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| Le 28 novembre 1917 se réunit le '''Conseil pan-russe du [[Contrôle_ouvrier|contrôle ouvrier]]''', qui décide de subordonner les [[Comités_d'usine|comités d'usine]] aux syndicats. | | Le 28 novembre 1917 se réunit le '''Conseil pan-russe du [[Contrôle_ouvrier|contrôle ouvrier]]''', qui décide de subordonner les [[Comités_d'usine|comités d'usine]] aux syndicats. |
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− | Le '''premier congrès pan-russe des syndicats''' se réunit les 7-11 janvier 1918, avec des délégués [[Bolcheviks|bolcheviks]], [[Mencheviks|mencheviks]], [[Parti_SR|SR]] et [[anarcho-syndicalistes]]. Deux thèmes principaux allaient dominer le Congrès. Quels devaient être les rapports entre les Comités d'usine et les syndicats ? Et quels devaient être les rapports entre les syndicats et le nouvel État russe ? | + | Le '''premier congrès pan-russe des syndicats''' se réunit les 7-11 janvier 1918, avec des délégués [[Bolcheviks|bolcheviks]], [[Mencheviks|mencheviks]], [[Parti_SR|SR]] et [[anarcho-syndicalistes]]. La perspective annoncée est claire : ''« le contrôle ouvrier doit éliminer l'autocratie dans le domaine économique, comme elle a déjà été éliminée dans le domaine politique »''. Cependant dans la pratique de profonds clivages apparaissent très vite. Deux thèmes principaux allaient dominer le Congrès. Quels devaient être les rapports entre les Comités d'usine et les syndicats ? Et quels devaient être les rapports entre les syndicats et le nouvel État russe ? |
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| Selon [[Solomon Losovsky|Lozovsky]], ''« les Comités d'usine étaient à ce point maîtres des lieux qu'ils étaient, trois mois après la révolution, dans une grande mesure indépendants par rapport aux organes de contrôle »''<ref>Pervy vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov, 7-14 yanvarya 1918 g. [Premier Congrés Panrusse des syndicats, 7-14 janvier 1918], Moscou, 1918, p. 193.</ref>. [[Maïski]], encore menchevik à l'époque, disait que d'après son expérience « ce n'était pas quelques prolétaires, mais presque tout le prolétariat, spécialement à Pétrograd, qui considérait le contrôle ouvrier comme l'avènement du royaume du socialisme ». Il se plaignait de ce que parmi les travailleurs, ''« l'idée même du socialisme était incarnée par le concept du contrôle ouvrier »''. Un autre délégué menchevik déplora ''« que sous le couvert des Comités d'usine et du contrôle ouvrier, une vogue d'anarchisme déferle sur notre mouvement ouvrier russe »''. [[David Riazanov|Riazanov]] pressa les Comités d'usine ''« de se suicider et de se transformer totalement en éléments de la structure des syndicats »''. | | Selon [[Solomon Losovsky|Lozovsky]], ''« les Comités d'usine étaient à ce point maîtres des lieux qu'ils étaient, trois mois après la révolution, dans une grande mesure indépendants par rapport aux organes de contrôle »''<ref>Pervy vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov, 7-14 yanvarya 1918 g. [Premier Congrés Panrusse des syndicats, 7-14 janvier 1918], Moscou, 1918, p. 193.</ref>. [[Maïski]], encore menchevik à l'époque, disait que d'après son expérience « ce n'était pas quelques prolétaires, mais presque tout le prolétariat, spécialement à Pétrograd, qui considérait le contrôle ouvrier comme l'avènement du royaume du socialisme ». Il se plaignait de ce que parmi les travailleurs, ''« l'idée même du socialisme était incarnée par le concept du contrôle ouvrier »''. Un autre délégué menchevik déplora ''« que sous le couvert des Comités d'usine et du contrôle ouvrier, une vogue d'anarchisme déferle sur notre mouvement ouvrier russe »''. [[David Riazanov|Riazanov]] pressa les Comités d'usine ''« de se suicider et de se transformer totalement en éléments de la structure des syndicats »''. |
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| Une résolution fut adoptée demandant ''« qu'un statut officiel garantisse les prérogatives administratives des syndicats »''. On y parlait d’ ''« étatisation des syndicats (...) dans la mesure où ses fonctions s'élargissaient toujours davantage et se fondaient avec celles de l'appareil gouvernemental d'administration et de contrôle de l'industrie »''. Le Commissaire au Travail, V. V. Shmidt, accepta que ''« les organes du Commissariat du Travail eux-mêmes puissent être construits à partir de l'appareil syndical »''. Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de l'autorité suprême entre les Congrès. Les décrets de cet Exécutif seraient ''« obligatoires pour tous les syndicats dans les affaires de leur juridiction et pour chaque membre de ces syndicats ». « La violation des décrets ou le refus de les appliquer de la part de syndicats particuliers, seront sanctionnés par leur expulsion de la famille des syndicats prolétariens »'' | | Une résolution fut adoptée demandant ''« qu'un statut officiel garantisse les prérogatives administratives des syndicats »''. On y parlait d’ ''« étatisation des syndicats (...) dans la mesure où ses fonctions s'élargissaient toujours davantage et se fondaient avec celles de l'appareil gouvernemental d'administration et de contrôle de l'industrie »''. Le Commissaire au Travail, V. V. Shmidt, accepta que ''« les organes du Commissariat du Travail eux-mêmes puissent être construits à partir de l'appareil syndical »''. Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de l'autorité suprême entre les Congrès. Les décrets de cet Exécutif seraient ''« obligatoires pour tous les syndicats dans les affaires de leur juridiction et pour chaque membre de ces syndicats ». « La violation des décrets ou le refus de les appliquer de la part de syndicats particuliers, seront sanctionnés par leur expulsion de la famille des syndicats prolétariens »'' |
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− | === Étatisation des syndicats === | + | ===Étatisation des syndicats=== |
| Le 8<sup>e</sup> congrès du Parti bolchévik a lieu les 18-23 mars 1919 au milieu d'une accalmie de la guerre civile. Une vague de critiques de gauche contre les tendances ultra-centralistes s'y fit entendre. Un nouveau programme du Parti fut discuté et approuvé. Le point 5 de la « Section Économique » déclarait que ''« l'appareil d'organisation de l'industrie socialisée doit être basé essentiellement sur les syndicats (...). Les syndicats qui, conformément aux lois de la République Soviétique et à la pratique quotidienne, participent déjà aux tâches de tous les organes centraux et locaux de l'administration industrielle, doivent procéder à la concentration effective dans leurs propres mains de toute l'administration de l'économie dans son ensemble, considérée comme une seule unité économique (...). La participation des syndicats à la gestion économique et leur rôle, qui consiste à entraîner de larges masses dans ce travail, constitue également la meilleure méthode de lutte contre la bureaucratisation de l'appareil économique »''<ref name=":0"><nowiki>Vosmoi s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Huitième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933</nowiki></ref> | | Le 8<sup>e</sup> congrès du Parti bolchévik a lieu les 18-23 mars 1919 au milieu d'une accalmie de la guerre civile. Une vague de critiques de gauche contre les tendances ultra-centralistes s'y fit entendre. Un nouveau programme du Parti fut discuté et approuvé. Le point 5 de la « Section Économique » déclarait que ''« l'appareil d'organisation de l'industrie socialisée doit être basé essentiellement sur les syndicats (...). Les syndicats qui, conformément aux lois de la République Soviétique et à la pratique quotidienne, participent déjà aux tâches de tous les organes centraux et locaux de l'administration industrielle, doivent procéder à la concentration effective dans leurs propres mains de toute l'administration de l'économie dans son ensemble, considérée comme une seule unité économique (...). La participation des syndicats à la gestion économique et leur rôle, qui consiste à entraîner de larges masses dans ce travail, constitue également la meilleure méthode de lutte contre la bureaucratisation de l'appareil économique »''<ref name=":0"><nowiki>Vosmoi s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Huitième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933</nowiki></ref> |
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| Le 27 décembre, le gouvernement crée la Commission du Travail Obligatoire, avec Trotsky (qui était toujours Commissaire à la Guerre) comme Président. En janvier 1920, le [[Conseil des commissaires du peuple (URSS)|Sovnarkom]] publie un décret définissant des règles généralisant le Service du Travail obligatoire ''« pour subvenir aux besoins de main-d'œuvre de l'industrie, l'agriculture, les transports et les autres branches de l'économie nationale sur la base d'un plan économique général »''. N'importe qui pouvait être mobilisé, exceptionnellement ou périodiquement, pour différents travaux (dans l'agriculture, le bâtiment, la construction des routes, l'approvisionnement en nourriture ou en combustible, pour enlever la neige, dans les transports ou pour ''« faire face aux calamités publiques »''). Le document signalait qu'il fallait dans une certaine mesure ''« regretter la destruction du vieil appareil policier qui avait su recenser les citoyens, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes »''.<ref>Sobraniye Uzakonenii, 1920, N° 8, art. 49, V. aussi Treti vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov [Troisième Congrès Panrusse des syndicats] 1920, I, Plenumi, pp. 50-51</ref> | | Le 27 décembre, le gouvernement crée la Commission du Travail Obligatoire, avec Trotsky (qui était toujours Commissaire à la Guerre) comme Président. En janvier 1920, le [[Conseil des commissaires du peuple (URSS)|Sovnarkom]] publie un décret définissant des règles généralisant le Service du Travail obligatoire ''« pour subvenir aux besoins de main-d'œuvre de l'industrie, l'agriculture, les transports et les autres branches de l'économie nationale sur la base d'un plan économique général »''. N'importe qui pouvait être mobilisé, exceptionnellement ou périodiquement, pour différents travaux (dans l'agriculture, le bâtiment, la construction des routes, l'approvisionnement en nourriture ou en combustible, pour enlever la neige, dans les transports ou pour ''« faire face aux calamités publiques »''). Le document signalait qu'il fallait dans une certaine mesure ''« regretter la destruction du vieil appareil policier qui avait su recenser les citoyens, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes »''.<ref>Sobraniye Uzakonenii, 1920, N° 8, art. 49, V. aussi Treti vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov [Troisième Congrès Panrusse des syndicats] 1920, I, Plenumi, pp. 50-51</ref> |
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| + | Le 12 janvier à la réunion du Conseil central panrrusse des syndicats (CCPS), Lénine et Trotsky demandèrent à la réunion de la fraction bolchévique que la militarisation du travail soit acceptée. Mais seulement 2 des quelque 60 dirigeants syndicaux bolcheviks les appuyèrent. |
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− | Le 12 janvier à la réunion du Conseil Central Panrusse des syndicats, Lénine et Trotsky demandèrent à la réunion de la fraction bolchévique que la militarisation du travail soit acceptée. Mais seulement 2 des quelque 60 dirigeants syndicaux bolcheviks les appuyèrent. | + | Le 15 mars 1920, le bolchévik [[Tomski|Tomski]] présente ses thèses pour la séance de la fraction du Conseil central pan-russe des syndicats (CCPS). Le point 7 de ces thèses incluait la collégialité dans la direction. Tomski affirme : ''« Les syndicats sont les organisations les plus capables mais aussi les plus intéressées par le rétablissement de la production dans le pays et son bon fonctionnement »''<ref>Tomsky, « Zadachi prosoyuzov » [Les tâches des syndicats]. Neuvième Congrès du Parti, Appendice 13, p. 534.</ref> |
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| + | Mais ces oppositions ne se limitaient pas à des débats d'orientation dans les congrès. A la même époque se livre une lutte d'influence entre appareil du parti et appareil syndical. La fraction du Parti dans le CCPS, dominée par la « gauche », essayait d'obtenir une autorité directe sur tous les membres du Parti dans les divers syndicats de l'industrie. Peu avant le 9<sup>e</sup> congrès du Parti, la fraction du Parti dans le CCPS adopta une résolution qui allait dans ce sens, soumettant directement toutes les fractions du Parti dans les syndicats à la fraction du Parti dans le CCPS plutôt qu'aux organisations « régionales » du Parti. Cela aurait créé une organisation semi-autonome contrôlant un pourcentage élevé des membres du Parti. La résolution fut rejetée lorsqu'elle qu'elle fut soumise à l'[[Orgbureau]]. |
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| + | Les [[Groupe centraliste démocratique|décistes]] défendirent le centralisme. Leur résolution, votée par l'organisation moscovite du Parti, stipulait que ''« la discipline du Parti doit toujours l'emporter sur la discipline syndicale »''. |
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| + | En revanche le Bureau méridional du CCPS fit voter une résolution en faveur de l'autonomie dès syndicalistes du Parti semblable à celle qu'avait présenté l'organisation sœur — et la fit approuver par la 4<sup>e</sup> Conférence Ukrainienne du Parti. |
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| Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviaires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer. Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une « remise en ordre » des syndicats. | | Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviaires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer. Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une « remise en ordre » des syndicats. |