Zimmerwaldiens ou Gvosdiéviens ?

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Nous avons reproduit une communication du journal de Samara Naché Goloss (n° 11, du 1er décembre) racontant que, dans les milieux en vue menchéviks (on parle visiblement de l’O.K.), l’opinion se répand que la fraction parlementaire Kadet doit conserver l’ancienne position, c’est-à-dire affirmer avec plus de vigueur la volonté des Kadets et exprimer sa solidarité aux positions adoptées à la Conférence de Zimmerwald.

On annonçait ensuite que les cercles mentionnés avaient élaboré une plate-forme qui différait des déclarations déjà connues venant de Pétersbourg et de Moscou; celles-ci étaient archi-patriotiques comme nos lecteurs s’en souviennent. Le vague des formules employées enlève une grande partie de la valeur qu’on voudrait attribuer à cette communication qu’on désirerait saluer si elle nous donnait le droit d’espérer que les « cercles menchéviks de marque » ne se bornent pas à une plate-forme différente de celle des sociaux-patriotes, et qu’ils engagent contre ces derniers une lutte impitoyable.

Entre temps, nous trouvons dans Naché Goloss (n° 9, du 8 novembre), dans la lettre du même correspondant de Pétrograd (Ivanov), une communication qu’il est indispensable de comparer au n" 11, afin de se faire une représentation nette, et non illusoire, de l’état réel des choses.

« … La question qui préoccupe, en ce moment, les « cercles menchéviks de marque », est le renouvellement de la campagne pour les élections au Comité central de l’industrie de guerre. Il est difficile, en général, d’approuver l’inachèvement de cette manifestation politique à laquelle ont pris part de grandes masses de travailleurs. Les travailleurs conscients jugent indispensable d’obtenir du Comité central une deuxième convocation des électeurs en vue des décisions à prendre. La question se discute dans des réunions partielles, et l’on recueille des signatures pour une déclaration concordante. »

Nous répétons encore une fois : les deux correspondances, distantes l’une de l’autre de trois jours, rédigées par la même personne, ne partageant pas le point de vue de Naché Diélo, mais défendant la position des « cercles menchéviks de marque » – quel que soit le nom de l’auteur – indiquent qu’il parle de milieux proches du Comité organisationnel.

Ainsi, les mêmes cercles qui déclarent adopter la position prise à Zimmerwald, ont pris une part active au « coup d’état » miniature qui reste lié au nom de Gvosdiév. Le journal social-patriote, Narodnaia Gazetta, a reconnu que la conduite de Gvosdiév et des siens était scandaleuse : les électeurs ne le sont pas à vie, écrit ce journal avec justesse; leur état d’esprit peut changer, mais cela ne renseigne pas sur la volonté des masses; celles-ci doivent être consultées par celui qui n’est pas satisfait de la première décision des électeurs. Mais les Sociaux-patriotes ne tiennent pas à s’engager sur cette voie, d’autant plus qu’ils n’auront pas l’assentiment de leurs alliés de l’administration. Que font donc les travailleurs conscients ? Soutenus par les Menchéviks, ils sont de mèche avec le Comité goutchkovien. Et sur cet accord contraire à tous les principes élémentaires de la démocratie, porte témoignage, le front pur, le même correspondant qui nous signalait, il y a trois jours, que les Menchéviks approuvaient Zimmerwald !

Que signifie tout ceci ?

« Il est difficile de s’y retrouver, on n’y comprend rien ! », c’est ainsi que répondent les Menchéviks-internationalistes, chez qui l’instinct de l’auto-conservation du parti (mais non socialiste-révolutionnaire) enlève toute envie de comprendre et de s’y retrouver, dès que l’on parle du cours des choses dans le bloc d’ « Août ».

Cependant il n’y a là rien de mystérieux et d’énigmatique.

Le Comité organisationnel (O.K.) se rapproche de Zimmerwald. Donc, il est contre la participation à la défense nationale ? Oui, mais il tient à « l’utilisation organisationnelle » des Comités de l’industrie de guerre. Fort bien, mais que signifie « utilisation » ? Il semblerait que ce soit l’établissement de l’influence révolutionnaire et internationaliste dans les masses ouvrières. Mais alors de quelle façon l’O.K., en adhérant à Zimmerwald, peut-il rompre avec ses 90 représentants et les attaquer avec l’appui du bloc administratif et social-patriote ? C’est très simple : Le Comité n’avait pas besoin d’entrer dans le bloc social-patriote, car de par sa constitution et ses méthodes, il forme un bloc de sociaux-patriotes et d’internationalistes. Pour ces derniers, le lien « de parti » avec les sociaux-patriotes est plus important que le lien idéologique et politique avec tout le camp internationaliste. C’est la preuve irréfutable de ce que leur internationalisme peut présenter de désespéré, car ils restent chez les sociaux-patriotes et servent de piège pour les éléments irrésolus et arriérés de la classe ouvrière.

Qui – réellement, et non en paroles – adhère à Zimmerwald, prend l’obligation de lutter implacablement contre les sociaux-patriotes. Si Ledebour et ses amis, soucieux de conserver l’unité et la discipline du Parti, avaient continué, après Zimmerwald, à s’abstenir de voter les crédits, nous aurions regardé ce fait comme la première violation du sens et de l’esprit des décisions de Zimmerwald. Mais le premier manquement aux obligations zimmerwaldiennes provient du bloc d’ « Août » qui ne « s’abstient pas », mais s’agite activement contre les Internationalistes, dans le même temps que ses représentants à l’étranger critiquent Ledebour pour son attitude peu franche et peu active envers les sociaux-patriotes. S’il s’agissait pour Ledebour de maintenir l’unité d’un parti de quatre millions de membres, pour les « Internationalistes » de l’O.K., il ne s’agit que de maintenir leurs liens avec les Menchéviks-patriotes. Les abstentions de Ledebour eurent lieu jusqu’à Zimmerwald, mais la honte « gvosdiévienne » se manifesta après Zimmerwald.

Nous n’allons pas insister pour démontrer que la contradiction est gravement compromettante et politiquement insupportable. Que les bureaucrates et les diplomates du bloc d’ « Août » présentent notre critique comme une manifestation de mauvais vouloir envers les Menchéviks, ne nous arrête nullement. Nous considérerions comme le pire pharisianisme de dénoncer l’ambiguïté de Kautsky et de Haase, de crier à Vandervelde « A la retraite ! », de stigmatiser Pressemane[1], qui, tous, adhèrent à Zimmerwald, pour nous détourner de celui-ci et fermer les yeux sur ce qui se passe en Russie dans le « Bloc d’Août », pour empêcher les masses de faire la différence entre Zimmerwald et le mouvement gvosdiévien.

Si nous revenons sur ce point avec tant d’insistance – et nous y reviendrons encore – , c’est parce que nous avons la conviction profonde qu’il existe de nombreux et précieux cadres chez les Internationalistes-menchéviks que le mouvement ouvrier ne doit pas rejeter, mais qui, pour le moment, sont paralysés et découragés par la politique de leurs dirigeants. Pour ces Internationalistes, il est indispensable de rompre avec éclat avec les États-majors de Naché Diélo et de Rabotchoé Outro et de présenter aux masses le drapeau de l’Internationalisme. C’est l’unique moyen d’attirer à soi les hésitants et de couper l’herbe sous le pied aux sociaux-patriotes.

  1. Socialiste français, guesdiste, se considérant comme de « gauche ». Il est membre actuellement du parti de Blum-Longuet.