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'''La victoire électorale de février 1936'''
 
'''La victoire électorale de février 1936'''
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Le choix de la CNT de ne pas appeler à l’abstention a été déterminant et permet de gagner une majorité au parlement. Immédiatement et sans attendre, la libération des prisonniers souvent par la population elle même, des grèves partout (pas une semaine sans qu’une ville ou une province ne soit touchée par un appel à la « grève générale »…), des occupations d’usine ou de terres qui commencent à se multiplier, des comités de toute nature qui surgissent ici et là…
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Le choix de la CNT de ne pas appeler à l’abstention a été déterminant et permet de gagner une majorité au [[parlement]]. Immédiatement et sans attendre, la libération des prisonniers souvent par la population elle même, des [[grèves]] partout (pas une semaine sans qu’une ville ou une province ne soit touchée par un appel à la « grève générale »…), des [[Occupation d’usine|occupations d’usine]] ou [[Occupation de terres|de terres]] qui commencent à se multiplier, des comités de toute nature qui surgissent ici et là…
    
L’arrivée du Gouvernement de FP a lieu dans une situation à la fois comparable mais bien plus extrême qu’en France :
 
L’arrivée du Gouvernement de FP a lieu dans une situation à la fois comparable mais bien plus extrême qu’en France :
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Résultat : encore plus qu’en France on n’attend pas le gouvernement pour mettre en œuvre soi même, directement, et sans attendre, les réformes qu’on a espérées pendant si longtemps.
 
Résultat : encore plus qu’en France on n’attend pas le gouvernement pour mettre en œuvre soi même, directement, et sans attendre, les réformes qu’on a espérées pendant si longtemps.
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Après la grève générale du 17 avril à Madrid le gouvernement est complètement débordé.<br /> Cette impuissance signe son arrêt de mort aux yeux de la bourgeoisie&nbsp;: d’accord pour la gauche si ça permet de calmer les gens… Ce n’est pas le cas.
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Après la grève générale du 17 avril à Madrid le gouvernement est complètement débordé. Cette impuissance signe son arrêt de mort aux yeux de la bourgeoisie&nbsp;: elle peut tolérer la gauche si ça permet de calmer les gens… mais ce n'a pas été le cas.
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Situation aggravée par l’attitude de Largo Caballero qui s’appuie notamment sur les jeunesses socialistes&nbsp;: ce leader «&nbsp;socialiste de gauche&nbsp;» manie volontiers le verbe révolutionnaire. Mais sans rien faire d’autre non plus que de soutenir le gouvernement.<br /> C’est évidemment une situation extrêmement dangereuse pour la classe ouvrière. Son agitation et les déclarations incendiaires de Largo Caballero font réellement peur à la bourgeoisie. Mais à aucun moment il n’est question de s’organiser pour se préparer à l’affrontement…
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Situation aggravée par l’attitude de [[Largo Caballero]] qui s’appuie notamment sur les jeunesses socialistes&nbsp;: ce leader «&nbsp;socialiste de gauche&nbsp;» manie volontiers le verbe révolutionnaire. Mais sans rien faire d’autre non plus que de soutenir le gouvernement. C’est évidemment une situation extrêmement dangereuse pour la classe ouvrière. Son agitation et les déclarations incendiaires de Largo Caballero font réellement peur à la bourgeoisie. Mais à aucun moment il n’est question de s’organiser pour se préparer à l’affrontement…
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Le 17 juillet Franco lance son coup d’état (Canaries/Maroc). La moitié de l’Espagne est contrôlée par l’armée en 48h. L’autre moitié appartient aux travailleurs en armes.<br /> Dans les régions où les travailleurs ont réagi avec retard, ce sont immédiatement des massacres à grande échelle, une guerre de destruction du mouvement ouvrier (9 000 morts rien qu’à Séville&nbsp;!). Les régions où le coup d’état a échoué sont celles où les travailleurs avec la CNT -qui joue un rôle déterminant à ce moment là- ont eux même désarmé les soldats. Nulle part l’armée ne marque son attachement à la République, sauf exceptions, notamment une partie des gardes civiles, et dans la marine (mais dans ce cas ce sont les marins qui fusillent leurs officiers). Une fois désarmés, des officiers rejoindront ensuite le camp républicain, mais c’est autre chose…
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=== Coup d'État de Franco ===
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Le 17 juillet Franco lance son coup d’état (Canaries/Maroc). La moitié de l’Espagne est contrôlée par l’armée en 48h. L’autre moitié appartient aux travailleurs en armes.
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Dans l’immédiat, le gouvernement défend le mythe d’une armée qui reste fidèle au gouvernement et à la République&nbsp;:<br /> 16 juillet&nbsp;: le gouvernement censure les éditoriaux et articles avertissant du coup d’état<br /> 17 au 19 juillet&nbsp;: silence et mensonges sur le coup d’état qui a commencé, appels au calme et à la confiance («&nbsp;L’armée reste fidèle à la République&nbsp;», «&nbsp;Une bande de factieux&nbsp;»…).<br /> Une politique désastreuse qui a facilité le coup d’état.
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Dans les régions où les travailleurs ont réagi avec retard, ce sont immédiatement des massacres à grande échelle, une guerre de destruction du mouvement ouvrier (9 000 morts rien qu’à Séville&nbsp;!). Les régions où le coup d’état a échoué sont celles où les travailleurs avec la CNT -qui joue un rôle déterminant à ce moment là- ont eux même désarmé les soldats. Nulle part l’armée ne marque son attachement à la République, sauf exceptions, notamment une partie des gardes civiles, et dans la marine (mais dans ce cas ce sont les marins qui fusillent leurs officiers). Une fois désarmés, des officiers rejoindront ensuite le camp républicain, mais c’est autre chose…
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Mais une politique qui crée du même coup une situation inédite dans la partie «&nbsp;républicaine&nbsp;» du territoire. Là où l’armée a échoué dans son coup d’état, la République s’efface également, mais cette fois au profit d’une insurrection ouvrière qui a commencé à agir sans elle.
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Dans l’immédiat, le gouvernement défend le mythe d’une armée qui reste fidèle au gouvernement et à la République&nbsp;:
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C’est le règne des comités (de toutes sortes et de toute composition) même si c’est inégal selon les régions. Voir la page [[Double_pouvoir_en_Espagne_républicaine|double pouvoir en Espagne républicaine]] pour une description de l'ambiance révolutionnaire d'alors.
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* 16 juillet&nbsp;: le gouvernement censure les éditoriaux et articles avertissant du coup d’état
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* 17 au 19 juillet&nbsp;: silence et mensonges sur le coup d’état qui a commencé, appels au calme et à la confiance («&nbsp;L’armée reste fidèle à la République&nbsp;», «&nbsp;Une bande de factieux&nbsp;»…).
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C’est le paradoxe du coup d’état&nbsp;: destiné à prévenir une révolution (avant qu’il ne soit trop tard), il a précipité les événements et crées une situation révolutionnaire sans précédant dans une moitié de l’Espagne.
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Une politique désastreuse qui a facilité le coup d’état. Mais une politique qui crée du même coup une situation inédite dans la partie «&nbsp;républicaine&nbsp;» du territoire.  
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===Révolution et contre-révolution===
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=== Révolution et double pouvoir ===
[[File:Espagne collectivisations.jpg|frame|right|283x384px|Espagne collectivisations.jpg]] 
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Là où l’armée a échoué dans son coup d’état, la République s’efface également, mais cette fois au profit d’une insurrection ouvrière qui a commencé à agir sans elle.
Dans l’Espagne républicaine, c’est la révolution qui commence, mais une révolution qui ne va pas jusqu’au bout, avant d’être progressivement étouffée puis assassinée sous les coups de la répression.
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C’est le règne des comités (de toutes sortes et de toute composition) même si c’est inégal selon les régions.
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C’est le paradoxe du coup d’état&nbsp;: destiné à prévenir une révolution (avant qu’il ne soit trop tard), il a précipité les événements et créé une situation révolutionnaire sans précédant dans une moitié de l’Espagne.[[File:Espagne collectivisations.jpg|frame|right|283x384px|Affiche sur la collectivisation des transports]] 
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*'''Expropriation ou [[contrôle ouvrier]] des entreprises :''' le phénomène est évidemment d’une importance variable selon les régions (en Catalogne sous l’influence de la CNT, ce sont quand même près des ¾ des entreprises qui sont directement saisies par les ouvriers et remises en route par eux&nbsp;!).
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*Confiscation des comptes en banque, municipalisation des logements, foisonnement de tribunaux populaires et milices sous le contrôle des syndicats et partis.
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*Expropriation des biens du [[clergé]], fermeture des églises et des écoles confessionnelles, violences parfois contre les membres du clergé (cela sera souvent reproché mais ne s’explique que par la place qu’occupait l’Église&nbsp;: le plus grand propriétaire d’Espagne et un pilier de toutes les dictatures…).
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*Expropriation des grandes [[propriétés foncières]] avec très vite un débat impulsé par la CNT&nbsp;: [[partage des terres]] ou [[collectivisation]]. Le gouvernement et les [[staliniens]] sont contre toute forme de collectivisme, le résultat est souvent partagé.
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« Barcelone est le symbole de cette situation révolutionnaire. Pour l'excellent observateur qu'est Franz Borkenau, elle est le «&nbsp;bastion de l'Espagne soviétique&nbsp;» — au sens primitif du terme —, de l'Espagne des conseils et des comités ouvriers. Elle offre en effet, non seulement l'aspect d'une ville peuplée exclusivement d'ouvriers, mais encore celui d'une ville où les ouvriers ont le pouvoir&nbsp;: on les voit partout, dans les rues, devant les immeubles, sur les Ramblas, fusil en bandoulière, pistolet à la ceinture, en vêtements de travail<ref>Tous les observateurs ont été frappés de l’attachement des ouvriers, hommes et femmes, à leurs armes. Delaprée (op. cit. p.21) nous montre une femme revenant du marché, son enfant, son cabas et son fusil dans les bras. Koltsov (op. cit. p. 17) dit qu'on ne pose son arme ni au restaurant, ni dans les salles de spectacles, malgré les écriteaux qui conseillent de les déposer au vestiaire. Il commente le 8 août&nbsp;: " Les travailleurs se sont emparés des armes, ils ne les laisseront pas si facilement que cela ".</ref>. Plus de bicornes de gardes civils, très peu d'uniformes, pas de bourgeois ni de senoritos&nbsp;: la Généralité a, dit-on, «&nbsp;déconseillé&nbsp;» le port du chapeau. Plus de boîtes de nuit, ni de restaurants, ni d'hôtels de luxe&nbsp;: saisis par les organisations ouvrières, ils servent de réfectoires populaires. Les habituels mendiants ont disparu, pris en charge par les organismes syndicaux d'assistance. Les autos arborent toutes fanions, insignes ou initiales d'organisations ouvrières. Partout, sur les immeubles, les cafés, les boutiques, les usines, les trams ou les camions, des affiches indiquant que l'entreprise a été «&nbsp;collectivisée par le peuple&nbsp;» ou qu'elle «&nbsp;appartient à la C. N. T.&nbsp;». Partis et syndicats se sont installés dans de grands immeubles modernes, hôtels ou sièges d'organisations de droite. Chaque organisation a son quotidien et son émetteur-radio. Sauf la cathédrale, fermée, toutes les églises ont brûlé. La guerre civile continue et toutes les nuits de nouvelles victimes tombent. (…)
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'''Le début classique de la révolution&nbsp;:'''
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Madrid, quelques jours après, offre au voyageur venu de France un spectacle différent. Ici aussi, certes, les syndicats et partis sont installés dans de beaux bâtiments, ont organisé leurs propres milices, mais les ouvriers armés sont rares dans les rues, presque tous dans le nouvel uniforme, le «&nbsp;mono&nbsp;», la combinaison de travail bleue. Les anciens uniformes n'ont pas disparu&nbsp;; dès le 27 juillet, la police régulière a repris dans les rues un service normal. Toutes les églises sont fermées, mais elles sont loin d'avoir été toutes incendiées. Il y a moins de Comités, peu de traces d'expropriation. Les mendiants habituels tendent la main au coin des rues. Restaurants chics et boîtes de nuit fonctionnent comme «avant». La guerre, toute proche ici, a arrêté le cours de la révolution.
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*expropriation ou contrôle ouvrier des entreprises, le phénomène est évidemment d’une importance variable selon les régions (en Catalogne sous l’influence de la CNT, ce sont quand même près des ¾ des entreprises qui sont directement saisies par les ouvriers et remises en route par eux&nbsp;!).
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Entre ces deux extrêmes, l'Espagne républicaine offre toute une gamme de nuances, d'une ville à l'autre, d'une province à l'autre. »<ref>Pierre Broué et Emile Témine, ''[[:fr:La Révolution et la Guerre d’Espagne|La révolution et la guerre en Espagne]]'', Chapitre V&nbsp;: Double pouvoir en Espagne républicaine (pages 104-105)</ref>
*confiscation des comptes en banque, municipalisation des logements, foisonnement de tribunaux populaires et milices sous le contrôle des syndicats et partis.
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*expropriation des biens du clergé, fermeture des églises et des écoles confessionnelles, violences parfois contre les membres du clergé (cela sera souvent reproché mais ne s’explique que par la place qu’occupait l’Eglise&nbsp;: le plus grand propriétaire d’Espagne et un pilier de toutes les dictatures…).
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*Expropriation des grandes propriétés foncières avec très vite un débat impulsé par la CNT&nbsp;: partage des terres ou collectivisation. Le gouvernement et les staliniens sont contre toute forme de collectivisme, le résultat est souvent partagé (voir débat dans le film de Ken Loach). Mais dans l’immédiat, ce n’est pas ce qui pose le plus de problème (on y reviendra plus tard). Dans l’immédiat, c’est la question du pouvoir qui est posée et qui va être déterminante.
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Car c’est une révolution qui ne va pas jusqu’au bout&nbsp;: le gouvernement de FP a été balayé de fait par les événements et n’a plus aucune base sociale à ce moment là (ni la bourgeoisie ni le prolétariat)&nbsp;; mais sous l’impulsion des organisations ouvrières, y compris la CNT et le POUM, les comités qui ont de fait le pouvoir après le 18 juillet refusent d’assumer le pouvoir jusqu’au bout.
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=== Autolimitation de la CNT et du POUM ===
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Mais c’est une révolution qui ne va pas jusqu’au bout&nbsp;: le gouvernement de FP a été balayé de fait par les événements et n’a plus aucune base sociale à ce moment là (ni la bourgeoisie ni le prolétariat)&nbsp;; mais sous l’impulsion des organisations ouvrières, y compris la CNT et le POUM, les comités qui ont de fait le pouvoir après le 18 juillet refusent d’assumer le pouvoir jusqu’au bout.
    
D’où une situation paradoxale&nbsp;: les comités dirigent de fait et contrôlent l’Espagne «&nbsp;républicaine&nbsp;», mais officiellement, la seule autorité légale est celle du gouvernement. Les organisations ouvrières choisissent, en refusant de prendre le pouvoir, de lui donner une nouvelle légitimité.
 
D’où une situation paradoxale&nbsp;: les comités dirigent de fait et contrôlent l’Espagne «&nbsp;républicaine&nbsp;», mais officiellement, la seule autorité légale est celle du gouvernement. Les organisations ouvrières choisissent, en refusant de prendre le pouvoir, de lui donner une nouvelle légitimité.
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Ce qui provoque parfois des scènes plutôt étonnantes. Les anarchistes Garcia Oliver, Durruti et Santillan se rendent au palais de la Généralité de Catalogne le 20 juillet. Le président Companys (un républicain favorable à l’indépendance de la Catalogne) les attend livide (il y a eu beaucoup de fusillés les derniers jours et tout est aux mains des anarchistes&nbsp;!). Companys leur propose de servir comme simple soldat de la révolution (la scène est notamment racontée par Broué et Témine page 112). Les anarchistes rétorquent qu’ils ne veulent pas du pouvoir (mais les mêmes deviendront ministres quelques mois plus tard&nbsp;!).<br /> Du coup, le gouvernement reste en place. Simplement, les organisations ouvrières installent à côté de lui un Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne (où la CNT se met volontairement en minorité&nbsp;!). Avec l’illusion que les anarchistes ont de toute façon le pouvoir, puisqu’ils contrôlent tout, même le gouvernement&nbsp;: c’est notre allié, et s’il nous veut du mal, il n’aura pas les moyens de nous combattre…
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Ce qui provoque parfois des scènes plutôt étonnantes. Les anarchistes Garcia Oliver, Durruti et Santillan se rendent au palais de la Généralité de Catalogne le 20 juillet. Le président Companys (un républicain favorable à l’indépendance de la Catalogne) les attend livide (il y a eu beaucoup de fusillés les derniers jours et tout est aux mains des anarchistes&nbsp;!). Companys leur propose de servir comme simple soldat de la révolution (la scène est notamment racontée par Broué et Témine page 112). Les anarchistes rétorquent qu’ils ne veulent pas du pouvoir (mais les mêmes deviendront ministres quelques mois plus tard&nbsp;!).
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'''Pourtant les problèmes arrivent vite&nbsp;! '''<br /> D’abord la guerre, avec des effets immédiats. Durruti part immédiatement avec 20 000 hommes (et femmes&nbsp;!) pour sauver Saragosse. Le résultat est un jeu de dupes&nbsp;: chantage à l’arrière (toutes les armes pour le front, discipline, production, centralisation)&nbsp;; et sacrifices au front (les milices du POUM et de la CNT sont les plus exposées et sans armes).<br /> Les révolutionnaires se battent contre Franco, mais à l’arrière le pouvoir central se reconstruit. Pas à pas. C’est aussi une des leçons d’Espagne&nbsp;: on peut reconstruire un appareil d’État bourgeois parfois avec trois fois rien au départ.<br /> Des comités qui acceptent de s’intégrer aux municipalités. Des milices intégrées dans une nouvelle police ou militarisées sur le front. Des entreprises nationalisées et désormais dirigées par des “&nbsp;techniciens&nbsp;” au détriment des formes de contrôle ouvrier. Parfois avec le consentement, parfois grâce à une série de petits coups de force…
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Du coup, le gouvernement reste en place. Simplement, les organisations ouvrières installent à côté de lui un Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne (où la CNT se met volontairement en minorité&nbsp;!). Avec l’illusion que les anarchistes ont de toute façon le pouvoir, puisqu’ils contrôlent tout, même le gouvernement&nbsp;: c’est notre allié, et s’il nous veut du mal, il n’aura pas les moyens de nous combattre…
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=== Contre-révolution interne, bourgeoise et stalinienne ===
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'''Pourtant les problèmes arrivent vite&nbsp;! '''<br /> D’abord la guerre, avec des effets immédiats. Durruti part immédiatement avec 20 000 hommes et femmes pour sauver Saragosse. Le résultat est un jeu de dupes&nbsp;: chantage à l’arrière (toutes les armes pour le front, discipline, production, centralisation)&nbsp;; et sacrifices au front (les milices du POUM et de la CNT sont les plus exposées et sans armes).
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Les révolutionnaires se battent contre Franco, mais à l’arrière le pouvoir central se reconstruit. Pas à pas. C’est aussi une des leçons d’Espagne&nbsp;: on peut reconstruire un appareil d’État bourgeois parfois avec trois fois rien au départ.
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Des comités qui acceptent de s’intégrer aux municipalités. Des milices intégrées dans une nouvelle police ou militarisées sur le front. Des entreprises nationalisées et désormais dirigées par des “&nbsp;techniciens&nbsp;” au détriment des formes de contrôle ouvrier. Parfois avec le consentement, parfois grâce à une série de petits coups de force…
    
A Barcelone, cela prend plutôt l’allure d’une guerre larvée permanente. Mais la CNT et le POUM sont pris dans une contradiction insoluble. A la base, leurs militants résistent à cette reprise en main. Mais en même temps ces organisations décident de participer au gouvernement.
 
A Barcelone, cela prend plutôt l’allure d’une guerre larvée permanente. Mais la CNT et le POUM sont pris dans une contradiction insoluble. A la base, leurs militants résistent à cette reprise en main. Mais en même temps ces organisations décident de participer au gouvernement.
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Dès le 27 septembre, Garcia Oliver (CNT) et Andrès Nin (POUM) sont ministres de la Généralité de Catalogne. On reviendra plus tard sur les raisons qui ont pu les motiver à ce moment là (voir la dernière partie de l’exposé consacrée aux problèmes du «&nbsp;parti révolutionnaire&nbsp;»). Mais dans l’immédiat, on ne peut que constater qu’ils se retrouvent vite dans une impasse.
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Dès le 27 septembre, Garcia Oliver (CNT) et [[Andrès Nin]] (POUM) sont ministres de la Généralité de Catalogne. Malgré leur bonne volonté, ils se retrouvent vite dans une impasse.
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Même ministres, ils ne contrôlent pas grand chose, mais ils se sentent obligés de justifier la politique du gouvernement et font pression sur leurs propres camarades dans le sens du compromis. C’est ainsi que le comité central des milices est dissous au moment où ils entrent dans le gouvernement catalan…
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Même ministres, ils ne contrôlent pas grand chose, mais ils se sentent obligés de justifier la politique du gouvernement et font pression sur leurs propres camarades dans le sens du compromis. C’est ainsi que le comité central des milices est dissous au moment où ils entrent dans le gouvernement catalan…<br /> Un mois après, la CNT entre dans le gouvernement de Madrid et le même phénomène se répète dans tout le pays.
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Un mois après, la CNT entre dans le gouvernement de Madrid et le même phénomène se répète dans tout le pays.
    
'''Cette reconstruction progressive de l’État aux dépends des comités dure jusqu’en mai 1937, une évolution qui est amplifiée par deux phénomènes&nbsp;:'''
 
'''Cette reconstruction progressive de l’État aux dépends des comités dure jusqu’en mai 1937, une évolution qui est amplifiée par deux phénomènes&nbsp;:'''
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Le 3 mai le gouvernement tente de s’emparer du central téléphonique aux mains des employés et gardés par la CNT. Grèves et barricades partout, une véritable insurrection partie à la base. Le gouvernement depuis Valence envoie 5 000 hommes supplémentaires mais Garcia Oliver et Federica Montseny prêchent le retour au calme&nbsp;! Le 7 mai la révolution est vaincue. Le POUM n’a pas osé prendre la tête de l’insurrection.
 
Le 3 mai le gouvernement tente de s’emparer du central téléphonique aux mains des employés et gardés par la CNT. Grèves et barricades partout, une véritable insurrection partie à la base. Le gouvernement depuis Valence envoie 5 000 hommes supplémentaires mais Garcia Oliver et Federica Montseny prêchent le retour au calme&nbsp;! Le 7 mai la révolution est vaincue. Le POUM n’a pas osé prendre la tête de l’insurrection.
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'''Après, tout va très vite&nbsp;: '''<br /> En juin, Caballero sont remplacé par Negrin. Les anarchistes sont démissionnés du gouvernement en Catalogne et à Madrid. La République n’a plus besoin d’eux.<br /> La répression à une grande échelle commence immédiatement&nbsp;: mise en place de la SIM (service d’enquêtes militaires) voulu par le gouvernement et entièrement contrôlé par le GPU. Des milliers de militants arrêtés et torturés, des dizaines de prison secrètes. D’abord le POUM et d’abord Nin. Puis la CNT mise hors la loi, ses locaux saccagés etc
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'''Après, tout va très vite&nbsp;: '''<br /> En juin, Caballero sont remplacé par Negrin. Les anarchistes sont renvoyés du gouvernement en Catalogne et à Madrid. La République n’a plus besoin d’eux.
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La répression à une grande échelle commence immédiatement&nbsp;: mise en place de la SIM (service d’enquêtes militaires) voulu par le gouvernement et entièrement contrôlé par le GPU. Des milliers de militants arrêtés et torturés, des dizaines de prison secrètes. D’abord le POUM et d’abord Nin. Puis la CNT mise hors la loi, ses locaux saccagés etc.
    
La République bourgeoise révèle sa nature profonde&nbsp;: maintenant que l’État a pu être reconstruit (il a quand même fallu dix mois pour y arriver), la République utilise des moyens de terreur qui n’ont rien à envier à ceux utilisés par les fascistes.
 
La République bourgeoise révèle sa nature profonde&nbsp;: maintenant que l’État a pu être reconstruit (il a quand même fallu dix mois pour y arriver), la République utilise des moyens de terreur qui n’ont rien à envier à ceux utilisés par les fascistes.
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'''C’est aussi une étape essentielle dans la formation du stalinisme.''' Car le phénomène stalinien ne s’est pas constitué d’un seul coup. Les staliniens ont eu évidemment une responsabilité écrasante dans la défaite du prolétariat en 1927 en Chine, et en 1933 en Allemagne. Mais c’était avant tout le résultat d’une politique d’aventuriers qui n’ont plus comme préoccupation première la victoire du prolétariat. En Espagne en 1936, Staline cherche consciemment à écraser la révolution espagnole. Comme le réformisme de la social-démocratie en 1919 en Allemagne, le réformisme stalinien en Espagne bascule du côté de l’ordre bourgeois.
 
'''C’est aussi une étape essentielle dans la formation du stalinisme.''' Car le phénomène stalinien ne s’est pas constitué d’un seul coup. Les staliniens ont eu évidemment une responsabilité écrasante dans la défaite du prolétariat en 1927 en Chine, et en 1933 en Allemagne. Mais c’était avant tout le résultat d’une politique d’aventuriers qui n’ont plus comme préoccupation première la victoire du prolétariat. En Espagne en 1936, Staline cherche consciemment à écraser la révolution espagnole. Comme le réformisme de la social-démocratie en 1919 en Allemagne, le réformisme stalinien en Espagne bascule du côté de l’ordre bourgeois.
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Car c’est bien une contre révolution qui commence, politique et sociale. La lutte contre la collectivisation devient systématique dans les villes et les campagnes (notamment la décollectivisation des terres en Aragon).
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Car c’est bien une contre révolution qui commence, politique et sociale. La lutte contre la [[Collectivisme|collectivisation]] devient systématique dans les villes et les campagnes (notamment la décollectivisation des terres en Aragon).
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=== Contre-révolution fasciste ===
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Ce qui n’empêche pas les défaites militaires de continuer à s’accumuler. Désormais c’est une guerre classique. A ce jeu Franco soutenu par Hitler et Mussolini est le plus fort.
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Ce qui n’empêche pas les défaites militaires de continuer à s’accumuler. Désormais c’est une guerre classique. A ce jeu Franco soutenu par Hitler et Mussolini est le plus fort.<br /> Le camp de la révolution est désarmé et du côté républicain l’enthousiasme a disparu. En janvier 1939, Barcelone est prise sans combat par les troupes de Franco. Symptomatique aussi la fin du gouvernement républicain&nbsp;: Négrin est renversé le 5 mars par un coup d’état militaire(Casado) qui négocie en vain avec Franco. Mais du côté de Franco, pourquoi négocier avec un gouvernement qui n’est pas seulement battu militairement mais qui ne représente plus rien politiquement&nbsp;?
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Le camp de la révolution est désarmé et du côté républicain l’enthousiasme a disparu. En janvier 1939, Barcelone est prise sans combat par les troupes de Franco. Symptomatique aussi la fin du gouvernement républicain&nbsp;: Négrin est renversé le 5 mars par un coup d’état militaire(Casado) qui négocie en vain avec Franco. Mais du côté de Franco, pourquoi négocier avec un gouvernement qui n’est pas seulement battu militairement mais qui ne représente plus rien politiquement&nbsp;?
    
Le 28 mars 1939, Franco entre à Madrid. Son gouvernement reconnu déjà un mois avant par la France qui envoie un premier ambassadeur&nbsp;: Pétain.
 
Le 28 mars 1939, Franco entre à Madrid. Son gouvernement reconnu déjà un mois avant par la France qui envoie un premier ambassadeur&nbsp;: Pétain.
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===Les collectivisations===
 
===Les collectivisations===
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Le phénomène a été massif on l’a dit. Avec des formes variées de contrôle ouvrier, de contrôle par les organisations ouvrières ou par les municipalités, d’expropriation… Dans les campagnes, le débat a fait rage entre partisans du partage des terres et partisans de la collectivisation (voir le film de ken Loach).
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Le phénomène a été massif on l’a dit. Avec des formes variées de [[contrôle ouvrier]], de contrôle par les organisations ouvrières ou par les [[Socialisme municipal|municipalités]], d’[[expropriation]]… Dans les campagnes, le débat a fait rage entre partisans du partage des terres et partisans de la collectivisation (voir le film de Ken Loach).
    
C’est d’ailleurs l’aspect le plus remarquable. En Russie en 1917 et même dans les années qui ont suivi, il n’y a eu qu’un très faible mouvement en faveur de solutions collectivistes dans les campagnes. La puissance du mouvement anarchiste en Espagne a sans doute fait la différence…
 
C’est d’ailleurs l’aspect le plus remarquable. En Russie en 1917 et même dans les années qui ont suivi, il n’y a eu qu’un très faible mouvement en faveur de solutions collectivistes dans les campagnes. La puissance du mouvement anarchiste en Espagne a sans doute fait la différence…
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Mais cela a fait l’objet de plusieurs controverses.<br /> Le gouvernement et les staliniens les ont farouchement combattues au nom de la guerre qui était la priorité. Dans les villes pourtant, ils ont dû composer. Il faut attendre souvent plusieurs mois avant que des «&nbsp;techniciens&nbsp;» nommés par le gouvernement se substituent au contrôle ouvrier (à défaut de réintégrer les anciens propriétaires souvent enfuis dès les premiers jours). A noter que la collectivisation ne touche pas que des usines, mais aussi des grands restaurants comme à Barcelone…<br /> Dans les campagnes les anarchistes sont accusés de semer la «&nbsp;terreur&nbsp;» avec leurs «&nbsp;colonnes infernales&nbsp;». Les tentatives de collectivisation refluent plus rapidement qu’en ville, sauf en Aragon où il a faut attendre le tournant de mai 1937 pour qu’elles soient remises en cause.
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Mais cela a fait l’objet de plusieurs controverses.
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Le gouvernement et les staliniens les ont farouchement combattues au nom de la guerre qui était la priorité. Dans les villes pourtant, ils ont dû composer. Il faut attendre souvent plusieurs mois avant que des «&nbsp;techniciens&nbsp;» nommés par le gouvernement se substituent au contrôle ouvrier (à défaut de réintégrer les anciens propriétaires souvent enfuis dès les premiers jours). A noter que la collectivisation ne touche pas que des usines, mais aussi des grands restaurants comme à Barcelone…
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Dans les campagnes les [[Confédération nationale du travail (Espagne)|anarchistes]] sont accusés de semer la «&nbsp;terreur&nbsp;» avec leurs «&nbsp;colonnes infernales&nbsp;». Les tentatives de collectivisation refluent plus rapidement qu’en ville, sauf en Aragon où il a faut attendre le tournant de mai 1937 pour qu’elles soient remises en cause.
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Plus encore que le principe, c’est surtout l’efficacité du système collectiviste qui est dénoncée. Toujours au nom de la défense militaire. Il est vrai que la collectivisation a été généralement mise en œuvre sur le modèle anarchiste, avec une indépendance presque complète de chaque unité de production. Parfois avec des solutions radicales&nbsp;: par exemple la suppression de l’argent dans certains villages. Mais très vite justement se posent des problèmes de crédit, d’approvisionnement, de circuits commerciaux… Et donc la mise en place d’une organisation planifiée, contrôlée par la population elle-même, mais impossible à réaliser si on ne contrôle pas l’Etat, et si le gouvernement est contre. D’où une inévitable stagnation de ces petites unités de production livrées à elles mêmes, et le bilan mitigé d’une expérience faute d’avoir résolu la question du pouvoir…
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Plus encore que le principe, c’est surtout l’efficacité du système collectiviste qui est dénoncée. Toujours au nom de la défense militaire. Il est vrai que la collectivisation a été généralement mise en œuvre sur le modèle [[Anarchisme|anarchiste]], avec une indépendance presque complète de chaque unité de production. Parfois avec des solutions radicales&nbsp;: par exemple la suppression de l’argent dans certains villages. Mais très vite justement se posent des problèmes de crédit, d’approvisionnement, de circuits commerciaux… Et donc la mise en place d’une organisation planifiée, contrôlée par la population elle-même, mais impossible à réaliser si on ne contrôle pas l’Etat, et si le gouvernement est contre. D’où une inévitable stagnation de ces petites unités de production livrées à elles mêmes, et le bilan mitigé d’une expérience faute d’avoir résolu la question du pouvoir…
    
===Le parti révolutionnaire===
 
===Le parti révolutionnaire===
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D’une manière assez paradoxale, l’issue dépendait beaucoup de la CNT mais aussi du POUM.
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D’une manière assez paradoxale, l’issue dépendait beaucoup de la [[Confédération nationale du travail (Espagne)|CNT]] mais aussi du [[Parti ouvrier d'unification marxiste|POUM]].
    
La CNT a une influence et un milieu militant infiniment plus important que le POUM. Mais c’est une organisation très hétérogène, qui explose littéralement lorsqu’elle est confrontée à ses propres contradictions politiques (notamment au moment des événements de mai 1937). La CNT ne veut pas prendre le pouvoir après juillet mais elle accepte d’avoir des ministres quelques mois après et participe à la reconstruction de l’État bourgeois. Il est difficile d’en comprendre toutes les raisons. Il y a bien sûr les pressions en ce sens, la solidarité malgré tout contre le fascisme…<ref>Extrait du journal de la CNT Solidaridad Obrera (4 novembre 1936)fckLRfckLR</ref>
 
La CNT a une influence et un milieu militant infiniment plus important que le POUM. Mais c’est une organisation très hétérogène, qui explose littéralement lorsqu’elle est confrontée à ses propres contradictions politiques (notamment au moment des événements de mai 1937). La CNT ne veut pas prendre le pouvoir après juillet mais elle accepte d’avoir des ministres quelques mois après et participe à la reconstruction de l’État bourgeois. Il est difficile d’en comprendre toutes les raisons. Il y a bien sûr les pressions en ce sens, la solidarité malgré tout contre le fascisme…<ref>Extrait du journal de la CNT Solidaridad Obrera (4 novembre 1936)fckLRfckLR</ref>

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