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=== La Douma dans l'attente... ===
 
=== La Douma dans l'attente... ===
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La dissolution de la Douma fut ordonnée le 26, mais la majorité des députés l'apprennent le matin du 27 en arrivant au Palais de Tauride. Mais les principaux leaders, déjà informés, ne viennent pas, et attendent de voir comment les choses se présentent, ou sont en pourparlers secrets. Le prince Mansyriev, KD de droite, relate l'ambiance d'alors dans la Douma : ''« Au sein de la Douma, l'émoi était général, le bouleversement profond. On n'entendait même plus de conversations animées ; ce n'étaient que soupirs et courtes répliques dans ce genre : " Nous y voilà ! " ou bien des aveux de craintes personnelles. »''
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La dissolution de la Douma fut ordonnée le 26, mais la majorité des députés l'apprennent le matin du 27 en arrivant au Palais de Tauride. Mais les principaux leaders, déjà informés, ne viennent pas, et attendent de voir comment les choses se présentent, ou sont en pourparlers secrets. Le prince Mansyriev, [[Parti_KD|KD]] de droite, relate l'ambiance d'alors dans la Douma : ''« Au sein de la Douma, l'émoi était général, le bouleversement profond. On n'entendait même plus de conversations animées ; ce n'étaient que soupirs et courtes répliques dans ce genre : " Nous y voilà ! " ou bien des aveux de craintes personnelles. »''
    
Les députés acceptent servilement leur dissolution. Ils déclarent seulement qu'ils ne doivent pas quitter Pétrograd. Chidlovsky, libéral modéré, rappela plus tard, non sans sarcasme, qu'un certain Nékrassov, KD de gauche, futur associé de [[Kérensky|Kérensky]], avait proposé ''« d'établir une dictature militaire en remettant tout le pouvoir à un général populaire »''. Parmi les leaders absents, certains sont justement en train de proposer au grand-duc Michel de venir à Pétrograd pour exercer une dictature...
 
Les députés acceptent servilement leur dissolution. Ils déclarent seulement qu'ils ne doivent pas quitter Pétrograd. Chidlovsky, libéral modéré, rappela plus tard, non sans sarcasme, qu'un certain Nékrassov, KD de gauche, futur associé de [[Kérensky|Kérensky]], avait proposé ''« d'établir une dictature militaire en remettant tout le pouvoir à un général populaire »''. Parmi les leaders absents, certains sont justement en train de proposer au grand-duc Michel de venir à Pétrograd pour exercer une dictature...
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Les libéraux qui ont par la suite pris le pouvoir ont véhiculé le mythe qu'ils avaient eu un rôle d'initiative, alors qu'ils ont jusqu'au dernier moment espéré une répression tsariste, puis se sont faits de plus en plus discrets, en attendant de voir de quel côté le vent allait tourner.
 
Les libéraux qui ont par la suite pris le pouvoir ont véhiculé le mythe qu'ils avaient eu un rôle d'initiative, alors qu'ils ont jusqu'au dernier moment espéré une répression tsariste, puis se sont faits de plus en plus discrets, en attendant de voir de quel côté le vent allait tourner.
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En début d'après-midi, quand les leaders se virent forcés de se montrer à la Douma, le secrétaire du bureau apporta une "joyeuse nouvelle" (mais en réalité fausse) : ''« Les désordres seront bientôt réprimés, des mesures ont été prises. »'' Milioukov déclare : ''« Nous ne pouvons prendre, en ce moment, aucune décision, d'abord parce que nous ne savons pas quelle est l'étendue des troubles, ensuite parce que nous ignorons de quel côté se range la majorité des troupes de la garnison, des ouvriers et des organisations sociales. Il faut recueillir des renseignements précis sur tout cela, et, ensuite examiner la situation ; maintenant, il est encore trop tôt. »'' 
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En début d'après-midi, quand les leaders se virent forcés de se montrer à la Douma, le secrétaire du bureau apporta une "joyeuse nouvelle" (mais en réalité fausse) : ''« Les désordres seront bientôt réprimés, des mesures ont été prises. »'' [[Milioukov|Milioukov]] déclare : ''« Nous ne pouvons prendre, en ce moment, aucune décision, d'abord parce que nous ne savons pas quelle est l'étendue des troubles, ensuite parce que nous ignorons de quel côté se range la majorité des troupes de la garnison, des ouvriers et des organisations sociales. Il faut recueillir des renseignements précis sur tout cela, et, ensuite examiner la situation ; maintenant, il est encore trop tôt. »'' 
    
=== A Moscou et ailleurs ===
 
=== A Moscou et ailleurs ===
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Le 2 mars 1917 (n.s : 15 mars), Nicolas II renonce au trône en faveur de son frère, le grand-duc Mikhaïl Alexandrovitch Romanov. Devant la protestation populaire, celui-ci renonce à la couronne le lendemain. En 5 jours, sans avoir pu offrir la moindre résistance, [[Tsarisme|l'Ancien Régime russe]] s'écroule comme un château de cartes.
 
Le 2 mars 1917 (n.s : 15 mars), Nicolas II renonce au trône en faveur de son frère, le grand-duc Mikhaïl Alexandrovitch Romanov. Devant la protestation populaire, celui-ci renonce à la couronne le lendemain. En 5 jours, sans avoir pu offrir la moindre résistance, [[Tsarisme|l'Ancien Régime russe]] s'écroule comme un château de cartes.
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Les hommes de la contre-révolution sont encore là, partout, dans l'appareil militaire, dans les hautes sphères politiques. Le général Alexeiev, chef d’état-major des armées depuis août 1915 et perçu comme un « démocrate » par beaucoup de politiciens, est maintenu à ce poste par le gouvernement provisoire (il dirigera des armées blanches après Octobre). Alexeiev donne le 3 mars l’ordre à ses troupes de ''« capturer et, dès que possible, assigner devant une cour martiale dont les sentences seront immédiatement exécutoires »'' les délégations de soldats de Pétrograd qui se rendent sur le front pour étendre la révolution. Milioukov ose même dire (en petit comité) qu'il aurait fallu faire tirer sur la foule le 27 février. Si un vent de révolution souffle malgré tout pour un temps, c'est parce que malgré ces hommes, les ouvriers et soldats sont auto-organisés.
    
Ce premier épisode de la révolution a fait plus de 1400 morts à Petrograd, en majorité parmi les manifestants. Mais la chute rapide et inattendue du régime suscite dans le pays une vague d'enthousiasme et d'émancipation. Une frénésie de prises de parole gagne toutes les couches de la société. Les meetings sont quotidiens et les orateurs se succèdent sans fin. Défilés et manifestations se multiplient. Des dizaines de milliers de lettres, d’adresses, de pétitions sont envoyées chaque semaine de tous les points du territoire pour faire connaître les soutiens, les doléances ou les revendications du peuple. Elles sont en particulier adressées au [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]]. Dans l’armée, le [[Prikaze_n°1|prikaze n°1]] (ordre du jour) émis par le soviet de Petrograd interdit les brimades humiliantes des officiers et instaure pour les soldats les droits de réunion, de pétition et de presse. À Moscou, des travailleurs obligeaient leur patron à apprendre les fondements du futur droit ouvrier ; à Odessa, les étudiants dictaient à leur professeur le nouveau programme d’histoire des civilisations ; à Petrograd les acteurs se substituaient au directeur du théâtre et choisissaient le prochain spectacle. Des enfants revendiquaient même le droit d’apprendre la boxe pour pouvoir se faire entendre des grands. Dans cette période où toute forme d’autorité est rejetée, Lénine décrivait la Russie comme le ''« pays le plus libre du monde »''.
 
Ce premier épisode de la révolution a fait plus de 1400 morts à Petrograd, en majorité parmi les manifestants. Mais la chute rapide et inattendue du régime suscite dans le pays une vague d'enthousiasme et d'émancipation. Une frénésie de prises de parole gagne toutes les couches de la société. Les meetings sont quotidiens et les orateurs se succèdent sans fin. Défilés et manifestations se multiplient. Des dizaines de milliers de lettres, d’adresses, de pétitions sont envoyées chaque semaine de tous les points du territoire pour faire connaître les soutiens, les doléances ou les revendications du peuple. Elles sont en particulier adressées au [[Soviet_de_Petrograd|soviet de Petrograd]]. Dans l’armée, le [[Prikaze_n°1|prikaze n°1]] (ordre du jour) émis par le soviet de Petrograd interdit les brimades humiliantes des officiers et instaure pour les soldats les droits de réunion, de pétition et de presse. À Moscou, des travailleurs obligeaient leur patron à apprendre les fondements du futur droit ouvrier ; à Odessa, les étudiants dictaient à leur professeur le nouveau programme d’histoire des civilisations ; à Petrograd les acteurs se substituaient au directeur du théâtre et choisissaient le prochain spectacle. Des enfants revendiquaient même le droit d’apprendre la boxe pour pouvoir se faire entendre des grands. Dans cette période où toute forme d’autorité est rejetée, Lénine décrivait la Russie comme le ''« pays le plus libre du monde »''.
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Pourtant, dès le 3 mars, des meetings de soldats et d'ouvriers, en particulier dans le [[Quartier_de_Vyborg|quartier de Vyborg]], exigeaient du Soviet qu'il élimine immédiatement le gouvernement provisoire bourgeois et prenne lui-même le pouvoir en main. Mais cette voix fut aussitôt étouffée par tous les socialistes.
 
Pourtant, dès le 3 mars, des meetings de soldats et d'ouvriers, en particulier dans le [[Quartier_de_Vyborg|quartier de Vyborg]], exigeaient du Soviet qu'il élimine immédiatement le gouvernement provisoire bourgeois et prenne lui-même le pouvoir en main. Mais cette voix fut aussitôt étouffée par tous les socialistes.
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== Positions des social-démocrates ==
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== Positions des socialistes ==
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=== Sur la révolution et le gouvernement provisoire ===
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Les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Socialistes-révolutionnaires|socialistes-révolutionnaires]], qui sont majoritaires dans les [[Soviets|soviets]], ont tout fait pour donner le pouvoir au [[Gouvernement_provisoire_russe|gouvernement provisoire]] dirigé par les libéraux bourgeois. Leur premier argument était un argument doctrinaire selon lequel la révolution ne pouvait être que bourgeoise, et que seule la bourgeoisie devait donc avoir la responsabilité de la politique menée. En réalité cet argument d'une apparente intransigeance masquait la soumission traditionnelle de leurs milieux petits-bourgeois envers la grande bourgeoisie. Ils avançaient aussi un argument d'ordre plus "pratique" : les forces social-démocrates seraient trop "éparpillées" pour avoir un rôle dirigeant (contrairement aux pays d'Europe de l'Ouest, il n'y avait pas de puissant parti ouvrier ou syndicat de masse...). Ils ne voulaient pas voir que les soviets d'ouvriers avaient donné des structures bien plus organiques que les syndicats à la classe ouvrière, et que via les soviets de soldats, la paysannerie avait un degré d'organisation parmi les plus exceptionnels qui soient.
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Les [[Menchéviks|menchéviks]] et les [[Socialistes-révolutionnaires|socialistes-révolutionnaires]], qui sont majoritaires dans les [[Soviets|soviets]], ont tout fait pour donner le pouvoir au gouvernement provisoire dirigé par les libéraux bourgeois. Leur premier argument était un argument doctrinaire selon lequel la révolution ne pouvait être que bourgeoise, et que seule la bourgeoisie devait donc avoir la responsabilité de la politique menée. En réalité cet argument d'une apparente intransigeance masquait la soumission traditionnelle de leurs milieux petits-bourgeois envers la grande bourgeoisie. Ils avançaient aussi un argument d'ordre plus "pratique" : les forces social-démocrates seraient trop "éparpillées" pour avoir un rôle dirigeant (contrairement aux pays d'Europe de l'Ouest, il n'y avait pas de puissant parti ouvrier ou syndicat de masse...). Ils ne voulaient pas voir que les soviets d'ouvriers avaient donné des structures bien plus organiques que les syndicats à la classe ouvrière, et que via les soviets de soldats, la paysannerie avait un degré d'organisation parmi les plus exceptionnels qui soient.
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La direction bolchévique est assurée par un « bureau russe du comité central » composé de [[Chliapnikov|Chliapnikov]], [[Viatcheslav_Mikhaïlovitch_Molotov|Molotov]] et [[Zaloutsky|Zaloutsky]]. Elle n’a pas de ligne claire, mais maintient une politique indépendante de la bourgeoisie. La [[Pravda|''Pravda'']] dénonce le ''''« gouvernement de capitalistes et de propriétaires fonciers »'', en réclamant un vrai ''« gouvernement révolutionnaire provisoire »'' et en appelant le soviet à convoquer une assemblée constituante afin d’instaurer ''« une république démocratique »''. Les bolchéviks pensaient être fidèles à la ligne qui les avait opposé aux menchéviks dans les débats depuis 1905. Si tous étaient convaincus que la révolution à venir serait une [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]], ils divergaient sur la stratégie :
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Les dirigeants [[Bolchéviks|bolchéviks]] présents en Russie, dont [[Staline|Staline]], décident eux aussi de faire confiance au gouvernement provisoire. Au lendemain de l'insurrection, on avait pu lire dans un manifeste du comité central des bolcheviks: ''« Les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que toutes les troupes soulevées doivent immédiatement élire leurs représentants au gouvernement révolutionnaire provisoire. » ''La [[Pravda|Pravda]] du 15 mars avait écrit que les bolcheviks soutiendraient résolument le gouvernement provisoire ''« dans la mesure où il lutte contre la réaction ou la contre-révolution »''. Une formule floue que raille [[Lénine|Lénine]].
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*les <span class="new">menchéviks</span> prônaient le soutien du prolétariat à la bourgeoisie, qui devait seule diriger le futur gouvernement, et l'autolimitation des revendications ouvrières pour ne pas pousser les libéraux bourgeois dans le camp de la contre-révolution&nbsp;;
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*les <span class="mw-redirect">bolchéviks</span> soutenaient que la révolution bourgeoise pouvait être accomplie même sans les libéraux bourgeois, partie hésitante de la bourgeoisie, par la ''«&nbsp;[[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|dictature démocratique des ouvriers et des paysans]]&nbsp;»''.  
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Le gouvernement maintient la participation à la guerre, ne lance pas de [[Réforme_agraire|réforme agraire]], et ne cherche pas à convoquer immédiatement d'[[Assemblée_constituante_(Russie)|Assemblée constituante]]. Beaucoup de socialistes justifient la poursuite de la guerre, position appelée ''«&nbsp;jusqu'auboutisme révolutionnaire&nbsp;»''. Lénine dénonce cette ligne, même s'il n'est plus ''«&nbsp;[[Défaitisme_révolutionnaire|défaitiste]]&nbsp;»''.
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Mais la ligne change le 12 mars lorsque [[Kamenev|Kamenev]] et [[Staline|Staline]] reviennent de leur exil en Sibérie et prennent la direction. La [[Pravda|Pravda]] du 15 mars avait écrit que les bolcheviks soutiendraient résolument le gouvernement provisoire ''«&nbsp;dans la mesure où il lutte contre la réaction ou la contre-révolution&nbsp;»''. Une formule floue que raillera [[Lénine|Lénine]]. Selon Chliapnikov, ce revirement est accueilli avec jubilation au gouvernement provisoire et à la direction du soviet, tandis qu’une opposition de gauche se lève au sein du parti, notamment dans son bastion ouvrier de la capitale, le district de Vyborg, dont le comité ''« demande même l’exclusion du parti de Staline et de Kamenev »''.
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Les bolchéviks pensaient être fidèles à la ligne qui les avait opposé aux menchéviks dans les débats depuis 1905. Si tous étaient convaincus que la révolution à venir serait une [[Révolution_bourgeoise|révolution bourgeoise]], ils divergaient sur la stratégie&nbsp;:
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*les <span class="new">menchéviks</span> prônaient le soutien du prolétariat à la bourgeoisie, qui devait seule diriger le futur gouvernement, et l'autolimitation des revendications ouvrières pour ne pas pousser les libéraux bourgeois dans le camp de la contre-révolution&nbsp;;
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Le 29&nbsp;mars s’ouvre à Pétrograd la première conférence nationale bolchévique depuis la révolution, divisée entre la droite défensiste et la gauche révolutionnaire. Pour cette dernière, ''« la révolution russe ne peut obtenir un maximum de libertés démocratiques et de réformes sociales que si elle devient le point de départ d’un mouvement révolutionnaire du prolétariat occidental »'', pour cela ''« il faut préparer la lutte contre le gouvernement provisoire »'', le soviet étant ''« un embryon de pouvoir révolutionnaire »'' et la ''« garde rouge ouvrière »'' un outil central afin de l’imposer.
*les <span class="mw-redirect">bolchéviks</span> soutenaient que la révolution bourgeoise pouvait être accomplie même sans les libéraux bourgeois, partie hésitante de la bourgeoisie, par la ''«&nbsp;[[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|dictature démocratique des ouvriers et des paysans]]&nbsp;»''. Cela signifiait que les bolchéviks pourraient entrer dans un gouvernement provisoire révolutionnaire aux côtés d'autres forces représentant le peuple (et en particulier la paysannerie).  
      
Lénine, qui est arrivé à [[Petrograd|Petrograd]] dans la nuit du 3 au 4 avril, présente ses thèses (que l'on retiendra comme [[Thèses_d'avril|''Thèses d'avril'']]) à la réunion du Parti bolchevik du 4 avril. Il en avait déjà tracé les grandes lignes dans le train (le fameux ''«&nbsp;[[Wagon_plombé|wagon plombé]]&nbsp;»'') qui le ramenait vers la Russie. Il prône un redressement immédiat de la ligne politique. Dès son arrivée à Petrograd, en gare de Finlande, Lénine engueule [[Kamenev|Kamenev]] sur ce qu'il écrivait dans la [[Pravda|Pravda]].
 
Lénine, qui est arrivé à [[Petrograd|Petrograd]] dans la nuit du 3 au 4 avril, présente ses thèses (que l'on retiendra comme [[Thèses_d'avril|''Thèses d'avril'']]) à la réunion du Parti bolchevik du 4 avril. Il en avait déjà tracé les grandes lignes dans le train (le fameux ''«&nbsp;[[Wagon_plombé|wagon plombé]]&nbsp;»'') qui le ramenait vers la Russie. Il prône un redressement immédiat de la ligne politique. Dès son arrivée à Petrograd, en gare de Finlande, Lénine engueule [[Kamenev|Kamenev]] sur ce qu'il écrivait dans la [[Pravda|Pravda]].
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Etant donné le pouvoir populaire direct qu'ont les ouvriers et les soldats dans les soviets, le gouvernement provisoire ne contrôle pas tout, et il y a de fait une situation de [[Dualité_de_pouvoir|dualité de pouvoir]]. Au lieu de faire confiance au gouvernement provisoire, Lénine propose de revendiquer ''«&nbsp;tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!&nbsp;»''. Lénine considère que la [[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|formule bolchévique]] a été confirmée, mais qu''’«&nbsp;il faut savoir compléter et corriger les vieilles formules&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170409.htm Sur la dualité du pouvoir]'', ''Pravda'' n° 28, 9 avril 1917</ref>, car ''«&nbsp;personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir&nbsp;»''. Il fait l'analyse que la ''dictature des ouvriers est paysans'' est non pas le gouvernement provisoire, mais ce pouvoir des soviets, ''«&nbsp;du même type que la Commune de Paris de 1871&nbsp;»''.
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Etant donné le pouvoir populaire direct qu'ont les ouvriers et les soldats dans les soviets, le gouvernement provisoire ne contrôle pas tout, et il y a de fait une situation de [[Dualité_de_pouvoir|dualité de pouvoir]]. Au lieu de faire confiance au gouvernement provisoire, Lénine propose de revendiquer ''«&nbsp;tout le pouvoir aux soviets&nbsp;!&nbsp;»''. Lénine considère que la [[Dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans|formule bolchévique]] a été confirmée, mais qu''’«&nbsp;il faut savoir compléter et corriger les vieilles formules&nbsp;»''<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/04/vil19170409.htm Sur la dualité du pouvoir]'', ''Pravda'' n° 28, 9 avril 1917</ref>, car ''«&nbsp;personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer, à une dualité du pouvoir&nbsp;»''. Il fait l'analyse que la ''dictature des ouvriers est paysans'' est non pas le gouvernement provisoire, mais ce pouvoir des soviets, ''«&nbsp;du même type que la Commune de Paris de 1871&nbsp;»''. Le gouvernement provisoire ne lance pas de [[Réforme_agraire|réforme agraire]], ne décrète pas une république démocratique et ne cherche pas à convoquer immédiatement d'[[Assemblée_constituante_(Russie)|Assemblée constituante]], ce n'est donc pas un vrai gouvernement révolutionnaire, même du point de vue de la [[révolution_démocratique-bourgeoise|révolution démocratique-bourgeoise]].
    
Les [[Thèses_d'avril|thèses]] de Lénine semblèrent trop radicales aux dirigeants bolcheviks de l’intérieur qui restaient accrochés à l'idée d'un gouvernement classique. Le 8 avril, 13 des 15 membres de la direction [[Bolchevik|bolchevik]] de Petrograd rejetèrent les thèses de Lénine. [[Kamenev|Kamenev]] déclare&nbsp;: ''«&nbsp;Pour ce qui est du schéma général du camarade Lénine, il nous parait inacceptable dans la mesure où il présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste.&nbsp;»''
 
Les [[Thèses_d'avril|thèses]] de Lénine semblèrent trop radicales aux dirigeants bolcheviks de l’intérieur qui restaient accrochés à l'idée d'un gouvernement classique. Le 8 avril, 13 des 15 membres de la direction [[Bolchevik|bolchevik]] de Petrograd rejetèrent les thèses de Lénine. [[Kamenev|Kamenev]] déclare&nbsp;: ''«&nbsp;Pour ce qui est du schéma général du camarade Lénine, il nous parait inacceptable dans la mesure où il présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste.&nbsp;»''
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<blockquote>''«&nbsp;Le Soviet des députés ouvriers et soldats, c'est la dictature du prolétariat et des soldats; ces derniers sont en majorité des paysans. Il s'agit donc bien de la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Mais cette «dictature» a passé un accord avec la bourgeoisie. C'est sur ce point qu'il faut réviser le vieux bolchévisme. La situation qui s'est créée nous montre la dictature du prolétariat et des paysans et le pouvoir de la bourgeoisie étroitement enlacés&nbsp;»''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;Le Soviet des députés ouvriers et soldats, c'est la dictature du prolétariat et des soldats; ces derniers sont en majorité des paysans. Il s'agit donc bien de la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Mais cette «dictature» a passé un accord avec la bourgeoisie. C'est sur ce point qu'il faut réviser le vieux bolchévisme. La situation qui s'est créée nous montre la dictature du prolétariat et des paysans et le pouvoir de la bourgeoisie étroitement enlacés&nbsp;»''</blockquote>  
 
Alors que les militants de base du parti expliquaient patiemment le point de vue de Lénine aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, Lénine parvint à reprendre en main le parti au cours des mois suivants. De février à juillet, la taille du parti bolchevik passa de 24.000 à 240.000 membres.
 
Alors que les militants de base du parti expliquaient patiemment le point de vue de Lénine aux ouvriers, aux soldats, aux paysans, Lénine parvint à reprendre en main le parti au cours des mois suivants. De février à juillet, la taille du parti bolchevik passa de 24.000 à 240.000 membres.
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=== Sur la guerre ===
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Le gouvernement maintient la participation à la guerre, avec parfois quelques déclarations creuses sur sa volonté d'aboutir on ne sait quand à une paix juste.
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Les positions politiques des socialistes sur la guerre furent fortement liées à leur position plus générale sur la révolution. Les menchéviks et les SR se convertissent massivement à un soutien à la guerre, prétextant qu'il s'agit à présent, pour défendre la révolution, de mener la guerre jusqu'au bout. Une position appelée ''«&nbsp;jusqu'auboutisme révolutionnaire&nbsp;»'' ou ''«&nbsp;défensisme&nbsp;»''. Seule une minorité de menchéviks (derrière [[Martov|Martov]]) et de SR restent fermement internationalistes.
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Le 10 mars, la [[Pravda|''Pravda'']] appelle à transformer la guerre interimpérialiste en une guerre civile qui libérera les peuples du joug des classes dominantes, maintenant l'ancienne [[Défaitisme_révolutionnaire|ligne léniniste]].
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Cela change avec le retour de [[Staline|Staline]] et [[Kamenev|Kamenev]] le 12 mars. Dans la ''Pravda'' du 15&nbsp;mars, Kamenev se rallie à la position de « défense nationale » partagée, avec des nuances, par le gouvernement provisoire et par la direction réformiste du soviet de Pétrograd : ''« quand une armée affronte une autre armée, ce serait une proposition inepte que de proposer à l’une d’elles de déposer les armes et de rentrer chez elle. Ce ne serait pas une politique de paix, mais une politique d’esclavage qu’un peuple libre rejetterait avec dégoût »'' ; il faut ''« répondre à une balle par la balle, à un obus par l'obus. »'' Staline, de son côté, approuve le manifeste que le soviet vient d’adopter ''« pour une paix sans annexions ni compensations »''. Cela suppose une politique de pression ''« pacifique »'' sur les bourgeoisies et gouvernements impérialistes qui sont en train de s’affronter au prix de millions de morts :''« notre slogan est le suivant : faire pression sur le gouvernement provisoire en vue de le contraindre (…) à amener tous les pays belligérants à entamer des pourparlers de paix immédiats (…) Et que chaque homme, jusqu’à cette échéance, reste à son poste de combat. »'' Et il précise le 16&nbsp;mars : ''« le mot d’ordre "à bas la guerre" est inutile. »''
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A la conférence nationale bolchévique du 29&nbsp;mars, Staline évoque la réunification avec la partie des mencheviks se situant ''« sur une ligne Zimmerwald-Kienthal »''. Or même si [[Conférence_de_Zimmerwald_(1915)|Zimmerwald]] fut un point de ralliement de la gauche, elle a vite été dominée par un pacifisme [[centriste|centriste]] dénoncé par Lénine.
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A son retour le 4 avril, Lénine dénonce les ''«&nbsp;défensistes&nbsp;»'', même s'il n'est plus clairement ''«&nbsp;[[Défaitisme_révolutionnaire|défaitiste]]&nbsp;»'' comme sous le tsarisme.
    
== Perception de la révolution à l'étranger ==
 
== Perception de la révolution à l'étranger ==
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== Le sort du tsar Nicolas II ==
 
== Le sort du tsar Nicolas II ==
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Le 7 mars, [[Kérensky|Kérensky]] déclamait à Moscou : ''«&nbsp;Nicolas II est entre mes mains… Je ne serai jamais un Marat de la Révolution russe… Nicolas II, sous mon contrôle personnel, se rendra en Angleterre…&nbsp;»''
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Le 7 mars, [[Kérensky|Kérensky]] déclamait à Moscou&nbsp;: ''«&nbsp;Nicolas II est entre mes mains… Je ne serai jamais un Marat de la Révolution russe… Nicolas II, sous mon contrôle personnel, se rendra en Angleterre…&nbsp;»''
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Aussitôt les masses s'agitèrent. Aucune révolution sérieuse n'avait jamais laissé un monarque détrôné gagner l'étranger. Les ouvriers et les soldats exigeaient l'arrestation des Romanov. Le Comité exécutif du Soviet sentit qu'il ne fallait pas plaisanter sur cette question. Prenant la main sur le gouvernement, il donna ordre à tous les chemins de fer de ne pas laisser passer Romanov . Un des membres de l'Exécutif, l'ouvrier Gvozdiev, [[menchevik|menchevik]] de droite, fut détaché pour l'arrestation de Nicolas.
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Aussitôt les masses s'agitèrent. Aucune révolution sérieuse n'avait jamais laissé un monarque détrôné gagner l'étranger. Les ouvriers et les soldats exigeaient l'arrestation des Romanov. Le Comité exécutif du Soviet sentit qu'il ne fallait pas plaisanter sur cette question. Prenant la main sur le gouvernement, il donna ordre à tous les chemins de fer de ne pas laisser passer Romanov . Un des membres de l'Exécutif, l'ouvrier Gvozdiev, [[Menchevik|menchevik]] de droite, fut détaché pour l'arrestation de Nicolas.
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Dès le 9 mars, [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]] rapportait au Comité exécutif que le gouvernement ''«&nbsp;avait renoncé&nbsp;»'' à la pensée d'expédier Nicolas en Angleterre. Le tsar et sa famille étaient mis aux arrêts, au palais d'Hiver. Du front, de plus en plus instantes se faisaient les exigences : transférer le ci-devant tsar à la forteresse Pierre-et-Paul.
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Dès le 9 mars, [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]] rapportait au Comité exécutif que le gouvernement ''«&nbsp;avait renoncé&nbsp;»'' à la pensée d'expédier Nicolas en Angleterre. Le tsar et sa famille étaient mis aux arrêts, au palais d'Hiver. Du front, de plus en plus instantes se faisaient les exigences&nbsp;: transférer le ci-devant tsar à la forteresse Pierre-et-Paul.
    
== Bibliographie ==
 
== Bibliographie ==

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