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“Le problème et la solution”
Le problème que le socialisme a pour mission de résoudre réside tout entier dans un fait , dont on peut dire comme du soleil : « Aveugle qui ne le voit point. » C’est la séparation intervenue entre les moyens de production ou du travail et les producteurs ou travailleurs .
Ni les mines ne sont aux mains des « ouvriers du dessous » qui les mettent en valeur au péril quotidien de leur vie ; ni les chemins de fer n’appartiennent à ceux qu’on a pu appeler les serfs de la voie ferrée ; ni les tissages, filatures, hauts fourneaux, scieries mécaniques, etc., ne sont à un titre quelconque la propriété du personnel qui les exploite.
Et le développement économique de la société bourgeoise tend à généraliser cet état de choses en détruisant naturellement et nécessairement la petite industrie, basée sur la possession de ses moyens de production par le travailleur.
Après l’industrie proprement dite, c’est le commerce, c’est l’agriculture qui, sur l’expropriation du petit boutiquier et du paysan cultivateur, s’organisent en grand, monopolisés par des non-travaillants.
De plus en plus le travail est d’un côté, fourni par une classe ; la propriété ou le capital, d’un autre côté, détenu par une autre classe.
Ici, travailleurs sans propriété – ou prolétariat . Là, propriété sans travail – ou capitaliste .
C’est dans ce divorce entre les deux facteurs de toute production que découlent tous les maux, tous les désordres qui affligent non seulement les travailleurs transformés en salariés, mais la société entière.
Les travailleurs sans propriété sont exclus de leurs produits, des richesses qu’ils créent – et qui vont s’accumulant aux mains des détenteurs des moyens de production, capitalistes et grands propriétaires terriens.
Le travail, qui ne fait qu’un avec le travailleur, dont il est inséparable, n’est plus, en effet, qu’une marchandise soumise aux lois qui règlent le prix des marchandises, et le ramènent, à travers les oscillations de l’offre et de la demande, à leurs frais de production ou de reproduction. Or les frais de production ou de reproduction du travail, ce sont la nourriture, l’entretien du travailleur. Et ils tendent toujours à baisser parce que, pour l’emporter sur le marché, les fabricants, eussent-ils le cœur d’un Vincent de Paul ou d’une Louise Michel, sont contraints de réduire au minimum leur prix de revient, lequel comprend les prix de main-d’œuvre.
Il y a donc tendance universelle et forcée à réduire au plus bas les salaires ouvriers. Et cette loi tendancielle suffit à briser toutes les bonnes intentions ou volontés des employeurs, prisonniers de l’ordre social dont ils bénéficient.
Une autre cause pour laquelle les salaires – quelle que soit la productivité du travail humain – ne sauraient s’élever au-dessus des besoins immédiats des salariés, c’est que l’offre du travail tend de plus en plus à dépasser la demande.
L’augmentation de l’offre du travail résulte fatalement de l’afflux dans le prolétariat des expropriés de la petite industrie, du petit commerce et de la vente de leurs bras.
La diminution de la demande du travail résulte non moins fatalement du machinisme et de son extension. La force non humaine de travail (vapeur, électricité, etc.) remplace de plus en plus et rend de plus en plus inutile la force humaine de travail. C’est même en cela que consiste exclusivement ce qu’on appelle le progrès dans l’ordre économique : « Réduire sans cesse la somme de travail humain nécessaire à une production donnée. »
Les économistes prétendent, il est vrai, que cette réduction du champ de travail humain – seul moyen d’existence d’une classe – ne serait que provisoire. Par suite du meilleur marché, le produit, plus demandé, entraînerait une augmentation de la production et une nouvelle demande de bras. Mais les économistes pourraient aussi bien raconter que la fabrication mécanique des cercueils multipliera le besoin de cercueils. La production mécanique des bouteilles ou des tonneaux n’est-elle pas limité par la production du vin, de la bière, etc. ; celle des rails ou des chaudières par le nombre des usines ou le développement des transports ? D’autre part, ni la mécanique agricole (charrues à vapeur, semeuses, moissonneuses, batteuses), ni les grues de déchargement dans les ports ne multiplient les produits ; elles suppriment simplement de la main-d’œuvre. Mais même dans les industries où le machinisme s’est traduit par une multiplication prodigieuse des produits fabriqués, la demande de travail a diminué. Exemple : l’industrie cotonnière en Angleterre, dont la productivité s’est accrue de 1.231 p. 100 de 1819-22 à 1880-82, alors que les bras employés tombaient de 1/37 de la population (445.000 sur une population de 16.500.000) à 1/50 (686.000 sur 34 millions). Autre exemple : l’industrie de la chaussure aux Etats-Unis, portée de 70 millions de paires en 1845 à 448 millions en 1875, alors que les travailleurs qui en vivent sont tombés de 1/414 (45.900 sur 18 millions d’habitants) à 1/1.145 (48.000 sur 55 millions).
En régime de non-possession par les travailleurs de l’instrument de leur travail, tous les progrès, de quelque nature qu’ils soient, se retournement contre eux pour accroître leur misère, leur servitude, l’insécurité de leur existence, pour tout dire, en en mot, leur exploitation.
Je parlais tout à l’heure de la machine. Est-ce que, actionnée par la vapeur, elle n’aurait pas dû décharger l’humanité laborieuse de l’effort, de la peine, l’affranchir ? Elle a, au contraire, aggravé ses travaux forcés en les étendant de l’ouvrier à la femme, transformée en ouvrière, et à l’enfant. Du moment qu’elle permettait l’emploi des bras féminins et enfantins, il a fallu que la femme entrât dans l’usine, y laissant sa santé, sa dignité, la race même compromise, atteinte dans sa source, en plein ventre maternel. L’effet de cette concurrence déchaînée entre les divers membres de la famille ouvrière a encore été un avilissement de la main-d’œuvre. Car la légende du bien-être familial ainsi augmenté ne tient pas debout, même devant un Jules Simon. Quand la femme et l’enfant n’étaient pas industrialisés, le salaire de l’homme devait forcément être assez élevé pour suffire à l’entretien de tous. Aujourd’hui pour le même prix qu’il lui fallait payer la force-travail de l’homme, l’employeur achète la triple force-travail de l’homme, de la femme et de l’enfant.
La découverte du gaz, cette création, de main humaine, d’un soleil de nuit pour prolonger et compléter l’autre, n’a pas été moins néfaste que la machine à la classe ouvrière. Elle a donné lieu au travail de nuit, à l’abattoir du travail de nuit.
Et l’instruction que l’on répand – et à laquelle nous sommes les premiers à applaudir comme à un nouvel élément de destruction de la société actuelle – de quelle conséquence croit-on qu’elle va être pour le prolétariat tant que durera cette société ? En perfectionnant l’outillage humain, qui produira plus et mieux, elle créera de nouveaux chômages, de plus longues mortes-saisons. Un ouvrier instruit suffira là où deux ouvriers, ignorants, étaient nécessaires – et occupés.
On parle beaucoup depuis quelque temps de la participation aux bénéfices dans laquelle des Dupuy après des Waldeck-Rousseau s’obstinent à voir une panacée, la réconciliation du travail et du capital. Fût-elle applicable, la participation ne ferait que transporter la lutte sur le terrain des bénéfices à partager. Mais, sans insister sur ce point, en intéressant l’ouvrier à produire le plus possible, elle lui ferait faire en deux jours le travail de trois, n’aboutissant, par suite, qu’à multiplier les jours, déjà trop nombreux, de chômage ou de non-salaire.
A l’enfer, dans lequel s’agite la classe productrice dépossédée de ses moyens de production, il n’y a pas d’issue. C’est le lasciate ogni speranza du Dante.
Les conséquences sociales de la rupture, toujours plus complète, entre le travail et le capital, ne sont pas moins épouvantables.
C’est d’abord la guerre de tous contre tous.
Il est de mode, parmi les adversaires – par ignorance ou par calcul – du socialisme, de lui imputer à crime la lutte de classes. Comme si nous l’avions inventée. Nous ne faisons que la constater et la faire servir, qui mieux est, à sa propre fin. De même que, pour combattre la maladie, la première condition qui s’impose au médecin, c’est de la reconnaître.
Ce n’est pas en fermant les yeux sur la guerre qui divise et épuise l’humanité que l’on arrivera à la paix désirée.
Cette guerre de tous les instants est triple :
- Guerre entre les prolétaires et les capitalistes pour le partage du produit, en salaires ici, en profits là, que des deux côtés on s’efforce de porter au maximum ;
- Guerre entre prolétaires et prolétaires pour le partage des salaires ;
- Guerre entre capitalistes et capitalistes pour le partage des profits.
Homo homini lupus . L’homme est devenu un loup pour l’homme. Et cela fatalement. Il s’agit de manger son semblable ou d’en être mangé.
D’autre part, toutes les merveilles du génie humain, toutes ses conquêtes sur la nature, dont j’indiquais plus hauts les résultats homicides pour la classe ouvrière, n’atteignent pas moins mortellement les autres classes de la société. Les couleurs de l’aniline, extraites de la houille, ont ruiné les départements qui vivaient de la culture de la garance. Que demain, comme on l’annonçait tout récemment, on ait réellement trouvé le moyen de fabriquer directement la fonte par l’électricité, et les hauts fourneaux éteints ne laisseront aux millionnaires d’hier que les yeux pour pleurer. Toutes les découvertes sont condamnées à ne s’opérer qu’à coup de révolutions, laissant derrière elles des victimes par milliers, en haut comme en bas de l’échelle sociale.
C’est, selon l’admirable expression du programme de la Démocratie socialiste allemande, l’insécurité générale devenue la condition normale de la société .
Que dire, enfin, des crises de surproduction qui vont se multipliant et s’intensifiant, et que rien ne saurait conjurer ? Pour atténuer ces crises, nées de l’écart toujours croissant entre l’illimitation de la productivité du travail humain et la limite posée par le salariat à la rétribution ou à la consommation des travailleurs, on a eu, lorsque l’industrie était encore restreinte à un pays ou à deux, les débouchés fournis à l’exportation par la partie demeurée agricole (Italie, Allemagne, etc.). Aujourd’hui que, devenues à leur tour industrielles, ces dernières nations arrivent, elles aussi, à surproduire, c’est à l’Afrique, à l’Asie, que l’on est obligé de s’adresser pour l’écoulement de ce trop-plein de marchandises. C’est la politique coloniale, ce sont les guerres coloniales à l’ordre du jour de tous les gouvernements. Mais après ? On n’aura reculé que pour mieux sauter.
De plus en plus, en attendant, la société capitaliste est acculée à ne faire sortir d’une surabondance de richesses, de moyens de consommation et de bien-être, que misère, souffrance, ruine et mort.
La solution du problème social sort du problème sort du problème lui-même tel que le posent les phénomènes économiques et tel que je viens de les exposer sommairement. Puisque le mal des maux consiste dans la division de plus en plus générale des deux facteurs de la production, le travail et la propriété ou le capital, le remède est et ne peut être que dans leur réunion dans les mêmes mains.
Sous quelle forme opérer cette réunion libératrice ?
Ce ne peut être la forme individuelle, qu’exclut l’énormité, le géantisme de l’outillage engendré par la vapeur et l’électricité et qu’élimine le mode de travail, devenu collectif. On produit en commun, on ne peut posséder qu’en commun les moyens de produire.
En dehors d’un comte de Mun, hypnotisé par les arts et métiers du moyen âge et comptant sur un miracle pour les ressusciter, il n’y a que les anarchistes, rêvant de droits naturels et d’état de nature, pour pousser l’utopie à rebours jusqu’à préconiser le partage, l’émiettement, l’individualisation de la machinerie moderne :
Au mécanicien, la locomotive ;
Au fondeur, le cubilot.
Dit ce qui leur sert de Marseillaise .
La seule formule possible, que dis-je ? imposée par les conditions actuelles de la production et de l’échange, est la forme collective, non pas même communale ou corporative, mais sociale. Ni les mines qui s’étendent sur – ou sous – des départements entiers, ni les chemins de fer qui traversent les continents, ni les Louvre , les Bon Marché qui rayonnent par delà les frontières nationales, ne se prêtent à une communalisation . Et il en sera de plus en plus ainsi de tous les organes de production, de distribution et de transport. Par suite de la transmission de la force au moyen de l’électricité, les chutes d’eau aujourd’hui, les marées demain, vont pouvoir être converties en forces motrices mobiles. Est-ce que sans folie l’on peut s’arrêter une seule minute à l’idée de la monopolisation, j’allais dire de la confiscation, de ces puissances naturelles, devenues la condition de toute industrie, par certaines localités au détriment des autres ?
La forme corporative se heurte à d’autres impossibilités du même ordre. Toutes les deux, d’autre part et surtout, par la concurrence ou la lutte qu’elles maintiendraient entre les divers groupes producteurs – corporations ici, communes là, – entraîneraient les mêmes désastres, la même anarchie meurtrière que la forme parcellaire capitaliste de l’heure présente.
C’est unitairement, socialement, que les travailleurs, comprenant toute la nation, peuvent et doivent posséder l’ensemble des moyens de travail (mines, chemins de fer, canaux, usines, etc.) mis en œuvre socialement, unitairement. Et les éléments, à la fois matériels et intellectuels, de cette appropriation et de cette production par et pour la société – devenue une vaste et unique coopérative, « coopérative commonwealth » selon l’expression anglaise – nous sont de plus en plus fournis par l’évolution capitaliste elle-même.
Eléments matériels : la concentration industrielle, commerciale et agricole qui s’opère tous les jours et que rien ne saurait enrayer – la très grande fabrication, comme le très grand commerce et la grande culture, étant appelée à avoir raison des moyens , comme elle a eu raison des petits , tout petits capitalistes. De 1870, à 1880, alors qu’aux Etats-Unis le nombre de broches augmentait de 7.131.818 à 10.678.526 et le nombre des métiers de 157.310 à 227.156, avec une valeur accrue de 562.825.164 francs à 831.127.472, les manufactures de coton tombaient de 965 à 751. C’est la finance, avec son drainage constant de l’épargne qui se charge de précipiter cette accumulation, sous prétexte de démocratiser les capitaux.
Eléments intellectuels : la concentration dans la classe non possédante ou prolétaire de toutes les activités musculaires et cérébrales, depuis le graisseur de roues et le chauffeur jusqu’au savant à la Claude Bernard, en passant par les chimistes, les ingénieurs, les directeurs, etc. Toute l’armée du travail, hommes et cadres, constituée en dehors de la classe capitaliste, est déjà plus que campée, en plein fonctionnement, sur le patrimoine de l’humanité qu’elle est seule à exploiter – dans le sens technique du mot – et qu’il ne s’agit plus que de restituer en bloc à l’humanité, par le même procédé qui a servi à déposséder en détail cette dernière : l’expropriation.
Pas plus que les classes et leur lutte fatale, les collectivistes n’ont inventé l’expropriation, qui est la loi de tout le progrès humain.
C’est par l’expropriation de l’outil de l’artisan d’abord, de son habilité technique après, puis de son foyer domestique vidé de la femme et de l’enfant, que s’est constituée la propriété capitaliste, pour ne rien dire de l’expropriation du produit de son travail qui s’accomplit journellement par le jeu du salariat. Les expropriateurs seront à leur tour expropriés – c’est la « justice immanente » , dirait Gambetta – et ils le seront d’autant plus facilement que sous la forme actionnaire et obligataire, ils deviennent tellement étrangers à la production qu’ils peuvent disparaître du jour au lendemain sans que la production, je ne dis même pas en souffre, mais s’en aperçoive.
Cette expropriation économique – qui laissera aux expropriés le bénéfice de l’appropriation sociale – devra être précédée d’une expropriation politique par un prolétariat maître de l’Etat, agissant légalement, puisqu’il sera et fera la loi.
Il me reste à indiquer en courant, les principales conséquences de cette transformation de la propriété capitaliste en propriété sociale :
- Plus de classes, partant plus de lutte de classes. Les travailleurs sont désormais leurs propres capitalistes, ou, si l’on aime mieux, tous les membres du corps social sont à la fois, et à titre égal, copropriétaires et coproducteurs. Plus d’Etat, dans le sens oppressif du mot, l’Etat n’étant que le moyen de maintenir artificiellement, par la force, l’ordre que ne saurait réaliser naturellement une société basée sur l’antagonisme des intérêts. Le gouvernement des hommes fait place à l’administration des choses. C’est la grande paix sociale, fille de l’harmonie.
- La production marchande, de valeurs d’échange, pour la vente, en vue de profit, disparaît et est remplacée par la production coopérative de valeurs d’usage, pour la consommation, en vue des besoins sociaux à satisfaire. Au lieu du volons-nous , de l’exploitons-nous les uns les autres , l’entr’aidons-nous les uns les autres . Homo homini Deus, l’homme est un dieu pour l’homme.
- La liberté, qui n’a été qu’un mot jusqu’alors pour le plus grand nombre, devient une bonne et vivante réalité, cette liberté dont le collectivisme devait être le tombeau et qu’il créera au contraire de toutes pièces. La liberté, c’est le moyen d’accomplir sa volonté, et par suite, de satisfaire ses besoins. Ces moyens-là existent dorénavant pour tous, multipliés par la production sociale qui est, comme surproductivité, à la grande industrie ce que cette dernière a été à la petite. En même temps que l’effort à faire par chacun sera réduit au minimum.
Le temps de travail social à fournir par chacun des membres valides de la collectivité sera réduit :
- Par la suppression des mortes-saisons qui sévissent aujourd’hui sur les divers métiers de trois à six moins par an, et des chômages qui immobilisent en les affamant ouvriers et ouvrières par centaines de mille, chômages et mortes-saisons résultant de « l’état diffus des fonctions économiques que le socialisme fera passer à l’état organisé », selon la très juste définition du professeur Durkeim, de Bordeaux ;
- Par la disparition non seulement de la classe parasitaire, mais de tous les parasites qui vivent sur cette classe : en France, plus de deux millions de domestiques des deux sexes, sans compter les prostituées et les prêtres, les policiers, les juges et les soldats ;
- Par le transfert au travail utile de toutes les forces humaines et mécaniques, détournées actuellement aux travaux nuisibles (canons, fusils, torpilles, etc.) et aux travaux inutiles (de pure ostentation, de réclame ou de simple voyage des capitaux de la poche de Pierre dans la poche de Jean) ;
- Par l’utilisation de tous les efforts présentement gaspillés, perdus, anéantis, dans une concurrence effrénée ;
- Par le perfectionnement, l’automatisation de la machine, que chacun aura intérêt à poursuivre de toutes ses facultés intégralement développées, puisque ce sera autant de loisirs ou de mieux-être réalisé pour lui-même et pour l’espèce.
Or, dès aujourd’hui qu’aucune de ces conditions n’est ni remplie ni remplissable, un statisticien anglais, cité par Domela Nieuwenhuis dans sa brochure du Premier Mai, a calculé que, pour pourvoir à tous les besoins réels de tous, une heure vingt de travail par jour suffirait avec l’outillage et la technique actuelle.
Un autre fruit de la société collectiviste – et c’est par là que je terminerai – ce sera la fin des religions ou du surnaturel dans l’humanité.
Loin de s’évanouir devant le développement de la science moderne, l’idée religieuse a pris un nouvel essor. C’est ainsi que, dans le siècle de Lavoisier et de Laplace, de Darwin et d’Edison, nous avons pu assister à l’éclosion de nouvelles religions. Pourquoi ? Parce qu’aux phénomènes naturels expliqués et régis finalement par l’homme – et cessant par suite d’abriter un dieu – on fait suite d’autres phénomènes, plus complexes encore, d’ordre économique, qui, dans le milieu individualiste d’aujourd’hui, échappent à l’homme et le dominent. Dieu, chassé par une porte – la porte de la nature – est rentré par une autre – la porte sociale. Et tant que les forces productives qui nous écrasent individuellement n’auront pas été maîtrisées, de la seule façon dont elle puissent l’être, par la mainmise sur elles de la société en prenant la direction, l’homme, en proie à la misère, jouet du hasard, se courbera devant un inconnu dont il est la victime – et le déifira .
Ce n’est qu’une fois domptés les éléments économiques, comme ont été domptés les éléments naturels, lorsque la société sera devenue une providence pour chacun de ses membres, que disparaîtra jusqu’à l’idée d’une providence cherchée par delà les nuages, parce que – à l’inverse de la légende chrétienne de Dieu se faisant homme – l’homme se sera fait Dieu.