VII. Des éléments révisionnistes dans les conceptions du camarade Germain

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche

1. Mandel et Germain transforment les prémisses objectives de la révolution socialiste en prémisses subjectives.[modifier le wikicode]

Toute la pensée économique du couple Mandel-Germain est imprégnée d'une idée : il y aurait actuellement une tendance vers l'augmentation absolue de la richesse consommée par les masses dans le monde entier. Cette situation économique bouleverse donc une des lois classiques de la lutte de classes : selon ces camarades, la lutte des masses ne s'oriente plus en fonction de la résolution d'une situation de misère insupportable (bas salaires, chômage), mais contre ceux qui dirigent les entreprises et contre le caractère aliénant de cette consommation massive des richesses produites.

Pour parvenir à ces conclusions, il est nécessaire de partir d'une prémisse : dans l'étape actuelle de développement du capitalisme et de l'impérialisme, les forces productives connaîtraient une importante avancée et ce sont elles qui permettraient cette augmentation absolue du niveau de vie des masses. Et même si le camarade Mandel ne le lie pas, en tant que prémisse, aux deux idées que nous avons exposées, il soutient effectivement qu'il existe bien un développement des forces productives.

Voyons maintenant la réalité. Comparons les idées de Mandel avec les positions de nos maîtres marxistes et les faits concrets, économiques et ceux de la lutte de classes de nos jours.

Dans son livre sur l'économie marxiste, Mandel insiste plusieurs fois sur ceci : « le phénomène de la paupérisation relative est, en effet, le plus typique du mode de production capitaliste » (Traité d'économie marxiste, Editions ERA, tome 2, p.138).

Autrement dit, par rapport à l'augmentation de la richesse de la société, la classe ouvrière est de plus en plus pauvre, mais sa situation s'améliore constamment par rapport à son niveau de vie passé. Sa démonstration du fait que Marx avait cette même position quant â la thèse sur la pauvreté croissante du prolétariat est très convaincante.

Mais Marx formula cette loi alors que le capitalisme était en plein développement, ses crises se produisant tous les dix ans pour quelques mois ou, tout au plus, un ou deux ans. Pour le camarade Germain, cette loi n'est pas modifiée par la nouvelle étape capitaliste, au contraire, sous l'impérialisme (c'est-à-dire le capitalisme en décomposition) elle se voit renforcée et prend toute son ampleur. (Nous devons préciser que nous ne savons pas s'il se réfère ici à l'impérialisme en général ou à l'étape actuelle qu'il nomme « néo-capitalisme » ou « néo-impérialisme »).

Pour le camarade Mandel-Germain, le capitalisme actuel n'apporte pas seulement aux pays avancés l'augmentation absolue de richesse pour les masses, mais au monde entier. Mandel, dans son livre La théorie léniniste de l'organisation commence par dire :

« une des trois caractéristiques fondamentales de cette théorie est l'importance présente de la révolution pour les pays sous-développés à l'époque impérialiste » (p. 7).

Il précise ainsi qu'il parle de tous les pays du monde (même des pays arriérés) et continue :

« Dans la mesure où le néo-capitalisme cherche une nouvelle voie pour prolonger sa longévité en élevant le niveau de consommation de la classe ouvrière... »

Quelques lignes plus loin, il insiste pour que ne subsiste aucun doute :

« Dans la mesure où nous pensons que la barrière décisive qui entrave aujourd'hui la classe ouvrière, dans la voie de l'acquisition d'une conscience politique de classe, réside dans un degré moindre dans la misère des masses et l'extrême pauvreté de son environnement, mais dans une plus grande mesure dans l'influence constante de la consommation et de la mystification de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie... » ("Théorie léniniste de l'organisation", Editions del Siglo, p.60).

Si cette position concerne tous les pays du monde, la loi prend sa plus grande puissance pour les pays avancés :

« (...) le capitalisme n'est plus caractérisé définitivement par les bas salaires, ni par un grand nombres d'ouvriers au chômage » (ISR, Mandel, "Le débat sur le contrôle ouvrier", mai 1969, p.5).

« La Gauche », qui avec beaucoup d'honnêteté applique habituellement jusqu'à leurs dernières conséquences les positions théoriques du camarade Germain, tira les conclusions logiques de cette théorie : nous avons déjà cité textuellement les paragraphes où elle dit que « l'impérialisme a de nouvelles perspectives » ; « une apparente libéralisation » et une « variante démocratique » pour l'Amérique latine.

Cette position des germainistes est une attaque sournoise et donc très dangereuse contre les prémisses objectives de la révolution socialiste dans cette étape impérialiste, telles que les ont précisées Lénine et Trotski. C'est une révision totale de nos thèses que le camarade Germain a le droit de faire, mais à condition qu'il précise qu'il remet ainsi en cause le fondement même de la IIIème et la IVème Internationales.

Pour nos maîtres, il existe une série de lois du capitalisme en voie de développement, pendant son étape de libre échange, qui changent dans l'étape impérialiste, principalement à partir de la première guerre mondiale. Le premier changement fondamental, c'est que le capitalisme cesse d'être le moteur du progrès de l'humanité pour se transformer en facteur de régression, en obstacle insurmontable pour son développement. Cette nouvelle loi générale du régime capitaliste modifie toutes les autres lois et modes d'existence, à l'exception de celles qui participent de son essence exploiteuse, qui elles s'accentuent. Une des lois qui se modifie est celle concernant la misère : de relative (les masses consomment de plus en plus avec le capitalisme) elle devient absolue (elles consomment de moins en moins).

Pour ne pas accumuler les citations, nous en donnerons trois qui montrent que c'était bien la position de la IIIème et de la IVéme Internationales :

« Les partis communistes ne doivent pas prendre en considération les capacités de survie et de concurrence de l'industrie capitaliste, ni la forme de résistance des finances capitalistes, mais l'extension de la misère que le prolétariat ne peut ni ne doit supporter ». ("Les quatre premiers Congrès de l'Internationale Communiste", Editions Maspéro, p.99).

« Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, apportent aux masses des privations et des souffrances de plus en plus grandes. » (Transitional program for socialist revolution, Pathfinder, p.72).

« La contradiction fondamentale est celle entre les forces productives du capitalisme et le niveau de consommation des masses ». (Trotski, "Writings" 1934, p.108).

Se référant à la possibilité d'une amélioration de l'économie nord-américaine Trosky disait :

« Cela n'est absolument pas contradictoire avec notre analyse générale que le capitalisme malade, décadent, cause une misère croissante » (The Transitional Program, p. 151).

Par de nombreux écrits et déclarations, Trotski en fait même une véri­table campagne :

« Le capitalisme ne peut se maintenir debout qu'en abaissant le niveau de vie de la classe travailleuse » (Writings, 1933-34, p.74).

« Le capitalisme moribond est en banqueroute et il reste un seul recours à la classe dominante pour tenter de sortir de cette banqueroute historique : l'aggravation de la misère pour les masses travailleuses, la suppression de toutes les réformes jusqu'à la plus insignifiante, la suppression du régime démocratique ! » (Writings, 1934-35, p.21).

Passons de ces questions érudites à la réalité du monde capitaliste, afin de voir si les statistiques correspondent aux nouvelles lois germainistes sur l'augmentation de la consommation des masses travailleuses à l'échelle mondiale.

L'annuaire de la FAO de 1971 nous informe que 60% de l'humanité dispose de moins de 2200 calories par jour (et souffre donc de faim chronique étant donné que le besoin minimum est de 2700 calories) ; 13% en consomme entre 2200 et 2700, à la limite du famélique. Par rapport aux protéines, l'élément le plus important de l'alimentation, le tableau est encore plus désolant selon Josue de Castro : à part les Etats-Unis, le Royaune-Uni, l'Océanie, l'Argentine, l'Uruguay, le Canada, l'Allemagne, la Suède, la Suisse, la Norvège, le Danemark, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Autriche et la Finlande, tout le reste du monde capitaliste (les deux tiers de la population) est en dessous des 40 grammes nécessaires par jour pour un développement normal de la vie. Le tableau s'assombrit encore si nous considérons l'Inde, l'Indonésie et le Pakistan qui ont moins de 7 g, c'est-à-dire six fois moins que le nécessaire vital.

Il nous faut simplement ajouter que, entre 1960 et 70, non seulement la situation ne parait pas s'améliorer mais s'aggrave selon les statistiques de production (très difficiles à évaluer). En Inde par exemple, le rapport entre la production d'aliments et le nombre d'habitants a baissé de 3%, en Indonésie de 2%, entre les années 61-65 et 66-70. Il existe des chiffres semblables pour presque tous les pays arriérés du monde. Mais cette situation ne touche pas que les pays arriérés.

Nous devons reconnaître que les pays avancés ont bénéficié d'une augmentation du niveau de vie des masses travailleuses ces quinze dernières années, grâce au boom économique d'après-guerre. Mais peu de temps après que Mandel eu écrit les pages que nous avons citées, la loi de la misère absolue commençait à se manifester également dans ces pays. Même Mandel a été obligé de reconnaître en 69 qu' « on doit souligner que les conséquences de ces tendances inflationnistes, combinées à la guerre du Vietnam ; ont eu pour résultat que, pour la première fois en trente ans, la croissance du revenu réel disponible de la classe ouvrière nord-américaine s'est arrêtée ».

« Dans ce monde où l'on massacre les affamés et les exploités pour les sauver du capital en actions et où les rentes de fortune, les primes à la paresse, représentent le quart des revenus nationaux - ce pays moderne où la dégradation des conditions de vie et de travail l'ont fait régresser en dix ans de la 10ème à la 24èùe place dans le domaine de l'hygiène et de la santé publique. Ce pays paisible où chaque année deux millions de travailleurs meurent ou se blessent dans des accidents de travail, à cause de l'accélération infernale des cadences. Ce grand pays avancé, avec six millions de chômeurs, où l'augmentation du nombre de sans-travail dépasse certains mois les 200 000, où 47% des ouvriers sont bacheliers, où des centaines de milliers de diplômés ne trouvent nulle part à employer leurs capacités... » ("Ce que veut la Ligue Communiste", p.14-15).

Mandel peut dire tout ce qu'il voudra, que le capitalisme se caractérise essentiellement par « l'influence constante de la consommation », il lui faut quand même reconnaître que les chiffres disent exactement le contraire : le capitalisme se caractérise par une croissance absolue de la misère. Sous l'impérialisme, c'est-à-dire le capitalisme décadent, il existe dans le monde capitaliste de plus en plus de misère et de chômage.

Etant donné que pour le camarade Mandel toutes ces données n'ont aucune valeur, il maintient sa théorie de la paupérisation relative afin de fonder sa minimisation de la lutte contre la misère et le chômage. Et il maintient comme fondamentale la lutte contre la gestion capitaliste des entreprises et pour le contrôle ouvrier, bien qu'elle reste sans appui concret, comme suspendu en l'air. Parce que précisément la lutte de classes tire sa raison d'être de la misère et du chômage provoqués par la gestion capitaliste des entreprises, nous ne remettons pas en cause la gestion des entreprises « en soi » - et la classe ouvrière encore moins -mais ; pour son attaque contre le niveau de vie et l'emploi des travail­leurs. (Par ailleurs, les marxistes « classiques » soutenaient que, tout en semant l'anarchie dans l'ensemble de la production, les capitalistes étaient l'efficacité par excellence dans la direction de chaque entreprise. Cette situation a peut-être changé, comme le dit Germain, mais nous doutons tout de même que les travailleurs se préoccupent de la plus ou moins grande efficacité, du capitalisme dans la direction des entreprises. Cela peut préoccuper tout au plus des secteurs de techniciens salariés et une partie des ouvriers hautement qualifiés.). Mais voyons ce que dit Mandel :

« Le capitalisme n'est pas définitivement caractérisé par les bas salaires ni par un grand nombre d'ouvriers au chômage. Il est caractérisé par le fait que ce capital, ces capitalistes dirigent des hommes et des machines » ("The debate on Worker's Control" : ISR, mai-juin 69, p. 5).

« Le capitalisme classique éduquait l'ouvrier pour qu'il lutte pour de meilleurs salaires et moins d'heures de travail dans ses usines. Le néo-capitalisme l'éduque à défier la division du revenu national et l'orientation de l'investissement au plus haut niveau de l'économie dans son ensemble. » « Les questions de salaires et de réduction de temps de travail sont importantes, mais ce qui est encore plus important, ce sont les problèmes de la distribution du revenu et de savoir qui doit commander les machines, et qui doit déterminer l'investissement, qui doit décider que produire et comment le produire. » ("Workers under neo-capitalism" ISR, nov.-décembre 68, p .12).

Traduit en langage militant de tous les jours, cela signifie que la lutte contre la misère et le chômage croissants (qui, par ailleurs, n'existe pas pour Mandel) est secondaire. Il est beaucoup plus important de remettre en cause, « en soi », la gestion capitaliste en tant que direction (et de plus, comme il le dit par ailleurs, de remettre en cause le caractère aliénant de la consommation).

Cela pose donc une question de caractère historique. Avant la première guerre mondiale, il y eut une montée encore jamais vue du niveau de vie des masses travailleuses. Mais aucun marxiste de l'époque (et parmi eux Lénine et Trotski) n'a eu l'idée que ce phénomène changeait toutes les lois de la lutte de classes. Ils continuèrent à penser que les masses allaient se mobiliser à partir de leurs besoins immédiats crées par le système capitaliste. Les masses ont répondu à cette attente et ne se sont absolument pas mobilisées sur la question de savoir si la direction des entreprises était efficace ou non, ou si la meilleure consommation que leur permettait leur plus haut niveau de vie avait un caractère aliénant. Il est possible que cela aurait pu se passer, mais ni les masses ni les marxistes n'ont eu alors un Germain pour leur montrer cette voie.

Pour parler sérieusement, nous n'avons pas à chercher bien loin dans notre patrimoine théorique la réponse à cette orientation mandéliste. Voyons le Programme de transition. Est-ce un hasard si le premier mot d'ordre avancé est celui de l'échelle mobile des salaires et des heures de travail ? En aucune manière. Notre programme donne la base fondamentale de ce mot d'ordre :

« Dans les conditions du capitalisme en décomposition, les masses continuent à vivre la triste existence des opprimés qui, aujourd'hui plus que jamais, sont menacés par le danger d'être jetés dans l'abîme du paupérisme. Elles sont obligées de défendre leur morceau de pain car elles ne peuvent ni l'augmenter ni l'améliorer. Il n'est pas possible, ni nécessaire, d'énumérer les diverses revendications partielles qui découlent à chaque moment des circonstances concrètes, nationales, locales, professionnelles. Mais deux calamités économiques fondamentales, le chômage et la cherté de la vie exigent des mots d'ordre et des méthodes généralisés de lutte. » (Trotski, "Transitional Program", p.76).

Mais laissons les citations et revenons aux faits. Les masses travailleuses du monde se sont-elles mobilisées pour remettre en cause la gestion capitaliste des entreprises et le caractère aliénant de la consommation ? Notre expérience argentine et latino-américaine nous indique que non. Elle nous montre même que les grandes mobilisations et les semi-insurrections urbaines sont devenues des luttes politiques ouvertes pour des tâches démocratiques, ou sont nées en tant que telles (comme les occupations en Uruguay après le coup d'Etat ou les mobilisations au Chili pour affronter la droite), ou encore se sont développées à partir de questions qui n'ont rien à voir avec les positions mandélistes mais tout à voir avec notre Programme de transition. C'est ce qui s'est produit dans le « cordobazo » déclenché par le « samedi anglais » ; dans la rébellion de Mendoza déclenchée par l'augmentation des tarifs d'électricité ; dans les grandes grèves enseignantes pour les salaires qui ébranlèrent la Colombie et le Pérou; dans la grève, également pour les salaires, des ouvriers du pétrole au Vénézuéla, et dans d'innombrables luttes dans tout notre continent.

Dans les pays avancés, la thèse du camarade Mandel n'a pas eu plus de succès. Il semble qu'il y ait eu quelques luttes remettant en cause la gestion des entreprises, mais il nous reste un doute, faute d'informations, dans quelle mesure ces luttes n'avaient-elles pas pour objectif la diminution des cadences ou la suppression de sanctions disciplinaires, c'est-à-dire des revendications aussi éloignées de la théorie mandéliste que celles des grandes mobilisations du début du siècle pour la journée de 8 heures.

Mais voyons les mobilisations ouvrières les plus importantes de cette année 73. En Belgique, les dockers se sont battus pour des accords salariaux et de travail; les ouvriers de Cockerill pour des augmentations de salaire ; ceux de la Fabrique nationale également ceux de AZKO pour la défense de l'emploi (avec les établissements de Hollande et d'Allemagne) ; ceux de la General Motors pour des augmentations, des primes et la réduction du temps de travail. En France, les travailleurs de Lip ont lutté pour défendre leur emploi ; ceux de Peugeot pour des augmentations et des primes salariales ; à Citroën, pour les classifications. En Angleterre, les routiers se sont mobilisés contre le chômage. En Italie, les travail­leurs d'Alfa Roméo se sont battus pour des accords d'entreprise, etc...

Faut-il en ajouter d'autres ? Quoiqu'en dise le camarade Mandel, les masses travailleuses se mobilisent sur des problèmes objectifs causés par le régime capitaliste: la misère croissante (bas salaires et chômage). S'il ne nous croit toujours pas, nous lui suggérons d'aller à la porte d'une usine et de dire aux travailleurs qu'ils se trompent, que cette misère et ce chômage n'existent pas dans ce monde « néo-impérialiste ». Qu'il dise aux ouvriers qu'il faut lutter contre la mauvaise gestion des entreprises et contre l'aliénation par la consommation. Si Erich Fromm ou Marcuse travaillent dans cette usine, ils le suivront sûrement. Quelques techniciens préoccupés par ce problème le suivront peut-être également. Mais nous doutons qu'il puisse arriver à mobiliser l'ensemble des travailleurs et à les mettre en cortège sous sa direction et ses banderoles.

Comment le camarade Germain parvient-il à formuler ces deux thèses, qui dans le fond n'en font qu'une, que sous l'impérialisme la richesse des masses a une croissance absolue et que donc la misère n'est pas le point de départ de notre orientation vers elles ? Il se passe que le camarade Mandel n'a pas compris le développement inégal et combiné de la loi de la misère absolue sous l'impérialisme. Il a été confondu principalement par l'observation particulière de ces lois dans les pays impérialistes d'après-guerre.

Nous pensons que l'économie européenne et nord-américaine a pu avoir ces 25 ans de splendeur, grâce à la combinaison de trois facteurs principaux. Le premier est la destruction impressionnante des forces productives (en hommes et en machines) résultant de la seconde guerre mondiale ; le second est la trahison du stalinisme qui permit la survie et la reconstruction capitaliste dans les pays d'Europe occidentale ; le troisième est l'exploitation des peuples coloniaux.

Pendant ces 25 ans, l'impérialisme en décomposition a construit une économie capitaliste d'Etat pour la contre-révolution mondiale. Il n'y a pas d'autre définition marxiste économique sérieuse pour l'étape que nous avons vécue depuis la fin de la guerre. Cette économie contre-révolutionnaire, basée sur la production d'armements pour écraser la révolution, combinée aux trois facteurs que nous venons de voir, a permis le développement des tendances qu'a soulignées Mandel-Germain : le développement technologique en tant que partie intégrante de la troisième révolution industrielle, l'appauvrissement relatif des travailleurs occidentaux (plus grande consommation).

Mais ces deux tendances allaient contre toutes les autres qui découlent de l'essence-même de l'étape impérialiste, et qui sont signalées par Lénine et Trotski. Elles ont résisté pourtant grâce aux trois facteurs mentionnés, et grâce à l'énorme richesse (matérielle et intellectuelle) accumulée par le monde capitaliste pendant plusieurs siècles de domination.

Aujourd'hui, cette lutte entre tendances opposées - se synthétisant par une plus grande consommation des masses occidentales et une moins grande des masses coloniales - arrive à sa fin, à cause de l'économie contre-révolutionnaire et de l'épuisement des réserves et des capacités de manœuvres économiques de l'impérialisme. L'étape d'appauvrissement absolu, non relative, des masses occidentales commence. Les symptômes de cet appauvrissement absolu existent déjà depuis plusieurs années (santé, alimentation, accidents du travail, etc.), mais ils se cristallisent maintenant en se combinant avec l'étape de la lutte de classes dans les pays impérialistes.

Le camarade Mandel n'a pas compris ces conditions particulières qui ont fait que la loi de la misère croissante se soit manifestée de manière absolue dans les pays arriérés et relative dans les pays avancés. Il n'a donc pas pu comprendre non plus que, prise comme phénomène d'ensemble, la loi restait celle que définissaient Lénine et Trotski. Mandel a raisonné à l'opposé: de la réfraction particulière de la loi en Europe et aux Etats-Unis, il a tiré une nouvelle loi générale pour le monde entier et pour toujours, pour l'avenir du capitalisme. Une loi qui embellit le capitalisme impérialiste, puisque celui-ci accroîtrait la consommation des masses et transformerait la misère relative.

En formulant sa nouvelle loi révisionniste, le camarade Mandel nous laisse sans explication objective pour les révolutions triomphantes qui ont eu lieu dans les pays coloniaux et semi-coloniaux au cours de l'après-guerre. Car, comme l'explique bien la camarade Chen-Pi-Lan dans son document « The real Lesson of China on Guérilla Warfare », l'explication ultime de la révolution chinoise est liée à la situation objective des impérialismes. C'est précisément la loi de la misère croissante absolue qui explique la défaite de Tchang Kai Chek et la victoire de Mao, malgré la politique stalinienne, menchévique et funeste de ce dernier. Sans cette loi, on ne comprend pas non plus le pronostic de Trotski sur la possibilité de gouvernements ouvriers et paysans provoqués par une crise sans issue de certains régimes bourgeois.

Mais la conséquence de ce révisionnisme total du trotskysme ne se limite pas aux pays arriérés. Avec cette loi de la misère relative, le camarade Mandel nous empêche de comprendre ce qui commence à se passer aujourd'hui en Europe et aux Etats-Unis. Et, ce qui est beaucoup plus grave, il nous empêche de nous donner une ligne de travail correcte pour les masses dans l'avenir, quand de plus en plus de mobilisations massives éclateront sur des problèmes objectifs crées par le système capitaliste et impérialiste à la classe ouvrière, sur la misère croissante. Si dans cette nouvelle étape qui commence, nous ne savons pas voir la réalité et continuons à disserter sur des questions subjectives, telles que la gestion des entreprises et l'aliénation par la consommation, nous creuserons la tombe de la IVème Internationale.

Au commencement de ce chapitre, nous avons dit que pour développer cette révision des conceptions trotskystes, une prémisse était nécessaire : celle de l'existence d'une étape de développement des forces productives sous l'impérialisme. Et le camarade Mandel est effectivement un défenseur inlassable de cette prémisse, bien qu'il ne la prenne pas en tant que telle, puisqu'il ne la lie pas à ses inévitables conséquences économiques et politiques (qu'il défend également).

Sur ce terrain, la conception mandéliste est également une révision du trotskysme et du léninisme. Rappelons quelques phrases du Programme de transition :

« Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent pas à un accroissement de la richesse matérielle » (p.72).

Tout en délaissant la théorie simpliste des lambertistes, qui s'en tiennent à la lettre de la définition donnée par Trotski pour ne pas reconnaître que s'est produite une troisième révolution industrielle, nous devons signaler que, dans son sens profond, cette définition est réelle.

Mandel a le mérite intellectuel d'avoir été un des meilleurs exposants de l'existence et de l'influence de la troisième révolution industrielle. Mais il a extrapolé de ce fait un changement des lois de base du trotskysme.

Les forces productives, prises dans leur ensemble, sont formées par trois éléments : les matières premières du travail (dont la source essentielle est la nature), les outils et la technique, l'homme. Pour Marx, le facteur principal est l'homme et c'est pour cela qu'il a qualifié l'homme de principale force productive. Nous pourrions dire que la nature et l'homme sont deux pôles essentiels du développement des forces productives, la technique et les outils étant le moyen de relation entre les deux.

Le capitalisme, dans son époque de développement, provoqua un progrès colossal des forces productives, parce qu'il signifia précisément un enrichissement total de l'ensemble de ces forces: une meilleure domination de la nature, un énorme développement de la technique et des machines, une plus grande consommation et un enrichissement global de l'homme, de la société. Le capitalisme en décomposition, l'impérialisme, a provoqué une contradiction aiguë au sein du système des forces productives : destruction systématique de la nature et de l'homme en contradiction avec la troisième révolution industrielle. Le problème écologique (qui préoccupe tant les scientifiques qui constatent la destruction de la nature) d' une part, la faim chronique et les guerres d'autre part, amènent à une destruction systématique de la nature comme de l' homme.

Mandel ne prend pas en compte l'origine théorique de son révisionnisme. Mais la raison méthodologique est la même que celle que nous avons montrée dans tout le chapitre antérieur et qui explique ses prévisions systématiquement erronées. En donnant autant d'importance à l'augmentation de la consommation des masses et à la troisième révolution industrielle, sans signaler ses aspects les plus négatifs ni sa dynamique, Mandel ne fait que transposer dans notre mouvement la conception et la terminologie des théoriciens du capitalisme dans l'étape actuelle, les théoriciens de la société de consommation. Comme Mandel, ils parlent de néo-capitalisme et de néo-impérialisme.

Il est vrai que Mandel combat ces tendances théoriques au nom de la révolution socialiste et de notre mouvement, mais il le fait en acceptant leurs prémisses théoriques qui se retournent contre lui. Les théoriciens du capitalisme disent : « Les forces productives poursuivent leur avancée, les masses consomment de plus en plus, par conséquent il n'y aura pas de révolution. » Mandel dit : « Les forces productives poursuivent leur avancée, les masses consomment de plus en plus, faisons la révolution en centrant notre action sur les problèmes subjectifs que crée le capitalisme. »

Nous, nous disons : « Les forces productives ne se développent plus, les masses sont misérables ou vont vers une misère absolue, ce sont les bases objectives pour faire la révolution. ».

2. Une interprétation phénoménologique du Programme de transition.[modifier le wikicode]

Dans la « Phénoménologie de l'esprit », son premier livre important, Hegel construisait le monde à travers le développement de la conscience, ce n'était pas le développement du monde qui donnait naissance aux différentes étapes de la conscience, mais le contraire, ce sont celles-ci qui donnaient naissance au monde. Le camarade Germain nous fait une interprétation analogue de notre Programme de transition. Pour lui, nos mots d'ordre ne découlent pas des besoins les plus profonds des masses, ils ne se classifient pas en fonction du type de besoins du mouvement des masses auxquels ils répondent, et ne s'utilisent pas selon la mobilisation objective qu'ils provoquent. Selon Germain, les mots d'ordre se définissent et s'utilisent sur la base de leur capacité à élever ou non le niveau de conscience des masses. Voici ce qu'il dit :

« En d'autres termes, la fonction du programme de transition ne se limite pas à avancer des revendications « liées au niveau de conscience présent » des masses, mais tend à changer ce niveau de conscience en fonction des besoins objectifs de la lutte de classes. » « Ce qui est transitionnel par rapport aux revendications transitoires, c'est précisément le mouvement d'un niveau de conscience donné à un autre plus élevé, et non une simple adaptation au niveau donné. » ("En défense du léninisme...", p.94).

Donc, selon le camarade Germain, ce qui caractérise les mots d'ordre transitoires, c'est qu'ils élèvent le niveau de conscience des masses. Et cette caractéristique est ce qui les différencie des mots d'ordre démocratiques et minima (Germain dit « immédiats ») car ceux-ci ne le font pas.

Comment Germain parvient-il à cette interprétation ? Rappelons que, comme nous l'avons vu dans le sous-chapitre antérieur, selon lui l'impérialisme n'apporte pas une misère croissante absolue, des salaires de plus en plus bas et de plus en plus de chômage aux masses travailleuses, et qu'il tend même à se libéraliser. Par conséquent, il ne crée pas les causes objectives - ou plus simplement les besoins matériels ou de type démocratique - qui amènent les masses à se mobiliser. Pour un marxiste, cette situation (si elle était réelle) signifierait la fin des possibilités de mobilisation révolutionnaire des masses. Mais, comme Germain veut toujours rester révolutionnaire, même au risque de ne plus être marxiste, il doit chercher un autre type de motivation pour faire la révolution. Et il découvre ainsi les causes subjectives, des espèces de conflits psychologiques produits chez un travailleur par l'inefficacité de la gestion capitaliste des entreprises ou le caractère aliénant de la consommation. Et ces questions sont bien évidemment des problèmes de « conscience ».

Cette conception amène Germain à son interprétation particulière du Programme de Transition, car il a précisément besoin d'un programme qui soit centré sur les différentes « consciences ». Mais malheureusement il se trouve que le Programme de transition est lié aux besoins des masses, qu'il part de ces besoins et du niveau présent du mouvement des masses, dans l'objectif de leur mobilisation révolutionnaire.

Comme Germain désire également rester trotskyste, il ne lui reste plus qu'à réviser totalement notre programme. Et c'est ainsi qu'il en fait l'interprétation phénoménologique : il fait découler, classifie et propose que les mots d'ordre soient utilisés en fonction du « niveau de conscience » et non en fonction des besoins objectifs du mouvement des masses, ni de la mobilisation objective qu'ils provoquent.

Cette interprétation germainiste des mots d'ordre et du programme de Transition nous enlise dans des contradictions insolubles (et ce n'est pas un hasard car le révisionnisme se caractérise par la déformation d'une théorie sans oser rompre avec celle-ci et, restant à moitié chemin, il se débat dans une multitude de contradictions et d'incohérences). Voyons-en quelques exemples :

Germain nous dit que les mots d'ordre transitoires sont ceux qui élèvent le niveau de conscience, mais un des mots d'ordre fondamentaux qui amena les bolchéviks au pouvoir fut la revendication démocratique de nationalisation et redistribution des terres. Si ce mot d'ordre est démocratique, il n'a donc pas « élevé le niveau de conscience ? » Et s'il l'a élevé est-­ce toujours un mot d'ordre démocratique ?

Trotski affirmait la nécessité de consacrer tous nos efforts à la formation d'un parti ouvrier aux Etats-Unis. Il est évident que la rupture des ouvriers américains avec un parti bourgeois comme le parti démocrate aurait signifié une élévation de leur niveau de conscience. Selon Germain, un « parti ouvrier » serait donc un mot d'ordre transitoire; mais Trotski s'est chargé de préciser que c'était une revendication démocratique non transitoire.

Pour démêler ce fatras, il nous faut savoir quels critères suivre afin de définir les mots d'ordre qui se combinent avec notre programme de transition. Contrairement à Germain, qui les définit sur la base du niveau de conscience, le trotskysme les définit par le rôle qu'ils ont rempli et qu'ils remplissent dans le développement du mouvement de masses. La mobilisation des masses a toujours un objectif concret: satisfaire des besoins créés par la structure sociale. C'est cette mobilisation permanente des masses, s'affrontant à chaque époque aux nouveaux besoins nés de la société de classes, qui crée de nombreux mots d'ordre qui s'alternent pour diriger la mobilisation, tout en se combinant. C'est très simple, un mot d'ordre est l'expression écrite ou orale d'un besoin pour lequel se mobilisent les masses à un moment donné. Les travailleurs souffrent de la faim, le mot d'ordre est « Augmentation des salaires ! » : seule une minorité a des droits politiques : « Suffrage universel ! » ; Kérensky est incapable de résoudre les problèmes de paix, du pain et de la terre : « Tout le pouvoir aux soviets ! ».

Chaque époque historique a créé de nouveaux besoins au mouvement des masses, ces besoins furent envisagés avec des mots d'ordre nouveaux, c'est-à-dire de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes. C'est pour cela que, contrairement à la définition phénoménologique par niveaux de conscience que fait Germain, le trotskysme classifie les revendications en fonction des besoins du mouvement des masses auxquels ils répondent. Cette classification est donc objective et historique.

Les revendications démocratiques sont celles que le peuple a obtenues au cours de l'époque des révolutions démocratiques bourgeoises : élections, suffrage universel, formation, droit à la langue nationale, école pour tous, liberté de presse, de réunion et d'association, de formation des partis politiques et, fondamentalement, indépendance nationale et révolution agraire.

Cette époque historique fut suivie par le début de l'époque impérialiste où la classe ouvrière commença à organiser les syndicats et les partis ouvriers, gagna les 8h, la légalité des syndicats, la limitation du travail de nuit et d'autres revendications partielles. Ce sont là précisément les revendications minima ou partielles. C'est ainsi que Trotski les définit, en faisant la critique du programme immédiat du stalinisme français qui n'avançait que ce type de mots d'ordre :

« La lutte pour les revendications immédiates a comme tâche de soulager la situation des travailleurs ». (Trotski, "Où va la France", p.63).

Ensuite vint l'époque que nous vivons actuellement, celle de la révolution socialiste, de la transition du capitalisme au socialisme. Pendant cette étape de transition, la classe ouvrière au pouvoir imposera un ensemble de mesures afin de garantir le niveau de vie et de travail de la classe ouvrière et des secteurs exploités : échelle mobile des salaires et des heures de travail, contrôle ouvrier de la production, nationalisation totale de l'industrie, du commerce extérieur et des banques, planification de l'économie, etc... Ce sont des revendications supérieures au capitalisme, elles sont déjà socialistes. Trotski les pose ainsi :

« Je pense qu'en principe, ce mot d'ordre (échelle mobile des salaires et des heures de travail) sera adopté. Que signifie-t-il ? Il s'agit en réalité du système de travail dans la société socialiste. Le nombre total des heures divisé par le nombre total des ouvriers. Mais si nous présentons tout le système socialiste, il apparaîtra comme une utopie, importé d'Europe pour l'américain moyen. Nous le présentons comme une solution à cette crise, comme devant assurer leur droit à manger, boire, vivre dans un logement décent. C'est le programme du socialisme, mais sous une forme très simple et populaire. » (Trotski, "Writings" 38-39, p.44).

En résumé, nous pouvons dire que notre programme regroupe traditionnellement trois types de mots d'ordre : démocratiques (arrachés par et pour le peuple à l'époque de la montée du capitalisme), minima ou partiels (arrachés par et pour la classe ouvrière au début de l'époque impérialiste) et transitoires (qui répondent aux nouveaux besoins du mouvement de masses à cette étape de décadence impérialiste et de transition vers le socialisme).

En 1958, notre parti formula à la Conférence de Leeds la thèse selon laquelle il y a un quatrième corps de mots d'ordre qui sont également partie intégrante du Programme de transition. Ces revendications ont également une origine historique et objective : elles sont une conséquence déformée de la décadence impérialiste qui s'est manifestée au sein du mouvement ouvrier organisé et au sein du premier Etat ouvrier, en tant que dégénérescence bureaucratique, et a créé pour la classe ouvrière la nécessité de lutter contre cette dégénérescence.

La lutte des masses contre la caste bureaucratique est une lutte interne au mouvement ouvrier et de masses, elle n'a rien à voir avec la structure du régime capitaliste et impérialiste mais avec la structure organisationnelle du mouvement ouvrier. Les mots d'ordre pour cette lutte peuvent être regroupés d'une manière sommaire sous le générique de révolution politique, puisque l'expression la plus importante de ce groupe de mots d'ordre est celle de la révolution politique en URSS. « Dehors la bureaucratie des organisations du mouvement des masses et des soviets ! », « Vive la démocratie soviétique ! » sont certains de ces mots d'ordre. Ils ne prennent pas seulement leur sens en URSS et dans les Etats ouvriers déformés mais aussi au sein des Etats capitalistes, comme une réfraction particulière de cette dégénérescence dans les organismes du mouvement ouvrier du monde capitaliste, et de la nécessité de la combattre par des mots d'ordre généraux et spécifiques.

Par cette classification en catégories de mots d'ordre démocratiques, minima ou partiels, transitoires et de révolution politique, nous avons démêlé la confusion créée par le camarade Germain par sa classification phénoménologique selon les niveaux de conscience. Nous devons maintenant nous sortir d'un autre fatras, celui des mots d'ordre immédiats et à plus long terme.

Germain et d'autres camarades mettent un signe égal entre mots d'ordre minima ou partiels et mots d'ordre immédiats. Mais qu'est-ce que veut dire immédiat ? Cela signifie actuel, présent, et c'est l'opposé du plus long terme, de ce qui n'est pas posé dans le présent, mais dans un futur indéterminé. Les mots d'ordre immédiats seraient ceux que le parti peut avancer tout de suite pour la mobilisation des masses, et les autres ceux qui ne peuvent être avancés que dans une autre étape historique à venir, plus avancée du mouvement des masses.

Assimiler les mots d'ordre immédiats aux minima est une mauvaise interprétation de certaines citations de Trotski, tirées hors de leur contexte. Par exemple, dans la citation que nous avons donnée, il est dit: « la lutte pour les revendications immédiates a pour tâche de soulager la situation des travailleurs ». Trotski s'y réfère pour critiquer quelque chose de très concret : le programme immédiat du stalinisme français d'alors. C'est pour cela qu'il n'y a pas de contradiction quand, quelques lignes auparavant, il affirme catégoriquement que, pour cette situation, « la revendication la plus immédiate doit être l'expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production » (Où va la France, p.62). Trotski ne parle de mots d'ordre immédiats dans le même sens que minima que lorsqu'il se réfère aux programmes de la bureaucratie stalinienne ou des socialistes. Normalement, il utilise la classification que nous venons de donner.

« Dans la mesure où les revendications partielles (minima) des masses entrent en conflit avec les tendances destructives et dégradantes du capitalisme décadent - et cela arrive à chaque pas - la IVème lnternationale prône un système de revendications transitoires, dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases du régime bourgeois » ("Programme de transition", Accion obrera, p.16).

En lisant attentivement (et en toute bonne foi) Trotski, il ne reste aucun doute à ce sujet. Cependant le camarade Germain insiste sur le fait qu'il y a « d'une part les mots d'ordre transitoires » et d'autre part les mots d'ordre « démocratiques ou immédiats ». Et pour le camarade Germain, ce n'est pas une simple erreur de lecture de Trotski, c'est le résultat de son interprétation phénoménologique du Programme de transition. Comme pour lui les mots d'ordre se divisent entre ceux qui élèvent le niveau de conscience et ceux qui ne le font pas, les mots d'ordre du passé (démocratiques, minima ou partiels) n'élèvent pas le niveau de conscience, car ils sont déjà intégrés dans la conscience des masses grâce aux luttes du passé. Selon le camarade Germain, parler à un ouvrier de la journée de 8 h, des syndicats, des libertés démocratiques, n'élève pas son niveau de conscience, car tout le monde connaît déjà cela.

Par contre les mots d'ordre transitoires qui parlent d'un futur socialiste que la classe ouvrière n'a pas vécu, qu'elle ne connaît pas, élèvent le niveau de conscience. Par conséquent, dans la conception intellectuelle et professorale qu'a le camarade Germain de la lutte de classes, les mots d'ordre minima son immédiats car il n'y a pas nécessité de les expliquer, puisqu'ils sont déjà connus. Et ceux qui ne sont pas encore connus, les revendications du socialisme, ceux que nous devons expliquer aux travailleurs afin qu'ils les reprennent et qu'ils luttent, ne sont pas immédiats, ils sont transitoires.

Une fois de plus, les besoins concrets du mouvement des masses n'ont rien à voir avec ces définitions. Selon Germain, si nous ne perdons pas de temps à les expliquer (à élever le niveau de conscience), les mots d'ordre sont immédiats. Si nous devons les expliquer, ils sont transitoires.

Si le camarade Germain avait pensé comme un marxiste (et non comme un phénoménologue), au lieu de semer autant de confusion, il aurait recherché l'origine de cette classification des revendications en immédiates et non immédiates, dans l'histoire du mouvement des masses. Et il y aurait trouvé que c'est le développement même du mouvement des masses qui a détruit cette division.

Pendant l'époque de la social-démocratie, les mots d' ordre directement socialistes n'étaient pas posés par la réalité objective, car le capitalisme n'était pas encore décadent et en décomposition. Il y avait donc deux programmes, le programme minimum ou partiel et le programme socialiste. Le premier était le programme des luttes présentes, actuelles d'alors, « immédiates »; le second était le programme pour un futur à venir. Dans ce sens (et c'est ainsi que l'emploie Trotski), on pouvait parler à cette époque-là de revendications immédiates que le parti se proposait d'obtenir - et qui consistaient essentiellement en exigences démocratiques et minima - et de revendications pour le futur – non posées par le présent, les mots d'ordre socialistes.

Mais le Programme de transition est né précisément parce que les mots d'ordre socialistes, essentiellement la prise révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat, devenaient les mots d'ordre les plus urgents et les plus immédiats, lorsque le capitalisme est entré en décomposition, dans son étape impérialiste. L'ancien programme maximum se transforme en programme immédiat, sans que les anciens mots d'ordre minima et démocratiques perdent de leur actualité, de leur caractère immédiat. Il se produit alors une combinaison de tous les mots d'ordre d'époques historiques distinctes de l'humanité, avec les revendications actuelles, objectives et subjectives de la mobilisation des masses.

Trotski a dit de nombreuses fois que cela constituait l'essence même de la révolution permanente et du Programme de transition :

« Entre le programme minimum et le programme maximum (des social-démocrates) s'est établi une continuité révolutionnaire. Ce n'est pas la question d'un instant, d'un jour ou d'un mois, mais de toute une époque historique. » ("The Permanent Revolution", Pathfinder Press, 1972, P.210).

« La thèse politique marxiste doit être la suivante : « Tandis que l'on explique constamment aux masses que le capitalisme en putréfaction n'a pas la possibilité d'alléger sa situation, ni même de maintenir le niveau de misère habituel, tandis qu'est posée ouvertement face aux masses la révolution socialiste comme la tâche immédiate de nos jours, tandis que les travailleurs se mobilisent pour la conquête du pouvoir, tandis que la défense des organisations ouvrières se fait à l'aide de milices ouvrières, les communistes ne doivent perdre aucune occasion pour exiger en même temps telle ou telle concession partielle à l'ennemi, ou au moins d'éviter la menace à venir contre le niveau de vie des travailleurs. » » ("Où va la France", p.66).

Et pour terminer avec les citations, voici celle où Trotski se réfère à la révolution dans les pays arriérés :

« En arrivant au gouvernement, non comme des otages impuissants, mais en tant que force directrice, les représentants du prolétariat effacent par-là même les frontières entre le programme minimum et le programme maximum, ils mettront le collectivisme à l'ordre du jour. » ("The Three Conceptions of the Russian Revolution", Writings, 38-39, p.116).

Il est donc clair que toutes ces revendications sont de nos jours, actuelles, immédiates, et c'est précisément ce caractère immédiat que toutes les revendications de notre Programme de transition ont en commun, les démocratiques, minima ou partielles comme les transitoires et celles de la révolution politique.

Le fait que ces quatre types de revendications soient tous posés de manière immédiate n'est donc pas déterminé par des phénomènes de conscience mais par la situation objective de la société et par le développement du mouvement des masses. Cela signifie que l'impérialisme en décomposition entraîne de plus en plus de misère pour les masses travailleuses et crée la nécessité de lutter contre cette misère, mettant à l'ordre du jour (rendant « immédiats ») les mots d'ordre minima ou partiels. Si l'impérialisme fait régresser les conquêtes démocratiques obtenues à des époques antérieures, s'il recourt à des dictatures fascistes ou bonapartistes, il met à l'ordre du jour (rend immédiats) les mots d'ordre socialistes (transitoires), essentiellement celui de la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Si la décadence impérialiste provoque le phénomène de la dégénérescence bureaucratique des organismes du mouvement ouvrier et des Etats ouvriers, il met à l'ordre du jour (rend immédiats) les mots d'ordre de la révolution politique.

Le Programme de transition est justement le programme qui combine toutes ces revendications pour la mobilisation actuelle, immédiate des masses, car c'est une nécessité pour les masses de lutter pour toutes ces revendications à la fois ; il les combine selon la situation concrète et les oriente toutes vers la prise du pouvoir par la classe ouvrière.

Mais le fait que ces quatre types de mot d'ordre se combinent dans notre programme, et le fait qu'ils soient tous posés de manière immédiate par la mobilisation des masses ne signifie pas que n'importe quelle combinaison de mots d'ordre soit correcte. Pour trouver le programme adéquat à chaque situation concrète de la lutte de classes, il faut tenir en compte deux facteurs : le pays dont il s'agit (sa situation économique et politique), et la mobilisation concrète dans laquelle nous allons intervenir. Nous nous arrêterons sur le premier facteur dans un autre chapitre, mais il faut d'abord noter que les pays arriérés sont plus concernés par les revendications démocratiques et minima, et que dans les pays avancés les revendications transitoires ont plus de poids (sauf dans les pays où existent des formes bonapartistes ou fascistes de gouvernement, auquel cas passent également au premier plan les revendications démocratiques et minima).Voyons maintenant le lien entre notre programme, nos mots d'ordre et les mobilisations concrètes dans lesquelles nous devons mener notre activité pratique quotidienne.

Selon le phénoménologue Germain, il faut donner une importance fondamentale aux revendications transitoires, car ce sont elles qui élèvent le niveau de conscience. Nous avons vu dans un sous-chapitre antérieur que pour lui : « les questions de salaire et de réduction du temps de travail sont importantes, mais ce qui est beaucoup plus important c'est qui doit décider que produire et comment le produire ».

Selon Trotski, il faut utiliser le mot d'ordre, ou la combinaison de mots d'ordre adaptés à la mobilisation concrète dont il s'agit, afin de la développer vers la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Ce n'est que mis dans le contexte de la lutte de classes que les mots d'ordre prennent vie et, par conséquent, chaque mot d'ordre peut avoir des résultats différents suivant telle ou telle situation historique.

Dans le développement vivant de la mobilisation des masses, des mots d'ordre minima peuvent avoir des conséquences transitoires et des mots d'ordre transitoires peuvent avoir des conséquences minima. Le caractère historique de la définition du mot d'ordre (c'est-à-dire du besoin du mouvement des masses qu'il exprimait au moment où il est né) ne donne pas à celui-ci des propriétés supérieures à la lutte de classe. Au contraire, c'est la mobilisation permanente de la classe ouvrière et des masses travailleuses qui donne sa signification au mot d'ordre. Et cette contradiction entre le caractère historique des mots d'ordre et leurs conséquences lorsqu'ils sont appliqués à une mobilisation concrète des masses, apparaît dans de nombreux exemples. Voyons-en quelques uns:

Le mot d'ordre de paix (ou de pain) de la Révolution russe eut des conséquences transitoires, il servit à mobiliser les masses vers 1a prise du pouvoir et la révolution socialiste, car l'impérialisme en crise ne pouvait pas faire cette concession. Mais ce mot d'ordre, « en soi », était minimum.

Il se passe la même chose avec le mot d'ordre de prédilection du camarade Germain, le contrôle ouvrier. Trotski a montré comment, si ce mot d'ordre est utilisé par les directions bureaucratiques, il se transforme en un outil du régime capitaliste et n'a pas de conséquence transitoire. S’il y a une grève générale, comme celle du Mai français, et que nous avancions le contrôle ouvrier comme mot d'ordre central, il devient contre-révolutionnaire bourgeois ou réformiste bureaucratique, car il fait dévier les masses de ce qui est objectivement posé par la grève générale, il les éloigne du problème du pouvoir qui est bien supérieur au contrôle ouvrier.

Le mot d'ordre de contrôle ouvrier comme les combinaisons tactiques adéquates de mots d'ordre de pouvoir (gouvernement ouvrier, Assemblée constituante, etc.) sont des revendications transitoires. Mais le résultat de l'application de l'un ou des autres, dans un cas comme celui-ci, ne peut être plus frontalement opposé.

Tout comme il ne comprend pas la classification des mots d'ordre sur la base de critères objectifs, le camarade Germain ne comprend pas que tous les mots d'ordre sont immédiats du fait des besoins objectifs du mouvement des masses, besoins créés par la décadence impérialiste, et il peut encore moins comprendre que ce même critère objectif est celui qui doit prévaloir dans leur application. Il continue avec ses fameux « niveaux de conscience ».

Pour nous, si des mots d'ordre sont utiles pour la mobilisation des masses, pour les rapprocher de la prise du pouvoir, ce sont les meilleurs, quel que soit leur « contenu historique », car ils se combinent avec le mot d'ordre de transition fondamental: la prise du pouvoir par le prolétariat. Si les mots d'ordre éloignent les masses de cette tâche actuelle, immédiate, ils sont mauvais, même s'ils sont transitoires à la énième puissance.

Ce n'est qu'après avoir précisé la classification des mots d'ordre, la signification du programme de transition et la détermination des critères de leur application à la lutte de classes, que nous pouvons passer au grand problème qui préoccupe le camarade Germain, le problème du niveau de conscience.

Le problème de la conscience a effectivement une énorme importance. Nous pensons comme le camarade Germain que c'est une tâche essentielle de notre activité que d'élever le niveau de conscience du mouvement ouvrier. Ce que nous avons remis en cause, c'est la place de cette conscience par rapport à la définition des mots d'ordre et à leur utilisation. Et ce que nous remettons en cause également, c'est la définition même de conscience qu'il donne (implicitement) dans sa conception.

Le camarade Germain conçoit la conscience comme un facteur indépendant, presqu'autonome. Pour nous, la conscience est un produit, elle est subordonnée à la lutte de classes, elle est conditionnée par elle, c'est le reflet du niveau atteint par la mobilisation des masses. Nous pouvons dire que la conscience est l'expression subjective d'un phénomène objectif, celui de la lutte de classes.

Nous ne nions pas la conscience, nous la situons, en faisant primer le facteur objectif : la mobilisation des masses.

Quel est le rapport de tout cela avec les mots d'ordres ? C'est très simple, nos mots d'ordre doivent partir du niveau des mobilisations de masses (qui exprime leur conscience immédiate des besoins qu'elles ont) pour tenter de l'élever à un niveau supérieur de mobilisation (qui s'exprimera par un niveau supérieur de conscience). Par exemple, s'il y a des luttes pour des augmentations de salaire dans de nombreuses entreprises, nous devons partir de ce niveau de mobilisation et de conscience immédiat (nous avons besoin de meilleurs salaires), pour essayer de l'élever vers la grève générale pour une augmentation générale. Si nous réussissons à déclencher la grève générale, celle-ci entraînera les masses dans un affrontement d'ensemble contre le régime capitaliste (si celui-ci ne peut pas accorder cette augmentation) et créera pour le mouvement des masses le besoin d'une réponse politique (inévitablement transitoire) à laquelle nous devons répondre par un mot d'ordre de pouvoir, de transition.

C'est ici un schéma linéaire, cela ne se produira pas ainsi dans la lutte de classes réelle, mais ce schéma nous est utile pour expliquer de manière pédagogique au camarade Germain le rapport direct des mots d'ordre avec le niveau de mobilisation des masses et indirect avec leur niveau immédiat de conscience.

La conscience des masses se développe de cette manière, elles apprennent par leur propre mobilisation à partir des besoins dont elles ont déjà conscience. L'étape de décadence impérialiste et de transition vers le socialisme pose la révolution socialiste comme une nécessité immédiate pour les masses. Mais elle le pose dans un sens historique, pour toute cette étape, qui va de la révolution russe jusqu'à la victoire finale de la révolution mondiale. Elle ne le pose pas au commencement d'une mobilisation dans un pays, mais comme une nécessité pour cette mobilisation si elle se transforme en mobilisation permanente. Notre effort doit se centrer précisément sur le fait de donner un caractère permanent aux mobilisations des masses, car ce n'est qu'ainsi qu'elles s'élèveront à la conscience supérieure de la nécessité de prendre le pouvoir au moyen de la révolution socialiste.

En résumé, le seul moyen d'élever le niveau de conscience des masses est celui de la mobilisation. Nos mots doivent servir à élever toute mobilisation à un niveau supérieur, créant ainsi la nécessité de nouveaux mots d'ordre plus avancés, jusqu'à la nécessité (et le mot d'ordre) de la prise du pouvoir et de la révolution socialiste, et cela dans un processus permanent.

Tenter de remplacer ce processus objectif (à travers la mobilisation permanente) d'élévation du niveau de conscience des masses vers la conscience supérieure de la nécessité de la prise du pouvoir, par la propagande (parlée, écrite ou « d'actions exemplaires ») du parti autour de mots d'ordre qui, en eux-mêmes, miraculeusement, élèveraient le niveau de conscience, est un délit de « lèse-trotskysme ». Trostky disait :

« Toute tentative de sauter des étapes réelles, objectivement conditionnées dans le développement des masses, est de l'aventurisme politique. » ("The Permanent Revolution., p .241).

Et cette tentative est faite par le camarade Germain, du point de vue théorique, comme conséquence de la révision qu'il fait de notre programme. (Nous verrons plus loin que le camarade Germain s'engage effectivement dans « l'aventurisme politique »).

Ce révisionnisme a ses racines dans la manie constante de Germain à vouloir séparer l'objectif du subjectif et à faire primer ce dernier. nous l'avons vu croire dur comme fer aux plans « subjectifs » de l'impérialisme ou de la bureaucratie soviétique et cela l'a amené à faire des prévisions erronées. Nous l'avons vu découvrir les bontés de l'impérialisme qui développerait les forces productives et satisferait de mieux en mieux les besoins des masses, et il en a déduit que les masses ne se mobiliseraient plus à cause de la misère, mais pour des conflits « subjectifs » créés par le capitalisme. Et nous la voyons maintenant, suivant fatalement les lois de la logique, qui sont inflexibles, soutenir que notre programme, ses mots d'ordre et leur utilisation n’ont rien à voir avec les besoins des masses, ni avec le déroulement concret de leur mobilisation, mais avec des questions de conscience, encore une fois des questions « subjectives ». Ce n'est déjà plus le révisionnisme de quelques aspects partiels du marxisme, c'est le révisionnisme des bases-mêmes du matérialisme historiques.

3. Germain remet en cause la révolution permanente dans les pays avancés.[modifier le wikicode]

La théorie-programme de la révolution permanente est l'axe du Programme de transition. Elle est liée à la mobilisation du mouvement des masses et à nos objectifs marxistes révolutionnaires par rapport à elle. Nous pouvons formuler cette théorie-programme d'une manière très simple : mobiliser les masses d'une manière permanente au moins jusqu'à l'instauration d'une société socialiste internationale et la destruction définitive de tout vestige de la société de classe dans tous les domaines de la vie sociale. C'est la plus grande expression de notre politique, car notre objectif suprême est la mobilisation permanente du mouvement des masses.

Cette définition si simple a un « défaut » pour le camarade Germain: elle prend comme point de référence la lutte de classes et le rôle de nos partis ; elle exprime comment doivent intervenir nos partis dans la lutte de classes pour diriger la mobilisation ininterrompue des masses vers le triomphe définitif de la révolution socialiste. Le camarade Germain a une définition plus « scientifique », « professorale ». D'abord, il change son nom, au. lieu de théorie, thèse ou programme - comme nous la nommons traditionnellement dans le mouvement trotskyste - il dit « formule ». Ensuite, il pense que la révolution permanente s'applique aux pays arriérés mais pas aux pays avancés.

« la notion totale d'application de la formule de la révolution permanente aux pays impérialistes est extrêmement douteuse et ce dans le meilleur des cas. Elle ne peut être faite qu'avec la plus complète circonspection et d'une manière analogique. » (Germain, document cité, p.84).

La raison donnée par le camarade Germain pour expliquer une telle affir­mation est très simple. Dans tous les pays du monde existent des tâches démocratiques et transitoires, mais combinées de différentes manières. Là où le poids des tâches démocratiques est plus grand que celui des tâches transitoires, c'est-à-dire dans les pays arriérés, la révolution permanente s'applique. Là où le plus grand poids est celui des tâches transitoires, c'est-à-dire dans les pays impérialistes, elle ne s'applique pas.

Le camarade Germain a élaboré une véritable table de Mendeléiev pour les différents types de formule à appliquer dans les différents pays, mais cette table est incomplète : un plus grand poids des tâches démocratiques = révolution permanente ; un plus grand poids des tâches transitoires = ? (nous savons une seule chose : « il est extrêmement douteux que la révolution permanente s 'y applique »).

Donc, si la révolution dans les pays avancés n'est pas régie par la formule de la révolution permanente, par quelle formule l'est-elle ? Quelle est celle qu'applique Germain ? La formule de la révolution socialiste peut-être ? Mais cette formule de la révolution socialiste internationale c'est précisément la formule de la révolution permanente. Ou bien y en a-t-il une autre que le camarade Germain a découverte et dont il est trop modeste pour nous faire part ? La combinaison des tâches démocratiques et transitoires dans la mobilisation des masses des pays impérialistes correspond à quelle formule, camarade Germain ? Peut-il nous donner son nom ? Ou, s'il s'agit d'une découverte récente, encore sans nom, le camarade Germain aurait-il la bonté d'expliquer à tous les camarades de l'Internationale en quoi elle consiste ?

Le camarade Germain explique sa conception d'une manière un tant soit peu curieuse :

« Mais ce serait du sophisme de tirer la conclusion qu'il n'existe pas de différences qualitatives entre les tâches combinées posées à la révolution dans les pays impérialistes et celles posées dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, simplement du fait incontestable que certaines tâches de la révolution démocratique bourgeoise restent sans solution dans la majeure partie des nations impérialistes avancées, ou s'y posent de nouveau, tandis que les tâches fondamentales de la révolution restent sans solution (ou seulement résolues misérablement et incomplètement) dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Trotski souligne dans le Programme de transition que : « Le poids relatif des revendications individuelles et démocratiques dans la lutte prolétarienne, leurs relations réciproques et leur ordre de présentation, tout cela est déterminé par les conditions particulières et spécifiques de chaque pays arriéré et, dans une considérable mesure, par le degré de leur arriération » ». (idem, p.84).

Personne ne nie qu'il y ait des « différences qualitatives » dans les rapports réciproques et l'ordre de présentation - c'est-à-dire la combinaison concrète - des mots d'ordre démocratiques et transitoires entre les différents pays. Et nous pouvons même dire que les tâches démocratiques ont plus de poids dans un pays arriéré et que les tâches transitoires ont généralement plus de poids dans un pays avancé. Nous pouvons même définir cette différence qualitative en disant que, dans un pays arriéré est posée essentiellement une révolution démocratique-bourgeoise qui devient socialiste, et que dans un pays avancé c'est la révolution socialiste qui mènera jusqu'au bout les tâches démocratiques importantes et fondamentales Mais dire cela est déjà dangereux car, en vérité, ce qui est posé dans les pays avancés comme arriérés, c'est, de par sa dynamique de classe (c’est-à-dire, de par la classe que la mènera à bien en prenant le pouvoir), une révolution socialiste, qui achèvera d'importantes tâches démocratiques bourgeoises.

Nous pouvons le dire ainsi, et c'est ce que fait le camarade Germain. Mais ce que nous ne pouvons pas faire, c'est en tirer la conclusion, comme le fait le camarade Germain, que cela démontre que dans les pays avancés la formule de la révolution permanente ne s'applique pas. Nous ne pouvons pas le faire, car cette formule ne concerne pas le poids relatif des tâches démocratiques dans le processus révolutionnaire d'un pays déterminé, mais quelque chose de beaucoup plus simple : elle concerne le caractère que doit avoir la mobilisation des masses à cette étape de transition au socialisme. Ceux qui défendent la révolution permanente soutiennent qu'elle est internationale et permanente, ceux qui ne la défendent pas soutiennent qu'elle est nationale ou régionale ou par étapes.

De la différence qualitative qui apparaît entre les combinaisons de mots d'ordre selon les pays, le camarade Germain tire la conclusion que cette différence qualitative est l'essence de la révolution permanente. En réalité, il met en pièces la loi de la révolution permanente, la débitant en parties nationales, régionales, car non seulement il existe des différences qualitatives dans la combinaison des tâches posées en Uruguay et celles des colonies portugaises (deux pays arriérés) mais il y en a également entre l'Allemagne et les Etats-unis (deux pays avancés).

En définitive, Germain considère la révolution permanente comme le programme de la révolution nationale et démocratique dans les pays arriérés. Il ne la considère pas comme ce qu'elle est: la loi et le programme de la révolution mondiale jusqu'à l'instauration du socialisme dans le monde, dont le niveau national n’est qu’une partie subordonnée.

Ce n'est pas un hasard s'il croit qu'il y a des pays où elle ne s'applique pas, tandis que Trotski soutient le contraire :

« La théorie de la révolution permanente exige aujourd'hui la plus grande attention de la part de tout marxiste, car le cours de la lutte de classes et de la lutte idéologique a enfin mis totalement à l'ordre du jour cette question... et l'a transformée en la question du caractère des relations internes et des méthodes de la révolution internationale en général. » « La révolution socialiste commence dans l'arène nationale, se développe dans l'arène internationale et s'achève dans l'arène mondiale. Par conséquent, la révolution socialiste devient une révolution permanente dans le sens le plus nouveau et le plus ample du terme: elle ne s'achèvera qu'avec la victoire finale de la nouvelle société dans toute la planète. » (Trotski : "The Permanent Revolution", Pathfinder 1972, p.276 et 279).

Comme la confusion sur la théorie de la révolution permanente n'a pas commencée et ne se terminera pas avec Germain, Trotski s'est chargé lui-même de la préciser :

« Pour dissiper le chaos qui s'est effectué autour de la théorie de la révolution permanente, il faut distinguer trois lignes de pensée qui sont unies dans cette théorie :

« Premièrement, elle englobe le problème de la transition de la révolution démocratique à la révolution socialiste, et c'est l'essence de l'origine historique de la théorie. La théorie de la révolution permanente, qui a pris naissance en 1905, a déclaré la guerre aux idées et aux méthodes du marxisme vulgaire qui considérait la démocratie et le socialisme comme deux étapes historiques distinctes. Elle a montré que les tâches démo­cratiques dans les nations bourgeoises arriérées conduisent directement, à notre époque, à la dictature du prolétariat, et que la dictature du prolétariat met les tâches socialistes à l'ordre du jour. C'est là la ligne centrale de la théorie. Alors que la vision traditionnelle était que la voie vers la dictature du prolétariat passait par une longue période de démocratie, la théorie de la révolution permanente a établi le fait que pour les pays arriérés la voie de la démocratie passait par la dictature du prolétariat. Ainsi, la démocratie n'est pas un régime qui reste auto-suffisant pendant des décennies, mais le prélude direct de

la révolution socialiste. L'une et l'autre sont unies par une chaîne sans rupture. C'est ainsi que s'établit un déroulement permanent de développement révolutionnaire entre la révolution démocratique et la reconstruction socialiste de la société.

« Le second aspect de la théorie de la « permanence » est lié à la révolution socialiste en tant que telle. Tous les rapports sociaux subissent des transformations pour un temps long et indéfini et dans une lutte interne constante. La société change sans cesse de peau. Chaque étape de la transformation s'enchaîne directement avec la précédente. Ce processus a nécessairement un caractère politique, ce qui signifie qu'il se développe à travers des conflits entre les différents groupes de la société qui se transforme. L'éclatement de la guerre civile et celui des guerres étrangères alternent avec des périodes de réformes « pacifiques ». Les révolutions dans l'économie, la technique. la science, la morale et la vie quotidienne se développent dans une totale inter-action et ne permettent pas à la société d'atteindre son équilibre. C'est de là que découle le caractère permanent de la révolution socialiste en tant que telle.

« Le caractère international de la révolution socialiste, qui constitue le troisième aspect de la théorie de la révolution permanente, découle de l'état actuel de l'économie et de la structure sociale de l'humanité. L'internationalisme n'est pas un principe abstrait. mais un reflet théorique et politique du caractère de l'économie mondiale, du développement mondial des forces productives et de l'échelle mondiale de la lutte de classes. »

« La lutte des épigones est dirigée, bien que pas toujours avec la même clarté, contre ces trois aspects de la révolution permanente. Et comment pourrait-il en être autrement quand il s'agit de trois parties inséparablement liées en un tout ? les épigones séparent mécaniquement la dictature démocratique et socialiste. Ils séparent la révolution socialiste nationale de l'internationale. » (idem, p.131-133).

C'est suffisamment clair, pour Trotski, la révolution permanente régit tous les pays, des pays arriérés à ceux qui sont en train de construire le socialisme. Pour Germain, elle ne régit que les pays arriérés. Mais écoutons encore Trotski :

« la IVème lnternationale ne fait pas de distinction entre les pays avancés et les pays arriérés, entre la révolution démocratique et la révolution socialiste. Elle les combine et les subordonne à la lutte mondiale des opprimés contre les oppresseurs. De la même façon que la seule force véritablement révolutionnaire de notre ère est le prolétariat international, le seul programme pour liquider l'oppression sociale et nationale est le programme de la révolution permanente. » (Trotski : "Documents of the Fourth International" 1933-40, Pathfinder Press, 1973, p.331).

Trotski précise que sa théorie comporte trois aspects inséparablement liés en un tout, il ne fait « aucune distinction entre pays arriérés et avancés », il soutient que le seul programme est « celui de la révolution permanente ». Germain sépare une partie de la théorie (celle qui se réfère aux pays arriérés), il fait des différences entre les pays avancés et arriérés, et soutient que le programme de la révolution permanente s'applique seulement aux seconds et pas aux premiers. Cela sent le révisionnisme à plein nez.

Mais poursuivons l'argument de Germain. Selon lui, la formule de révolution permanente s'applique en fonction des différentes combinaisons de tâches démocratiques et transitoires. Mais pour continuer, il doit avoir recours à l'artillerie lourde : les revendications démocratiques sont révolutionnaires, transitoires, de par leur poids, dans les pays arriérés et ne le sont pas (et sont donc réformistes, minima) dans les pays avancés, car dans ces pays l'impérialisme n'a pas de raisons fondamentales de classe qui l'empêchent de les octroyer. Voyons les paroles-mêmes de Germain :

« Dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, les revendications démocratiques ont généralement le poids des revendications transitoires. Il est impossible de les réaliser sous le capitalisme, tout au moins dans leur essence collective. Dans les pays impérialistes, cela n'est pas vrai. Les revendications démocratiques ne seront pas normalement garanties par la bourgeoisie impérialiste décadente, mais du point de vue organique, économique ou social, c'est-à-dire en terme de rapports de classes fondamentaux, rien n'empêche la bourgeoisie de les garantir comme « moindre mal », afin d'éviter qu'un mouvement de masses ne se transforme en révolution socialiste victorieuse. Organiquement, la « bourgeoisie nationale » d'un pays colonial ne peut résoudre la question agraire sans s'exproprier, en grande mesure elle-même. Il n'y a pas d'obstacle fondamental de la même nature qui empêche l’application de l’avortement gratuit à la demande, ou de la liberté de la presse ou encore d'une loi électorale démocratique dans un pays impérialiste. Dans le cas d'un soulèvement de masse potentiellement révolutionnaire, la bourgeoisie impérialiste peut accorder des concessions pour éviter, précisément, l'expropriation.

« « Normalement » , l'impérialisme n'était pas disposé à accorder l’indépendance nationale à la Pologne, il n'est pas prêt non plus à le faire aujourd'hui avec l'Irlande ou le Québec. Mais dans le cas d'une situation pré-révolutionnaire, d'une ascension puissante des luttes ouvrières, d'un danger réel de constitution d'une république ouvrière dans une de ces nationalités, il n'y a aucun intérêt fondamental de classe qui empêche l'impérialisme de transformer une de ces nationalités en un Etat fantoche indépendant.

« C'est pour ces raisons que le danger qu'un mouvement de masses dans un pays impérialiste, basé seulement sur des revendications d'auto-détermination nationale, soit absorbé par la bourgeoisie, est très réel. » (idem, p.85).

Ces paragraphes du camarade Germain sont bourrés de confusions inadmissibles. En premier lieu, il attaque un ennemi inexistant : un prétendu parti révolutionnaire qui se limiterait à poser la seule auto-détermination nationale dans un pays impérialiste. Personne ne propose une telle ineptie dans notre Internationale ; mais si c'est le cas, que le camarade Germain nous dise qui ? Ce qui se discute ici est de savoir si les mots d'ordre démocratiques, dans leur combinaison avec les transitoires, ont ou non un grand poids dans les pays impérialistes. Le camarade Germain dit non et nous disons que si.

La seconde confusion est entre les changements formels et les changements profonds. Le camarade Germain nous dit que s'il y a de grandes mobilisations de masses, le pays impérialiste peut concéder au pays arriéré l'indépendance formelle. C'est totalement certain, mais ce dont il s'agit c'est justement d'obtenir une véritable libération nationale, profonde, non formelle, c'est-à-dire l'indépendance en tant qu'Etat souverain, économiquement et politiquement, et non de transformer une colonie en Etat fantoche indépendant. La question est de savoir comment l'obtenir. Nous ne voyons aucune autre possibilité que l'instauration de la dictature du prolétariat dans le pays arriéré, à travers la révolution ouvrière soutenue par la classe ouvrière du pays impérialiste. Est-ce ainsi, camarade Germain ?

Mais il y a une troisième confusion, la plus grave. Pour le camarade Germain, l'impérialisme peut satisfaire une revendication démocratique car il n'y a pas de raisons « organiques » dans la structure du pays impérialiste qui l'empêchent de faire des concessions minima de type démocratique (avortement, liberté de la presse, etc.). Par contre, dans les pays arriérés, la bourgeoisie nationale ne peut pas faire ce type de concessions « dans leur essence collective », par exemple, elle ne peut pas admettre la révolution agraire. Cela est vrai, mais le camarade Germain oublie que les bourgeoisies nationales peuvent également faire des concessions minima au mouvement des masses (avortement, liberté de la presse, etc.), car il n'y a aucune raison organique qui l'en empêche. Et il oublie également (et c'est cela qui est réellement grave) que l'impérialisme ne peut pas faire, « dans son essence collective », la concession démocratique de libérer économiquement toutes ses colonies. Si la bourgeoisie nationale ne peut pas faire la révolution agraire, car ce serait « s'exproprier elle-même en grande mesure », l'impérialisme non plus ne peut pas concéder l'indépendance nationale, profonde, pas formelle, à tous les pays dépendants, car ce serait également « s'exproprier lui-même » et là ce n'est plus « en grande mesure », mais totalement. Cela signifierait qu'il cesserait d'être impérialisme.

De ce monumental « oubli » théorique de Germain découle un non moins monumental et dangereux « oubli » politique. Le camarade Germain soutient la revendication d'auto-détermination nationale dans n'importe quel pays colonial, mais il « oublie » cette revendication pour tout l'empire. Et de là, il déduit qu'un mouvement de masses dans un pays impérialiste, basé sur la lutte pour l'auto-détermination nationale, court le danger d'être « absorbé par la bourgeoisie impérialiste ». Camarade Germain, est-il possible qu'un mouvement de masses qui exige la libération de tous les pays exploités par l'impérialisme soit « absorbé » par la bourgeoisie impérialiste ?

La revendication d'auto-détermination nationale dans tout l'empire touche directement la structure du régime impérialiste, ce n'est pas une revendication partielle, ni formelle, mais structurelle. Aucun pays impérialiste ne peut octroyer le droit à l'auto-détermination nationale économique et politique, à tous les pays de l'empire, sans cesser d'être impérialiste. Il y a une différence qualitative entre cette revendication démocratique et les autres que cite Germain. Cette revendication démocratique essentielle est aussi importante que la nationalisation du commerce extérieur, de la terre et de l'industrie du pays impérialiste lui-même. Ce sont des revendications qui ne peuvent pas être absorbées par le régime capitaliste, comme ne peut pas l'être non plus celle de l'auto-détermination nationale de tout l'empire par le régime impérialiste.

Ce simple problème n'est même pas posé par le camarade Germain. Il minimise et parcellise la revendication pour l'auto-détermination nationale du pays qui lutte pour elle, et ne la généralise pas en tant que tâche démocratique structurelle et fondamentale pour le prolétariat du pays impérialiste. Germain reconnaît que les ouvriers du pays métropolitain doivent soutenir la lutte pour l'auto-détermination nationale, mais il ne dit pas qu'ils ne doivent pas seulement soutenir, mais poser cette tâche pour tout l'empire; et il ne dit pas que, précisément, les seuls qui puissent la généraliser d'une manière totale, ce sont les travailleurs des pays impérialistes.

Pourtant Lénine a écrit des volumes entiers expliquant qu'une des tâches démocratiques principales du prolétariat russe était de libérer les nationalités qui subissaient le joug impérialiste du tsar. Et c'est cette tâche qu'il posait à l'Internationale Communiste en disant :

« Tout les partis de l'Internationale Communiste doivent expliquer constamment aux masses travailleuses l'extrême importance de la lutte contre la domination impérialiste dans les pays arriérés. Les Partis communistes qui interviennent dans les pays métropolitains doivent former auprès de-leurs comités directeurs des commissions coloniales permanentes qui travailleront sur les objectifs indiqués plus haut... Les Partis communistes des métropoles doivent profiter de toutes les occasions qui se présentent pour dévoiler le banditisme de la politique coloniale de leurs gouvernements impérialistes, ainsi que de leurs partis bourgeois et réformistes. » ("Les quatre premiers Congrès de l'IC" : Maspéro, p.178).

Et Trotski est non seulement d'accord avec cette orientation, mais a ébauché une ligne d'action pour le futur :

« Une Europe socialiste proclamera la pleine indépendance des colonies, établira des relations économiques amicales avec elles, et, pas à pas, sans la moindre violence, au moyen de l'exemple et de la collaboration, les introduira dans la fédération socialiste mondiale. » ("Writings", 1939-40, p.25).

Le camarade Germain est sans aucun doute d'accord avec la politique bolchevique en direction des nationalités opprimées. Mais sa conception de l'impérialisme ne va pas plus loin que l'impérialisme territorial, frontalier. Il suffit qu'il y ait une mer, un océan, entre le pays impérialiste et la colonie ou semi-colonie, pour que Germain pense que la tâche démocratique de libération nationale reste presqu'exclusivement aux mains du pays dépendant. (Il faut reconnaître qu'il parle tout de même de solidarité) .Même le fait que la plus grande mobilisation de masses de ces derniers temps aux Etats-unis ait été la conséquence objective de la défense de l'indépendance nationale du Vietnam, ne le fait pas changer de position.

Germain ne se rend pas compte que, si dans les pays arriérés la revendication démocratique devient socialiste, dans les empires capitalistes la révolution socialiste devient, en un certain sens, démocratique, car elle libère non seulement les ouvriers métropolitains mais aussi les peuples et les nations colonisés par cet impérialisme, ce qui est une tâche démocratique de première importance.

Ce problème n'a pas été posé à fond par rapport aux pays impérialistes et, par conséquent, nous ne l'avons pas développé programmatiquement, bien que, comme nous l'avons vu, nous ayons de claires indications pour le résoudre. La solution viendra en répondant à ces questions: Comment appliquer concrètement dans un pays impérialiste le mot d'ordre démocratique d'auto-détermination nationale pour toutes les colonies, semi-colonies et pays dépendants de l'impérialisme ? Comment réaliser cette tâche avant la prise du pouvoir et après ? Concrètement, que faisons nous aux Etats-unis en faveur des semi-colonies latino-américaines, et en France en faveur de ses colonies et semi-colonies, avant et après la prise du pouvoir ? (La rupture de tous les pactes coloniaux, comme l'OEA pour les Etats-unis, le Commonwealth pour l'Angleterre, l' OCAM et Yaoundé l et II pour la France et le Marché commun européen ; ainsi que l'octroi de l'indépendance totale, sont un exemple de ces revendications).

Que faisons-nous des investissements et des prêts impérialistes ? Nous devons être pour l'expropriation en faveur du pays colonial et semi-colonial, mais comment ? Nous ne pouvons pas les donner aux bourgeoisies nationales et aux propriétaires terriens pour qu'ils continuent à exploiter les travailleurs. Cela exige un programme démocratique dans le pays impérialiste qui doit avoir des conséquences transitoires. Car pour éviter que l'indépendance nationale ne se transforme en de nouvelles chaînes pour les exploités des colonies, il faut combiner cette revendication avec celle de fédération des Etats socialistes de l'ex-empire, en proposant que les entreprises de propriété impérialiste dans les colonies, expropriées par le prolétariat métropolitain, soient administrées par la classe ouvrière coloniale. Nous devons imposer le contrôle ouvrier comme condition fondamentale pour qu'elles ne soient pas le véhicule d'une nouvelle exploitation. Et si ce n'est pas cette revendication, cela devra être une variante transitoire de celle-ci.

Mais ce n'est pas cela qui nous intéresse ici, mais le révisionnisme de Germain qui ne pose même pas cette revendication démocratique fondamentale d'auto-détermination nationale des colonies et semi-colonies et des pays dépendants, pour tout l'impérialisme, y compris et en premier lieu au prolétariat du pays impérialiste. Et il ne le pose pas car il ne voit cette revendication que du point de vue d’un seul pays, de la lutte isolée du prolétariat de ce pays. Mais la grande tâche démocratique destruction de l’empire, de libération de tous les pays opprimés, le camarade Germain croit-il qu'elle peut être octroyée normalement par l'impérialisme ? ou croit-il qu'elle ne sera obtenue qu'avec la révolution ouvrière et pas autrement ? Et s'il est d'accord avec cette dernière position, ne pense-t-il pas que les tâches démocratiques de la révolution socialiste dans les pays impérialistes sont gigantesques et impossibles à remplir si le prolétariat ne prend pas le pouvoir ?

Continuons maintenant sur la révolution permanente du point de vue « intérieur », si l'on peut dire, des pays avancés. Trotski a beaucoup insisté sur l'importance des revendications démocratiques dans les pays avancés. En se référant à l'Italie fasciste et à l'Espagne, de même qu'à l'Allemagne, il souligne non seulement l'importance de ces revendications, mais il dit même qu'il peut y avoir une étape démocratique dans le processus révolutionnaire de ces pays (il le donne pour certain en Espagne) :

« Mais au cours du réveil révolutionnaire des masses, les revendications démocratiques constitueront inévitablement le premier chapitre. Même si des progrès postérieurs de la lutte ne permettront pas en général, et en un seul jour, la renaissance du stade démocratique - ce qui est le plus probable -, la lutte en elle-même ne peut pas se développer en sautant les revendications démocratiques. Un parti révolutionnaire qui tenterait d'échapper à cette étape se romprait le cou. » ("Writings" 1932-33, p.298).

Trotski tire cette conclusion de l'analyse que nous faisons également : l'existence de l'impérialisme fait reculer l'humanité.

« En Allemagne il n'y a pas eu et il n'y a pas de dictature du prolétariat mais la dictature du fascisme ; l'Allemagne a été repoussée en deçà de la démocratie bourgeoise. Dans ces conditions, renoncer à l'avance à l'utilisation des revendications démocratiques et du parlement bourgeois signifie laisser la place à la formation d'une nouvelle social-démocratie. » (idem p.301).

Cette position de Trotski ne concerne pas seulement les pays fascistes. Il soutient une position très semblable pour les Etats-unis, en les comparant à l'Italie fasciste et à l'étape démocratique de la révolution russe :

« L'Amérique doit-elle passer par une étape de réformisme social ? Cette question sera abordée dans le projet et le sens de la réponse est que rien ne peut être décidé définitivement, mais que cela dépend en grande mesure du Parti communiste. C'est tout à fait correct mais insuffisant. Nous devons revenir une fois de plus aux lois du développement inégal et combiné. En Russie, le fait que le prolétariat ne fût pas encore passé par l'école démocratique, qui aurait dû finalement condure à la prise du pouvoir, a été utilisé pour réfuter la révolution permanente et la prise du pouvoir par le prolétariat. Mais le prolétariat russe a traversé l'étape démocratique en huit mois, si nous comptons à partir de l'époque de la Douma, cela fait une période de onze à douze ans. En Angleterre cela a pris des siècles et en Amérique cette sale affaire dure longtemps. L'inégalité se manifeste également par le fait que différents stades ne sont pas sautés mais expérimentés à un rythme très rapide, comme le stade démocratique en Russie.

« Nous pouvons supposer que quand le fascisme expirera en Italie, la première vague qui viendra sera démocratique. Mais cette condition ne pourra durer que quelques mois, elle ne se maintiendra pas pendant des années. » « Etant donné que le prolétariat américain n'a pas réalisé en tant que tel de grandes luttes démocratiques, puisqu'il n'a pas conquis ni lutté pour la législation sociale, et dans la mesure où il continue à subir une pression économique et politique croissante, nous devons supposer que l'étape démocratique de la lutte prendra un certain temps. Mais ce ne sera pas comme en Espagne une période de dizaines d'années, ce sera peut-être seulement quelques années, ou si c'est à travers des développements fiévreux, quelques mois seulement. La question du rythme doit être précisée, et nous devons admettre également que le stade démocratique n'est pas inévitable. Nous ne pouvons pas prédire que le nouveau stade de la classe ouvrière commencera l'année prochaine ou dans trois à cinq ans. Mais nous pouvons dire avec certitude, que dès le moment où le prolétariat se constituera en tant que parti indépendant, même si au début il le fait sous la bannière démocratique, il traversera rapidement cette étape. » (idem, p.118).

Tout cela, Trotski en fait un résumé dans le point 7 de la déclaration de l'Opposition de Gauche internationale (en décembre 32) , où était codifiée l'essence du marxisme contemporain :

« 7) La reconnaissance de la nécessité de mobiliser les masses par des mots d'ordre transitoires qui répondent à la situation concrète de chaque pays, et particulièrement par des mots d'ordre démocratiques dans la mesure où c'est une question de lutte contre les rapports féodaux, l'oppression nationale ou les différentes variantes de la dictature ouvertement impérialiste (bonapartisme, fascisme, etc.). » (Writings, 1932, p.53).

Cela signifie que pour Trotski les mots d'ordre démocratiques mettent un signe d'égalité entre presque tous les pays impérialistes (ceux qui ont des « dictatures ouvertement impérialistes ») et les pays arriérés (ceux qui ont des « rapports féodaux » ou subissent l'« oppression nationale »). Les camarades de la majorité pensent que l'on va vers des régimes forts, bonapartistes ou semi-bonapartistes, ou que l'on y est déjà. Selon Trotstky, cela signifie qu'il faut donc lutter « particulièrement pour des revendications démocratiques ». Mais le camarade Germain, en divisant les pays comme il le fait, élimine l'importance fondamentale de ce type de revendications pour les pays avancés.

Il existe également une combinaison d'étapes et de tâches en URSS, les revendications démocratiques et minima y ont également une grande importance. La lutte pour l'auto-détermination ode l'Ukraine, avec le mot d'ordre « Pour une Ukraine indépendante et soviétique », que nous pouvons étendre avec des modulations tactiques à tous les pays de l'Europe de l'Est, pose le problème du rapport entre cette tâche, ces mots d'ordre démocratiques et la révolution politique. Et même si nous étions dans un Etat ouvrier « normal », ces combinaisons de tâches resteraient posées comme un des aspects fondamentaux de la révolution permanente. Mais, ce qui est le plus important, la formule de révolution permanente s'appliquerait alors dans toute sa puissance, puisque nous serions bien près de réaliser l'objectif central de notre programme : la mobilisation permanente des travailleurs.

Cette discussion théorique contre le révisionnisme germainiste a de profondes conséquences pratiques, décisives pour la vie de toutes nos sections. Ce n'est pas un hasard si le document européen de la majorité ne pose pas comme une de nos tâches fondamentales la tâche démocratique bourgeoise de l'unité de l'Allemagne. L'unité allemande n'est-elle pas une tâche démocratique fondamentale, décisive, peut-être la plus importante à envisager pour notre section allemande, pour nos sections européennes et pour le prolétariat européen dans son ensemble ?

Cette tâche nous est posée par la décadence impérialiste, car la bourgeoisie allemande avait déjà conquis l'unité, même sans l'Autriche. L'impérialisme et la bureaucratie ont fait reculer l'Allemagne de plus d'un siècle en arrière dans cette gigantesque tâche historique. Mais le camarade Germain ne la pose pas. Il doit certainement penser que, comme c'est une tâche démocratique, l'impérialisme pourra la résoudre sans aucun empêchement « organique, économique ou social ». Mais si pour cela il est nécessaire que l'Allemagne soit au bord de sa transformation en « république ouvrière », grâce à une « mobilisation de masses » sur la revendication démocratique de réunification de l'Allemagne, et que nous n'ayons pas avancé ce mot d'ordre, nous maudirons amèrement les résultats catastrophiques du révisionnisme germainiste. Car cette tâche se combine avec la révolution politique à l'Est et la révolution socialiste à l'Ouest.

l'Allemagne illustre, d'une manière ou d'une autre, la justesse de plus en plus forte de la formule de révolution permanente dans tous les pays du monde, même dans les pays impérialistes. Mais la réunification de l'Allemagne n'est pas la seule tâche démocratique posée en Europe. Sans trop faire d'efforts de réflexion, nous pouvons en énumérer d'autres, fondamentales pour nos sections. Les luttes pour les libertés démocratiques en Espagne, au Portugal et en Grèce, pour l'indépendance nationale en Irlande du Nord sont des tâches démocratiques à l'ordre du jour. La justesse de cette partie de la théorie de la révolution permanente en Europe s'exprime même autour de questions secondaires. Devons-nous ou non lutter pour liquider les privilèges de la monarchie et de la noblesse en Angleterre, Hollande, Suède et Belgique ?

Il est évident, et le camarade Germain ne le nie pas, qu'il y a des tâches et des revendications démocratiques dans l'ensemble de l'Europe et pour chacun de ses pays. Et nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il y a également des tâches et des revendications transitoires. Sans entrer pour le moment dans la discussion pour savoir quelles sont les plus importantes et quelles sont les secondaires, il faut noter qu'il est vrai que les deux types de tâches et de revendications y sont posées. Qu'en faisons-nous ?

Trotski est catégorique sur ce sujet quand il dit (comme nous l'avons cité) que « s'effacent les frontières entre le programme minimum et maximum ». Nous affirmons, comme Trotski, que les revendications minima et démocratiques (l'ancien programme minimum) et les revendications transitoires (l'ancien programme maximum) doivent être combinées selon la formule de la révolution permanente. Le camarade Germain dit que, en ce qui concerne l'application de la formule de révolution permanente dans les pays impérialistes « c'est, dans le meilleur des cas, extrêmement douteux ». Doutes extrêmes mis à part, Germain ne dit pas que nous ne devons pas l'appliquer. Nous affirmons qu'il faut l'appliquer. C'est là la différence entre le trotskysme et le révisionnisme.

4. Germain révise la théorie de la révolution permanente pour les pays coloniaux et semi-coloniaux.[modifier le wikicode]

Comme nous l'avons vu plusieurs fois, le camarade Germain pense que l'impérialisme ne provoque pas la misère croissante de masses du monde entier. Cette opinion a des conséquences très graves quand il la transpose à la partie de la théorie de la révolution permanente la plus élaborée par le trotskysme, c'est-à-dire à celle qui concerne les pays coloniaux et semi-coloniaux.

Le camarade Germain jette par-dessus bord, sans en mesurer les conséquences pratiques, toute la conception trotskyste sur le rôle des bourgeoisies nationales de ces pays arriérés, en leur attribuant des potentialités révolutionnaires dans la lutte anti-impérialiste. Selon lui, l'impérialisme est capable de laisser les pays arriérés se libérer de lui sans beaucoup de problèmes :

« Est-il vrai -demande Germain- que, parce que la bourgeoisie est dépendante de l'impérialisme, elle est incapable de rompre tous ses liens avec l'impérialisme et que, par conséquent, elle ne peut pas mener à bonne fin la lutte contre l'oppression étrangère ? » Et il répond lui même « Cela est complètement faux » (document cité, p.73).

Le camarade Germain nous habitue à cacher sa pensée au moyen de questions négatives et de réponses négatives. Mais cela se retourne contre lui, car cela a pour résultat de renforcer une affirmation. Pour savoir exactement ce qu'il dit et éviter ses arguments d'avocat et de bon polémiste, nous mettrons cette phrase dans sons sens positif : « Il est vrai que la bourgeoisie nationale, bien qu'elle soit dépendante de l'impérialisme, est capable de rompre tous ses liens avec l'impérialisme et, par conséquent, de mener à bonne fin la lutte contre l'oppression étrangère ».

Cette affirmation de Germain est la négation absolue de toute la conception trotskyste de la révolution dans les pays arriérés. Pour nous, trotskystes, la thèse de la révolution permanente a cette signification : dans les pays où se pose une révolution démocratique bourgeoise, la bourgeoisie nationale est absolument incapable de rompre ses liens avec l'impérialisme et, par conséquent, de diriger une lutte victorieuse contre l'oppression étrangère.

« En ce qui concerne les pays au développement bourgeois arriéré, et en particulier les colonies et semi-colonies, la théorie de la révolution permanente signifie que la résolution totale et effective de leurs objectifs démocratiques et de leur émancipation nationale ne peut se concevoir qu'au moyen de la dictature du prolétariat, le prolétariat s'emparant du pouvoir comme dirigeant de la nation opprimée et avant tout de ses masses paysannes. » ("The Permanent Revolution", p.276).

Trotski est extrêmement clair sur le rôle des bourgeoisies nationales dans les pays arriérés. Son opinion sur une des plus fortes et plus puissantes, la bourgeoisie latino-américaine, est instructive :

« Dans de nombreux pays latino-américains, la bourgeoisie nationale montante, cherchant à obtenir une meilleure part du butin et s'efforçant même d'augmenter la mesure de son indépendance - c'est-à-dire à conquérir la position dominante dans l'exploitation de son propre pays - tente certainement d'utiliser à cette fin les rivalités et les conflits entre les impérialismes étrangers. Mais sa faiblesse générale et le retard de son apparition l'empêchent d'atteindre un plus haut niveau de développement que celui de valet d'un maître impérialiste ou d'un autre. Elle ne peut pas lancer une lutte sérieuse contre toute domination impérialiste et pour une authentique indépendance nationale, par peur de déchaîner un mouvement de masse des travailleurs du pays qui, à son tour, menacerait sa propre existence sociale. » ("Escritos latino-americanos", Edition COE, 1970, p.15).

Le camarade Germain peut nous répondre que c'est la position de Trotski sur les bourgeoisies latino-américaines et non sur celles des autres pays arriérés du monde. Nous répondrions que ces positions sont l'application à l'Amérique latine de la loi générale de la révolution permanente. Et Trotski, dans le manifeste de 1940 disait au sujet de tous les pays arriérés du monde :

« Encerclés par le capitalisme décadent et pris dans le piège des contradictions impérialistes, l'indépendance des pays arriérés sera inévitablement semi-factice » et il précise que cela se traduit par « le régime du "parti du peuple" en Turquie, le Kuomintang en Chine et sera demain le régime de Gandhi en Inde ». ("Documents of the Fourth International", p.330).

« Dans les pays arriérés, pas une seule des tâches de la révolution "bourgeoise" ne peut se résoudre sous la direction de la bourgeoisie "nationale", car cette dernière, dès le début, naît avec l'appui étranger en tant que classe éloignée ou hostile au peuple. Chaque étape de son développement ne fait que l'attacher étroitement au capitalisme financier étranger dont elle est essentiellement l'agent. » (Trotski , "The Chinese Revolution" 1938, Pathfinder Press, p.4).

« Dans les conditions de l'époque impérialiste, la révolution nationale démocratique ne peut être menée à sa fin victorieuse que lorsque les rapports sociaux et politiques du pays sont mûrs pour mettre le prolétariat au pouvoir en tant que leader des masses populaires. Et si ce n'est pas le cas ? Alors la lutte pour la libération nationale ne donnera que des résultats très partiels, des résultats dirigés totalement contre les masses travailleuses. » (The Permanent Revolution, p.256).

Tout cela ne veut pas dire que la bourgeoisie nationale n'a pas de profonds conflits avec l'impérialisme à certains moments, mais que ces conflits ne sont jamais assez sérieux pour l'amener à « rompre tous ses liens avec lui » ou à diriger « une lutte victorieuse » contre lui.

Nous avons vu que la conception trotskyste ne concorde pas avec celle du camarade Germain, le moment est venu de confronter sa conception avec la réalité. Où est donc cette bourgeoisie nationale « capable de rompre tous ses liens avec l'impérialisme » ou de « diriger une lutte victorieuse contre l'oppression étrangère » ? Peut-être en Bolivie et au Chili ? Ou encore au Pakistan ou en Inde ? Ou bien dans les pays arabes ? Cette bourgeoisie, camarade Germain, n'existe nulle part, sauf dans les positions staliniennes et... germainistes.

Comme nous l'avons dit au début de ce sous-chapitre, à cette fausse caractérisation des bourgeoisies nationales correspond une autre erreur, symétrique, dans laquelle tombe également le camarade Germain : sa conception que l'impérialisme ne s'oppose pas d'une manière brutale, l'absolue", à l'indépendance nationale des pays arriérés. Voilà ce qu'en dit Germain :

« La lutte contre l'oppression nationale n'est pas une lutte anti-capitaliste. C'est une lutte pour une revendication démocratique bourgeoise. L'existence du système capitaliste mondial n'est pas un obstacle absolu pour la liquidation de l'oppression nationale dans les conditions de l'impérialisme. » (Germain, document cité, p.73).

En réalité, il y a là deux affirmations, aussi incorrectes l'une que l'autre. La première: la lutte pour la libération nationale n'est pas anti-capitaliste; la seconde : l'impérialisme ne s'oppose pas d'une manière, « absolue » à la liquidation de l'oppression nationale. Commençons par la première.

Le camarade Germain tire du caractère démocratique-bourgeois de la tâche de libération nationale la conclusion que ce n'est pas une lutte anticapitaliste. Il a oublié que (si un jour il l'a su) l'essence du Programme de transition et de la théorie de la révolution permanente est précisément de définir la tâche d'indépendance nationale des pays arriérés comme à la fois démocratique-bourgeoise et socialiste. C'est la combinaison en un seul mot d'ordre de deux tâches : la tâche historiquement démocratique-bourgeoise de conquête de l'indépendance nationale qui, de nos jours, est socialiste.

« C'est ce qui détermine la politique du prolétariat des pays arriérés: il est obligé de combiner la lutte pour les tâches les plus élémentaires de l'indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise, avec la lutte socialiste contre l'impérialisme mondial. » (Trotski, "Le Programme de transition", p. 35).

Dit d'une manière plus accessible au niveau trotskyste du camarade Germain : la lutte pour l'indépendance nationale totale des pays arriérés est une tâche démocratique-bourgeoise car elle correspond à l'époque historique de montée du capitalisme et de formation des nationalités ; et c'est une tâche socialiste actuellement, car l'ennemi principal est l'impérialisme, c'est-à-dire l'expression supérieure du régime capitaliste.

De plus, le système capitaliste mondial est unique, "c'est une totalité formée par des parties nationales. Ces parties nationales sont déterminées (et cela ne devrait pas être une nouveauté pour quelqu'un qui se targue de savoir manier la dialectique) par le tout, le système capitaliste mondial. Les pays arriérés ne sont pas une exception, par leurs rapports de production intérieurs et leurs étroites liaisons avec le capitalisme mondial, ce sont des pays capitalistes. C'est pour cela que toute lutte à fond pour l'indépendance nationale ne s'affronte pas seulement à un facteur extérieur - l'impérialisme - mais aussi à la structure capitaliste intérieure, dépendante du système mondial. Cela explique que seuls les pays qui ont liquidé l'exploitation capitaliste à l'intérieur de leurs frontières ont été capables de se libérer totalement de l'impérialisme. C'est la réfraction intérieure du fait que la lutte contre l'impérialisme est la lutte contre le système capitaliste du pays qui se libère.

Pour terminer sur ce point, signalons qu'ici se répète la conception phénoménologique, non liée au développement concret du mouvement des masses, qu'a Germain de nos mots d'ordre et de nos tâches. Pour lui, il y a une séquence logique : indépendance nationale - tâche démocratique - mots d'ordre démocratiques - conséquences démocratiques (non anti-capitalistes). Pour nous, qui avons vu que les mots d'ordre se définissent par leur caractère historique mais que leurs résultats dépendent de la situation concrète de la lutte de classes, la séquence est différente : indépendance nationale - tâche démocratique - mots d'ordre démocratiques (repris par le prolétariat car la bourgeoisie est incapable de la réaliser) - conséquences transitoires (dictature du prolétariat qui détruit le système capitaliste dans le pays et touche l'impérialisme, c'est-à-dire le système capitaliste mondial). Trotski l'a dit clairement : « Dans les conditions de l'impérialisme, la "révolution nationale-démocratique ne peut être menée jusqu'à la victoire que dans le cas où les rapports sociaux et politiques du pays dont il s'agit ont mûri dans le sens de la mise au pouvoir du prolétariat en tant que dirigeant des masses populaires. » (The Permanent Revolution, p.256).

S'il n'en est pas ainsi, camarade Germain, où actuellement un pays arriéré dirigé par la bourgeoisie nationale a-t-il réussi à « rompre tous ses liens avec l'impérialisme », après une « lutte victorieuse contre l'oppression étrangère » ? Nulle part dans le monde.

Voyons maintenant la seconde affirmation du camarade Germain : le système capitaliste mondial impérialiste « n'est pas un obstacle absolu pour la liquidation de l'oppression nationale ». Nous ne savons pas ce que veut dire obstacle « absolu ». Si cela se réfère au fait que l'indépendance totale d'un pays, par sa rupture avec l'impérialisme mondial, n'entraîne pas la destruction ni la défaite définitive de celui-ci, cela se réduit à une évidence, puisque c'est la même chose quand la classe ouvrière prend le pouvoir dans un pays impérialiste, comme cela s'est passé en Russie ou peut se passer demain en Italie ou en France. Cela signifie que nous n'avons pas besoin de détruire le système capitaliste mondial pour faire la révolution ouvrière dans un pays déterminé. Malgré cela l'impérialisme continue à exister.

En réalité, le camarade Germain veut nous impressionner avec le terme « absolu », mais il ne comprend pas son rapport dialectique avec son opposé : « relatif », il ne comprend pas comment l'un se transforme en l'autre. A un certain moment de la lutte de classes, ce qui est absolu dans un pays est relatif à l'échelle mondiale. Mais à l'échelle historique (pour toute l'étape et non à un moment particulier de la lutte) la relativité mondiale se transforme en absolu. Voyons ce problème d'un peu plus près. Nous pouvons dire que, dans un pays avancé, l'existence du système capitaliste à l'intérieur de ses frontières est un « obstacle absolu » au triomphe de la révolution ouvrière dans ce pays. Si la bourgeoisie continue à dominer l'économie, il n'y a pas victoire de la révolution; et pour faire la révolution, il faut détruire d'une manière « absolue » cet obstacle. Mais l'existence du système capitaliste mondial est un obstacle « relatif », non absolu, pour la victoire de la révolution ouvrière. Même si nous ne détruisons pas le système capitaliste mondial, nous pouvons faire la révolution dans un pays, et malgré celle-ci, le système capitaliste mondial peut continuer à fonctionner.

Nous pouvons dire la même chose pour un pays arriéré, en ce qui concerne la lutte contre l'oppression nationale et les propriétaires terriens. Si l'impérialisme, la bourgeoisie et les propriétaires terriens continuent à dominer l'économie, il n'y a pas de victoire de la révolution démocratique. Pour obtenir la libération nationale et la révolution agraire, il faut détruire cet « obstacle absolu » en expropriant le régime capitaliste et les propriétaires terriens, ainsi que les monopoles impérialistes, c'est-à-dire détruire le système capitaliste dominé par l'impérialisme qui existe dans ce pays. Si nous ne le faisons pas, nous ne pouvons remplir ni une tâche ni l'autre. Mais l'existence du capitalisme mondial est un « obstacle relatif », pas absolu, pour la victoire de la révolution agraire et nationale. Même si nous ne le détruisons pas, nous pouvons faire cette révolution et, malgré celle-ci, le système capitaliste mondial continue à exister.

A l'échelle mondiale, la révolution ouvrière dans un pays avancé comme dans un pays arriéré ne liquide pas le système capitaliste mondial ; ce n'est qu'une victoire relative contre lui. Et cela parce que le système capitaliste mondial n'a qu'une limite « absolue » : sa propre existence en tant que régime mondial. Toutes les victoires de la révolution ouvrière dans les pays avancés comme dans les pays arriérés sont des victoires relatives, tant que le régime capitaliste mondial survit. Mais nous ne pouvons pas pour autant minimiser la victoire ouvrière dans un pays, ni la libération nationale du joug impérialiste, car ce sont les victoires les plus importantes que puisse obtenir actuellement le mouvement ouvrier mondial. Au contraire, ces victoires relatives sont ce qui nous rapproche de la limite absolue : la liquidation du régime capitaliste mondial.

La relativité de toutes les victoires et défaites du mouvement ouvrier à l'échelle nationale s'inscrit dans le contexte de la lutte mondiale entre les exploités et l'impérialisme pour toute une époque historique. Et c'est justement parce que cette lutte est mondiale et historique, que les victoires et les défaites nationales et momentanées de l'un des deux camps sont relatives. Mais à l'échelle mondiale et historique, la lutte est totale, absolue, à mort ; elle n'a rien de relatif, elle se termine par le socialisme ou la barbarie.

De ces considérations découle la loi de l'impérialisme à l'échelle mon­diale et historique : le capitalisme en décomposition est un « obstacle absolu » à l'indépendance des pays arriérés et à la révolution sociale des pays avancés. Tant que l'impérialisme subsiste, toutes les victoires sont relatives, car celui-ci, tôt ou tard (tant qu'il subsistera) remettra les travailleurs du monde entier en esclavage, un esclavage pire qu'auparavant.

Là où les peuples arriérés et la classe ouvrière obtiendront une victoire, ils devront savoir - et c'est notre devoir de le leur dire - que tant que subsiste l'impérialisme, cette victoire est relative et momentanée, tactique, qu'elle sera remise en cause et menacée. Ils devront savoir que l'impérialisme ne pourra survivre que s'il les remet en esclavage, car l'impérialisme est le capitalisme en décomposition, dont la loi absolue (c'est-à-dire historique) est d'apporter une misère croissante à tous les exploités de tous les pays du monde. Et au lieu de dire cela, le camarade Germain dit aux masses des pays arriérés de ne pas se poser de problèmes car l'impérialisme n'est pas un « obstacle absolu » pour la liquidation de l'oppression nationale !

Cette liquidation de la théorie de la révolution permanente dans les pays arriérés est également la liquidation de la nécessité de la dictature du prolétariat dans ces pays. Mais le camarade Germain se refuse à en tirer cette conclusion, il tente de concilier son révisionnisme théorique avec une politique trotskyste, et dit que le prolétaires des pays arriérés doivent prendre le pouvoir pour résoudre le problème de la révolution démocratique bourgeoise. Cette tentative produit un hybride non moins révisionniste. S'il n'est pas nécessaire d'instaurer la dictature du prolétariat pour liquider l'oppression nationale (puisque la bourgeoisie nationale serait capable de diriger cette lutte victorieuse et que l'impérialisme n'est pas un obstacle absolu pour cela), pourquoi le prolétariat devrait-il prendre le pouvoir ? Le camarade Germain nous répond par trois arguments : 1- car « l'oppression nationale » n'a rien à voir avec l'exploitation économique de la nation (la première est liquidée mais la seconde subsiste) ; 2- car la révolution agraire reste posée (il insinue que celle-ci est la tâche fondamentale démocratique bourgeoise) ; 3- car, en tant que marxistes, nous nous refusons (!) à reporter les soulèvements paysans et ouvriers à une autre étape. Voyons ces trois arguments dans l'ordre.

Germain nous présente le premier argument[modifier le wikicode]

« (...) il n'est pas nécessaire » de « rompre tous les liens avec l'impérialisme » pour éliminer l'oppression nationale étrangère. « Là où est éliminée l'oppression nationale étrangère, l'exploitation économique étrangère se poursuit et s'accentue » (Germain, document cité, p.73).

Mais camarade Germain ! En tant que marxistes, nous faisons la distinction entre les aspects formels de toute exploitation et ses aspects réels. Sous l'impérialisme capitaliste, l'essence de l'exploitation coloniale n'est pas politique mais économique. Cette différence entre oppression nationale et exploitation économique est un jeu de mots. L'oppression nationale n'est que l'expression de l'exploitation économique, et cette exploitation économique prend différentes formes politiques (colonie, semi-colonie et pays dépendant). Pour le camarade Germain, oppression nationale est synonyme de colonie. Pour nous non, car une semi-colonie ou un pays dépendant reste une nation opprimée par l'impérialisme, même si elle a une indépendance politique formelle. Il n'y a pas d'exploitation économique sans oppression nationale et inversement. Sous n'importe quelle forme, l'exploitation d'un pays par un autre reste une oppression nationale et une exploitation économique en même temps.

Deuxième argument de Germain[modifier le wikicode]

« C'est parce que la question agraire n'est résolue aujourd'hui dans aucun des pays coloniaux qui ont conquis leur indépendance nationale après la seconde guerre mondiale que, malgré la situation minoritaire du prolétariat, l'instauration de la dictature du prolétariat allié à la paysannerie pauvre reste une perspective réaliste. » (idem, p.76).

Mais camarade Germain ! Si vous nous dites que la dictature du prolétariat est possible dans les pays semi-coloniaux parce que ceux-ci n'ont pas encore résolu la révolution agraire et qu'ils restent des semi-colonies, cela n'a-t-il rien à voir avec la révolution ouvrière ? Si semi-coloniaux signifie que ces pays n'ont pas encore réussi à se libérer de l'impérialisme, à obtenir une libération nationale effective, n'est-ce pas également une perspective réaliste pour la dictature du prolétariat ? Pourquoi ne pas donner d'importance (du point de vue de la révolution ouvrière) au fait que ces pays restent des semi-colonies ? La tâche de libération nationale n'est-elle pas aussi réaliste que la révolution agraire pour le prolétariat des pays arriérés ?

Nous pensons que, dans les pays arriérés, les deux tâches les plus importantes à affronter par les masses sont celle de libération nationale et de révolution agraire, intimement liées et combinées (le camarade Germain le reconnaît dans son document). Ces deux tâches se combinent étroitement pour des raisons objectives, la pénétration impérialiste se combine avec la grande propriété terrienne dans la structure économique du pays arriéré. Dans sa pénétration, l'impérialisme construit des rapports de production capitaliste dominés par le capital étranger dans le pays arriéré. Et la propriété terrienne reste subordonnée à ces rapports et à cette domination du capital impérialiste. Par ailleurs, au travers du marché mondial également contrôlé par l'impérialisme, s'établit un lien étroit entre la classe des propriétaires terriens et l'impérialisme acheteur.

Tous ces rapports économiques font que les deux tâches historiques posées dans les pays arriérés, la libération nationale et la révolution agraire, sont intimement liées. Et, n'en déplaise au camarade Germain, la plus difficile de ces deux tâches (si l'on peut les séparer) est celle de la lutte contre l'impérialisme, car celui-ci est beaucoup plus fort que la classe terrienne.

Troisième argument, ou ultime tranchée et véritable conception de Germain[modifier le wikicode]

« Les marxistes révolutionnaires repoussent cette théorie, non seulement parce qu'ils insistent sur l'incapacité de la bourgeoisie nationale à conquérir réellement l'indépendance nationale contre l'impérialisme, sans prendre en considération les circonstances concrètes. Ils la rejettent car ils se refusent à reporter à une étape supérieure les soulèvements des ouvriers et des paysans pour leurs propres intérêts de classe, de ceux qui inévitablement se lèveront spontanément aux côtés de la lutte nationale à mesure que celle-ci se déroulera et pour se combiner rapidement en un programme commun inséparable de la conscience des masses. » (Germain, idem, p.75).

Avant tout, nous devons préciser que la « théorie menchevik » fut une théorie élaborée par rapport à l'oppression absolutiste féodale, c'est-à-dire par rapport à la révolution bourgeoise classique, anti-féodale et anti-absolutiste ; et pas, comme cela semblerait découler de cette affirmation de Germain, en tant que réponse à l'oppression nationale impérialiste (ce sont les staliniens qui ont transposé cette conception menchevik aux pays dominés par l'impérialisme). Pour les mencheviks, la révolution démocratique et paysanne anti-féodale pouvait être menée à bien sous la direction de la bourgeoisie nationale. Pour Lénine et Trotski, non. Pour les staliniens, la révolution nationale et anti-impérialiste peut être menée à bien sous la direction de la bourgeoisie nationale. Pour Trotski non. Pour les mencheviks et les staliniens, il n'y a pas de contradiction « absolue » entre la bourgeoisie nationale, la révolution démocratique bourgeoise et la révolution agraire, pour nous, trotskystes, si. Et ce n'est que pour les mencheviks et les staliniens qu'il y a une bourgeoisie nationale capable de remplir ces tâches historiques et, par conséquent, de se concilier avec les soulèvements ouvriers et paysans. Pour les trotskystes, les bourgeoisies nationales se rangent dans le camp de l'impérialisme et des propriétaires terriens contre les soulèvements ouvriers et paysans.

Mais dans cette citation il y a une affirmation aussi grave, sinon plus, que dans la précédente: en tant que trotskystes, nous ne rejetons pas principalement la théorie de la révolution par étapes dans les pays arriérés, car nous pensons que la bourgeoisie nationale est incapable de réaliser la révolution démocratique, mais nous la rejetons parce que « nous nous refusons à reporter à une autre étape les soulèvements ouvriers et paysans ». C'est-à-dire: nous repoussons la théorie de la révolution par étapes, car nous avons envie de faire la révolution socialiste tout de suite...

En premier lieu (et nous regrettons de faire descendre Germain de son piédestal), ceux qui décident du report ou non des soulèvements ouvriers et paysans, sont les ouvriers et paysans eux-mêmes. Nous pouvons tout au plus décider de l'orientation que nous donnons à ces soulèvements, vers la prise du pouvoir ou non. Mais concrètement, c'est sans demander l'autorisation du camarade Germain que les soulèvements ouvriers et paysans se produisent dans les pays arriérés.

En second lieu, nous sommes donc tous d'accord, Germain et nous, pour orienter ces soulèvements vers la prise du pouvoir, mais pour des motifs distincts. Pour le camarade Germain c'est parce que, en tant que trotskyste, nous avons envie de faire la révolution socialiste tout de suite et refusons de la reporter. Notre motif est totalement opposé. Nous pensons que le caractère socialiste de la révolution dans les pays arriérés découle de la structure même de la société. Et cette structure impose le fait que la seule classe qui puisse mener à bien la révolution démocratique est la classe ouvrière. Cela découle également du fait que, dans le régime capitaliste (arriéré ou non), toutes les arriérations font partie intégrante de la structure de ce régime, de sa structure à l'échelle nationale comme internationale. Combattre l'arriération paysanne ou nationale, c'est-à-dire lutter contre l'oppression nationale ou paysanne, signifie s'attaquer au capitalisme national et international pour des raisons structurelles, objectives. Cela signifie s'attaquer à l'impérialisme, la base de toutes les exploitations existantes, car toutes les exploitations sont combinées et subordonnées à l'exploitation impérialiste.

Il ne s'agit pas ici d'une divergence académique, car dans les pays arriérés les trotskystes ne seront pas les seuls à vouloir diriger les soulèvements ouvriers et paysans et la révolution démocratique. Ils se heurteront à la bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationales ainsi qu'à leurs agents staliniens dans le mouvement ouvrier, tentant de prendre la direction pour ensuite trahir les masses, comme cela s'est passé et terminé tragiquement en Bolivie, au Chili et en Indonésie, pour ne citer que quelques exemples. Et dans les pays arriérés, la classe ouvrière ne conduira la révolution que si elle dispute la direction de la révolution démocratique bourgeoise à la bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationales. C'est parce que le prolétariat peut se battre pour la direction et la gagnera que le devoir des marxistes révolutionnaires est de dénoncer la trahison inévitable de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie nationales contre la révolution démocratique bourgeoise, même si à un certain moment elles participent à une phase du processus révolutionnaire. Notre devoir est d'expliquer inlassablement aux travailleurs que le seul moyen de mener jusqu'au bout la révolution démocratique bourgeoise est qu'ils prennent sa direction entre leurs mains et imposent leur dictature.

Si au lieu de cela, nous allons expliquer aux travailleurs que l'impérialisme n'est pas un obstacle absolu à la libération nationale, que la bourgeoisie nationale peut rompre tous ses liens avec l'impérialisme et diriger une lutte victorieuse contre l'oppression étrangère; si nous leur disons qu'ils doivent prendre le pouvoir pour la seule raison que les trotskystes se refusent à reporter la révolution socialiste, la direction de la révolution démocratique bourgeoise restera sans aucun doute aux mains de la bourgeoisie et la défaite sera inévitable. La responsabilité politique de la défaite sera celle du camarade Germain et la responsabilité politique reviendra à son révisionnisme de la théorie de la révolution permanente. Toute tentative de baser la dictature du prolétariat dans les pays arriérés sur les tâches de la révolution socialiste sans s'appuyer sur la révolution démocratique bourgeoise détruira toute possibilité de victoire de la classe ouvrière.

5. Germain révise la conception marxiste sur les mouvements nationalistes des nationalités opprimées.[modifier le wikicode]

Pous avons vu que pour le camarade Germain la bourgeoisie nationaliste et l'impérialisme jouent un rôle relativement progressiste dans la lutte contre l' « oppression étrangère » : la première est capable de libérer le pays arriéré, le second de permettre cette libération. Comme cela arrive très couramment avec les positions opportunistes, le camarade Germain (qui pour parvenir à ces positions est passé par le plus grossier des révisionnismes) passe à une position sectaire (tout aussi révisionniste) par rapport aux mouvements nationalistes des nationalités opprimées. Pour Germain, ces mouvements sont en général réactionnaires, non progressistes. La conclusion politique est évidente : en général, sauf exceptions. il ne faut pas les soutenir. Pour démontrer sa thèse, le camarade Germain utilise trois arguments et une série de citations.

Premier argument :[modifier le wikicode]

Le nationalisme a cessé d'être une idéologie progressiste pour devenir réactionnaire. Pour tirer cette conclusion, Germain commence par nous expliquer que le nationalisme était progressiste au 16ème, 17ème et 18ème siècles :

« (...) au cours de la période classique de la révolution démocratique bour­geoise de l'ère pré-industrielle, quand la bourgeoisie était une classe historiquement révolutionnaire. Il était une puissante arme idéologique et politique contre les deux forces sociales réactionnaires : les forces régionales particulières, féodales ou semi-féodales qui résistaient à leur intégration dans des nations modernes ; ainsi que les monarques absolus étrangers ou non (...) ». « Avec l'époque impérialiste, le nationalisme devient obligatoirement réactionnaire, même s'il a un caractère purement bourgeois ou petit-bourgeois. L'idée universelle de l'organisation indépendante de la classe travailleuse, des objectifs autonomes de classe poursuivis par le prolétariat et la paysannerie pauvre dans les luttes de classes, de la solidarité internationale de classe des travailleurs de tous les pays et de toutes les nationalités, s'oppose à l'idée de solidarité nationale et de communauté nationale d'intérêts. » (idem p.79-80).

La première erreur commise par le camarade Germain est de croire que tous les nationalismes du 20ème siècle sont identiques, dans les pays oppresseurs comme dans les pays opprimés. Est-ce pour cette raison que dans le document européen les camarades de la majorité ne soutiennent pas la lutte des guérillas des colonies portugaises ? Parce qu'elle défend une idéologie nationaliste même si elle est sans aucun doute une lutte anti-impérialiste ? Cependant, les camarades de la majorité ont applaudi chaleureusement les Tupamaros en Uruguay et le Mouvement du 26 juillet de Fidel Castro. Ils n'avaient peut-être pas une idéologie nationaliste ? Tout à fait pourtant. Alors ? Soyez conséquent, camarade Germain, dites à Castro et aux Tupamaros qu'ils ont une idéologie réactionnaire.

C'est pour cela que se produit une contradiction flagrante dans l'échafaudage théorique des camarades de la majorité. Elle provient précisément de leur jugement des mouvements nationalistes à partir de leur idéologie et non du rôle objectif qu'ils remplissent dans la lutte de classes à l'échelle nationale et internationale à un moment déterminé. Comme nous jugeons les mouvements et les partis - et pas seulement les mouvements nationalistes - à partir de ce rôle objectif, nous sommes sûrs que nous ne tomberons pas dans ce genre de contradictions.

Pour l'analyse marxiste, le nationalisme devenu réactionnaire est celui des pays avancés, car c'est un nationalisme impérialiste. Par contre, le nationalisme des pays arriérés non seulement garde mais accentue les vertus du nationalisme européen des 16ème, 17ème et 19ème siècles. Le camarade Germain pense qu'il y a une contradiction absolue entre l'internationalisme prolétarien et le nationalisme en général, y compris dans les pays arriérés dominés par l'impérialisme. C'est encore notre vieux phénoménologue bien connu qui pose ce problème en tant qu' « idéologique », au lieu de le poser en tant que problème objectif de la lutte de classes. Le nationalisme, comme toute idéologie, a un contenu de classe et suit les va-et-vient de la lutte de classes. En tant que marxistes, nous le définissons comme une idéologie de tel ou tel mouvement ou secteur social, à telle ou telle étape de la lutte de classes, et non comme une idéologie « en soi ». Le nationalisme des grands pays impérialistes est réactionnaire car il défend l'exploitation des pays arriérés. Mais c'est précisément contre l'impérialisme (et le nationalisme impérialiste) que naissent dans les pays arriérés des mouvements d'idéologie nationaliste ou démocratique. Est-il vrai que ces mouvements et ces idéologies soient réactionnaires en général ? L'idéologie peut-elle être réactionnaire et le mouvement progressiste ? L'idéologie nationaliste d'un mouvement nationaliste dans un pays arriéré est-elle aussi réactionnaire que l'idéologie nationaliste de l'impérialisme ?

Cela doit être ainsi pour le camarade Germain, puisqu'il ne fait absolument aucune distinction entre le nationalisme anti-impérialiste et le nationalisme pro-impérialiste. Pour nous, c'est tout à fait différent : les mouvements nationalistes des nationalités opprimées sont progressistes, dans la mesure où ils vont contre l'impérialisme, et leur idéologie est contradictoire, c'est-à-dire progressiste dans cette mesure seulement.

Le rapport entre l'idéologie nationaliste et l'internationalisme prolétarien est le même que (et déterminé par) le rapport existant entre le mouvement nationaliste et le parti révolutionnaire. Une fois de plus, les idéologies n'établissent pas de rapport entre elles, en tant qu'idéologies « en soi », mais leurs rapports se basent sur les rapports objectifs existant entre les mouvements sociaux qu'ils reflètent.

Sous l'impérialisme apparaissent en même temps que le mouvement ouvrier toutes sortes de mouvements et de secteurs sociaux, qui sont objectivement et momentanément progressistes, révolutionnaires (lutte contre la législation répressive, libération des emprisonnés, contre la domination impérialiste, pour le droit de vote, d'avortement, pour la révolution agraire, etc.). Ces mouvements non prolétariens ont, logiquement, des idéologies non prolétariennes, mais elles ne cessent pas pour autant d'être progressistes. Leurs idéologies reflètent le caractère progressiste non prolétarien de ces mouvements. Ce sont des idéologies hautement contradictoires, progressistes et réactionnaires, le caractère progressiste primant sur l'autre tant que le mouvement qui les soutient reste progressiste.

Le facteur déterminant est toujours le facteur social des luttes de classes, pas le facteur idéologique. Le mouvement paysan, par exemple, est très sauvent pour la redistribution des terres. C'est une idéologie petite-bourgeoise mais progressiste dans la mesure où elle va contre les propriétaires terriens. Mais lorsque le mouvement paysan s'agrippe à cette revendication contre la nationalisation des terres, le mouvement devient réactionnaire et l'aspect réactionnaire, petit-bourgeois, de son idéologie primera.

Nous pouvons dire la même chose en ce qui concerne le mouvement féministe. Qu'il ait à un certain moment une fausse idéologie féministe ne veut pas dire qu'il ne reste pas progressiste, dans la mesure où il mobilise d'amples secteurs de femmes contre le capitalisme. Il en est de même pour les mouvements nationalistes des nationalités opprimées, leur idéologie est à un certain moment progressiste, bien qu'elle ne soit pas prolétarienne.

Notre parti mondial et nos sections nationales, en tant que représentants des intérêts historiques de la classe ouvrière, ont une politique par rapport aux mouvements nationalistes: celle de se lier intimement à eux, de former des fronts avec eux, mais sans perdre, ne serait-ce qu'un seul instant, notre indépendance politique vis-à-vis d'eux. Et nous avons précisément cette orientation en tant que représentants des intérêts historiques de la classe ouvrière, intérêts qui à notre époque se résument en un seul : détruire le système impérialiste mondial. Pour le détruire, nous frappons aux côtés de tout mouvement ou secteur social qui est disposé à le faire.

Ce rapport de notre parti et de notre classe avec les mouvements nationalistes est celui qui détermine le rapport de notre idéologie avec l'idéologie de ces mouvements: elles vont ensemble contre tous les aspects de l'idéologie nationaliste de l'impérialisme. Mais l'internationalisme prolétarien, en tant qu'idéologie, ne se laisse pas pénétrer, il reste strictement indépendant des aspects réactionnaires du nationalisme bourgeois ou petit-bourgeois.

Vu de cette manière objective, basée sur la lutte de classes et non sur des idéologies « en soi », l'affirmation du camarade Germain, selon laquelle « les objectifs autonomes de classe poursuivis par le prolétariat et la paysannerie pauvre » s'opposent à la « solidarité nationale et la communauté nationale d'intérêts » dans les pays arriérés et dans la révolution socialiste internationale, est contradictoire avec la réalité, car il s'agit de deux tâches intimement liées.

Il existe un rapport entre l'internationalisme prolétarien et le nationalisme des nationalités opprimées : l'internationalisme prolétarien a une raison d'être objective, il est né comme réponse nécessaire du mouvement ouvrier à l'existence du système capitaliste mondial. Aujourd'hui ce système capitaliste mondial a sa plus haute expression dans le système impérialiste et c'est celui-ci qui est la base objective actuelle de l'internationalisme prolétarien. Le nationalisme des nationalités opprimées lutte contre le même ennemi. Nous ne comprenons donc pas pourquoi le nationalisme était progressiste au 18ème siècle, lorsqu'il affrontait les seigneurs féodaux et les secteurs monarchistes absolus, et qu'il ne l'est plus maintenant alors qu'il s'affronte dans les pays arriérés à un ennemi beaucoup plus fort et plus dangereux, au principal ennemi du prolétariat international, à l'impérialisme. Avec ce même critère, tous les mouvements progressistes de type démocratique des siècles antérieurs ont cessé d'être progressistes. Le camarade Germain pourrait alors dire que, si l'impérialisme mondial voulait imposer l'enseignement religieux dans les écoles, le mouvement pour l'enseignement laïque a cessé d'être progressiste. Pour nous au contraire, un mouvement pour l'enseignement laïque, dans les pays où il y a un enseignement religieux est progressiste, quels que soient ceux qui le dirigent, car s'il y a un siècle il affrontait la réaction terrienne, il affronte aujourd'hui la réaction impérialiste et cette lutte est autant, sinon plus, progressiste qu'auparavant. Les mouvements se définissent par leur objectif historique et par les ennemis qu'ils affrontent. Les mouvements nationalistes des nationalités opprimées sont progressistes car ils ont un objectif historique progressiste, la libération nationale, et s'affrontent au plus réactionnaire des ennemis, l'impérialisme.

Deuxième argument :[modifier le wikicode]

Nous pouvons soutenir exceptionnellement les mouvements nationalistes dont les directions ne comportent pas d'éléments bourgeois ou petits bourgeois, mais nous ne soutenons pas ceux qui en ont :

« Cette opposition de Lénine au nationalisme n'est pas un principe abstrait et formel, mais elle découle, comme l'indique Lénine, d'une claire notion des circonstances historiques et économiques. C'est la raison pour laquelle il peut y avoir quelques exceptions à la loi, basées sur des conditions historiques et économiques exceptionnelles, dans les nationalités opprimées qui n'ont pas leur propre classe dominante ou qui n'ont qu'un embryon de bourgeoisie, de telle sorte que, dans la situation donnée et à venir, il soit exclu que cet embryon actuel puisse devenir une classe dominante sans désintégrer totalement la structure impérialiste. Les meilleurs exemples de telles exceptions sont les nationalités noires et chicanos au sein des Etats-unis. Mais il est clair que le Québec, la Catalogne, le Pays basque, l'Inde, Ceylan et les nations arabes ne peuvent pas être qualifiés d'exceptions. Toutes ces nations ont leur propre classe bourgeoise. Nombre d'entre elles ont également leurs propres Etats semi-coloniaux. Soutenir le nationalisme de ces nationalités, sous prétexte de soutenir les luttes anti-impérialistes ou celui de défendre la doctrine que le nationalisme conséquent peut automatiquement diriger la lutte vers la dictature du prolétariat, c'est nier les distinctions de classes, les conflits irréconciliables de classes au sein de ces nations, que l'oppression nationale et l'exploitation économique par l'impérialisme n'ont pas éliminés mais, en un certain sens, encore accrus par rapport à ceux des nations non opprimées. » (Germain, idem, p.83).

Germain classe ainsi les mouvements en fonction de l'importance de l'intervention d'éléments bourgeois en leur sein, et non par le caractère de masses qu'ils entraînent et de la lutte qu'ils mènent à un certain moment contre l'impérialisme. Il pourrait classer de la même manière n'importe quelle lutte du mouvement de masses et parvenir à la conclusion, par exemple, que nous ne soutiendrons que les syndicats ou partis ouvriers qui ont des directions révolutionnaires, ou les mouvements démocratiques qui ont des directions ouvrières.

Au contraire, nous pensons que, sans cesser de critiquer et de nous différencier de leurs directions, il faut soutenir toutes les luttes ouvrières ou démocratiques qui vont objectivement contre la bourgeoisie et qui sont progressistes, quelles que soient leurs directions. Nous devons garder ce même critère par rapport à tout mouvement nationaliste. S'il va objectivement contre l'impérialisme, nous devons le soutenir, quelle que soit sa direction, en nous différenciant et en attaquant les inévitables trahisons de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. C'est ce que nous devons faire pour tout mouvement qui part de revendications démocratiques progressistes (pour la libération de prisonniers politiques, l'avortement, l'égalité des femmes, etc.), quels que soient ceux qui y interviennent et quel que soit le secteur qui le dirige à ce moment-là.

Troisième argument :[modifier le wikicode]

Il faut distinguer clairement la lutte pour l'autodétermination nationale des mouvements nationalistes :

« Les sectaires et les opportunistes ne font ni les uns ni les autres cette distinction élémentaire entre la lutte pour l'autodétermination nationale et l'idéologie nationaliste. Les sectaires refusent de soutenir les luttes pour l'autodétermination nationale sous prétexte que l'idéologie qui prévaut parmi les combattants et les dirigeants est le nationalisme. Les opportunistes refusent de combattre les idéologies nationalistes bourgeoises et petites-bourgeoises, sous prétexte que la lutte pour l'autodétermination nationale, dans laquelle prédomine cette idéologie, est progressiste. » « La position correcte, marxiste révolutionnaire, est de combiner le soutien total à la lutte pour l'autodétermination nationale des masses, y compris les revendications concrètes qu'exprime ce droit dans les domaines politique, culturel et linguistique, avec la lutte contre le nationalisme bourgeois et petit-bourgeois. » (idem, p.80).

Il y a plusieurs choses incompréhensibles dans cet argument. La première c'est que le camarade Germain se limite aux revendications « concrètes » « dans les domaines politique, culturel et linguistique ». N'y a-t-il pas un domaine économique dans la lutte pour l'autodétermination nationale ? L'expropriation sans indemnités des entreprises impérialistes n'est-elle pas la plus grande expression de la lutte pour l'autodétermination nationale, comme l'a montré Trotski au sujet du pétrole mexicain ?

La seconde, c'est l'affirmation que « l'idéologie qui prévaut parmi les combattants » pour l'autodétermination nationale est le nationalisme bourgeois et petit-bourgeois. Si par cela le camarade Germain veut dire que les masses se mobilisent derrière une direction bourgeoise ou petite bourgeoise, et que nous devons lutter pour que ce soit la classe ouvrière qui prenne la direction, nous sommes totalement d'accord. Mais s'il en conclut que leur sentiment nationaliste est réactionnaire et que nous devons le combattre en lui opposant l'internationalisme prolétarien, nous ne sommes pas du tout d'accord. Ce sentiment nationaliste des masses est contradictoire: en tant que nationaliste il est progressiste, en tant que confiance dans les exploiteurs nationaux, il est réactionnaire, et non seulement réactionnaire mais inconséquent, car la bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationales sont incapables de mener à bien la libération nationale d'un pays arriéré contre l'impérialisme.

Pourquoi devrions-nous rejeter en bloc ce sentiment contradictoire ? Si nous développons l'aspect positif de ce sentiment (nationaliste) jusqu'au bout, jusqu'au nationalisme conséquent, cela ne dévoilera-t-il pas les hésitations et les trahisons de la direction bourgeoise ? Qu'a de réactionnaire le sentiment nationaliste anti-impérialiste conséquent ? Quel autre moyen de liquider l'influence idéologique et la direction bourgeoise des mouvements nationalistes propose le camarade Germain ? La propagande générale sur l'internationalisme prolétarien et le contenu réactionnaire de l'idéologie nationaliste bourgeoise ?

Toutes ces questions restent sans réponse, car le camarade Germain fait une séparation absolue entre les luttes anti-impérialistes et le nationalisme, alors qu'en réalité ils sont intimement liés, le nationalisme étant l'expression idéologique des luttes anti-impérialistes.

Le camarade Germain propose en définitive que nous utilisions essentiellement des mots d'ordre négatifs, c'est-à-dire que nous tombions dans les fameux « anti » qui, selon Trotski, caractérisent les opportunistes.

Nous sommes pour des mots d'ordre positifs (nationalisme au lieu d'anti-impérialisme) qui caractérisaient les bolcheviks. Mais laissons de côté ce problème, afin de ne pas entrer dans un nouvel axe de discussion.

Pour appuyer ces trois arguments et sa conclusion générale, selon laquelle sauf exceptions nous ne soutenons pas le nationalisme des nationalités opprimées, le camarade Germain en appelle à l'autorité de Lénine et de Trotski. Il donne une longue citation de Lénine pour démontrer que « Lénine a tout à fait la même position. Et dans sa majeure contribution finale au problème, qui a valeur programmatique, ses thèses sur la question nationale et coloniale écrites pour le IIème Congrès du Komintern, nous pouvons lire le passage suivant très éclairant » (Germain, idem p.81). Dans cette citation, le camarade Germain commet la fraude théorique la plus scandaleuse de l'histoire de notre mouvement et peut-être même du mouvement ouvrier mondial. La citation est totalement falsifiée. Les deux premiers paragraphes sont bien de Lénine, mais les deux derniers, alors que Germain les donne comme tels, ne sont pas de lui mais de Roy, le délégué de l'Inde. De plus, les deux paragraphes de Lénine appartiennent bien aux thèses que mentionne Germain, mais ceux de Roy sont d'une autre résolution, des « thèses supplémentaires » que Lénine n'a pas écrites. De plus encore, dans ce qu'il appelle un « passage » des thèses, il saute de la thèse 2 à la thèse 10, sans préciser qu'il ne s'agit plus du même thème, car la thèse 10 parle des partis et des courants qui ont rompu avec la social-démocratie principalement dans les pays impérialistes. C'est ensuite qu'il passe de la thèse 10 à la thèse 7 de l'autre résolution écrite par Roy et non par Lénine.

Voyons ce que dit le texte de Lénine, d'après les Oeuvres complètes :

« 1- que tous les Partis communistes doivent aider le mouvement de libération démocratique bourgeoise dans ces pays et que le devoir de leur prêter l'aide la plus active repose en premier lieu sur les ouvriers du pays dont la nation arriérée est la colonie financièrement dépendante" (Lénine, Oeuvres complètes, Edition Cartago, Buenos Aires, tome 33, p.296 - Interventions au IIe congrès de l'Internationale Communiste - Rapport de la commission nationale et coloniale - 26 juillet 1920).

Mais le camarade Germain, non seulement change les citations mais oublie qu'il y eut une discussion entre Roy et Lénine. Roy avait la position ultra-gauche et Lénine celle plus favorable à la bourgeoisie nationale. Lénine résume ces discussions ainsi :

« Nous avons discuté de la question de savoir s'il était correct, du point de vue des principes et de la théorie, d'affirmer que l'Internationale communiste et les Partis communistes doivent soutenir le mouvement démocratique bourgeois dans les pays arriérés ; après cette discussion, nous nous sommes mis d'accord à l'unanimité pour parler de mouvement nationaliste révolutionnaire au lieu de mouvement démocratique bourgeois. » (idem, p.296).

Ce changement dans la définition des mouvements nationalistes est lié au caractère de ces mouvements (réformiste ou révolutionnaire) et non, comme semble l'interpréter Germain, à la classe qui les dirige. Par ailleurs ce fut une solution de conciliation, une concession de Lénine à Roy. Et cela s'est démontré par le fait que Lénine disait, au même moment, que les grands mouvements mondiaux qui combattent l'impérialisme étaient « les mouvements soviétiques des ouvriers des pays avancés et par ailleurs tous les mouvements de libération nationale des colonies et des nationalités opprimées ».

Cette position de Lénine fut beaucoup plus développée par le IVème Congrès de l'Internationale communiste, dans les fameuses thèses sur l'Orient où est formulée la stratégie du front unique anti-impérialiste et dit catégoriquement :

« Se rendant compte que dans diverses conditions historiques les éléments les plus variés peuvent être les porte-paroles de l'autonomie politique, l'Internationale communiste soutient tout mouvement nationaliste révolutionnaire dirigé contre l'impérialisme. De la même manière, il est indispensable de forcer les partis nationalistes bourgeois à adopter la plus grande partie possible de ce programme agraire révolutionnaire. Le refus des communistes des colonies de prendre part à la lutte contre l'oppression impérialiste, sous le prétexte de la "défense exclusive des intérêts de classe", est la conséquence d'un opportunisme malsain qui ne peut que discréditer la révolution prolétarienne en Orient. » ("Les quatre premiers Congrès de l'IC", Maspéro, p.175).

Il est évident que pour Lénine la question de savoir qui dirige le mouvement est secondaire, l'important est la lutte contre l'impérialisme. Dans ce cas, nous soutenons "tout mouvement nationaliste", même s'il est dirigé par des féodaux ou par la bourgeoisie nationale. Nous sommes d'accord avec Lénine pour soutenir tout mouvement qui lutte contre l'impérialisme, et nous ne soutenons pas les mouvements nationalistes qui s'appuient sur lui, comme le sionisme. Pour Germain, nous ne devons pas le faire, nous soutenons un mouvement nationaliste dans le cas exceptionnel où la bourgeoisie et la petite bourgeoisie nationales n'y participent pas. S'ils y participent, nous ne soutenons pas. Et le prétexte qu'il donne pour défendre cette position ce sont « les objectifs autonomes de classe », prétexte très analogue à celui de « la défense exclusive des intérêts de classe » que Lénine dénonçait comme un « opportunisme malsain ». Trotski, héritier des enseignements de Lénine, éclaire encore mieux le critère léniniste de soutien à tout mouvement nationaliste, quelle que soit sa direction : il élimine directement de sa ligne politique l'amendement fait par Roy pour qualifier les mouvements nationalistes, il supprime le mot « révolutionnaire ». Il considérait l'idéologie de Sun Yat Sen comme progressiste, car elle était nationaliste. Voyons ce que disait Trotski :

« (...) le mouvement nationaliste en Orient est un facteur progressiste dans l'histoire mondiale. La lutte pour l'indépendance de l'Inde est hautement progressiste, mais nous savons tous que c'est une lutte sur des objectifs nationalistes bourgeois limités. La lutte pour la libération de la Chine est une lutte démocratique, l'idéologie de Sun Yat Sen est une idéologie progressiste mais bourgeoise en définitive. Nous sommes d'accord avec le soutien communiste au Kuomintang chinois que nous tentons de révolutionner. » (Trotski, "La révolution chinoise" 1938, Pathfinder Press, p.8).

« Nous voyons la Turquie abolissant le califat et Mac Donald le rétablissant. N'est-ce pas un exemple remarquable du menchevisme contre-révolutionnaire occidental et du démocratisme nationaliste bourgeois progressiste d'Orient ? En Afghanistan il se passe aujourd'hui les faits les plus dramatiques : l'Angleterre tente de mettre le pouvoir aux mains des éléments les plus arriérés et réactionnaires, imbus des pires préjugés du pan-islamisme, du califat, etc. L'appréciation correcte de ces deux forces en lutte vous permettra de comprendre pourquoi l'Orient se rapproche de plus en plus de nous, de l'Union soviétique et de la IIIème Internationale. » (idem, p.9).

La position de Trotski par rapport aux mouvements nationalistes bourgeois et petits-bourgeois latino-américain réaffirme la précédente, elle est en faveur de Cardenas et de l'APRA péruvienne et s'est concrétisée dans la résolution de notre Internationale :

« Dans la lutte contre l'impérialisme étranger au Mexique, la direction de la LCI (groupe Galicia), au lieu de mettre l'accent de son agitation sur la lutte contre les bandits nord-américains et britanniques, l'a centrée contre le régime nationaliste bourgeois de Cardenas, en l'attaquant d'une manière tendancieuse, sectaire et, étant donné les circonstances, objectivement réactionnaire ». ("Documents of the Fourth International" : Pathfinder Press, 1973, p .283).

Germain révise Trotski et le marxisme, non seulement sur le terrain de la conception générale, mais aussi dans les cas concrets qu'il cite en exemple. Selon lui, les trotskystes sont contre le nationalisme catalan, car c'est un mouvement où participe la bourgeoisie. Voyons ce que disait Trotski sur le mouvement nationaliste catalan :

« J'ai déjà écrit que, à l'étape actuelle, le nationalisme petit-bourgeois catalan est progressiste, mais à une seule condition : qu'il développe son activité hors des rangs communistes et qu'il soit toujours sous les coups de la critique communiste. » « Le nationalisme catalan est un facteur révolutionnaire progressiste ; le nationalisme espagnol est un facteur impérialiste réactionnaire. le communiste espagnol qui ne comprend pas cette différence ou l'ignore, qui ne l'explique pas à l'avant-garde mais au contraire cache sa signification, court le risque de devenir un agent inconscient de la bourgeoisie espagnole et d'être perdu pour la cause de la révolution prolétarienne. » « Toute autre politique équivaudrait à soutenir le nationalisme réactionnaire de l'impérialisme bourgeois de la nation dirigeante, contre le nationalisme démocratique révolutionnaire de la petite bourgeoisie d'une nation opprimée. » ("The Spanish Revolution", p.155 et 110).

Continuons maintenant par le problème noir aux Etats-unis. Pour le camarade Germain, c'est une exception, étant donné qu'il s'agit d'un nationalisme qu'il faut soutenir, car il provient d'une nationalité opprimée où n'existe pas de bourgeoisie. Pour sa part, l'Internationale communiste considérait le problème noir des Etats-unis comme partie intégrante du mouvement noir mondial, et non pas comme une exception limitée aux USA. Pour l'IC, ces noirs doivent être l'avant-garde de la lutte mondiale des noirs d'Afrique et d'Amérique centrale :

« C'est pour cela que le IVème Congrès déclare que tous les communistes doivent particulièrement appliquer au problème noir les thèses sur la question coloniale. » Le IVème Congrès reconnaît « la nécessité de soutenir toute forme de mouvement noir ayant pour fin de saboter et affaiblir le capitalisme ou l'impérialisme ou d'arrêter sa pénétration ». ("Les quatre premiers Congrès de l'IC", p .185).

Comme nous le voyons, pour l'IC le mouvement noir ne fait qu'un dans le monde entier, et partout, pas seulement aux Etats-unis, il faut le soutenir, quels que soient ses dirigeants, à condition qu'il ait pour "fin de saboter et affaiblir le capitalisme ou l'impérialisme ou d'arrêter sa pénétration". Par conséquent, lorsque Germain dit que nous devons le soutenir en tant qu'exception aux Etats-unis, il fait une erreur, il divise ainsi le mouvement nationaliste noir. Avec les chicanos, il se passe un peu la même chose: ils font partie intégrante et suivent les vicissitudes de la lutte nationaliste latino-américaine.

(Toute cette discussion est très importante par rapport aux ouvriers immigrés, puisqu'ils sont très souvent une partie de la révolution coloniale au sein même des pays impérialistes. Dans d'autres cas, ils sont l'expression d'une nationalité opprimée. Ce dernier point n'est même pas soupçonné par les auteurs du document européen de la majorité, puisqu'ils n'y posent pas ce problème. En fait, ces camarades confondent nationalité opprimée et nation. Pour qu'existe une nation, il faut qu'elle ait un territoire propre, mais même s'il lui manque un territoire, si elle a une langue, une race et une culture différentes, il existe une nationalité. Et même s'il manque un de ces différents éléments, nous pouvons être en présence d'une nationalité (comme c'est le cas des ouvriers immigrés), les persécutions, l'inégalité économique et politique en font une nationalité opprimée. Mais laissons ce problème pour la discussion du document européen, nous y démontrerons que c'était là le critère de Trotski et des marxistes classiques.).

Ce n'est que maintenant, après avoir défini objectivement notre politique en direction des nationalistes, que nous pouvons entrer dans le problème subjectif, c'est-à-dire le problème des directions. Que nous soutenions les mouvements nationalistes, quelle que soit leur direction, à la seule condition qu'ils aillent contre l'impérialisme, ne signifie pas que nous nous confondions avec la direction bourgeoise ou petite bourgeoise de ces mouvements. De la même manière, lorsque nous soutenons un mouvement syndical qui lutte contre la bourgeoisie, nous ne nous confondons pas avec sa direction bureaucratique, ni ne diluons notre parti dans le syndicat. Bien au contraire, comme l'ont dit mille et une fois nos maîtres, l'indépendance de notre classe et de notre parti est sacrée.

Nous imposons une séparation nette, précise, de classe entre ces directions et nous, et entre notre classe, notre parti et ces mouvements. Cette séparation nette nous permet de soutenir le mouvement nationaliste quand il va contre l'impérialisme et de mener en même temps une critique implacable contre ses directions et ses limitations.

Comment réaliser cette différenciation ? D'une part, en maintenant coûte que coûte la défense et l'impulsion des luttes ouvrières pour leurs intérêts spécifiques, et en dénonçant les directions bourgeoises car elles prétendent utiliser le mouvement ouvrier pour affronter l'impérialisme, tout en continuant à l'exploiter. D'autre part, et c'est ce qui est fondamental, en demandant au mouvement ouvrier qu'il exige de ces directions une lutte et des mesures conséquemment anti-impérialistes (que nous savons que ces dirigeants sont incapables d'appliquer), en tant que moyen de les démasquer aux yeux des masses et d'avancer la nécessité pour la classe ouvrière elle-même de prendre la direction du mouvement nationaliste. Et finalement, en nous opposant d'une manière déterminée à ce que le mouvement ouvrier mette ses organisations (syndicales et politiques) sous la discipline de la direction bourgeoise et en insistant inlassablement sur la nécessité d'une organisation et d'une politique indépendante des travailleurs.

Mais tout cela n'est pas nouveau, nous faisons de même face à tout mouvement progressiste, au mouvement contre la guerre du Vietnam aux Etats-Unis. Nous y soutenons le mouvement contre la guerre sans perdre l'indépendance de notre parti et sans cesser d'attaquer un seul instant les directions opportunistes ou libérales bourgeoises. La seule chose que nous ne pouvons pas faire, c'est dire que nous ne les soutenons pas car c'est un mouvement démocratique où interviennent (et à un moment ils le dirigèrent) les bourgeois libéraux et les réformistes.

Soutien aux mouvements progressistes, avec une totale indépendance pour critiquer le mouvement et ses directions, oui ; confusion et dilution de notre parti au sein du mouvement, non. C'est là l'essence de la politique léniniste et trotskyste. Le camarade Germain nous en propose une autre : même s'il s'affronte à l'impérialisme, nous ne devons pas soutenir un mouvement nationaliste si y participent des secteurs bourgeois ou petits-bourgeois. Et ce révisionnisme germainiste nous pousse vers un danger très grave, celui de nous confondre, à cause de notre politique, avec la bourgeoisie impérialiste elle-même. Cette dernière se gardera bien de soutenir les mouvements nationalistes qui vont contre elle, et au contraire les attaquera. Et le camarade Germain... ne leur donnera pas son soutien. Aux yeux des masses, quelle est la différence ?