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| Une résolution fut adoptée demandant ''« qu'un statut officiel garantisse les prérogatives administratives des syndicats »''. On y parlait d’ ''« étatisation des syndicats (...) dans la mesure où ses fonctions s'élargissaient toujours davantage et se fondaient avec celles de l'appareil gouvernemental d'administration et de contrôle de l'industrie »''. Le Commissaire au Travail, V. V. Shmidt, accepta que ''« les organes du Commissariat du Travail eux-mêmes puissent être construits à partir de l'appareil syndical »''. Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de l'autorité suprême entre les Congrès. Les décrets de cet Exécutif seraient ''« obligatoires pour tous les syndicats dans les affaires de leur juridiction et pour chaque membre de ces syndicats ». « La violation des décrets ou le refus de les appliquer de la part de syndicats particuliers, seront sanctionnés par leur expulsion de la famille des syndicats prolétariens »'' | | Une résolution fut adoptée demandant ''« qu'un statut officiel garantisse les prérogatives administratives des syndicats »''. On y parlait d’ ''« étatisation des syndicats (...) dans la mesure où ses fonctions s'élargissaient toujours davantage et se fondaient avec celles de l'appareil gouvernemental d'administration et de contrôle de l'industrie »''. Le Commissaire au Travail, V. V. Shmidt, accepta que ''« les organes du Commissariat du Travail eux-mêmes puissent être construits à partir de l'appareil syndical »''. Et, pour finir, le deuxième Congrès mit en place un Exécutif, investi de l'autorité suprême entre les Congrès. Les décrets de cet Exécutif seraient ''« obligatoires pour tous les syndicats dans les affaires de leur juridiction et pour chaque membre de ces syndicats ». « La violation des décrets ou le refus de les appliquer de la part de syndicats particuliers, seront sanctionnés par leur expulsion de la famille des syndicats prolétariens »'' |
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| + | === Étatisation des syndicats === |
| + | Le 8<sup>e</sup> congrès du Parti bolchévik a lieu les 18-23 mars 1919 au milieu d'une accalmie de la guerre civile. Une vague de critiques de gauche contre les tendances ultra-centralistes s'y fit entendre. Un nouveau programme du Parti fut discuté et approuvé. Le point 5 de la « Section Économique » déclarait que ''« l'appareil d'organisation de l'industrie socialisée doit être basé essentiellement sur les syndicats (...). Les syndicats qui, conformément aux lois de la République Soviétique et à la pratique quotidienne, participent déjà aux tâches de tous les organes centraux et locaux de l'administration industrielle, doivent procéder à la concentration effective dans leurs propres mains de toute l'administration de l'économie dans son ensemble, considérée comme une seule unité économique (...). La participation des syndicats à la gestion économique et leur rôle, qui consiste à entraîner de larges masses dans ce travail, constitue également la meilleure méthode de lutte contre la bureaucratisation de l'appareil économique »''<ref name=":0"><nowiki>Vosmoi s'yezd RKP (b) : Protokoly [Le Huitième Congrès du PCR (b) : compte rendu], Moscou, IMEL, 1933</nowiki></ref> |
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| + | Ce paragraphe célèbre devait soulever de violentes discussions dans les années qui suivirent. [[David Riazanov|Riazanov]] lança cet avertissement au Congrès : ''« nous n'éviterons pas la bureaucratisation tant que tous les syndicats n'auront pas abandonné (...) toutes leurs prérogatives dans l'administration de la production »''. D'un autre côté, beaucoup des bolcheviks s'accrocheront à cette clause, comme un bastion qu'ils cherchaient à défendre contre la bureaucratie du Parti. |
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| + | [[Isaac Deutscher|Deutscher]] décrit le « point 5 » comme un « écart » syndicaliste dû à la reconnaissance des dirigeants bolcheviks pour le travail effectué par les syndicats pendant la guerre civile. Il souligne que les dirigeants bolcheviks ''« durent bientôt chercher toute sorte de justifications pour annuler ce chèque en blanc que le Parti avait si solennellement donné aux syndicats »''.<ref>I. Deutscher, ''Soviet Trade Unions'', 1950</ref> |
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| + | Le programme déclarait que « la méthode socialiste de la production ne peut être assurée que par une discipline entre camarades ouvriers ». Il confiait aux syndicats « le rôle principal dans la création de cette nouvelle discipline socialiste ». Le point 8 pressait les syndicats de ''« faire comprendre aux travailleurs la nécessité de travailler avec des techniciens et spécialistes bourgeois, d'apprendre d'eux — et de surmonter la méfiance « ultra-radicale » envers ces derniers (...). Les ouvriers ne pourront pas construire le socialisme sans une période d'apprentissage auprès de l'intelligentsia bourgeoise (...). On acceptait ainsi les hauts salaires et les primes des « spécialistes » bourgeois. C'était la rançon que le jeune État prolétarien devait payer s'il voulait obtenir l'aide indispensable des techniciens et des scientifiques de formation bourgeoise »''<ref name=":0" /> |
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| Le 4 décembre 1919, la 8<sup>e</sup> conférence du parti bolchévik vote les statuts des factions communistes dans les syndicats. Il s'agit de faire en sorte que les communistes appliquent les directives votées centralement en votant en bloc dans les instances syndicales. L'idée est résumé par la formule selon laquelle un communiste dans un syndicat doit être ''« d'abord un communiste, ensuite un syndicaliste »''. | | Le 4 décembre 1919, la 8<sup>e</sup> conférence du parti bolchévik vote les statuts des factions communistes dans les syndicats. Il s'agit de faire en sorte que les communistes appliquent les directives votées centralement en votant en bloc dans les instances syndicales. L'idée est résumé par la formule selon laquelle un communiste dans un syndicat doit être ''« d'abord un communiste, ensuite un syndicaliste »''. |
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| ===1920-21 : ''« Militarisation du travail »''=== | | ===1920-21 : ''« Militarisation du travail »''=== |
| + | Le 16 décembre 1919, Trotsky soumet au Comité Central du Parti ses «Thèses sur la transition de la guerre à la paix » (où la plus importante de ses propositions était la « militarisation du travail »), croyant que la discussion ne sortirait pas du cadre du Comité. Les décisions les plus importantes concernant les conditions matérielles de vie et de travail de centaines de milliers d'ouvriers russes allaient être discutées et prises à huis clos, par les dirigeants du Parti. Mais le jour suivant, la ''[[Pravda]]'', dirigée par [[Nikolaï Boukharine|Boukharine]], publia « par erreur » les thèses de Trotsky (il s'agissait en fait d'une campagne dirigée contre Trotsky). Les propositions de Trotsky déclenchèrent « une avalanche de protestations »<ref>I. Deutscher, Trotsky, I, Le prophète armé (1879-1921), Paris, Julliard, 1962, p. 642.</ref>. Il fut hué aux Conférences de membres du Parti, administrateurs et syndicalistes. A ce moment-là, Lénine soutient Trotsky sans réserve. Cela déclenchera un peu plus tard (entre fin 1920 et début 1921) le débat sur la militarisation du travail, ou ''« débat sur les syndicats »''. |
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| + | Le 27 décembre, le gouvernement crée la Commission du Travail Obligatoire, avec Trotsky (qui était toujours Commissaire à la Guerre) comme Président. En janvier 1920, le [[Conseil des commissaires du peuple (URSS)|Sovnarkom]] publie un décret définissant des règles généralisant le Service du Travail obligatoire ''« pour subvenir aux besoins de main-d'œuvre de l'industrie, l'agriculture, les transports et les autres branches de l'économie nationale sur la base d'un plan économique général »''. N'importe qui pouvait être mobilisé, exceptionnellement ou périodiquement, pour différents travaux (dans l'agriculture, le bâtiment, la construction des routes, l'approvisionnement en nourriture ou en combustible, pour enlever la neige, dans les transports ou pour ''« faire face aux calamités publiques »''). Le document signalait qu'il fallait dans une certaine mesure ''« regretter la destruction du vieil appareil policier qui avait su recenser les citoyens, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes »''.<ref>Sobraniye Uzakonenii, 1920, N° 8, art. 49, V. aussi Treti vserossiiski s'yezd professionalnykh soyuzov [Troisième Congrès Panrusse des syndicats] 1920, I, Plenumi, pp. 50-51</ref> |
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− | Entre fin 1920 et début 1921 eut lieu dans le parti bolchévik le débat sur la militarisation du travail, ou ''« débat sur les syndicats »''.
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− | Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviraires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer.
| + | Le 12 janvier à la réunion du Conseil Central Panrusse des syndicats, Lénine et Trotsky demandèrent à la réunion de la fraction bolchévique que la militarisation du travail soit acceptée. Mais seulement 2 des quelque 60 dirigeants syndicaux bolcheviks les appuyèrent. |
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− | Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une « remise en ordre » des syndicats. | + | Au milieu de 1920, le pays fait face à une crise très grave, qui se manifeste notamment dans les transports ferroviaires. Des ingénieurs prévoyaient que d'ici quelques mois, plus une seule voie de chemin de fer ne serait en état de marche. La direction bolchévique fit appel à Trotsky, qui répondit d'abord qu'il ne connaissait rien aux chemins de fer. Par l'intermédiaire de ce qui devint le fameux ordre 1042, Trotsky plaça les chemins de fer et les cheminots sous la loi martiale et assura la remise en état des chemins de fer avant la date limite prévue. Cette expérience conduisit à sa proposition d'une « remise en ordre » des syndicats. |
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| La pénurie de spécialistes était un des facteurs les plus graves de désorganisation de l'industrie. L'Etat soviétique recensait les spécialistes et les ouvriers qualifiés, et les obligeait (sauf autorisation expresse) à travailler sur un poste exploitant au mieux leur spécialisation. [[Bertrand_Russel|Bertrand Russel]], qui s'est rendu en Russie en 1920 et qui est très critique du bolchévisme, justifie ces mesures : | | La pénurie de spécialistes était un des facteurs les plus graves de désorganisation de l'industrie. L'Etat soviétique recensait les spécialistes et les ouvriers qualifiés, et les obligeait (sauf autorisation expresse) à travailler sur un poste exploitant au mieux leur spécialisation. [[Bertrand_Russel|Bertrand Russel]], qui s'est rendu en Russie en 1920 et qui est très critique du bolchévisme, justifie ces mesures : |