Un bon présage. Lettre à Jack et camarades, 9 avril 1936

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Chers Camarades[1],

Votre lettre du 31 mars 1936 m'a vraiment réjoui comme un présage de notre future collaboration dans votre pays comme à l'échelle internationale.

Je ne veux pas ici revenir sur le passé, car je dois admettre que, dans l'histoire de la scission, Vitte[2], l'ancien membre du secrétariat international, lequel nous a d'ailleurs quittés depuis longtemps, a joué un rôle assez malfaisant.

Les principaux points que je retiens de votre lettre sont les suivants :

  1. Vous restez entièrement sur le terrain des principes et de la politique des bolcheviks‑léninistes.
  2. Vous voulez vous placer, comme fraction à l'intérieur du Labour Party, sur le terrain de la « Lettre ouverte pour la IV° Internationale » ‑ bien que, du fait du régime policier de la bureaucratie travailliste, vous ne le fassiez pas publiquement.
  3. Vous êtes prêts à mettre en place un comité de contact avec le Marxist Group afin qu'une collaboration vivante entre vous prépare le plus vite possible la fusion qui doit être réalisée.
  4. Vous souhaitez entrer sans tarder en relation régulière avec le secrétariat international.

Je communique à présent notre correspondance au secrétariat international et je suis certain que le secrétariat international ne pourra que se féliciter comme moi de ces propositions. J'espère que notre collaboration sera désormais intense et féconde.

Pour l'engager sans plus attendre, je voudrais vous poser une question sur la Socialist League. Considérez‑vous comme correct que nos camarades agissent dans la Socialist League, c'est‑à‑dire sous le drapeau de MM. Cripps[3] et consorts ? Naturellement, je ne suis pas ‑ et de loin ! ‑ suffisamment informé de la situation à l'intérieur du Labour Party et de la Socialist League. Toutefois, pour autant que je sache, le sieur Cripps est un excentrique d'une extrême confusion, capable de flirter aujourd'hui avec la révolution et de se traîner demain sur le ventre devant le roi. La Socialist League n'est pas une organisation de masse, mais une fraction, c'est‑à‑dire une collection d'individus à l'image du sieur Cripps lui‑même. Toute l'expérience montre qu'on peut travailler avec succès dans une organisation de masse en se constituant en groupe indépendant qui s'oppose à l'ensemble des fractions centristes. Mais si l'on s'agrège à une fraction centriste, on perd facilement sa propre physionomie et on se prive de la possibilité d'un véritable travail révolutionnaire dans les masses. Si vous m'apportiez des éclaircissements sur cette question, je vous en serais très reconnaissant.

Le travail dans la jeunesse me paraît être le plus important et le plus prometteur pour la IV° Internationale. Dans ce domaine, on devrait, je crois, commencer immédiatement le travail commun avec le Marxist Group[4].

  1. Les éditeurs des Writings 1935‑36 indiquent à tort que « Jack » désignait Jack Winnocour, un militant américain résidant en Angleterre. En fait, Winnocour était anglais et n'a pu avoir aucun rapport avec ce texte. « Jack » était le nom de code que le groupe Dewar avait choisi de préférence à « Edgar », suggéré par Trotsky (cf. vol. 8, p. 112). La lettre est adressée à l'ancienne « majorité » de la Communist League.
  2. Vitte était le pseudonyme de Mitsos Yotopoulos (1901‑1965), militant des J.C. en 1921, devenu en 1924 le principal dirigeant de l'Archiomarxisti Organosi de Grèce ; il avait été membre appointé du S.I. à Berlin en 1932 puis à Paris en 1933. En visite en Grande-Bretagne en 1933, il lui fut reproché par le S.I. et par Trotsky d'avoir déformé leur proposition d'entrée dans l'I.L.P. Il était revenu en Grèce au lendemain de la scission de la Ligue française et de la naissance de l'Union communiste formée par ses alliés du « groupe juif » (Œuvres, 3). L'organisation grecque avait également fait scission en 1934. Le groupe dirigé par Vitte avait alors rejoint le bureau de Londres.
  3. Sir Stafford Cripps (1889‑1952), issu d'une famille de petite noblesse, avait été élu député du Labour en 1929. Après la désaffiliation de l'I.L.P., il avait participé en 1932 à la fondation de la Socialist League, affiliée au Labour Party, qui regroupait essentiellement les membres de l'I.L.P. qui avaient refusé la désaffiliation. La question de Trotsky ‑ qui se dit ignorant, mais n'est pas innocent ‑ n'est pas fortuite : Reg Groves, l'ancien animateur du Balham Group, puis de la section britannique et enfin de la majorité lors de sa scission de 1933‑34, était membre de la Socialist League depuis 1934 et l'un de ses dirigeants à Londres.
  4. Trotsky conserve ici le silence sur le Bolshevik Leninist Group du Labour Party qu'animait l'ancien dirigeant du Marxist Group D.D. Harber, et qui était en train de devenir le principal centre de regroupement des B.L. britanniques. Cette allusion semble pourtant indiquer qu'il était parfaitement au courant de ce développement : il l'était d'ailleurs puisque P.J. Schmidt avait rencontré D.D. Harber et le lui avait écrit et que, par ailleurs Kenneth Johnstone le tenait au courant de l'activité de ce groupe dont il était depuis mars.