Grève générale de l'hiver 1960-1961
A l'hiver 1960-1961, près d’un million de travailleurs belges participent à un vaste mouvement de grève pour s’opposer à « la loi unique », un ensemble de mesures destinées à faire supporter à la classe ouvrière la crise du capitalisme belge.
Malgré le froid et les fêtes de fin d’année, les travailleurs restent mobilisés pendant cinq semaines, il y a environ trois cents manifestations et de nombreux affrontements avec la police. Dans certaines villes indu-trielles, il n’est plus possible de circuler sans laissez-passer du comité_de_grève. L’État mobilise l’armée, fait revenir les soldats stationnés en Allemagne pour occuper les gares, des centaines de grévistes sont mis en prison, il y a quatre morts et des dizaines de blessés. Cette grève est un exemple de la combativité ouvrière qui est resté dans les mémoires de tous ceux qui l’ont vécue.
Pourtant, quand les travailleurs doivent reprendre le travail après cinq semaines de lutte, ils n’ont rien obtenu. Pire, leur combativité est détournée au profit du nationalisme wallon et du fédéralisme.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
Depuis qu'elle avait accédé au gouvernement en 1958, la coalition des libéraux et des sociaux-chrétiens du gouvernement Eyskens voulait dégager des moyens financiers pour soutenir la reconversion de l'économie belge. La bourgeoisie belge voulait abandonner la sidérurgie et des charbonnages wallons en déclin, au profit de nouvelles industries en Flandre, basées sur le pétrole, la sidérurgie en bord de mer et l'industrie automobile. De plus, l'indépendance du Congo, intervenue en 1960, privait l'État et des entreprises d'une partie de leurs ressources. Les mesures d'austérité décidées contre les travailleurs en furent d'autant plus dures.
La «loi unique d'expansion économique, de progrès social et de redressement financier », annoncée en septembre 1960, augmentait les impôts indirects, réduisait les allocations de chômage, bloquait les salaires des agents communaux, diminuait les pensions de la fonction publique, réduisait les prestations de l'Assurance maladie, etc. Le système des assurances sociales, seule amélioration concédée par le patronat à la fin de la guerre, était la cible des critiques et des attaques de la bourgeoisie.
Si les appareils syndicaux s'étaient de plus en plus intégrés à l'appareil d'État, notamment à travers la gestion de la Sécurité sociale, leurs militants de base - dont un certain nombre de militants communistes - étaient souvent des militants éprouvés, restés très liés à leurs camarades.
Face au lancement de la « loi unique », le Parti Socialiste Belge (PSB) comptait bien s'appuyer sur le mécontentement de la population pour revenir au gouvernement. Sous la pression de la base, le syndicat FGTB liégeois (lié au PSB) décida des arrêts de travail et une manifestation pour le 21 novembre, qui devaient être suivis d'autres actions nationales. Ce fut un succès. En opposition avec leur direction nationale, les centrales syndicales FGTB des services publics (CGSP), en Wallonie et à Anvers, décidèrent alors une journée nationale d'action pour le 14 décembre. Ce fut un nouveau succès encore plus large, avec des grèves et plus 100 000 manifestants dans différentes villes.
Des voix réclamant une grève générale commençaient à se faire entendre dans ces manifestations et dans différentes sections syndicales. Mais même André Renard, le leader syndicaliste liégeois à la réputation la plus radicale dans la FGTB, ne proposa aux nombreux manifestants du 14 décembre qu'une grève générale de 24 heures... en janvier 1961, après le vote de la loi. Cela sous condition que cette proposition ait la majorité dans les instances dirigeantes de la FGTB. Finalement, seule la centrale syndicale des travailleurs des communes et provinces (CGSP), les plus touchés par la loi unique, appela à la grève illimitée à partir du 20 décembre. Mais quand la grève commença chez les agents communaux, notamment à Anvers, elle fut rejointe le jour même par les dockers, des travailleurs des ateliers ferroviaires à Charleroi, qui firent débrayer les usines des alentours, puis des sidérurgistes à Liège. Le 23 décembre, tous les secteurs importants étaient en grève. Les dirigeants syndicaux socialistes, et notamment André Renard, furent contraints de prendre le train en marche.
2 La grève de tous les travailleurs[modifier | modifier le wikicode]
La version la plus couramment présentée aujourd'hui voudrait que la grève n'ait été forte que parmi les travailleurs wallons. C'est un mensonge éhonté. En fait, elle était le mouvement de tous les travailleurs de l'industrie. Là où l'industrie existait en Flandre, notamment à Anvers, Gand et dans les charbonnages du Limbourg, les grévistes s'engageaient avec tout autant de courage et de détermination.
Il est vrai que le syndicat chrétien (CSC), lié au Parti Social-Chrétien au pouvoir, qui s'opposa tout au long à la grève, était plus présent en Flandre. Beaucoup d'affiliés de la CSC se joignirent cependant à la lutte. Le cardinal Van Roey, chef des catholiques de Belgique, se sentit alors obligé d'appeler par la voie des ondes et des chaires d'église « ceux qui obéissent à leur foi » à reprendre le travail. Ces saintes paroles n'arrivant pas à faire cesser la volonté combative des travailleurs, l'État sortit la matraque et attaqua le mouvement là où il le pensait plus faible. Ainsi, le 28 décembre, la répression policière fit 30 blessés à Gand. Mais le seul résultat fut l'extension de la grève aux secteurs encore hésitants en Flandre. Le gouvernement commença alors à montrer des signes de faiblesse.
Par ailleurs, en Wallonie, aux traditions de lutte plus marquées, la grève rencontrait une sympathie générale. Pratiquement tous les bassins industriels de Wallonie étaient à l'arrêt, des manifestations de dizaines de milliers de travailleurs sillonnaient les principales agglomérations. La population approuvait le fait que les grévistes n'établissent des laissez-passer que pour les voitures répondant à des déplacements nécessaires. Les femmes distribuaient la soupe aux piquets de grève. Les agriculteurs coopéraient pour assurer l'approvisionnement des centres urbains. Même les prêtres des quartiers ouvriers, n'osant pas suivre leur prélat, prenaient position en faveur des grévistes.
Mais cette combativité allait être privée d'une direction à sa hauteur. Le Parti Communiste, trop faible et surtout préoccupé de sa place au sein de la FGTB, en était bien incapable. Quant à la gauche de la FGTB et du Parti Socialiste, elle allait engager le mouvement vers une voie de garage.
3 L'impasse du Fédéralisme[modifier | modifier le wikicode]
André Renard, dirigeant syndical très populaire, introduisit alors la revendication du « fédéralisme », c'est-à-dire d'une plus grande autonomie pour la Wallonie. C'était jouer la carte de la division entre les travailleurs flamands et wallons. Renard présentait la « loi unique » comme la politique imposée par la Flandre - 60 % de la population - pour son propre développement, au mépris des problèmes posés par le déclin de l'industrie en Wallonie.
À la suite d'André Renard, tous les réseaux de la « gauche syndicale » se mirent à développer l'idée que la Wallonie était empêchée de prendre son sort en main par une Flandre dominée par les partis de droite et le clergé. On vit de plus en plus souvent apparaître des drapeaux wallons à la tête des cortèges. Pourtant, malgré ce cours réactionnaire, les grévistes de Flandre montraient que l'opinion qui comptait à leurs yeux n'était pas celle du prêtre, du fermier ou du petit commerçant flamand, ni même celle des dirigeants flamands de la FGTB plus hésitants encore que leurs homologues wallons, mais bien celle des travailleurs qui tenaient la rue en Wallonie.
Les dirigeants syndicaux firent le nécessaire pour éviter le rapprochement entre travailleurs flamands et wallons. André Renard lui-même, qui par démagogie n'hésitait pas à parler du pouvoir des travailleurs... en Wallonie, s'opposa à toute « marche sur Bruxelles » qui aurait permis aux grévistes des deux parties du pays de se rejoindre.
Ainsi laissée sans perspective d'unification et sans perspective politique, la grève allait se morceler. Les noyaux durs en Flandre - notamment les travailleurs du port d'Anvers - tinrent jusqu'à la mi-janvier 1961. En Wallonie les derniers bastions reprirent le travail une dizaine de jours plus tard.
La coalition gouvernementale ne résista pas à cette épreuve. Des élections anticipées allaient ramener les dirigeants socialistes au pouvoir, qui, loin de revenir sur ces attaques, ne firent que les étaler dans le temps. Mais surtout, les années suivantes allaient être marquées par la division progressive du pays, sous la pression notamment du mouvement populaire wallon (MPW), fondé par André Renard au lendemain de la grève. Les socialistes et syndicalistes wallons se firent les relais de son programme nationaliste, tandis que par ailleurs le mouvement nationaliste flamand renaissait. En 1962, la « frontière linguistique » était tracée. En 1978 étaient créées la Région flamande et la Région wallonne. Le Parti Socialiste allait se diviser en deux partis distincts, suivi des autres partis.
Alors que les travailleurs de toute l'Europe doivent faire face à des programmes d'austérité souvent bien plus durs que la « Loi unique » de 1960, la Grande Grève belge de 1960-1961 reste un exemple de réaction ouvrière, mais aussi un avertissement contre toutes les divisions auxquelles les pseudo-socialistes et les bureaucrates syndicaux peuvent tenter de recourir.