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'''Cet épisode, fondamental, provoque deux réactions très contradictoires :'''
 
'''Cet épisode, fondamental, provoque deux réactions très contradictoires :'''
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*Une défiance encore plus profonde vis à vis de la République (cela permet de comprendre la manière dont s’organise la riposte dès le 18 juillet 1936 : au contraire des appels du gouvernement de [[Front_populaire_(Espagne)|Front populaire]] (FP), aucune illusion sur l’Etat et sur l’armée).
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*Une défiance encore plus profonde vis à vis de la République (cela permet de comprendre la manière dont s’organise la riposte dès le 18 juillet 1936 : au contraire des appels du gouvernement de [[Front_populaire_(Espagne)|Front populaire]] (FP), aucune illusion sur l’État et sur l’armée).
 
*Dans l’immédiat les contre-coups d’une défaite. Les institutions et les élections comme une planche de salut. Le programme de FP porte essentiellement sur un point : la libération des 40 000 prisonniers. C’est la justification pour la CNT et le [[Parti_ouvrier_d'unification_marxiste|POUM]] de soutenir ce front électoral.
 
*Dans l’immédiat les contre-coups d’une défaite. Les institutions et les élections comme une planche de salut. Le programme de FP porte essentiellement sur un point : la libération des 40 000 prisonniers. C’est la justification pour la CNT et le [[Parti_ouvrier_d'unification_marxiste|POUM]] de soutenir ce front électoral.
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Ce qui provoque parfois des scènes plutôt étonnantes. Les anarchistes Garcia Oliver, Durruti et Santillan se rendent au palais de la Généralité de Catalogne le 20 juillet. Le président Companys (un républicain favorable à l’indépendance de la Catalogne) les attend livide (il y a eu beaucoup de fusillés les derniers jours et tout est aux mains des anarchistes&nbsp;!). Companys leur propose de servir comme simple soldat de la révolution (la scène est notamment racontée par Broué et Témine page 112). Les anarchistes rétorquent qu’ils ne veulent pas du pouvoir (mais les mêmes deviendront ministres quelques mois plus tard&nbsp;!).<br /> Du coup, le gouvernement reste en place. Simplement, les organisations ouvrières installent à côté de lui un Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne (où la CNT se met volontairement en minorité&nbsp;!). Avec l’illusion que les anarchistes ont de toute façon le pouvoir, puisqu’ils contrôlent tout, même le gouvernement&nbsp;: c’est notre allié, et s’il nous veut du mal, il n’aura pas les moyens de nous combattre…
 
Ce qui provoque parfois des scènes plutôt étonnantes. Les anarchistes Garcia Oliver, Durruti et Santillan se rendent au palais de la Généralité de Catalogne le 20 juillet. Le président Companys (un républicain favorable à l’indépendance de la Catalogne) les attend livide (il y a eu beaucoup de fusillés les derniers jours et tout est aux mains des anarchistes&nbsp;!). Companys leur propose de servir comme simple soldat de la révolution (la scène est notamment racontée par Broué et Témine page 112). Les anarchistes rétorquent qu’ils ne veulent pas du pouvoir (mais les mêmes deviendront ministres quelques mois plus tard&nbsp;!).<br /> Du coup, le gouvernement reste en place. Simplement, les organisations ouvrières installent à côté de lui un Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne (où la CNT se met volontairement en minorité&nbsp;!). Avec l’illusion que les anarchistes ont de toute façon le pouvoir, puisqu’ils contrôlent tout, même le gouvernement&nbsp;: c’est notre allié, et s’il nous veut du mal, il n’aura pas les moyens de nous combattre…
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'''Pourtant les problèmes arrivent vite&nbsp;! '''<br /> D’abord la guerre, avec des effets immédiats. Durruti part immédiatement avec 20 000 hommes (et femmes&nbsp;!) pour sauver Saragosse. Le résultat est un jeu de dupes&nbsp;: chantage à l’arrière (toutes les armes pour le front, discipline, production, centralisation)&nbsp;; et sacrifices au front (les milices du POUM et de la CNT sont les plus exposées et sans armes).<br /> Les révolutionnaires se battent contre Franco, mais à l’arrière le pouvoir central se reconstruit. Pas à pas. C’est aussi une des leçons d’Espagne&nbsp;: on peut reconstruire un appareil d’Etat bourgeois parfois avec trois fois rien au départ.<br /> Des comités qui acceptent de s’intégrer aux municipalités. Des milices intégrées dans une nouvelle police ou militarisées sur le front. Des entreprises nationalisées et désormais dirigées par des “&nbsp;techniciens&nbsp;” au détriment des formes de contrôle ouvrier. Parfois avec le consentement, parfois grâce à une série de petits coups de force…
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'''Pourtant les problèmes arrivent vite&nbsp;! '''<br /> D’abord la guerre, avec des effets immédiats. Durruti part immédiatement avec 20 000 hommes (et femmes&nbsp;!) pour sauver Saragosse. Le résultat est un jeu de dupes&nbsp;: chantage à l’arrière (toutes les armes pour le front, discipline, production, centralisation)&nbsp;; et sacrifices au front (les milices du POUM et de la CNT sont les plus exposées et sans armes).<br /> Les révolutionnaires se battent contre Franco, mais à l’arrière le pouvoir central se reconstruit. Pas à pas. C’est aussi une des leçons d’Espagne&nbsp;: on peut reconstruire un appareil d’État bourgeois parfois avec trois fois rien au départ.<br /> Des comités qui acceptent de s’intégrer aux municipalités. Des milices intégrées dans une nouvelle police ou militarisées sur le front. Des entreprises nationalisées et désormais dirigées par des “&nbsp;techniciens&nbsp;” au détriment des formes de contrôle ouvrier. Parfois avec le consentement, parfois grâce à une série de petits coups de force…
    
A Barcelone, cela prend plutôt l’allure d’une guerre larvée permanente. Mais la CNT et le POUM sont pris dans une contradiction insoluble. A la base, leurs militants résistent à cette reprise en main. Mais en même temps ces organisations décident de participer au gouvernement.
 
A Barcelone, cela prend plutôt l’allure d’une guerre larvée permanente. Mais la CNT et le POUM sont pris dans une contradiction insoluble. A la base, leurs militants résistent à cette reprise en main. Mais en même temps ces organisations décident de participer au gouvernement.
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Même ministres, ils ne contrôlent pas grand chose, mais ils se sentent obligés de justifier la politique du gouvernement et font pression sur leurs propres camarades dans le sens du compromis. C’est ainsi que le comité central des milices est dissous au moment où ils entrent dans le gouvernement catalan…<br /> Un mois après, la CNT entre dans le gouvernement de Madrid et le même phénomène se répète dans tout le pays.
 
Même ministres, ils ne contrôlent pas grand chose, mais ils se sentent obligés de justifier la politique du gouvernement et font pression sur leurs propres camarades dans le sens du compromis. C’est ainsi que le comité central des milices est dissous au moment où ils entrent dans le gouvernement catalan…<br /> Un mois après, la CNT entre dans le gouvernement de Madrid et le même phénomène se répète dans tout le pays.
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'''Cette reconstruction progressive de l’Etat aux dépends des comités dure jusqu’en mai 1937, une évolution qui est amplifiée par deux phénomènes&nbsp;:'''
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'''Cette reconstruction progressive de l’État aux dépends des comités dure jusqu’en mai 1937, une évolution qui est amplifiée par deux phénomènes&nbsp;:'''
    
*Les défaites militaires (qui vont toujours dans le sens de la restauration de l’Etat, contre la “&nbsp;division&nbsp;”, même si la bataille de Madrid montre la couardise du gouvernement enfui à Valence et l’incompétence du commandement militaire).
 
*Les défaites militaires (qui vont toujours dans le sens de la restauration de l’Etat, contre la “&nbsp;division&nbsp;”, même si la bataille de Madrid montre la couardise du gouvernement enfui à Valence et l’incompétence du commandement militaire).
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'''Après, tout va très vite&nbsp;: '''<br /> En juin, Caballero sont remplacé par Negrin. Les anarchistes sont démissionnés du gouvernement en Catalogne et à Madrid. La République n’a plus besoin d’eux.<br /> La répression à une grande échelle commence immédiatement&nbsp;: mise en place de la SIM (service d’enquêtes militaires) voulu par le gouvernement et entièrement contrôlé par le GPU. Des milliers de militants arrêtés et torturés, des dizaines de prison secrètes. D’abord le POUM et d’abord Nin. Puis la CNT mise hors la loi, ses locaux saccagés etc
 
'''Après, tout va très vite&nbsp;: '''<br /> En juin, Caballero sont remplacé par Negrin. Les anarchistes sont démissionnés du gouvernement en Catalogne et à Madrid. La République n’a plus besoin d’eux.<br /> La répression à une grande échelle commence immédiatement&nbsp;: mise en place de la SIM (service d’enquêtes militaires) voulu par le gouvernement et entièrement contrôlé par le GPU. Des milliers de militants arrêtés et torturés, des dizaines de prison secrètes. D’abord le POUM et d’abord Nin. Puis la CNT mise hors la loi, ses locaux saccagés etc
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La République bourgeoise révèle sa nature profonde&nbsp;: maintenant que l’Etat a pu être reconstruit (il a quand même fallu dix mois pour y arriver), la République utilise des moyens de terreur qui n’ont rien à envier à ceux utilisés par les fascistes.
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La République bourgeoise révèle sa nature profonde&nbsp;: maintenant que l’État a pu être reconstruit (il a quand même fallu dix mois pour y arriver), la République utilise des moyens de terreur qui n’ont rien à envier à ceux utilisés par les fascistes.
    
'''C’est aussi une étape essentielle dans la formation du stalinisme.''' Car le phénomène stalinien ne s’est pas constitué d’un seul coup. Les staliniens ont eu évidemment une responsabilité écrasante dans la défaite du prolétariat en 1927 en Chine, et en 1933 en Allemagne. Mais c’était avant tout le résultat d’une politique d’aventuriers qui n’ont plus comme préoccupation première la victoire du prolétariat. En Espagne en 1936, Staline cherche consciemment à écraser la révolution espagnole. Comme le réformisme de la social-démocratie en 1919 en Allemagne, le réformisme stalinien en Espagne bascule du côté de l’ordre bourgeois.
 
'''C’est aussi une étape essentielle dans la formation du stalinisme.''' Car le phénomène stalinien ne s’est pas constitué d’un seul coup. Les staliniens ont eu évidemment une responsabilité écrasante dans la défaite du prolétariat en 1927 en Chine, et en 1933 en Allemagne. Mais c’était avant tout le résultat d’une politique d’aventuriers qui n’ont plus comme préoccupation première la victoire du prolétariat. En Espagne en 1936, Staline cherche consciemment à écraser la révolution espagnole. Comme le réformisme de la social-démocratie en 1919 en Allemagne, le réformisme stalinien en Espagne bascule du côté de l’ordre bourgeois.
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D’une manière assez paradoxale, l’issue dépendait beaucoup de la CNT mais aussi du POUM.
 
D’une manière assez paradoxale, l’issue dépendait beaucoup de la CNT mais aussi du POUM.
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La CNT a une influence et un milieu militant infiniment plus important que le POUM. Mais c’est une organisation très hétérogène, qui explose littéralement lorsqu’elle est confrontée à ses propres contradictions politiques (notamment au moment des événements de mai 1937). La CNT ne veut pas prendre le pouvoir après juillet mais elle accepte d’avoir des ministres quelques mois après et participe à la reconstruction de l’Etat bourgeois. Il est difficile d’en comprendre toutes les raisons. Il y a bien sûr les pressions en ce sens, la solidarité malgré tout contre le fascisme…<ref>Extrait du journal de la CNT Solidaridad Obrera (4 novembre 1936)fckLRfckLR</ref>
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La CNT a une influence et un milieu militant infiniment plus important que le POUM. Mais c’est une organisation très hétérogène, qui explose littéralement lorsqu’elle est confrontée à ses propres contradictions politiques (notamment au moment des événements de mai 1937). La CNT ne veut pas prendre le pouvoir après juillet mais elle accepte d’avoir des ministres quelques mois après et participe à la reconstruction de l’État bourgeois. Il est difficile d’en comprendre toutes les raisons. Il y a bien sûr les pressions en ce sens, la solidarité malgré tout contre le fascisme…<ref>Extrait du journal de la CNT Solidaridad Obrera (4 novembre 1936)fckLRfckLR</ref>
    
Le POUM aurait pu jouer un autre rôle, celui d’une direction politique de rechange, en rompant définitivement son alliance avec le FP, en proposant systématiquement cette politique à la CNT, éventuellement contre ses dirigeants attachés à rester ministres. Du moins c’était le [[Point_de_vue_de_Trotski_sur_le_POUM|point de vue de Trotski]]. Mais ce n’était pas celui des dirigeants du POUM qui estiment encore aujourd’hui<ref>Lire le témoignage de Wilebaldo Solano cité dans la bibliographie.</ref> qu’il n’y avait pas d’autre politique possible que celle qu’ils ont menée…
 
Le POUM aurait pu jouer un autre rôle, celui d’une direction politique de rechange, en rompant définitivement son alliance avec le FP, en proposant systématiquement cette politique à la CNT, éventuellement contre ses dirigeants attachés à rester ministres. Du moins c’était le [[Point_de_vue_de_Trotski_sur_le_POUM|point de vue de Trotski]]. Mais ce n’était pas celui des dirigeants du POUM qui estiment encore aujourd’hui<ref>Lire le témoignage de Wilebaldo Solano cité dans la bibliographie.</ref> qu’il n’y avait pas d’autre politique possible que celle qu’ils ont menée…

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