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<blockquote>"Le soulèvement des [[Koulaks|koulaks]] dans vos cinq districts doit être écrasé sans pitié. L'intérêt de la révolution dans son ensemble requiert de telles actions, car la bataille finale avec les koulaks vient de commencer. Vous devez faire de ces gens un exemple. 1. Pendez (je veux dire publiquement, de sorte que les gens puissent les voir) au moins 100 koulaks, riches bâtards, et autres suceurs de sang bien connus. 2. Publiez leurs noms. 3. Saisissez leur grain. 4. Désignez des otages selon mes instructions du télégramme d'hier."</blockquote>  
 
<blockquote>"Le soulèvement des [[Koulaks|koulaks]] dans vos cinq districts doit être écrasé sans pitié. L'intérêt de la révolution dans son ensemble requiert de telles actions, car la bataille finale avec les koulaks vient de commencer. Vous devez faire de ces gens un exemple. 1. Pendez (je veux dire publiquement, de sorte que les gens puissent les voir) au moins 100 koulaks, riches bâtards, et autres suceurs de sang bien connus. 2. Publiez leurs noms. 3. Saisissez leur grain. 4. Désignez des otages selon mes instructions du télégramme d'hier."</blockquote>  
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Lénine en effet n'est pas un pacifiste, et fait tout ce qu'il peut pour assurer la victoire des bolchéviks. En réalité, les contre-révolutionnaires sont bien plus brutaux que les bolchéviks, et par ailleurs corrompus et [[Antisémitisme|antisémites]]. La guerre civile est finalement gagnée grâce à l'immense courage et à la détermination des bolchéviks. Dans toute cette période, Lénine joue un rôle crucial dans la détermination de l'orientation politique du parti. Mais il n'est pas un tyran. Dans les mois qui suivent la [[Révolution_d'octobre|Révolution d'octobre]], la direction du parti est souvent divisée, et Lénine doit farouchement débattre et argumenter pour convaincre ses camarades. Il ne considère aucune tâche comme indigne de lui, et passe beaucoup de temps à régler des détails administratifs très mineurs. Il ne cherche aucun avantage pour lui-même, et désapprouve fortement le [[Conseil_des_commissaires_du_peuple|Conseil des commissaires du peuple]] quand celui-ci, en 1918, décide d'augmenter son salaire.
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Lénine en effet n'est pas un pacifiste, et fait tout ce qu'il peut pour assurer la victoire des bolchéviks. A l'été 1910 au congrès de l'internationale socialiste à Coppenhague, les bolcheviks votèrent tous à main levée pour l'abolition de la peine de mort d'après ce qu'en dira Julius Martov <ref> à bas la peine de mort'' aout 1918 </ref>".Du moins après 1914 Lénine personnellement évoluera et se montrera seul dans le mouvement en novembre 1917 hostile à sa suppression totale qu'il jugera risquée dans le contexte particulièrement exacerbé de lutte des classes et de guerre mondiale.
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Pour autant les contre-révolutionnaires sont bien plus brutaux que les bolchéviks, et par ailleurs corrompus et [[Antisémitisme|antisémites]]. La guerre civile est finalement gagnée grâce à l'immense courage et à la détermination des bolchéviks. Dans toute cette période, Lénine joue un rôle crucial dans la détermination de l'orientation politique du parti. Mais il n'est pas un tyran. Dans les mois qui suivent la [[Révolution_d'octobre|Révolution d'octobre]], la direction du parti est souvent divisée, et Lénine doit farouchement débattre et argumenter pour convaincre ses camarades. Il ne considère aucune tâche comme indigne de lui, et passe beaucoup de temps à régler des détails administratifs très mineurs. Il ne cherche aucun avantage pour lui-même, et désapprouve fortement le [[Conseil_des_commissaires_du_peuple|Conseil des commissaires du peuple]] quand celui-ci, en 1918, décide d'augmenter son salaire.
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Le 20 septembre 1919 dans une polémique avec Kautsky  rapporte la lettre d'un bourgeois libéral, Stuart Chase, publiée le 25 juin 1919 dans ''The New Republic'', journal de centre-gauche, effectuant une comparaison statistique du nombre de victimes pour l'année novembre 1917-novembre 1918 entre la nouvelle Russie bolchevique et le gouvernement de la petite Finlande (400. 000 électeurs) pendant la [[guerre civile finlandaise]] en 1918. On décompte pour le gouvernement bolchevique 3.800 exécutions, "beaucoup de fonctionnaires vendus et de contre-révolutionnaires" et pour le gouvernement finlandais près de 90.000 socialistes", dont "16.500 en l'espace de trois jours" que les forces alliées antibolcheviques soutenaient, au nom de la démocraties. D'après Stuart Chase, « le gouvernement finlandais a été infiniment plus terroriste que le gouvernement russe »<ref>''Oeuvres de Lénine'', Éditions sociales, 1964 tome 30-septembre 1919-avril 1920, p. 23.</ref>.
    
=== L'affaire des Romanov ===
 
=== L'affaire des Romanov ===
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Une citation de lui été calomnieusement bafouée. Ainsi aurait-il appelé en 1911 à l'extermination de tous les Romanov c'est-à-dire une bonne centaine. En réalité en décembre 1911 il s'exprimait par antiphrase dans un plaidoyer républicain (réclamant en outre pour les ouvriers la journée de travail de 8 H et pour les paysansl'abolition totale de la féodalité ) destiné aux libéraux russes favorables à une monarchie constitutionnelle de type anglais. Celle-ci s'était imposée au XVIIème siècle grâce à la décapitation d'un Stuart, Charles Ier ; la nouvelle monarchie constitutionnelle russe devait, le cas échéant, frapper au centuple la Maison Romanov, les "Assassins Cent-Noirs" y ayant chacun au moins un complice :
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L'affaire du massacre de Nicolas II et de toute sa famille dans l'Oural en juillet 1918 constituerait une autre preuve de la volonté destructrice de Lénine. Certains, comme Stéphane Courtois dans ''le livre noir du communisme'', en font une affaire de vendetta : Wladimir Oulianov aurait fait assassiner en 1918 les Romanov pour venger son frère Alexandre pendu en 1887. Mais aucune source n'est jamais communiquée ; si ce n'est une citation de lui calomnieusement bafouée. Ainsi selon Hélène Carrère d'Encausse il aurait appelé en 1911 à l'extermination de tous les Romanov c'est-à-dire d'"une bonne centaine". En réalité en décembre 1911 il s'exprimait par antiphrase dans un plaidoyer républicain (réclamant en outre pour les ouvriers la journée de travail de 8 H et pour les paysans l'abolition totale de la féodalité) en direction des libéraux russes favorables à une monarchie constitutionnelle de type anglais. Celle-ci, rappelle-t-il, s'était imposée au XVII ème siècle grâce à la décapitation d'un Stuart, Charles Ier ; la nouvelle monarchie constitutionnelle russe devait, le cas échéant, frapper au centuple la Maison Romanov, les "Assassins Cent-Noirs" y ayant chacun au moins un complice :
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« Pourquoi la lutte pour la république, est-elle une condition réelle de la conquête de la liberté en Russie ? Parce que l’expérience, la grande, l’inoubliable expérience de l’une des plus grandes décennies de l’histoire russe, je veux dire de la première décennie du XXème siècle, montre de façon claire, évidente, irréfutable, l’incompatibilité de notre monarchie avec les garanties les plus élémentaires de la liberté politique (...)
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(...) Les ganaches libérales dissertent sur l'exemple d'une monarchie constitutionnelle de type anglais. Eh bien, si dans un pays aussi cultivé que l'Angleterre, qui n'a jamais connu le joug mongol, l'oppression de la bureaucratie, le déchaînement de la caste militaire, il a néanmoins fallu couper la tête à un bandit couronné pour apprendre aux rois à être des monarques "'constitutionnels", en Russie il faudra couper la tête à Cent Romanov au moins, pour enlever à leurs successeurs l'habitude d'organiser des bandes d'assassins Cent-Noirs et de déchaîner des pogroms. Si la social-démocratie a retenu quelque chose de la première révolution russe de 1905 elle doit maintenant bannir de tous nos discours, de tous nos tracts le mot d'ordre de "à bas l'autocratie", qui s'est révélé inadapté et vague, et défendre exclusivement celui de "A bas la monarchie tsariste, vive la république "<ref> ''Œuvres de Lénine'', Paris, Editions sociales, tome 17, décembre 1910-avril 1912, "À propos des mots d'ordre et de la conception du travail social-démocrate à la Douma et en dehors ", p. 341(8-21 décembre 1911) </ref>".
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Nous étions en fait dans le contexte des votes abolitionnistes du congrès de Coppenhague. Mais l'accusation de massacre des Romanov en juillet 1918 dans la maison d'Ipatiev d'Ekaterinbourg est à mettre en rapport avec la [[question juive en Russie]]. Elle est indissociable de l'antisémitisme qui traverse l'Europe en 1919-1920 et vise les Bolcheviks, vainqueurs en Sibérie des Blancs et de leurs alliés occidentaux, tout autant pour leurs choix politiques que pour leur origine juive : le commandant du détachement assassin, Jacob Iourovsky, et son commanditaire Jacob [[ Sverdlov]], président du conseil régional de l'Oural. Or Sverdlov avait annoncé à l'été 1918 que suite à un complot visant à libérer les Romanov, le tsar avait été fusillé mais sa famille transférée. Mais parut en 1920 à grand succès un faux antisémite, ''Le Protocole des Sages de Sion'', créé par la police tsariste quinze ans plus tôt et auquel s'adjoignit cette thèse calomnieuse du massacre collectif des Saint Romanov par les Judéo-bolcheviks. 
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De fait le massacre des Romanov en juillet 1918 a de plus en plus été contesté par des historiens tels que Marina Grey et Marc Ferro, comme par des experts de la gendarmerie française assez sceptiques quant à la fiabilité de Tests ADN sur des corps retrouvés des décennies plus tard <ref> "Romanov, la contre-enquête", 26 décembre 2018 documentaire télévisé sur la chaine ''Histoire''</ref>. Seule à l'époque jusqu'en 1922 l'exécution du tsar fut reconnue par les dirigeants bolcheviks : en plus de Sverdlov, on relève Tchitcherine en septembre 1918, Litvinov peu après en décembre, Zinoviev en juillet 1920 et à nouveau Tchitchérine en avril et mai 1922. En mars 1918 le traité de Brest - Litovsk obligeait les Bolcheviks à protéger la tsarine et ses quatre filles, tout en leur laissant le soin de décider du sort de Nicolas II. Dans les mois qui suivirent, les défaites successives de l'Allemagne de Guillaume II, amenèrent Lénine à demander la livraison de la famille du tsar en échange de la libération des spartakistes allemands, Karl Liebnecht et Léo Jogiches. De juillet à octobre 1918 des négociations entre les deux gouvernements sont entreprises en ce sens. A l'époque alors que les nouveaux occupants tchèques ne retrouvèrent pas les corps une multitude de témoignages en provenance de Perm affluèrent, en mars 1919 auprès du juge Sokolov pour dire que la tsarine et ses quatre filles y avaient été vues, prisonnières de la Tcheka, d'août à octobre 1918. Les témoignages furent enterrés par le juge lors de la publication de son rapport en 1924.
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Le 8 novembre 1918 Lénine évoqua rapidement, sans référence à la famille impériale, l'exécution du tsar: la première - de ses deux allusions à la nuit ouralienne du 16 au 17 juillet 1918. C'était pour comparer l'exécution à celles de Louis XVI et de Charles Ier. Encore se montra-t-il réticent quant à son utilité, dans une optique marxiste, du fait des restaurations française et britannique des Bourbons et des Stuart qui suivirent les deux régicides républicains, :  
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" Les ganaches libérales dissertent sur l'exemple d'une monarchie constitutionnelle de type anglais. Eh bien, si dans un pays aussi cultivé que l'Angleterre, qui n'a jamais connu le joug mongol, l'oppression de la bureaucratie, le déchaînement de la caste militaire, il a néanmoins fallu couper la tête à un bandit couronné pour apprendre aux rois à être des monarques "'constitutionnels", en Russie il faudra couper la tête à Cent Romanov au moins, pour enlever à leurs successeurs l'habitude d'organiser des bandes d'assassins  Cent-Noirs et de déchaîner des pogroms. Si la social-démocratie a retenu quelque chose de la première révolution russe de 1905 elle doit maintenant bannir de tous nos discours, de tous nos tracts le mot d'ordre de "à bas l'autocratie", qui s'est révélé inadapté et vague, et défendre exclusivement celui de "A bas la monarchie tsariste, vive la république <ref> ''Œuvres de Lénine'', Paris, Editions sociales, tome 17, décembre 1910-avril 1912, "À propos des mots d'ordre et de la conception du travail social-démocrate à la Douma et en dehors ", p. 341(8-21 décembre 1911) </ref>".
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"« Ces gens-là, les koulaks et les vampires sont des ennemis non moins terribles que les capitalistes et les propriétaires fonciers. Et si le koulak demeure indemne, si nous ne triomphons pas des vampires alors le tsar et le capitaliste reviendront immanquablement. L’expérience de toutes les révolutions qui ont éclaté jusqu’ici en Europe confirme que la révolution subira inévitablement une défaite, si la paysannerie ne triomphe pas de l’emprise des koulaks.
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Les ouvriers des villes ont renversé les monarques (en Angleterre et en France on a exécuté les rois, il y a déjà quelques centaines d’années et nous étions en retard avec notre tsar), et pourtant après un certain temps l’ancien régime était restauré. C’est parce qu’alors il n’existait pas, même dans les villes la grande production qui groupe dans les fabriques et dans les usines des millions d’ouvriers, et les soude en une armée assez solide pour qu’ils puissent sans le soutien des paysans, résister à la fois à la pression des capitalistes et des koulaks "<ref>Marc Ferro, chapitre « La deuxième mort de Nicolas II », ''Les Tabous de l'histoire'', éd. Pocket, 2004, ; "Évènement ou fait divers ? Une mort énigmatique" dans ''Nicolas II '', Paris, Payot, 1990 ; Lénine, ''Œuvres'', tome 28, juillet 1918-mars 1919, Paris, Éditions sociales, 1961, p. 175-176 </ref>".
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On doit aussi comprendre cet extrait par le fait qul'été 1910 au congrès du parti social-démocrate de Coppenhague, les bolcheviks avaient tous voté à main levée (d'après ce qu'en dit Julius Martov dans son pamphlet d'août 1918, intitulé, ''à bas la peine de mort'') pour l'abolition de la peine de mort.Du moins après 1914 Lénine évoluera et se montrera seul dans le mouvement en novembre 1917 hostile à sa suppression totale qu'il jugeait risquée dans le contexte particulièrement exacerbé de lutte des classes et de guerre mondiale.  
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Ce fut le dialecticien marxiste, et non le vengeur obsédé par le souvenir d'un frère mort trente ans plus tôt, qui s'exprima ici. Ce qui comptait à ses yeux c'était la destruction d'une classe paysanne après celle des capitalistes et non pas l'extermination physique d'une maison impériale, dont beaucoup de membres d'ailleurs survécurent : le Grand Duc Cyrille Wladimirovitch, cousin du tsar devenu en 1924 l'héritier présomptif du trône, son frère André toute leur descendance, l'impératrice douairière, Maria Fedorovna, veuve du tsar même Alexandre III qui fit pendre Alexandre Oulianov, ses deux filles et soeurs de Nicolas II, Xenia et Olga Alexandrovna.  
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Mais l'accusation de massacre des Romanov en juillet 1918 dans la maison d'Ipatiev d'Ekaterinbourg est à mettre en rapport avec la [[question juive en Russie]]. Elle est indissociable de l'antisémitisme qui traverse l'Europe en 1919-1920 et vise les Bolcheviks, tout autant pour leurs choix politiques que pour leur origine juive : Jacob [[ Sverdlov]], président du conseil régional de l'Oural notamment qui pourtant annonça à l'été 1918 que suite à un complot visant à libérer les Romanov, le tsar avait été fusillé mais sa famille transférée. De fait le massacre des Romanov en juillet 1918 fut est de plus en plus contesté par des historiens comme par des experts de la gendarmerie française qui nient la fiabilité de Tests ADN sur des corps retrouvés des décennies plus tard (''Romanov, la contre-enquête'', 26 décembre 2018 documentaire télévisé sur la chaine ''Histoire''. Seule à l'époque jusqu'en 1922 l'exécution du tsar fut reconnue par les dirigeants bolcheviks : en plus de Sverdlov, Tchitcherine, Litvinov, Zinoviev. Lénine souhaitait échanger la famille du tsar avec Guillaume II contre la libération des spartakistes allemands, Karl Liebnecht et Léo Jogiches. De juillet à octobre 1918 des négociations entre les deux gouvernements sont entreprises en ce sens. A l'époque alors que les nouveaux occupants tchèques ne retrouvèrent pas les corps une multitude de témoignages en provenance de Perm affluèrent, en mars 1919 auprès du juge Sokolov pour dire que la tsarine et ses quatre filles y avaient été vues, prisonnières de la Tcheka, d'août à octobre 1918. Les témoignages furent enterrés par le juge lors de la publication de son rapport en 1924.
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Sa deuxième allusion à cette nuit de juillet 1918 à l’approche du quatrième anniversaire de la Révolution (octobre 1921) fait mentir de manière cinglante ceux qui affirment (avec à nouveau Hélène Carrère d'Encausse qui ne source pas son "information") qu'il aurait finalement reconnu et glorifié la tuerie impériale en 1919 :
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Le 8 novembre 1918 Lénine évoqua, sans référence à la famille impériale, l'exécution du tsar. C'était pour la comparer à celles de Louis XVI et de Charles Ier. Encore se montra-t-il réticent quant à son utilité, dans une optique marxiste, du fait des restaurations française et britannique des Bourbons et des Stuart qui suivirent les deux précédents régicides républicains :
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« Maintenant il n’y a plus de grands propriétaires déclarés. Les Wrangel, les Koltchak et les Denikine sont, pour une part, partis rejoindre Nicolas Romanov, et pour une autre part se sont tapis en lieu sûr à l’étranger. Le peuple ne voit pas d’ennemi manifeste, comme auparavant le grand propriétaire foncier et le capitaliste. » ''Œuvres de Lénine'', tome 33-août 1921-mars 1923, 1963-17 octobre 1921 "la lutte sera encore plus cruelle", p. 60-61.
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On le voit c’est à nouveau l’exécution d’un seul Romanov, Nicolas II, qui est évoquée. Les noms suivants Wrangel, Koltchak et Denikine n’ont aucun lien de parenté avec les Romanov. Ils combattirent tous les trois les armes à la main les Soviets et l’armée rouge ; c'est cela seul qui comptait pour Lénine. Et de surcroît un seul d'entre eux, Koltchak, périt fusillé (7 février 1920), les deux autres s’exilèrent sans que Lénine appelle à les tuer. Comme en novembre 1918 il en explique les raisons par les priorités anticapitalistes :
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"Comment le peuple peut-il prendre conscience du fait que à la place de Koltchak, de Wrangel et de Dénikine, se trouve ici même parmi nous l'ennemi qui a fait avorter toutes les révolutions antérieures ? Car si les capitalistes prennent le dessus sur nous, cela signifie le retour au passé, comme le confirme l'expérience de toutes les révolutions antérieures. La tâche de notre parti est de faire pénétrer dans notre conscience que l'ennemi parmi nous, c'est le capitalisme anarchique et l'échange anarchique des marchandises." ''oeuvres de Lénine'' op cit p. 61.
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Six mois plus tard à la conférence de Gênes Tchitchérine explicite l'allusion de Lénine en affirmant que la tsarine et ses enfants avaient été à la différence du tsar épargnés et qu'ils vivaient probablement à l'étranger, fondus dans la masse de l'émigration. 
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"Les ouvriers des villes ont renversé les monarques (en Angleterre et en France on a exécuté les rois, il y a déjà quelques centaines d’années et nous étions en retard avec notre tsar), et pourtant après un certain temps l’ancien régime était restauré. C’est parce qu’alors il n’existait pas, même dans les villes la grande production qui groupe dans les fabriques et dans les usines des millions d’ouvriers, et les soude en une armée assez solide pour qu’ils puissent sans le soutien des paysans, résister à la fois à la pression des capitalistes et des koulaks."<ref>Marc Ferro, chapitre « La deuxième mort de Nicolas II », ''Les Tabous de l'histoire'', éd. Pocket, 2004, ; "Évènement ou fait divers ? Une mort énigmatique" dans ''Nicolas II '', Paris, Payot, 1990 ; Lénine, ''Œuvres'', tome 28, juillet 1918-mars 1919, Paris, Éditions sociales, 1961, p. 175-176 </ref>".
      
=== Le mouvement international ===
 
=== Le mouvement international ===
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=== Lénine a-t-il mené à Staline&nbsp;? ===
 
=== Lénine a-t-il mené à Staline&nbsp;? ===
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Beaucoup d'intellectuels affirment, paresseusement, que les méthodes et les actions de Lénine ont mené directement aux atrocités de Staline. En réalité, on ne peut évidemment pas réduire le destin de l'[[Union_des_républiques_socialistes_soviétiques|Union soviétique]] après Lénine à la question de la psychologie de tel ou tel dirigeant. La principale explication historique du [[Stalinisme|stalinisme]] réside dans le fait que la révolution russe a échoué à s'étendre à d'autres pays. La faute en revient aux dirigeants occidentaux comme [[Winston_Churchill|Winston Churchill]] qui lancèrent leurs armées contre le jeune [[Etat_ouvrier|Etat ouvrier]], et aux dirigeants révolutionnaires qui tergiversèrent à défendre la [[Révolution_russe_(1917)|révolution russe]]. Après la mort de Lénine, la politique de Staline consista à décourager les mouvements révolutionnaires qui éclataient à certains endroits du monde. Il ordonna aux [[Parti_communiste_chinois|communistes chinois]] de se ranger derrière [[Tchang_Kai-chek|Tchang Kai-chek]], un dirigeant bourgeois qui les utilisa puis les massacra. Cette pratique, théorisée sous la forme du "[[Socialisme_dans_un_seul_pays|socialisme dans un seul pays]]", n'a rien à voir avec l'internationalisme de Lénine. Sous Staline, beaucoup de gains révolutionnaires furent perdus. La démocratie ouvrière s'atrophia puis disparut. La dure répression parfois mise en oeuvre lors des premières années de la révolution n'a rien à voir avec la sauvagerie des crimes staliniens et les procès truqués. l'avortement et l'homosexualité redevinrent des crimes. La créativité artistique fut remplacée par les canons du "[[Réalisme_socialiste|réalisme socialiste]]". La politique de collectivisation forcée des terres menée par Staline est à l'opposé de l'alliance entre [[Prolétariat|prolétariat]] urbain et [[Paysannerie|paysannerie]] recherchée constamment par Lénine. Sous Staline, une nouvelle classe de [[Bureaucratie|bureaucrates]] émergea. Le parti bolchévik devint une organisation de l'élite, préoccupée de ses propres intérêts.
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Beaucoup d'intellectuels affirment, paresseusement, que les méthodes et les actions de Lénine ont mené directement aux atrocités de Staline. En réalité, on ne peut évidemment pas réduire le destin de l'[[Union_des_républiques_socialistes_soviétiques|Union soviétique]] après Lénine à la question de la psychologie de tel ou tel dirigeant. La principale explication historique du [[Stalinisme|stalinisme]] réside dans le fait que la révolution russe a échoué à s'étendre à d'autres pays. La faute en revient aux dirigeants occidentaux comme [[Winston_Churchill|Winston Churchill]] qui lancèrent leurs armées contre le jeune [[Etat_ouvrier|Etat ouvrier]], et aux dirigeants révolutionnaires qui tergiversèrent à défendre la [[Révolution_russe_(1917)|révolution russe]]. Après la mort de Lénine, la politique de Staline consista à décourager les mouvements révolutionnaires qui éclataient à certains endroits du monde. Il ordonna aux [[Parti_communiste_chinois|communistes chinois]] de se ranger derrière [[Tchang_Kai-chek|Tchang Kai-chek]], un dirigeant bourgeois qui les utilisa puis les massacra. Cette pratique, théorisée sous la forme du "[[Socialisme_dans_un_seul_pays|socialisme dans un seul pays]]", n'a rien à voir avec l'internationalisme de Lénine. Sous Staline, beaucoup de gains révolutionnaires furent perdus. La démocratie ouvrière s'atrophia puis disparut. La dure répression parfois mise en oeuvre lors des premières années de la révolution n'a rien à voir avec la sauvagerie des crimes staliniens et les procès truqués. l'avortement et l'homosexualité redevinrent des crimes. La créativité artistique fut remplacée par les canons du [[Réalisme_socialiste|réalisme socialiste]]". La politique de collectivisation forcée des terres menée par Staline est à l'opposé de l'alliance entre [[Prolétariat|prolétariat]] urbain et [[Paysannerie|paysannerie]] recherchée constamment par Lénine. Sous Staline, une nouvelle classe de [[Bureaucratie|bureaucrates]] émergea. Le parti bolchévik devint une organisation de l'élite, préoccupée de ses propres intérêts.
    
=== Le léninisme aujourd'hui ===
 
=== Le léninisme aujourd'hui ===
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''«&nbsp;Peu de temps après mon arrivée à Moscou, j’eus avec Lénine une heure de conversation en anglais, une langue qu’il parle assez bien. Un interprète était présent, mais nous n’eûmes pour ainsi dire jamais besoin de ses services. Le cabinet de travail de Lénine est très nu&nbsp;; il contient un grand bureau, quelques cartes au mur, deux bibliothèques et deux ou trois chaises dures, plus un siège confortable pour ceux qui viennent le voir. Il est manifeste qu’il ne tient pas au luxe, ni même au confort. Il est très accueillant et simple en apparence, sans la moindre trace de morgue. En le voyant sans savoir qui il est, on ne se douterait pas qu’il possède un pouvoir immense, ni même qu’il sorte en quoi que ce soit de l’ordinaire. Jamais je n’ai vu de personne aussi peu disposée à se donner des airs d’importance. Il fixe sur vous un regard scrutateur, en fermant un oeil, ce qui semble accentuer à un degré inquiétant la force de pénétration de l’autre. Il rit volontiers&nbsp;; tout d’abord, son rire vous paraît simplement amical et réjoui, puis, peu à peu, j’ai fini par le trouver un peu sardonique. Dictatorial et calme, il ne connaît pas la peur. C’est un personnage extraordinairement désintéressé, une théorie faite homme. Il tient, on le sent, à la conception matérialiste de l’histoire comme à la prunelle de ses yeux. Il fait penser à un professeur par son désir de vous voir comprendre sa thèse. Par la fureur qu’il éprouve à l’égard de ceux qui la comprennent mal, ou qui ne sont pas d’accord avec lui&nbsp;; j’ai eu l’impression qu’il méprise beaucoup de gens et qu’il est un aristocrate intellectuel.&nbsp;»<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref>''
 
''«&nbsp;Peu de temps après mon arrivée à Moscou, j’eus avec Lénine une heure de conversation en anglais, une langue qu’il parle assez bien. Un interprète était présent, mais nous n’eûmes pour ainsi dire jamais besoin de ses services. Le cabinet de travail de Lénine est très nu&nbsp;; il contient un grand bureau, quelques cartes au mur, deux bibliothèques et deux ou trois chaises dures, plus un siège confortable pour ceux qui viennent le voir. Il est manifeste qu’il ne tient pas au luxe, ni même au confort. Il est très accueillant et simple en apparence, sans la moindre trace de morgue. En le voyant sans savoir qui il est, on ne se douterait pas qu’il possède un pouvoir immense, ni même qu’il sorte en quoi que ce soit de l’ordinaire. Jamais je n’ai vu de personne aussi peu disposée à se donner des airs d’importance. Il fixe sur vous un regard scrutateur, en fermant un oeil, ce qui semble accentuer à un degré inquiétant la force de pénétration de l’autre. Il rit volontiers&nbsp;; tout d’abord, son rire vous paraît simplement amical et réjoui, puis, peu à peu, j’ai fini par le trouver un peu sardonique. Dictatorial et calme, il ne connaît pas la peur. C’est un personnage extraordinairement désintéressé, une théorie faite homme. Il tient, on le sent, à la conception matérialiste de l’histoire comme à la prunelle de ses yeux. Il fait penser à un professeur par son désir de vous voir comprendre sa thèse. Par la fureur qu’il éprouve à l’égard de ceux qui la comprennent mal, ou qui ne sont pas d’accord avec lui&nbsp;; j’ai eu l’impression qu’il méprise beaucoup de gens et qu’il est un aristocrate intellectuel.&nbsp;»<ref name="Russel1920">Bertrand Russell, [https://bibdig.biblioteca.unesp.br/bitstream/handle/10/6534/la-pratique-et-la-theorie-du-bolchevisme.pdf ''Pratique et théorie du bolchevisme''], 1920</ref>''
 
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La mort de Lénine, vue par sa veuve Nadiejda Kroupskskaïa, ''Pravda'', 30 janvier 1924.
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"J'ai une grande prière à vous adresser. Ne laissez pas votre hommage à Illitch prendre la forme d'une adoration pour sa personne. Ne construisez pas pour lui des monuments, ne donnez pas son nom à un palais, n'organisez pas des cérémonies commémoratives. De son vivant il attachait si peu d'importance à tout cela, tout cela était si vain à ses yeux. Rappelez-vous combien notre pays est encore pauvre. Si vous désirez honorer le nom de Lénine, construisez des crèches, des écoles, des jardins d'enfants, des bibliothèques, des centres médicaux, des hôpitaux, des maisons pour les handicapés... et par-dessus tout mettez ses préceptes en pratique."
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Jean Elleinstein, ''Histoire de l'URSS ; tome II, le socialisme dans un seul pays (1922-1939)'', Paris, Éditions Sociales, 1975, p. 61-62.
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== Bibliographie ==
 
== Bibliographie ==
  
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