Au tournant (1917)

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La révolution russe, dans sa première étape, transmit le pouvoir à la bourgeoisie impérialiste et créa, à côté du gouvernement de cette dernière, les Soviets de députés, dans lesquels la majorité appartenait à la démocratie petite-bourgeoise. La deuxième étape de la révolution (le 6 mai) écarta formellement du pouvoir les représentants francs et cyniques de l'impérialisme, Milioukov et Goutchkov, et transforma pratiquement les partis de la majorité des Soviets en partis gouvernementaux. Notre parti demeura, après le 6 mai comme auparavant, une minorité d'opposition. C'était inévitable ; nous sommes, en effet, le parti du prolétariat socialiste, qui se place sur le terrain de l'internationalisme. Le prolétariat socialiste, ayant adopté pendant la guerre impérialiste une attitude internationaliste, ne peut pas ne pas demeurer dans l'opposition vis-à-vis de tout pouvoir qui fait cette guerre, qu'il soit monarchiste, républicain ou «socialiste» jusqu'aubouliste. Et le parti du prolétariat socialiste réunira inévitablement autour de lui des masses grandissantes de la population ruinée par la guerre qui se prolonge, population qui perd confiance dans les «socialistes» attachés au service de l'impérialisme, de même qu'elle cessa auparavant d'avoir confiance dans les impérialistes avérés. Aussi la lutte contre notre parti a-t-elle commencé dès les premiers jours de la révolution. Et, quelque viles et écœurante que soient les formes revêtues par l'action de MM. les cadets et des adeptes de Plékhanov contre le parti du prolétariat, le fond en est clair. C'est la même lutte que les impérialistes et les adeptes de Scheidemann ont déjà menée contre Liebknecht et F. Adler (qui furent tous deux traités de « fous » dans l'organe central des « socialistes » allemands, pour ne point parler de la presse bourgeoise qui qualifia tout simplement ces camarades de « traîtres » travaillant pour le compte de l'Angleterre). C'est la lutte de toute la société bourgeoise, la démocratie petite-bourgeoise y comprise, si r-r-révolutionnaire soit-elle, contre le prolétariat socialiste internationaliste.

Cette lutte en est arrivée en Russie à un tel degré d'acuité que les impérialistes tentent, par l'intermédiaire des chefs de la démocratie petite-bourgeoise, les Tsérétéli, les Tchernov, etc., d'en finir d'un seul coup brutal et décisif avec la force grandissante du parti prolétarien. Et le ministre Tsérétéli a trouvé dans le procédé maintes lois employé par les contre-révolutions, dans l'accusation de complot, le prétexte de ce coup décisif. Ce n'est qu'un prétexte. Il s'agit, en fait, pour la démocratie petite-bourgeoise à la remorque des impérialistes russes et alliés, d'en finir une fois pour toutes avec les socialistes internationalistes. Elle croit venu le moment de frapper. Agitée, effrayée, elle s'est décidée sous la férule de ses maîtres : maintenant ou jamais !

Le prolétariat socialiste et notre parti ont besoin de tout leur sang-froid, du maximum de fermeté et de vigilance : que les futurs Cavaignac[1] commencent les premiers ! Notre conférence a déjà annoncé leur venue. Le prolétariat de Pétrograd ne leur permettra pas d'éluder les responsabilités. Il attendra, accumulant des forces et se préparant à la riposte, le jour où ces messieurs se décideront à passer des paroles aux actes.

  1. Cavaignac Louis-Eugène, général français, après la révolution de février 1848 ministre de la Guerre dans le Gouvernement provisoire ; pendant les journées de juin 1848, dirigea la répression de l'insurrection des ouvriers parisiens. [N.E.]