guerre qui démasque le tsarisme et toute l'horreur de sa politique intérieure et extérieure : irréfléchie, avide, maladroite, dispendieuse et sanglante.

La réaction a tenté, et de son point de vue c'était logique, d'attirer matériellement et moralement tout le peuple dans le tourbillon de l'aventure militaire. Là où hier encore il y avait des groupes et des classes en lutte, une réaction et un camp libéral, un pouvoir et un peuple, un gouvernement et une opposition, des grèves et des répressions, il ne devait plus tout à coup y régner que unanimité nationale et patriotisme.

Le devoir de l'opposition était donc de mettre toute sa force, toute sa décision et son audace à montrer la profondeur de l'abîme qui sépare le tsarisme de la nation. Sans tergiverser, elle devait essayer de pousser dans cet abîme le tsarisme qui est le vrai ennemi de la nation. Au lieu de cela, les zemstvos libéraux, tout en masquant leur projet d’oppositionnels (s'emparer d'un morceau du système militaire et mettre le gouvernement en position de demandeur), se sont attelés au char branlant de la guerre pour ramasser les morts et nettoyer le sang...

Mais l'affaire ne se limite pas aux dons pour l'organisation sanitaire. Dès la déclaration de la guerre zemstvos et doumas municipales, qui se plaignaient sans arrêt du manque de moyens, emportés dans un élan stupide, se sont mis brusquement à donner leur argent pour la guerre et pour la flotte. Quant au zemstvo de Kharkov, il a pris un million dans son budget pour le mettre à la disposition personnelle du tsar.

Ce n'est pas encore tout ! Les députés des zemstvos et des municipalités, non contents de s'associer aux sales besognes dans cet odieux massacre, ont encore pris sur eux une partie des dépenses, ou plus exactement, ils ont cautionné le chargement de Ces sommes sur le dos du peuple. Ils ne se sont pas contentés de tolérer en silence et d’être 1es complices muets du tsar. Non à coup de trompe ils ont proclamé leur solidarité morale avec les auteurs du plus grand des forfaits. Unanimes, ils ont déposé leurs sentiments dévoués au pieds de leur « puissant souverain », le même qui venait tout juste d'écraser le zemstvo de Tver[11] et qui s'apprête à en écraser quelques autres. Ils expriment leur soutien empressé à leur perfide ennemi, ils jurent fidélité au trône et promettent de sacrifier leur vie et leur fortune (tout en sachant qu'ils n'en feront rien) pour la plus grande gloire et la puissance du Tsar et de la Russie. Les zemstvos et les municipalités sont imités honteusement par les guildes des métiers. Elles se bousculent pour saluer la déclaration de la guerre dans des messages serviles de dévouement où la cuistrerie du style le dispute au crétinisme politique du contenu. La palme de ces messages de larbins revient au Conseil des professeurs des cours Bestoujev [ersatz d\'université pour jeunes filles appartenant au financier et philantrope moscovite Bestoujev], qui dans son zèle patriotique a fait signer les malheureuses auditrices sans les avoir même consultées.

Pour en terminer avec cet odieux tableau de lâcheté, de servilité, de mensonge, de diplomatie mesquine et de cynisme, qu'il suffise pour une dernière touche de revenir sur la députation qui a présente à Nicolas II[12] au palais d'Hiver l'adresse du zemstvo de Petersbourg[13] où les "grands esprits" du libéralisme, MM. Stasulevitch[14] et Arseniev[15] ont tenu à être présents.

Faut-il encore développer ou commenter ces faits ? C'est superflu. Il suffit de les désigner et d'en prendre acte pour que le rouge de la honte monte à la face politique de 1’opposition libérale.

Et la presse libérale ? Cette presse libérale, misérable, balbutiante, rampante, tortueuse, débauchée et débaucheuse, son désir servile de voir la tsarisme renversé, elle l'a enfoui tout au tond de son âme, mais sur sa langue elle a exhibé les slogans de l’orgueil national. Elle s'est précipité toute entière dans le flot boueux du chauvinisme, courant derrière la presse des massacreurs réactionnaires.

« Rousskoié Slovo » [«La Parole Russe»][16] et « Rousskié Vedomosti » [«Le Bulletin Russe»][17], « Odesskié Novosti » [«Les Nouvelles d'Odessa»][18] et « Rousskoie Bogatstvo » [«La Richesse Russe»][19], « Peterbourjskie Vedomosti » [«Le Bulletin de Petersbourg»] et « Kourier » [«Le Messager»], « Rous » [«La Russie»][20] et « Kievski Otklik » [«L'Echo de Kiev»], ils se sont tous montrés dignes les uns des autres. La gauche libérale, la main dans la main avec la droite libérale, stigmatisait la traîtrise de « notre ennemi », moquait son impuissance et vantait notre force; elle célébrait l'amour de la paix de « notre Monarque »', elle annonçait l'inéluctabilité de « notre victoire », elle exigeait l'achèvement de « nos tâches » en extrême Orient. Sans ajouter foi à ses propres paroles, elle gardait en secret dans son cœur d'esclave l'espoir de voir quand même le tsarisme s'effondrer.

En octobre lorsque déjà le ton de la presse avait brusquement changé, Nr. I. Petrounkevitch[21], l'emblème et l'orgueil du zemstvo libéral, persuadait les lecteurs de « Pravo » [«Le Droit»][22] que « quelle que puisse être l'opinion que l'on a sur la présente guerre, il n'en reste pas moins que chaque Russe sait, qu'une fois commencée, elle ne doit pas s'achever au détriment des intérêts de l'Etat et du peuple de notre pays. Nous n'avons pas aujourd'hui le droit de proposer la paix au Japon et sommes contraints de poursuivre la guerre jusqu'à ce que le Japon accepte d'y mettre des conditions qui n'enfreignent ni notre dignité nationale ni les intérêts matériels de la Russie. » [Cf. "Pravo", n°41]

Ils se croyaient les meilleurs et les plus dignes, mais ils se sont sali les mains tous tant qu'ils sont.

Le journal « Nachi Dni » [«Nos Jours»][23] se résout enfin à donner la clé de cette attitude: « La vaque de chauvinisme qui a déferlé dans les premiers jours n’a non seulement rencontré aucun obstacle dans sa course, mais elle a même emporté plusieurs personnalités progressistes qui, probablement, s'imaginaient que l'élan de cette vague les rapprocherait de la rive désirée. »

Cette attitude n'était la suite ni d'une gaffe, ni d'une erreur, ni d’un malentendu. Elle était le résultat d'une tactique et d'un plan. Toute l’âme de l'opposition des privilégiés se montre ici à nu. Au lieu de se battre, cette opposition choisit le compromis. Elle cherche à tout prix à se rapprocher du pouvoir. Elle cherche à soulager le drame intérieur de l'absolutisme, contraint à accepter ce rapprochement. Elle refuse de s'organiser dans la lutte contre le tsarisme, mais. cherche à le servir : ne pas vaincre le gouvernement, mais l'attirer a soi. Mériter sa reconnaissance et sa confiance, se rendre indispensable au pouvoir et finalement l'acheter avec l’argent du peuplé. C'est là une tactique qui est aussi vieille que le libéralisme russe et qui, en dépit du temps, n'est devenue ni plus intelligente, ni plus digne !

Le peuple russe n'oubliera pas ce qu'ont fait les libéraux dans ce moment difficile. C'est en utilisant l'argent du peuple qu'ils ont tenté d'acheter leur rentrée en grâce auprès de l'ennemi du peuple.

Dès le début de la guerre l'opposition libérale a tout fait pour apaiser la situation. Mais la logique révolutionnaire des événements n'a pas connu de répit. La flotte de port-Arthur à été anéantie[24], l'amiral Makarov a péri[25], la guerre s’est déplacée de la mer sur la terre, vers le Yalu, Kin-jow, Dachijao, Wafangow, Lîaoyang, chakhé[26], tous ces noms ne recouvrent qu'une seule réalité: la faillite honteuse de l'autocratie. L'armée japonaise a cassé l'armée russe non seulement sur mer et sur les champs de bataille de l'Asie orientale, mais aussi à la corbeille des bourses européennes et de celle de Petersbourg.

Le gouvernement tsariste est dans une situation pire que jamais. Démoralisé, il a renoncé à toute politique intérieure cohérente et ferme. Il n’a pu éviter ni tergiversations, ni tentatives d'apaisement~et de rapprochement. La mort de Plehve[27] a apporté une occasion pour changer d'orientation.

La place de Plehve a échu à Sviatopolk-Mirski[28] qui a voulu faire la paix avec l'opposition libérale. Pour commencer, il a proclamé faire confiance à la population russe. C'était à la fois stupide et impudent. Comme si le problème était la confiance que le ministre accorde ou non à la population. Or, n'est-ce pas exactement l'inverse ? N'est-ce pas le ministre qui devrait dépendre de la confiance que lui fait ou non la population ?

L'opposition devait obliger le prince Sviatopolk à comprendre cette simple réalité. Mais au lieu de cela, elle a commencé à rédiger des adresses, à expédier des télégrammes et à publier des articles débordants de reconnaissance et d'enthousiasme. Au nom des 150 millions d'habitants elle remerciait l'autocratie qui avait déclaré «refaire confiance» à un peuple qui se méfie d'elle.

La presse libérale fut submergée d'une vague d'espoir, d'attente et de gratitude. Le prince[29] devint l'enjeu d'une lutte entre "Rousskié Vedomosti"[«Le Bulletin Russe»] et "Rous" [«La Russie»] d'une part et "Grajdanine" [«Le Citoyen»][30] et "Moskovskié Vedomosti" [«Le Bulletin de Moscou»][31] d'autre part, chaque camp cherchant à attirer le ministre. Les zemstvos d'arrondissement, tout comme les municipalités, manifestèrent également leur gratitude et leurs espoirs.

On en arriva à la situation actuelle où la politique de confiance a achevé le cours de son développement. C'est au tour des zemstvos de gouvernorats d'entrer dans la danse et d'envoyer l'un après l'autre au ministre l'expression tardive de leur confiance. Alors que le pays se trouve durablement en pleine ébullition, l'opposition ajoute la confusion à la confusion et fait d'une péripétie idiote le centre du débat politique.

Il faut derechef tirer une conclusion. Lorsque le pouvoir recherchait son aide et ses bonnes grâces, jamais l'opposition ne s'était jamais trouvée dans une situation aussi favorable. Mais il a suffi que le pouvoir esquisse un geste de confiance pour que cette opposition le gratifie en retour de sa propre confiance. Mais du même fait, cette opposition a perdu tout droit à ce que le peuple lui fasse la moindre confiance.

En même temps, cette opposition s'est elle-même privée du droit au respect de la part de son adversaire. Le gouvernement, en la personne de Sviatopolk, a fait aux dirigeants des zemstvos la promesse de les laisser se réunir légalement, puis a failli à sa promesse. Ils ont quand même tenu leur réunion, mais de façon illégale. Ils ont pris toutes les mesures pour cacher cette réunion aux yeux du peuple. En d'autres termes, ils ont tout fait pour priver leur réunion de signification politique.

Dans leur réunion des 7 au 9 novembre les présidents des bureaux des zemstvos de gouvernorats et d'autres leaders de l'auto-administration ont formulé leurs exigences. L'opposition des zemstvos, dans la personne de ses dirigeants les plus en vue, mais en dehors de tout mandat formel, a fait connaître pour la première fois son programme au peuple.

Les membres conscients du peuple ont d'excellentes raisons d'étudier attentivement ce programme pour comprendre en quoi consistent les exigences des dirigeants des zemstvos: que cherchent-ils à obtenir pour eux-mêmes ? Que cherchent-ils à obtenir pour le peuple ?

Léon Trotski

  1. La guerre russo-japonaise se transforme en désastre, les toutes premières fissures dans l'édifice du tsarisme appara&i circ;ssent. En juillet, Plehve, l'inspirateur de la politique de repression envers les organisations ouvrières, et d'expansion de la russie vers l'orient est assassiné dans un attentat de l'organisation terroriste des socialistes-révolutionnaires. Ce même Plehve avait interdit les zemstvos, qui constituaient des assemblées de la petite noblesse et de la bourgeoisie libérale. Son successeur Svatopolk-Mirsky, décide d'autoriser une conférence privée réunissant un certain nombre de délégués de zemstvos (cette assemblée sera abusivement nommée «congrès national des zemstvos»). Elle est suivi d'une campagne de banquets politiques, organisée par les libéraux, dans les principales villes du pays. Lors de ces banquets les leaders de la bourgeoisie libérale et de la petite noblesse exposent leurs revendications. Pour la première fois apparaîssent à leurs côtés des ouvriers, des représentants des «marxistes légaux» de Strouvé, ainsi que certains mencheviks. Ces derniers placent beaucoup d'espoir dans cette campagne. De leur côté Trotsky et les bolcheviks (dont il ne fait pas partie) sont persuadés que les libéraux sont terrorisés par la menace de la révolution, et qu'en réalité ceux-ci désirent passer un marché vec le tsarisme.
    En novembre et décembre 1904, Trotsky se consacre à un travail d'analyse de la situation russe. Il souligne la lâcheté des libéraux vis-à-vis du gouvernement tsariste en guerre, parlant notamment de «notre monarque», de «notre guerre». Il ironise sur le «printemps» de Svatopolk-Mirsky et l'affirmation de ce dernier à propos de la confiance que le gouvernement accorde... au peuple. Trotsky souligne les revendications timorées du «congrès des zemstvos» (ni suffrage universel, ni constitution). Enfin convaincu de lâcheté politique des libéraux, il conclut que dans la situation russe, seuls les ouvriers sont capables de porter au tsarisme le coup décisif. C'est donc pour lui à partir ce point capital qu'il faut que la social-démocratie élabore sa politique.
    Il se passe des mois avant que le développement révolutionnaire ne les soulève tous les problèmes de la technique révolutionnaire : l'armement du prolétariat, la fraternisation avec les soldats. Ces rêveries d'émigrés deviendront dans quelques mois des problèmes concrets.
    Du fait du rapprochement de certains mencheviks des libéraux, le ton qu'adoptait Trotsky à leur égard, eut pour conséquence que la publication de sa brochure fut repoussée quelques temps. La brochure n'était pas encore publiée quand survint le dimanche sanglant du 9 janvier. C'est à ce moment que Trotsky intitule sa brochure «Avant le 9 janvier».
    Note rédigé à partir de «Trotsky» de P. Broué et de «Le prophète armé» de I. Deutscher
  2. La guerre russo-japonaise a été l'aboutissement de la politique étrangère inconsidérée du tsarisme, initiée par un groupe de fonctionnaires cherchant à piller l'Extrême-Orient. Le gouvernement tsariste a provoqué le Japon à la guerre sans avoir eu le temps de préparer ni les moyens matériels ni les moyens militaires. Dans l'esprit de ses organisateurs, la guerre devait également détendre l'atmosphère sociale à l'intérieur de la Russie. Rendus aveugles, les fonctionnaires tsaristes comptaient sur une victoire totale dans la confrontation avec les "Asiates". Tous les calculs de l'autocratie se sont avérés faux. Dès ses premiers jours, la guerre n amena que des défaites à l'armée et à la flotte russes. A l'intérieur de la Russie la guerre s'accompagna d'un renforcement inouï de la lutte de classe et suscita des sentiments défaitistes non seulement chez les social-démocrates, mais aussi dans certains cercles libéraux.
    La défaite de la Russie a fortement endommagé sa position internationale. Les milieux libéraux de tous les pays contemplaient avec un plaisir non dissimulé la faillite du tsarisme en Extrême-Orient. Seule, la peur des grandes puissances que le Japon ne devienne trop fort, a aidé la Russie à mettre fin à la guerre et à signer la paix à des conditions moins dures que la grandeur de la victoire japonaise l'aurait laissé augurer. En Russie même, la guerre a conféré au mouvement révolutionnaire un puissant élan et a suscité en fin de compte un mouvement gréviste d'une ampleur jamais égalée qui a été couronné par la création du Soviet des députés Ouvriers de Pétersbourg.
  3. Le congrès des leaders des zemstvos, qui s est tenu à Pétersbourg du 6 au 8 novembre 1904 n'était en réalité qu'une réunion privée. Interdit d'abord par Plehve [ministre de l'Intérieur - cf. note 27], ce congrès a été autorisé par son successeur Sviatopolk-Mirski qui pensait mettre fin. à l'ébullition des esprits en laissant aux membres des zemstvos l'occasion de discuter un peu de leurs affaires. ne plus, la défaite de Liaoyang avait contraint le gouvernement à adoucir quelque peu son discours à l'adresse des libéraux.
    Chipov fut élu à la présidence, flanqué de I.I. Petrounkevitch et du prince G.E.Lvov (le futur président du Gouvernement provisoire de 1917) en qualité d'assesseurs. Convoquée dans un appartement privé, la réunion était fortement gardée par la police qui craignait une irruption d'étudiants et d'ouvriers. Le principal point à l'ordre du jour était la Constitution. La réunion n'aborda jamais la question agraire ou ouvrière. Le problème constitutionnel a suscité une division entre les différents groupes. Sur ce problème fondamental il fallait trouver une solution qui satisfasse les différents courants parmi les membres des zemstvos. Il fallait concilier le groupe des libéraux-slavophiles du président de la réunion, Chipov, avec le caractère constitutionnel de la réunion, les «pères gris de la province» avec le caractère politique de l'entreprise, le groupe des membres ordinaires avec la tendance ouvertement oppositionnelle des décisions du congrès. On suppliait les rares partisans de la démocratie de se satisfaire d'une formule floue évoquant la «désirabilité» d'une Assemblée constituante mais sans souffler mot du suffrage universel. Dans ce parlement des zemstvos, la majorité échut aux constitutionnalistes qui ont réussi à faire adopter la revendication d'une Assemblée constituante avec voix délibérative alors que le groupe de Chipov en était restée à l'ancienne formule des zemstvos d'une Représentation consultative en matière de lois. La résolution de Chipov recueillit 27 voix (cf. compte-rendu dans «Pravo»[«Le Droit»] ; dans sa «brève étude» le camarade Pokrovski donne un autre chiffre : 38). La majorité constitutionnaliste du congrès avait, en plus, estimé indispensable d'indiquer en quoi devait consister la participation des représentants du peuple :
    « l° exercer le pouvoir législatif, 2° fixer le chiffrage des revenus et des dépenses gouvernementales et 3° contrôler la légalité des actes de l'administration ».
    Les deux opinions en présence ont été reflétées dans la résolution finale. «Du fait du caractère privé de la réunion, écrit «Osvobojdenié» [“La Libération”], la majorité ne désirant pas faire violence à l'opinion de la minorité, elle ne refusa pas de faire figurer dans la rédaction finale des conclusions du congrès la formule de la minorité. »
    Les résolutions du congrès et la revendication d'une Constitution sont demeurées de cette façon à l'état d'opinion privée des membres des zemstvos et n'ont exercé en réalité aucune influence sur le gouvernement. Le preuve en est dans le fait que l'oukase du 12 décembre 1904 n'évoque jamais la représentation populaire et se contente de concéder de façon floue quelques adoucissements en matière administrative.
  4. Le 30 novembre la Douma municipale de Moscou a adopté la résolution suivante :
    « Transmettre aux autorités supérieures que, selon l'opinion de la Douma municipale de Moscou, il est indispensable et urgent : de créer une protection de la personne contre une surveillance extra-judiciaire; d'annuler l'action des lois d'exception, de garantir la liberté de conscience et de religion, la liberté de parole et de presse, la liberté de réunion et d'association, d'assurer la mise en œuvre de ces principes en les dotant de bases garanties et intangibles, élaborées avec la participation de représentants de la population librement élus; d'installer une interaction correcte entre l'activité du gouvernement et le contrôle permanent, défini par la loi, et que les forces sociales doivent exercer sur la légalité des actes de l'administration ».
    Cette prise de position a marqué le début de toute une série d'initiatives analogues de la part d'autres Doumas municipales à travers la Russie.
  5. Lors de la réunion privée de personnalités des zemstvos et des villes, qui s est tenue les 6, 7 et 8 novembre, les représentants des zemstvos n'ayant pu aboutir à un accord au sujet de la Constitution ont inclus dans la résolution finale les deux positions, minoritaire et majoritaire.
    La majoritaire proclamait : «Afin d'instituer et maintenir une communication et une concorde toujours étroites et agissantes entre le pouvoir de l'Etat et la vie sociale sur la base des principes énoncés plus haut, il est absolument nécessaire qu'existe une intervention adéquate d'une représentation populaire sous la forme d'une institution spécifique élective exerçant le pouvoir législatif, fixant le chiffrage des revenus et des dépenses gouvernementales et contrôlant la légalité des actes de l'administration».
    L'opinion minoritaire proclamait : «Afin d'instituer et maintenir une communication et une concorde toujours étroites et agissantes entre le pouvoir de l'Etat et la vie sociale sur la base des principes énoncés plus haut, il est absolument nécessaire qu'existe une intervention adéquate d'une représentation populaire sous la forme d'une institution spécifique élective.» Dans la conclusion de la résolution la gauche et la droite des zemstvos expriment l'espoir que «le pouvoir de l'Etat convoquera les représentants librement élus du peuple.» [Pour des précisions sur le congrès des zemstvos et ses principales décisions, cf. note 3].
  6. «Novoïe Vremia»[«Temps Nouveau»], quotidien pétersbourgeois, publié depuis 1876 par A. S. Souvorine. Dès sa naissance, ce journal a défendu une position conservatrice extrême. Jouant le rôle d'un organe officieux, «Novoïe Vremia» faisait indéfectiblement campagne contre la démocratie révolutionnaire, la classe ouvrière et l'intelligenzia radicale. La chasse aux «métèques» et la judéophobie traversaient comme un fil rouge les principaux articles du journal. Etant le porte-parole de la haute bureaucratie, le journal ne s'embarrassait guère de constance dans ses positions et changeait de cap selon les changements ministériels. Pendant la révolution de 1905 il adopta une position réactionnaire extrême et exigeait des mesures radicales à l'encontre des révolutionnaires et des ouvriers en grève.
    Ci-dessous nous citons la caractéristique donnée par L. D. Trotski à «Novoïe Vremia», écrite en 1905, mais restée inachevée :

    «Novoïe Vremia», journal littéraire, politique et vénal, publié depuis 40 ans par Souvorine. de notoriété publique, ce journal a changé d'«orientation» en d'innombrables occasions, mais dans un spectre toujours très resserré, c'est-à-dire dans les limites entre lesquelles ministres et ministères se font la guerre. Lorsque le portefeuille de 1'éducation nationale était aux mains de Delianov qui était partisan des études classiques, le journal a défendu les études classiques, puis il les a critiquées sous le ministère Vannovski. Il était pour la répression sous Plehve mais pour la «confiance» sous Sviatopolk-Mîrski. Dans tous Ces changements de. cap, «Novoïe Vremia» reste invariablement l'organe de la crapulerie littéraire. Ecrits «à la salive de chine enragé» et exhalant la haine, ses articles par centaines ont pour cible, hier comme aujourd'hui, la démocratie, l'intelligentzia radicale, le prolétariat socialiste et la paysannerie révolutionnaire. La judéophobie traverse tous les tournants du journal car le dépouillement des Juifs de tout droit fait partie intégrante du programme de tous les ministères successifs de l'autocratie.
    Souvorine recueille pour son journal les très rentables annonces gouvernementales et gère les kiosques de gare. Les bureaux ministériels le fournissent en information.
    «Novoïe Vremia» a soutenu Witte lorsqu'il était ministre des Finances, a défendu l'écume à la bouche le monopole d'Etat sur les spiritueux, était partisan de la politique belliciste en Extrême-Orient; il a approuvé la guerre russo-japonaise et célébré le génie militaire de Kouropatkine et de Rojdestvenski, tout en maquillant la vérité, mentant et trompant ses lecteurs.
    Dans les années 80 et 90, «Novoïe Vremia» fut l'organe officiel de la crapule au pouvoir et du maître des pensées des contemporains. Mais ces temps se sont définitement enfuis.
    Avec le nouveau siècle, «Novoïe Vremia» et son héros-crapule sont entourés d'une atmosphère unanime de mépris et d'indignation, qui s'épaissit de jour an jour. Ainsi, dans la nuit du 17 au 18 octobre 1905, une foule rassemblée par hasard sur la perspective Nevski a scandé des malédictions sous les fenêtre de «Novoïe Vremia».
    «Anathème sur toi ! Sois maudit, Judas !», voilà le cri dont la jeune démocratie russe accompagne au tombeau l'infâme patron d'un infâme ramassis journalistique.»
  7. Au cours de l'année 1904 la flotte russe du Pacifique a connu deux grandes défaites. La première eut lieu à Port-Arthur le 26 janvier lorsque les torpilleurs japonais ont lancé une attaque surprise contre les forces principales de l'escadre, les 15 navires, qui se trouvaient dans l'avant-garde de Port-Arthur [Aujourd'hui Löchun, Note Œuvre]. Les cuirassés « Retvisan » et « Tsesarevitch » ainsi que le croiseur « Pal1ada » ont subi de graves dégâts. Le jour suivant, le 27 janvier, aux environs de 11 heures du matin, l'escadre japonaise au complet, sous les ordres de Togo, est arrivée au pied de la forteresse et a ouvert le feu. Les navires russes ont répliqué tout en restant à l'abri des batteries côtières qui entraient dans la bataille l'une après l'autre au fur et à mesure qu'elles étaient ravitaillées en munitions. Avec l'intensification des tirs russes, la flotte japonaise se retira. Le combat avait duré 40 minutes, occasionnant des dommages au cuirassés « Poltava » et aux croiseurs « Askold » et « Novik ». Quant aux bâtiments japonais, ils n'avaient subi que des dommages légers qui ont été rapidement réparés.
    Le second combat s'est produit dans la mer Jaune le 28 juillet. L'escadre de Port-Arthur reçut l'ordre du vice-roi Alexeev de joindre Vladivostok après avoir brisé le blocus japonais. Le commandant de la flotte, l'amiral Witgeft et la presque totalité des commandants ont émis des objections et n'ont obtempéré qu'après une répétition catégorique dé l'ordre. Le matin du 28 juillet l'escadre a quitté Port-Arthur en ordre de combat: en tête, le croiseur « Novik » avec 8 torpilleurs, ensuite 6 cuirassés, et plus loin 3 croiseurs. Les premiers tirs de l'escadre japonaise retentirent à une heure de l'après-midi. Commandée par Togo personnellement, elle était composée de 4 cuirassés, 6 croiseurs et quelques torpilleurs. Les chefs russes, doutant du succès, malgré le bon esprit des équipages, ont tenté d'éviter le combat et de se glisser vers Vladivostok, mais leur manœuvre échoua du fait de la lenteur de leurs bâtiments. Résultat: 5 cuirassés, 1 croiseur et quelques torpilleurs ont dû regagner Port-Arthur; il fallut couler le croiseur près des rivages de Sakhaline, alors que les autres navires, 1 cuirassé, 2 croiseurs et quelques torpilleurs, se sont réfugiés dans des ports neutres où ils furent désarmés.
    L'histoire officielle de la marine russe rapporte à ce sujet: « Le combat du 28 juillet a moins donné aux Japonais un avantage matériel, qu'un avantage moral. L'escadre russe y a perdu la foi dans ses amiraux et après son retour à Port-Arthur elle dut se résigner à s'enterrer dans la rade de Port-Arthur. »
    Les continuels échecs de la flotte russe s'expliquent par son retard technique ainsi que par la mauvaise préparation des équipages et particulièrement celle du personnel de commandement.
    / Pour cette note sur la guerre, l'information factuelle nous a été fournie par la Division historique de l'état-majeur de la RKKA. /
  8. au cours de l'année 1904 l'armée de terre russe a subi une série de graves défaites dont les principales ont été:
    l° Liaoyang [21 août 1904]. Plus de 100.000 fantassins, 10.000 cavaliers et 600 pièces d'artillerie du côté russe faisaient face à 88.000 fantassins, 3.400 cavaliers et 470 pièces d'artillerie du côté japonais. Les deux camps ont subi de lourdes pertes, dont 15.000 chez les Russes et 23.000 chez les Japonais. Les spécialistes affirment que la bataille de Liaoyang fut perdue à cause de la tactique excessivement peureuse de Kouropatkine. Une analyse de la bataille faite par l'état-major allemand affirme que « dans la position de Kouropatkine n'importe quel chef doué d'esprit de décision, au lieu de se reconnaître vaincu et de battre en retraite, aurait fait donner une salve de triomphe et aurait contraint l'histoire à lui attribuer les palmes de la victoire ».
    2° La deuxième bataille importante se déroula sur la rivière Chakhei [22 septembre - 4 octobre] - Le côté russe comptait 150.000 fantassins, 14.300 cavaliers et 760 pièces d'artillerie et celui des Japonais 112.000 fantassins, 4.100 cavaliers et 498 pièces d'artillerie. Dans cette bataille les pertes furent encore plus élevées et deux fois davantage chez les Russes que chez les Japonais.
    3° La troisième bataille se déroula autour de Sandepou où pourtant l'avantage numérique était totalement du côté russe qui disposait de deux fois plus d'infanterie et quatre fois plus de cavalerie [12-16 janvier 1905].
    4°La quatrième bataille importante, et qui fut une étape décisive de la guerre, tut celle de Moukden [6-25 février 1905]. Le combat fut particulièrement acharné: sur les 500.000 participants il y eut 10.000 tués et blessés.
    Une des principales causes directes des continuelles défaites russes était l'incapacité du haut commandement. Elle ne consistait pas tellement dans l'incompétence, mais dans le manque de décision et de l'inaptitude à prendre des responsabilités. Tout le système de l'armée russe non seulement ne la favorisait pas, mais combattait l'initiative qui est pourtant absolument indispensable au chef de guerre. Quant à Kouropatkine lui-même, il fut le mauvais génie de cette guerre. Sa principale particularité était une paralysie opérationnelle totale. Avec un tel défaut certaines de ses qualités réelles (intelligence, mais essentiellement tournée vers les détails, vastes connaissances, expérience de l'administration et surtout une rare capacité de travail) s'exerçaient au détriment de sa tâche car elles le poussaient à se mêler de tout et à étouffer partout la moindre initiative.
  9. L'absence de système et de réflexion ont marqué la conduite de cette guerre. C'est visible déjà dans le fait que la clique du tsar qui a provoqué la guerre a pourtant dès le début imposé une conception défensive. Voici, par exemple, Ce que Nikolaï Kouropatkine, nommé commandant des troupes, écrivait dans son rapport du 24 juin 1903 :
    « Contre le Japon nous devons nous borner à des actions de nature défensive. Bien que nos troupes sont déployées sur une ligne Moukden-Liaoyang-Khaïtchen, mais dans la première phase d'une guerre nous n'aurions pas les moyens de défendre la Mandchourie méridionale si le Japon y engageait toute son armée.
    Nous devons, comme cela s'est produit il y a deux ans, nous préparer à voir Port-Arthur coupé pendant un temps assez long ; sans exposer nos troupes à une défaite partielle, nous devons reculer en direction de Kharbin jusqu'à ce que l'arrivée des renforts nous aient affermis au point de nous rendre capables de passer à l'offensive et de défaire les Japonais.»

    Pour réaliser ce plan prudent l'armée russe devait éviter de livrer bataille dans la phase initiale de la guerre et se limiter à contenir l'ennemi, l'obligeant à perdre du temps pour déployer ses unités, à effectuer des mouvements de contournement, à remettre en état routes, ponts, cols, etc., mis hors service. Néanmoins, Kouropatkine a livré aux Japonais toute une série de sanglantes batailles. Clairement contraire au plan général ci-dessus, cette attitude résultait d'une part du propre manque de décision de Kouropatkine et, d'autre part, des ordres que lui donnait l'amiral Alexéev, nommé vice-roi et commandant suprême (voir la note 8 ci-dessus). Tous ces combats ont été livrés pour ainsi dire à moitié, c'est-à-dire qu'ils étaient interrompus avant terme par un ordre général de battre en retraite. Cela renforça progressivement dans les troupes la conviction qu'il n'était pas nécessaire de bien se battre puisque, de toute façon, on finirait par leur donner l'ordre de battre en retraite. Ce système désastreux persista jusqu'au limogeage de Kouropatkine de son poste de commandant en chef, qui eut lieu après la bataille de Moukden. Il aboutit à démoraliser l'armée et à lui faire perdre toute capacité offensive.
  10. P. B. Struve était un des leaders politiques importants de la bourgeoisie. C'est dans l'évolution politique de Struve qu'on retrouve le plus clairement l'évolution de l'idéologie de la bourgeoisie. Au début des années 90 Struve participait activement à la lutte d'idées avec les populistes en publiant en 1894 un livre qui fit du bruit, «Remarques critiques» qui combattait le populisme à partir d'un point de vue marxiste. A cette époque déjà il posait au «marxiste critique» et appelait avec zèle à aller «s'instruire auprès du capitalisme», provoquant une critique de gauche de la part de V. I. Lénine. En 1898 Struve s'estimait encore social-démocrate et fut l'auteur du fameux manifeste du 1er congrès du parti où il eut ces mots prophétiques, disant que plus la bourgeoisie va vers l'Est, plus elle devient lâche. Une ou deux années plus tard, Struve est dejà un ennemi total du marxisme et de la social-démocratie. En matière d'économie politique, il critique la théorie de la valeur-travail, en matière de sociologie et de philosophie, il critique la dialectique matérialiste (en particulier les «sauts» révolutionnaires), en politique, il critique la position de l'«Iskra».
    Jusqu'en 1905 Struve est le leader de l'alliance des intellectuels «radicaux» avec l'aile libérale des zemstvos. La révolution le pousse encore davantage vers la droite. Pendant la réaction stolypinienne Struve élabore une base théorique pour la monarchie du 3 juin [régime instauré après la dissolution de la deuxième Douma par Stolypine et l'établissement d'une nouvelle loi électorale qui donne désormais la majorité au propriétaires terriens] et les projets impérialistes du grand capital, il milite pour l'alliance «de la science et du capital» et crache sur le passé révolutionnaire de l'intelligentzia russe. La révolution de 1917 fait immédiatement de Struve un contre-révolutionnaire. Après Octobre Struve reçoit un porte-feuille ministériel dans le gouvernement du général Wrangel. Dans ses dernières années il édite à Prague un journal réactionnaire teinté de mystique, la «Pensée russe».
  11. A la fin de décembre 1903 et au début de 1904 lors des séances du zemstvo du gouvernorat de Tver un de ses dirigeants, I. I. Petrounkevitch, proposa de demander au gouvernement, qui à ce moment étudiait la réforme de la législation paysanne, que le zemstvo soit autorisé à examiner une série de problèmes concernant le gouvernorat de Tver. Plusieurs ajouts venaient compléter cette proposition :
    l° Solliciter du gouvernement que tous les projets de lois concernant la population du gouvernorat de Tver soient d'abord soumis à l'examen des réunions du zemstvo ;
    2° Que les conclusions élaborées par le zemstvo de Tver soient transmis aux services ministériels correspondants et portés à la connaissance des rédacteurs du texte définitif ;
    3° Que ces services, lors de l'examen des projets concernant la population de Tver, invitent des représentants du zemstvo de Tver.
    Ces propositions ont été adoptés par la majorité de membres du zemstvo, mais le gouvernement, en réponse, a émis une directive disant que. l'activité du zemstvo de Tver avait depuis longtemps déjà attiré son attention «par ses actes qui ne correspondaient pas aux exigence de l'ordre public». C'est pourquoi le Sénat Régnant accorda au ministre de l'Intérieur le droit de :
    l° désigner pour les trois prochaines années les présidents et les membres du conseil des zemstvos de Tver et de Novotorjsk, après avoir supprimé les élections correspondantes ;
    2° proroger pour l'année 1904 la validité du budget du zemstvo pour le gouvernorat de Tver.
    En outre, le ministre fut habilité à interdire le séjour dans le gouvernorat de Tver des «personnes exerçant une influence nuisible sur l'assemblée du zemstvo». Pour finir, le ministre se vit confier la mise à l'écart des employés du zemstvo qui pourraient être «nuisibles à l'ordre et à la paix publiques». Le 8 novembre 1904 Nicolas Il a entériné ces décisions.
  12. Romanov, Nicolas II. Fusillé en juillet 1918 à Ekaterinbourg sur décision du Comité exécutif régional de l'Oural. Le règne de Nicolas II a été marqué par une profonde réaction, une répression cruelle contre les organisations révolutionnaires, des fusillades de masse et des assassinats. La panique sur le terre-plein de la Khodynka lors de la cérémonie de son couronnement en 1895 qui a fait quelques milliers de victimes, le Dimanche Rouge (9 janvier 1905), l'écrasement sanglant du mouvement révolutionnaire en 1906-1907, les pogromes contre le Juifs au cours de la même période, la fusillade des ouvriers de la Léna en 1912, tous ces événements justifient le surnom de «Nicolas le sanglant» que lui ont donné les masses populaires.
  13. Le 10 février 1904 Nicolas II a reçu au palais d'Hiver une députation élue par le zemstvo du gouvernorat de Petersbourg. En faisaient partie Goudovitch, le président du zemstvo, Martov, le président du Conseil du zemstvo, les membres du zemstvo le comte Sivers, le comte Bobrinsky, le baron Korf, Stasulevitch et Arseniev.
    La députation a remis à Nicolas une adresse débordante de sentiments patriotiques et de dévouement à l'égard du souverain :
    «Bienveillantissime seigneur ! La réunion extraordinaire du zemstvo du gouvernorat de Saint-Pétersbourg, convoquée en ces jours graves éprouve un sentiment profond du lien indéfectible et entier de votre dévoué zemstvos envers votre majesté impériale. Cette réunion vous apporte, aimé souverain, l'expression de son dévouement sans réserve. Destiné à veiller au besoins matériels et spirituels de la population locale, et oeuvrant, en union avec les représentants de tous les ordres, dans le domaine pacifique du bien-être du peuple, le zemstvo du gouvernorat de Saint-Petersbourg, éprouve tristesse et indignation devant l'impudent attentat perpétré par un ennemi présomptueux contre cette paix que vous protégez avec amour, il serre les rangs comme un seul home autour du père de la patrie. La grandeur de la Russie et de son monarque est inébranlable ! Que Dieu bénisse vos nobles armées, seigneur, et qu'il garde vos précieuses forces et votre santé !»
    A quoi Nicolas a répondu :
    «Je suis très reconnaissant au zemstvo du gouvernorat de Saint-Petersbourg pour l'expression de ses sentiments. Dans le moment difficile que nous traversons je trouve une grande consolation dans ces expressions unanimes de patriotisme qui m'arrivent des endroits les plus reculés de la Russie. Mettant dans l'aide divine mon espoir dans notre juste cause, je suis fermement persuadé que l'armée et la flotte feront tout ce qui sied aux nobles cohortes russes afin de préserver l'honneur et la gloire de la Russie.»
  14. Stasulevitch (né en 1826), personnalité libérale de premier rang. Rédacteur en chef pendant 42 ans (de 1866 à 1908). de la célèbre revue «Vestnik Evropy» [“Le Messager de l'Europe”]. Historien et publiciste. Candidat de l'opposition libérale en 1907 à 1'élection à la Douma d'Etat dans la première curie de Petersbourg. A transmis en 1909 la direction de «Vestnik Evropy» à Arseniev et Kovalevski. Mort en 1913.
  15. Arseniev (né en 1837), publiciste, juriste et critique. Personnalité libérale de la deuxième moitié du XIXe siècle. Collaborateur assidu de la presse bourgeoise modérée, d'abord de «Rousskie Vedomosti» [«Le Bulletin Russe»], puis de «Otetchestvennye zapiski» [«Notices de la Patrie»]. Bâtonnier du barreau de Petersbourg, a collaboré à «Vestnik Evropy» [«Le Messager de l'Europe”, ndt] dès sa parution. Rédacteur à partir de 1880 de la rubrique de politique nationale de la revue, et ensuite rédacteur en chef de la revue. Simultanément il joue un rôle important dans le mouvement des zemstvos du gouvernorat de Pétersbourg. Plusieurs fois élu conseiller dans des zemstvos d'arrondissements et de gouvernorat et a pris part aux congrès de zemstvos. Il fit partie de la délégation des écrivains et des professeurs envoyée à la veille du 9 janvier auprès de Witte et Sviatopolk-Mirski pour exiger qu'on évite de verser le sang [cf. note 29].
  16. «Rousskoïe Slovo» [«La Parole Russe»], un grand quotidien libéral paraissant à Moscou depuis 1894. Il fut dirigé par Kisselev, Aderkas, Alexandrov et quelques autres. Dorochevitch en prit plus tard la direction. Pendant la révolution de 1905 le journal a occupé une position modérée à l'extrême. Pendant la réaction il s'est rapproché des cadets. Au lendemain de la Révolution d'Octobre, corne les autres journaux contre-révolutionnaires, il fut interdit par le soviet de Moscou.
  17. «Rousskie Vedomosti» [«Le Bulletin Russe»], quotidien moscovite, créé par N. V. Pavlov et paraissant depuis 1863. Modérément libéral sur la plupart des problèmes fondamentaux. Pendant la période de réaction des années 1880-1890 il fut l'unique journal d'opposition. En 1896 il passe à Skvortsov et après la mort de celui-ci, au groupe éditorial composé de Sobolevski, Piostnikov et Anoutchine. En 1905 le journal s'en tient à une ligne modérée cadette. Au cours des années ultérieures, grâce à son opposition modérée au régime stolypinien, il eut la faveur des intellectuels bourgeois et de la petite bourgeoisie.
    Trotski en a donné la caractéristique politique en 1906.
    «Rousskie Vedomosti» est le journal du libéralisme modéré et exprime actuellement les idées du parti cadet. Dans les années 1880-1890 il resta l'unique journal oppositionnel. Dans cette période où le pouvoir fermait des dizaines d'autres journaux, vis à vis de celui-ci il n'allait pas au delà des avertissements et des fermetures provisoires.
    Le journal a acquis une réputation d'honnêteté. On sait, en effet, qu'un journal ou un homme qu'on tient pour honnête est celui qui ne se distingue ni par son intelligence, son talent ou son caractère. Par honnêteté chez «Rousskie Vedomosti» il faut entendre qu'il ne prenait pas de pots de vin des riches industriels, ne reçevait pas de subventions gouvernementales ni ne se livrait à la délation. politique. Mais on ne peut absolument pas le qualifier de journal rigoureux, fût-ce en se plaçant au point vue du libéralisme modéré.
    Sa longévité ne lui est pas tombée du ciel. Elle fut le fruit d'un recours à tous les moyens, y compris la lâcheté. Son programme consistait à exprimer en politique le libéralisme des professeurs en l'enrobant d'une rêverie populiste inoffensive en matière socio-économique. Le procédé préféré du journal consistait à déceler dans n'importe quelle initiative du pouvoir une intention libérale. De cette manière il espérait préserver son existence d'un côté, et de l'autre, amener doucement le pouvoir sur une voie libérale.
    Le représentant type de l'esprit «Rousskie Vedomosti» a été feu Djanchev qui fut l'auteur d'un livre, célèbre en son temps et plein de déférence, «L'époque des grandes réformes».
  18. «Odesskie Novosti» [«Le Bulletin d'Odessa»], quotidien paraissant depuis 1885 à Odessa. Ses dirigeants ont été Starkov, Ermans, Gertso-Vinogradski. Le journal a enrichi son titre à partir de 1893 en y ajoutant «politique, littéraire, scientifique, social et commercial». Sa direction est modérément libérale. Il s'est aligné sur le modèle des titres libéraux des capitales.
  19. «Rousskoïe Bogatstvo», mensuel, paraissant à Petersbourg depuis 1876-1877. Son créateur, rédacteur en chef et éditeur était N. Savitch. Cette revue, qui ne s'est occupé que d'économie jusqu'en 1880, s'est élargi à la littérature. En dépit de changements fréquents à sa direction, «Rousskoïe Bogatstvo» pendant toute son existence a gardé son caractère libéral-démocratique avec de perceptibles tendances populistes.
    Dans les années 1880-1890, le «Rousskoïe Bogatstvo» et «Rousskïe Vedomosti» ont été dans l'opposition et ont été les passeurs des idées de la période des années 1860-1870. C'est dans «Rousskoïe Bogatstvo» que des écrivains aussi connus que Gorki, Garchine, Veresaev, Tchirikov ou Korolenko, ainsi que d'autres ont commencé leur carrière littéraire. N. K. Mikhaïlovski et V. G. Korolenko en ont été les rédacteurs en chef. Des écrivains connus ont également fait partie du conseil de rédaction, tels que Annenski, Gornfeld, Ivantchine-Pissarev, Pechekhonov ou Yakoubovitch.
    Sur les principales questions politiques, «Rousskoïe Bogatstvo» adhérait aux idées du populisme libéral, celui qui s'est ensuite cristallisé dans le parti des socialistes populaires. Pendant la guerre mondiale le «Rousskoïe Bogatstvo» a occupé une position défensiste. Quant aux numéros de cette revue qui sont sortis après Octobre, ils étaient pleins de grommelements d'intellectuels contre le pouvoir soviétique.
  20. «Rous»[«La Russie»], grand quotidien paraissant à Pétersbourg jusqu'en 1908. Pendant la révolution de 1905, il exprimait les intérêts de la bourgeoisie libérale. Son rédacteur en chef et éditeur était A. A. Souvorine. En 1908 le journal a commencé à sortir sous le titre «Novaïa Rous» [«La Nouvelle Russie»].
  21. Petrounkevitch I. I. était l'un des dirigeants importants des zemstvos. Suite à son action trop voyante en défense des zemstvos, il a été sanctionné à plusieurs reprises par des procédures d'éloignement où il a dû séjourner d'abord dans le gouvernorat de Kostrorna, puis à Tver et Smolensk. En 1905 il prend une part très active dans tous les congrès et des zemstvos et des municipalités. Il fut désigné pour faire partie de la délégation du 6 juin qui remit une pétition au tsar exigeant qu'il convoque les représentants du peuple. Dès le jour de la création du parti cadet, Petrounkevitch en devint un membre très actif et un animateur en vue. Il fut le député du gouvernorat de Tver lors des élections à la première Douma d'Etat où, dès la première séance, il prononça un discours en faveur d'une amnistie.
  22. «Pravo» [«Le Droit»], hebdomadaire juridique paraissant à Petersbourg depuis 1899, sous la direction de Gessen et Lazarevski. Les auteurs les plus en vue y étaient les grands leaders du libéralisme : Kouzmine-Karavaev, Nabokov, Petrajitski, Troubetskoï, etc.
    Consacré au début exclusivement aux question de droit il a ensuite suivi la montée des forces sociales et s'est transformé en un hebdomadaire politique sérieux. Les articles qui eurent le plus grand impact furent ceux des princes S. et E. Troubetskoi, de Petrounkevitch et d'autres qui exigaient la convocation des représentants du peuple, une large amnistie, le suffrage universel, etc. «Pravo» était, de fait, l'organe du parti cadet et reflétait l'idéologie des milieux universitaires et intellectuels.
  23. «Nachi dni»[«Nos Jours»],, quotidien radical qui a pris la suite de «Syn Otetcbestva»[«Le Fils de la Patrie»], qui avait été interdit en novembre 1904. Son rédacteur en chef fut M. P. Nevejine et son éditeur,. S. P. Youritzyn. En décembre 1905 le journal fut interdit pour avoir publié le fameux manifeste financier du Soviet des députés ouvriers.
  24. Au début de la guerre la flotte japonaise comptait 6 cuirassés, 8 croiseurs cuirassés , 12 croiseurs légers de reconnaissance, 8 cannonières de haute mer, 2 croiseurs poseurs de mines , 19 torpilleurs d'escadre, torpilleurs d'escadre de moindre tonnage et 19 torpilleurs numérotés.
    La flotte russe disposait d'une flotte d'une puissance double de celle du Japon, mais seule l'escadre du Pacifique se trouvait en Extrême-Orient. Elle comptait 7 cuirassés, 4 croiseurs cuirassés , 7 croiseurs légers. de reconnaissance, 6 cannonières de haute mer, 2 croiseurs poseurs de mines , 12 torpilleurs d'escadre, 12 torpilleurs d'escadre de moindre tonnage, et 10 torpilleurs numérotés
    Il suffit d'un seul regard sur la carte pour comprendre l'énorme importance qui devait incomber aux forces navales dans la guerre qui allait venir. Les Japonais avaient mis en tête de leur plan d'opérations la destruction ou, a défaut, le blocus de la flotte russe. Ils envisageaient à cette fin de déclencher une attaque surprise sans déclarer formellement la guerre, ce qu'ils avaient déjà fait lors de la guerre avec la Chine en 1894.
    La réalisation de ce plan était facilitée par la dispersion de la flotte russe entre différents ports. En outre, les forces principales, basées à Port-Arthur, avaient quitté le port et pris position dès le 18 janvier dans la baie extérieure sans prendre les mesures indispensables de protection. Comme on le sait, c'est le 26 janvier que l'escadre a été attaquée par les Japonais et a perdu de nombreux bâtiments. Ainsi affaiblie, elle a dû se réfugier dans la baie intérieure et renoncer pour un temps à toute action offensive. Mettant à profit cette situation, les Japonais ont procédé au débarquement de la lre armée du Kouroki sur la côte occidentale de la Corée. L'amiral Makarov, arrivé à Port-Arthur fin février, a tenté d'insuffler un esprit plus actif à la flotte, mais il trouva la mort le 31 mars à bord du «Petropavlovsk» qui a coulé sur une mine japonaise. Après lui, la flotte est revenue à sa passivité précédente après que les amiraux Alexéev et Witgeft lui eurent donné pour tâche d'épargner ses navires en vue d'une phase ultime de la guerre. Mettant à profit la passivité de l'escadre de Port-Arthur, les Japonais ont réussi entre le 22 avril et le 10 mai à débarquer la 2e armée d'Okou sur la côte même de la Mandchourie, à 100 km à peine à l'est de Port-Arthur. Cette opération, extrêmement risquée, ne rencontra aucune réaction de la flotte russe, bien que celle-ci bénéficiât encore de l'égalité des forces en mer. Les 3e, 4e et 5e armées japonaises, elles aussi, sans rencontrer de résistance, purent débarquer sur la côte de la Mandchourie. La flote russe persisait à demeurer à couvert dans la baie intérieure de Port-Arthur, laissant l'armée de terre se débrouiller seule dans ce guêpier. Du point de vue stratégique, le maintien de la flotte dans Port-Arthur était nocive puisque la volonté de délivrer la flotte contraignait l'armée de terre à des opérations offensives limitées qui étaient contraires au plan adopté. Finalement, après sa tentative infructueuse du 28 juin de se mettre à l'abri à Vladivostok, l'escadre dut s'enfermer définitivement à Port-Arthur où elle fut détruite, laissant les équipages et l'artillerie rejoindre les forces terrestres qui défendaient la ville fortifiée.
  25. L'amiral Makarov a passé la majeure partie de son service à bord. Ayant manqué de formation initiale, il étudia tout au long de sa vie, s'intéressant aux multiples domaines du complexe métier de marin. On lui doit un grand nombre d'ouvrages sur des problèmes techniques, ainsi qu'un ouvrage plus général, «Réflexions sur la tactique navale». A la fin des années 1890, intéressé par les expéditions vers le pôle Nord, il élabora le projet qui aboutit à la construction du brise-glace «Ermak». Lors du début de la guerre avec le Japon, il était le commandant du port de Cronstadt. Prévoyant la crise de l'Extrême-Orient, il demanda instamment à y être transféré, mais sans succès. Pour la hiérarchie qui ne l'aimait guère, il passait pour un personnage turbulent et trop indépendant. Apprenant que l'escadre de Port-Arthur avait quitté la rade intérieure pour se poster à l'extérieure, il avertit le ministre de la Marine d'alors, l'amiral Avelan, de la catastrophe qui menaçait l'escadre et qui al1ait se réaliser dans la nuit du 26 au 27 janvier. Lorsque la situation fut irrémédiablement compromise Makarov fut nommé à la tête de la flotte de l'Extrême-orient. Arrivé à Port-Arthur le 24 février, il trouva l'escadre affaiblie matériellement, «sans qu'aucune perte ait été infligée à l'ennemi», et ce qui était encore pire, dans un état moral déprimé. L'encadrement manquait de la formation tactique indispensable et même de la simple aptitude à manœuvrer en formation multiple, ce qui fut la cause de ce que chaque sortie en mer de l'escadre aboutissait à des accidents. Sur un fond aussi terne la figure de l'amiral Makarov apparaissait d'autant plus proéminente. Makarov périt le 31 mars sur le cuirassé «Petropavlovsk» qui coula sur une mine japonaise.
  26. Toutes ces défaites sur terre ont eu lieu entre avril et septembre 1904. La première d'entr'elles se produisit lors du combat à Turenchen (18 avril 1904) où les Russes ont dû céder une ligne de défense solide Sun le fleuve Yalu. La bataille de Tsinjow se produisit le 13 mai 1904. Les Japonais, après s'être emparés de l'isthme de Tsinjow, se sont ouvert l'accès à la presqu'île de Kwantoung, ont pris Port-Dalny [anciennement Dairen, aujourd'bui Dalian] et en ont fait la base de leurs armées qui assiégeaient Port-Arthur, comme de celles qui avancaient vers le Nord le long de la ligne de chemin de fer. La troisième bataille fut celle de Wafangow (1 et 2 juin 1904) dont l'objectif avait été de lancer une offensive afin d'empêcher le Japonais de mettre le siège devant Port-Arthur, mais qui se termina par une complète débâcle. te résultat de la bataille suivante, celle de Tachitchao (10 et 11.juillet 1904) fut l'abandon de cette localité et la perte de l'embranchement ferroviaire vers Inkow. La bataille de Liaoliang (17-22 août 1904) eut une suite décisive. Cette localité était le centre de l'armée russe en Mandchourie et une attention spéciale avait été attachée à sa mise en défense dès le début de la guerre. L'abandon de cette localité infligea donc un coup décisif sur le moral de l'armée russe. L'échec de l'offensive sur Chakhé (22 septembre-4 octobre) bien que n'occasionnant pas de. pertes notables cassa définitivement le moral de l'armée Russe car quelques jours avant l'offensive Kouropatkine dans son vaniteux ordre du jour du 19 septembre avait proclamé: «Le moment est venu pour que nous obligions la Japonais à se plier à notre volonté car les forces de notre armée de Mandchourie sont désormais suffisantes pour passer à l'offensive.»
  27. Plehve (1846-1904) a commencé sa carrière au ministère de la Justice. Son travail au tribunal de Petersbourg dans les années 1870 était étroitement lié à la lutte contre le mouvement révolutionnaire. Il eut plusieurs fois l'occasion de faire des rapports personnels au tsar Alexandre II au sujet des crimes politiques (c'est lui qui fit le rapport sur l'explosion au Palais d'Hiver). En 1881 au moment de l'écrasement du parti « Volonté du Peuple », il fut nommé à la tête de la police d'Etat et entra au sein de la commission du secrétaire d'Etat Kakhanov chargée de rédiger les règlements de la Défense de l'Etat [Okhrana]. En 1884 nommé sénateur, il devint ministre adjoint de l'Intérieur. Nommé secrétaire d'Etat en 1896, il reçut en 1899 le portefeuille de ministre-secrétaire d'Etat pour la Finlande. Après l'assassinat de Sipiaguine (4 avril 1902) Plehve reçut le portefeuille de l'Intérieur et entra dans l'entourage immédiat de Nicolas II. C'est lui qui fut le premier organisateur des pogromes anti-juifs et se spécialisa dans la traque et les provocations anti-ouvrières. Il mit tous ses efforts pour mettre sur pied le socialisme policier et contribua largement à l'épanouissement de la zoubatovchtina [Zoubatov, chef de l'Okhrana pour Moscou, fut le créateur du mouvement des syndicats ouvriers légaux contrôlés. par la police afin de contrer les organisations ouvrières révolutionnaires]. Dans la lutte contre le mouvement révolutionnaire, il se singularisa corne un partisan du recours aux méthodes les plus extrêmes. La guerre à la subversion était le moteur de son action. C'est lui qui écrasa les troubles agraires dans les gouvernorats de Poltava et de Kharkov et lança les enquêtes administratives contre les zemstvos des gouvernorats de Moscou, Viatka, Koursk, etc., et fit fermer. le comité d'encouragement de Voronèje aux industries agro-alimentaires. Il fit preuve d'un attentisme criminel lors des pogromes de Kichinev. Il avait été un partisan résolu de la guerre contre le Japon, dans laquelle il voyait un moyen de détourner les masses de la politique. Il fut tué le 5 juillet 1904 par le socialiste-révolutionnaire Sozonov qui lança une bombe dans sa calèche. Cet assassinat avait été préparé par le parti socialiste-révolutionnaire avec la participation active de l'ingénieur Azev, un agent-double que Plehve lui-même, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, avait implanté dans l'organisation socialiste-révolutionnaire. Plehve avait non seulement suscité la haine chez les révolutionnaires, mais aussi une hostilité marquée chez les membres. de la «bonne société» libérale.
  28. Le général P. D. Sviatopolk-Mirski, après avoir été gouverneur à Penza et à Ekaterinoslav, fut nommé en 1900 ministre-adjoint de l'Intérieur sous Sipiaguine, et reçut le commandement d'un corps spécial de gendarmerie. En 1902 lors de la nomination de Plehve à l'Intérieur, Sviatopolk-Mirski, en froid avec le ministre, préféra partir à Vilna en qualité de gouverneur-général. Après l'assassinat de Plehve, il fut nommé ministre de l'Intérieur (26 août 1904). Cette nomination fut saluée par les libéraux comme le symptôme du choix décisif d'une politique nouvelle de la part du gouvernement. L'«Iskra» a défini en son temps le ministère Sviatopolk-Mirski comme le «ministère des sourires». Lors de sa rencontre avec les dirigeants de son ministère le 16 septembre 1904, Sviatopolk-Mirski prononça un discours où il promettait de traiter avec confiance les institutions des ordres sociaux et la population en général. Ce discours fut le prétexte pour appeler l'époque de Sviatopolk-Mirski l'époque du «printemps» et de la «confiance». Le ministre a formulé son programme de façon fort vague : il était, disait-il, l'ami de la presse et de la liberté, pour autant qu'elles ne rentrent pas en conflit avec les bases du régime existant. La politique de répression connut une certaine retenue pendant son ministère et les arrestations politiques se firent plus rares. Néanmoins, à la veille du 9 janvier il refusa de recevoir une délégation de professeurs et d'écrivains qui avaient voulu le rencontrer pour lui demander d'éviter toute effusion de sang. Il fut limogé le 18 janvier 1905.
  29. Le prince dont il est question est Sviatopolk-Mirski, le ministre de l'Intérieur.
  30. «Grajdanine» [«Le Citoyen»], hebdomadaire utilisant le format du quotidien et paraissant depuis 1875 sous la direction du prince. V. P. Mechterski. En 1887 il devient quotidien Ses directeurs de publication ont été successivement Gradovski, Dostoïevski, Poutskievitch et, finalement, le prince Mechterski lui-même, puis en 1893 Filipeous. Occupant au début une position conservatrice modérée, le journal a épousé progressivement des idées de plus en plus réactionnaires, devenant l'organe littéraire de la réaction nobiliaire des années 1880-1890. En 1905 et plus tard il a ouvert largement ses colonnes à une traque quotidienne et systématique de la démocratie révolutionnaire. Le journal se présentait lui-meme comme le porte-parole des nobles et menait une agitation cent-noire éhontée.
  31. «Moskovskié Vedomosti» [«Le Bulletin de Moscou»], journal de la réaction extrême, dirigée au début par le célèbre Katkov. Il tranchait sur les autres journaux réactionnaires par son audace et par son esprit de suite. Ses slogans systématiques étaient: orthodoxie, autocratie, tradition nationale. En 1905 il devint l'organe officiel du parti monarchiste et appela ouvertement au pogrome des ouvriers révolutionnaires, des intellectuels et des juifs.