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Special pages :
Algérie (New American Cyclopaedia)
Auteur·e(s) | Karl Marx Friedrich Engels |
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Écriture | janvier 1858 |
Publié en français dans la revue IVème Internationale de février 1964.
Cet article a été publié dans la revue IVème Internationale de février 1964, avec les articles Bugeaud et Abd El Kader, précédé du texte suivant :
Des inédits en français de K. MARX et F. ENGELS sur la conquête de l'Algérie par l'impérialisme français.
Nous publions, pour la première fois en français, trois textes de Marx et d'Engels relatifs à la conquête de l'Algérie par la France. Ces textes font partie des articles rédigés par les deux fondateurs du marxisme pour la New American Cyclopedia, encyclopédie populaire éditée aux Etats-Unis par Charles A. Dana et Georges Ripley et à laquelle Marx et Engels collaborèrent en 1858.
En fait, ce fut Marx seul qui reçut la commission de rédiger une série d'articles pour le volume I-IV de la New American Cyclopedia, qui parurent entre 1858 et 1865. Mais, pour aider son ami et lui permettre de consacrer le maximum de son temps à la préparation du Capital (Marx venait d'achever les Grundrisse der Kritik der politischen Okonomie et commençait la rédaction de Zur Kritik der politischen Ekonomie, dont l'introduction allait devenir en quelque sorte la formulation classique de la théorie du matérialisme historique), Engels prit sur lui de rédiger plusieurs articles, surtout ceux ayant trait aux problèmes militaires. En général, il envoya également de la documentation à Marx pour faciliter la rédaction des articles écrits par celui-ci.
Bien que ce travail fut rapidement achevé et qu'il constitue en partie un travail de compulsation de dictionnaires, de nombreux passages reflètent la profondeur de la pensée de Marx et d'Engels, et leur jugement très sûr concernant un grand nombre de sujets. L'article Army rédigé par Engels pour le volume I de la New American Cyclopedia constitue un véritable raccourci d'une histoire militaire universelle et de l'influence que l'évolution sociale et économique exerça sur l'évolution de l'art militaire.
Les articles de la New American Cyclopaedia ne sont pas signés. L'identification d'un certain nombre d'entre eux a donné lieu à des controverses, d'autant plus que les directeurs de l'Encyclopédie n'hésitaient pas à modifier, à ajouter ou retrancher aux textes que leur envoyaient les collaborateurs auxquels ils faisaient appel, y compris Marx et Engels.
Controversé est notamment le cas de l'article Abd el Kader. Maximilien Rubel (Bibliographie des Oeuvres de Karl Marx. Librairie Marcel Rivière & Cie. Paris 1956, p. 137) l'attribue à Frédéric Engels, et plusieurs lettres échangées entre les deux amis semblent confirmer cette paternité. Cependant, la revue Voprossi Istorii KPSS (Questions d'Histoire du P.C.U.S., 1958, p. 192) conteste cette paternité et l'attribue à W. Hamfris.
La nouvelle édition des Œuvres Complètes de Marx-Engels, par l'Institut du Marxisme-Léninisme de Moscou — édition suivie fidèlement par les Gesammelte Werke K Marx-Fr. Engels en langue allemande chez Dietz-Verlag, à Berlin-Est, reproduit dans son volume 14 les articles de Marx et d'Engels publiés dans la New American Cyclopedia. L'article Algérie y est dit avoir paru dans le tome I de l'encyclopédie américaine, l'article Bugeaud dans le tome II. L'article Abd el Kader ne fait pas partie de cette édition.
Néanmoins, nous croyons utile de reproduire ici également l'article Abd el Kader, surtout parce qu'il exprime de manière saisissante l'admiration que les fondateurs du marxisme ressentirent en tout cas pour l'indomptable courage des résistants algériens à la conquête française, admiration qui s'exprime par ailleurs également dans les articles Algérie et Bugeaud de la Piconnerie.
En ce qui concerne l'article Algérie, nous en reproduisons seulement la deuxième partie, relative à la conquête française. La première partie, qui a trait à la géographie et à l'histoire algérienne avant la conquête française, est visiblement une compilation d'autres encyclopédies courantes à l'époque, et contient des jugements sur la « piraterie barbare » et les « exactions anarchiques », qui ne sont point conformes à l'esprit avec lequel Marx traita les relations entre les puissances d'Europe et les puissances d'Asie et Afrique aux siècles passés.
De la première occupation de l'Algérie par les Français jusqu'à nos jours, ce pays malheureux a été l'arène de violence, de rapines et de carnages incessants. Chaque ville, grande ou petite, a été conquise en détail et au prix d'un immense sacrifice de vies humaines. Les tribus arabes et kabyles, pour qui l'indépendance est chose précieuse, et la haine de la domination étrangère un principe plus cher que la vie elle-même, ont été écrasées par les terribles razzias qui brûlèrent et détruisirent demeures et propriétés, abattirent les récoltes, massacrèrent les malheureux ou les soumirent à toutes les horreurs de la brutalité et de la concupiscence. Les Français, contre tous les préceptes d'humanité, de civilisation et de chrétienté persistent dans ce système de guerre barbare. Comme circonstances atténuantes, ils allèguent que les Kabyles sont féroces, s'adonnent au meurtre, torturent leurs prisonniers, et qu'avec des sauvages l'indulgence est une erreur. On peut toutefois mettre en doute la politique d'un gouvernement civilisé qui a recours à la loi du talion.
Et si l'on doit juger de l'arbre par ses fruits, après une dépense d'environ cent millions de dollars et le sacrifice de centaines de milliers de vies humaines, tout ce que l'on peut dire de l'Algérie, c'est que c'est une école de guerre pour les soldats et généraux français, dans laquelle tous les officiers français qui remportèrent des lauriers dans la guerre de Crimée, reçurent leur éducation et leur entraînement militaire. Comme tentative de colonisation, le nombre des Européens comparé à celui des indigènes se révèle un échec presque complet ; et c'est pourtant un des pays les plus fertiles du monde, l'ancien grenier de l'Italie, à vingt heures de trajet de la France, où il manque seulement (face aux militaires amis comme face aux sauvages ennemis) la sécurité pour la vie et la propriété. Que cet échec soit imputable à un défaut inhérent au caractère français qui les rendrait inapte à l'émigration, ou à une administration locale peu judicieuse, il n'est pas de notre ressort d'en discuter. Chaque ville importante, Constantine, Bône, Bougie, Arzew, Mostaganem, Tlemcen fut emportée dans un assaut avec toutes ses horreurs. Les indigènes s'étaient soumis de mauvaise grâce à leurs maîtres turcs, qui avaient au moins le mérite d'être des coreligionnaires ; mais ils ne trouvèrent aucun avantage dans la prétendue civilisation du nouveau gouvernement, contre lequel ils avaient, en plus, toute la répugnance du fanatisme religieux. Chaque gouverneur ne venait que pour renouveler les violences du précédent ; des proclamations annonçaient les intentions les plus aimables, mais l'armée d'occupation, les manoeuvres militaires, les terribles cruautés pratiquées de part et d'autre, tout réfutait les professions de paix et de bonne volonté. En 1831, le baron Pichon avait été nommé intendant civil, et il s'efforça d'organiser un système d'administration civile qui suivrait le gouvernement militaire dans ses déplacements, mais le contrôle que ses mesures auraient exercé sur le gouverneur en chef offensèrent Savary, duc de Rovigo, ancien ministre de la police de Napoléon, et sur ses instances, on rappela Pichon. Sous Savary, l'Algérie devint l'exil de tous ceux dont la conduite sociale et politique les avaient mis sous le coup de la loi ; et une légion étrangère, dont les soldats avaient interdiction d'entrer dans les villes, fut introduite en Algérie. En 1833, une pétition fut présentée à la Chambre des députés, déclarant :
« Depuis trois ans nous avons souffert toutes les injustices possibles. Chaque fois que l'on adresse des plaintes aux autorités, on n'y répond que par de nouvelles atrocités dirigées particulièrement contre ceux qui ont émis ces plaintes. De ce fait, personne n'ose bouger, c'est pourquoi il n'y a aucune signature au bas de cette pétition. Messieurs, nous vous supplions, au nom de l'humanité, de nous délivrer de cette écrasante tyrannie, de nous racheter pour nous enlever au joug de cet esclavage. Si la terre doit être soumise à la loi martiale, s'il ne doit pas y avoir de pouvoir civil, nous sommes perdus, il n'y aura jamais de paix pour nous. »
Cette pétition amena la création d'une commission d'enquête, ce qui eut pour conséquence l'établissement d'une administration civile. A la mort de Savary, sous l'autorité intérimaire du général Voirol, on commença à prendre certaines mesures calculées dans le but d'apaiser l'irritation ; l'assèchement des marais, l'amélioration des routes, l'organisation d'une milice indigène. Cependant, tout ceci fut abandonné au retour du maréchal Clauzel qui entreprit une première et très malheureuse expédition contre Constantine. Son gouvernement donna si peu satisfaction, qu'une pétition demandant enquête sur ses abus, signée par cinquante-quatre personnalités liées à la province, fut envoyée à Paris en 1836. Ceci amena en fin de compte, la démission de Clauzel. Durant tout le règne de Louis- Philippe on essaya de coloniser, en fait on n'aboutit qu'à des spéculations ; à la colonisation militaire, qui était inutile, car les cultivateurs n'étaient pas en sécurité lorsqu'ils se trouvaient loin des canons de leurs propres blockhaus ; à des tentatives de coloniser l'Est de l'Algérie et de chasser Abd el Kader d'Oran et de l'Ouest.
La chute de ce chef intrépide pacifia le pays, si bien que la grande tribu des Hamianes Garabas fit aussitôt sa soumission. A la Révolution de 1848, le général Cavaignac fut nommé pour relever le duc d'Aumale comme gouverneur de la province, ce dernier se retira alors, ainsi que le prince de Joinville qui se trouvait aussi en Algérie. Mais la République n'eut pas plus de chance que la monarchie dans l'administration de cette province. Plusieurs gouverneurs se succédèrent durant sa brève existence. On envoya des colons pour cultiver les terres, mais ils moururent ou quittèrent, dégoûtés. En 1849, le général Pélissier attaqua plusieurs tribus et les villages des Beni Sillem ; leurs récoltes et toute propriété accessible furent brûlées comme d'habitude, parce qu'ils refusaient de payer le tribut. A Zaab, région fertile à la frontière du désert, à la suite du sermon d'un marabout, qui produisit une vive agitation, on envoya une armée de 1.200 hommes ; mais les habitants réussirent à les mettre en échec, et on découvrit que la révolte qui était très étendue était fomentée par des associations secrètes appelées les Sidi Abderrahman, dont le but principal était l'élimination des Français. Les rebelles ne furent réprimés que lorsqu'une expédition conduite par les généraux Canrobert et Herbillon fut dirigée contre eux.
Et le siège de Zoatcha, une ville arabe, prouvait que les indigènes n'avaient ni perdu courage, ni ne s'étaient pris d'affection pour leurs envahisseurs. La ville résista aux efforts de leurs assiégeants pendant cinquante et un jours et fut enfin prise d'assaut. La Petite Kabylie ne se rendit pas avant 1851, lorsque le général Saint-Arnaud la soumit et établit ainsi une ligne de communication entre Philippeville et Constantine. Les bulletins et les journaux français abondent en déclarations sur la paix et la prospérité de l'Algérie. Ce sont des hommages à la vanité nationale. Le pays est encore plus instable que jamais à l'intérieur. La suprématie française est parfaitement illusoire sauf sur la côte et près des villes. Les tribus affirment encore leur indépendance et leur horreur du régime français, et le système atroce des razzias n'est pas abandonné, car en 1857 une razzia réussie fut effectuée par le maréchal Randon sur les villages et les demeures des Kabyles jusqu'alors insoumis, pour ajouter leur territoire aux domaines français. Les indigènes sont encore gouvernés par une poigne de fer et les émeutes incessantes montrent le maintien incertain de l'occupation française, et la fragilité d'une paix ainsi maintenue.
En fait, un procès qui eut lieu à Oran en août 1857 dans lequel le capitaine Doineau, directeur du " Bureau arabe " fut reconnu coupable du meurtre d'un important et riche indigène, révéla ainsi une pratique habituelle, chez les Français, même de rang inférieur, fonctionnaires du pouvoir le plus cruel et le plus despotique, ce qui fort justement attira l'attention de l'opinion mondiale. Actuellement, le gouvernement est divisé en trois provinces. Celle de Constantine à l'est, celle d'Alger au centre, et celle d'Oran à l'ouest. Le pays est sous le contrôle du gouverneur général, qui est aussi commandant en chef, assisté d'un secrétaire, intendant civil, et d'un Conseil composé du directeur de l'Intérieur, du commandant de la marine, de l'intendant militaire, et d'un procureur général, dont le travail consiste à entériner les actes du gouverneur, le Conseil des contentieux, à Alger prend connaissance des délits civils et criminels. Les provinces où a été organisée une administration civile ont des maires, des juges et des commissaires de police. Les tribus indigènes vivant dans la religion musulmane ont encore leurs cadis ; mais on a établi un système d'arbitrage entre elles dont on dit qu'ils le préfèrent, et un officier (l'avocat des Arabes) est spécialement chargé de défendre les intérêts arabes devant les tribunaux français.
Depuis l'occupation française, on affirme que le commerce s'est considérablement accru. Les importations sont évaluées à 22 millions de dollars, les exportations à 3 millions. Les importations sont : le coton, les lainages, la soie, les soieries, le grain et la farine, le citron, le sucre raffiné ; les exportations sont le corail brut, les peaux, le froment, l'huile, la laine et d'autres matières de moindre importance.