Thèses sur la morale communiste dans le domaine des relations conjugales

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De la théoricienne et militante féministe russe Alexandra Kollontaï (1872-1952), on connaît généralement les thèses sur l’amour libre (« amour-camaraderie ») et la décomposition de la famille (bourgeoise). Bien qu’on voie communément en elle une chantre de l’émancipation des femmes sous le communisme, force est de constater que ses positions féministes sont rarement mises en relation avec son profond engagement – marqué par son rôle capital au sein de l’Opposition ouvrière – dans le projet global de transformation des rapports sociaux inauguré par la révolution d’Octobre. Comme si, menaçant de subvertir un ascétisme bolchevique qui n’avait pas tardé à s’imposer, le féminisme de Kollontaï avait dû se tapir dans l’ombre de la révolution. la réalité est plus complexe, comme en témoigne l’article dont nous proposons ici la traduction. Il fut publié en 1921 dans la revue Kommunitska, organe de presse du Département des femmes (zhenotdel) du Parti communiste russe, dont Kollontaï assumait à cette période la direction. Les « thèses sur la morale communiste » de Kollontaï révèlent la puissance utopique de sa conception de la libération sexuelle et de la nouvelle communauté amoureuse, via la socialisation quasi intégrale des tâches reproductives, mais aussi toute l’ambiguïté de l’hygiénisme et du bio-productivisme qui en sont chez elle le corollaire, menaçant d’introduire une nouvelle police de la sexualité guère moins répressive que celles qui l’avaient précédée.

1. La famille et le mariage sont un phénomène historique, changeant, dépendant des relations économiques qui dominent à un niveau donné de développement de la production. La forme du mariage et de la famille est déterminée par le système économique d’une époque donnée, et elle change avec les bases économiques de la société.

2. La famille, tout comme le gouvernement, la religion, la science, la morale, les lois et les droits, constitue la superstructure découlant du régime économique de la société.

3. Les relations conjugales et familiales sont d’autant plus stables et adaptées à la vie que les tâches de la production reposent non sur la société en général, mais sur la famille. « Moins le travail est développé et moins la masse de ses produits est grande, plus est forte la domination de l’union sexuelle » (Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État[1]).

4. La famille est vitale et essentielle pour l’humanité durant la période de l’économie naturelle, où elle représente une unité économique fermée. La famille est alors une unité à la fois productrice et consommatrice. Hors du collectif familial et économique (en particulier au cours des premiers stades de développement de la société), l’homme ne peut obtenir nulle part ses biens vitaux. La famille paysanne de certaines contrées et certains pays où le capitalisme est faiblement développé (parmi les peuples d’Orient, par exemple) revêt encore aujourd’hui ce caractère d’union familiale et économique.

La famille perd sa nécessité vitale, et donc sa solidité et sa stabilité, avec la transition vers le troc, lors du remplacement d’une économie de consommation naturelle par une économie capitaliste.

5. L’union conjugale et familiale est passée d’une unité productrice à une unité seulement légale et consommatrice lors du développement et de la consolidation du système capitaliste de la production, ce qui a inévitablement entraîné l’affaiblissement des liens conjugaux et familiaux.

6. À l’ère de la domination de la propriété privée et du système économique bourgeois-capitaliste, le mariage et la famille ont pour fondement : 1) des intérêts économiques, matériels ou pécuniaires ; 2) la dépendance économique du sexe féminin par rapport au soutien de famille, le mari, plutôt que par rapport au collectif social ; 3) le soin des enfants.

7. À l’époque du capitalisme et de son système d’économie individuel, la famille fait son entrée en tant qu’unité indépendante dans le registre des tâches et des fonctions économiques de l’économie nationale capitaliste. L’unité familiale économique à l’époque du capitalisme ne fusionne pas avec l’économie nationale de l’État ni ne se dissout en elle. Elle existe en tant que cellule indépendante et économique, soit productrice (famille de paysans), soit consommatrice (famille de citadins).

L’économie individuelle, se développant sur la propriété privée, est le fondement de la famille bourgeoise.

Le grand bouleversement à l’époque de la dictature du prolétariat[modifier le wikicode]

8. L’économie communiste abolit la famille, la famille perd sa signification de cellule économique lorsque l’économie nationale, à l’époque de la dictature du prolétariat, passe à un plan commun de production et à la consommation sociale et collective.

Toutes les tâches économiques externes de la famille disparaissent : la consommation cesse d’être individuelle et intrafamiliale, elle est remplacée par des cuisines et des cantines sociales ; l’approvisionnement en habits, le nettoyage et l’entretien des habitations deviennent une branche de l’économie nationale, tout comme le lavage et le raccommodage du linge. Du point de vue de l’économie nationale, la famille en tant qu’unité économique doit, à l’époque de la dictature du prolétariat, être reconnue non pas seulement comme inutile, mais comme nuisible. Son caractère nuisible pour les intérêts du collectif de la république ouvrière, avec son plan économique commun et son utilisation rationnelle de toutes les forces de travail existantes (y compris les femmes), inclut : 1) le gaspillage des produits et du combustible par la petite économie individuelle ; 2) la dépense non productive de travail au service de la famille par ses membres, en particulier les femmes, les épouses et les mères.

9. À l’époque de la dictature du prolétariat, la famille perd sa vocation économique ; les liens externes de la famille débordant les limites de ses tâches économiques — la dépendance économique de la femme par rapport à l’homme et le soin de la jeune génération — faiblissent et disparaissent à mesure que se renforcent les principes du communisme dans la république ouvrière. Avec l’introduction du service de travail obligatoire universel, le travail des femmes acquiert une valeur autonome dans l’économie nationale, indépendante de leur situation familiale et conjugale. La subordination économique de la femme à l’homme par le mariage et la famille est entièrement supprimée.

Le soin des enfants, leur éducation physique et spirituelle sont pris en charge par le collectif social dans la république ouvrière. En inculquant et en renforçant l’égoïsme, la famille affaiblit les liens du collectif et rend par là plus difficile la construction du communisme.

Les rapports entre parents et enfants sont purifiés de tout intérêt matériel accessoire et entrent dans une nouvelle ère historique.

10. La famille, dépourvue de toute tâche économique, n’étant plus responsable de la jeune génération et ne représentant plus pour la femme la source principale de son existence, cesse d’être une famille. Elle se rétrécit jusqu’à devenir l’union d’un couple conjugal fondé sur un accord mutuel.

Le gouvernement ouvrier à l’époque de la dictature du prolétariat devra tenir compte des formes changeantes des relations conjugales, et non plus de la famille comme unité économique et sociale, laquelle disparaîtra d’autant plus vite que les principes du communisme s’implanteront dans l’économie et la société. En tant que cellule économique et union de parents et d’enfants conditionnées par le soin matériel de ces derniers, la famille est condamnée à disparaître. Lors de la dictature de la classe ouvrière, le collectif des travailleurs et le gouvernement soviétique ne doivent plus établir de relations avec la famille, mais avec les formes de relations conjugales entre les sexes.

11. Quelle forme de relations conjugales répond le mieux aux intérêts du collectif ouvrier ? De quel ordre doivent être les formes de relation entre les sexes durant l’époque de transition entre le capitalisme et le communisme pour ne pas décomposer le collectif, mais au contraire le renforcer, et faciliter ainsi la construction du communisme ?

La réponse à ces questions est donnée par le nouveau droit qui se structure et la morale communiste qui se forme à partir du régime de travail de la société.

12. Privé des tâches socio-économiques de l’ancienne famille, le mariage cesse de concerner le collectif des travailleurs. Ce dernier n’est plus concerné par le mariage, mais par son résultat : l’enfant. C’est la maternité qui se trouve face à l’État ouvrier et à ses droits (l’obligation pour la république de pourvoir aux besoins de la maternité et de l’enfance), mais il ne doit pas y avoir de couple conjugal en tant que collectif légal séparé de l’union ouvrière principale fondamentale de tous les citoyens de la république ouvrière. Les décrets sur le droit du mariage dans la république ouvrière qui légalisent les droits mutuels des époux (droit d’exiger une aide matérielle pour soi ou l’enfant), et confirment légalement la séparation du couple conjugal et de ses intérêts d’avec les intérêts communs du collectif ouvrier social (par exemple, le droit des femmes d’être transférées là où leurs maris travaillent) sont des survivances du passé, qui contredisent les intérêts du collectif et affaiblissent ses liens ; c’est pourquoi ils doivent être revus et modifiés.

13. Le nouveau droit doit confirmer le lien matériel de la maternité aux intérêts du collectif ouvrier et éliminer toute dépendance de l’enfant vis-à-vis des relations réciproques de ses parents. Le droit des parents est remplacé par le droit du collectif ouvrier, qui suit de près les intérêts de l’économie unifiée pour les unités ouvrières présentes et à venir. À l’époque de la dictature du prolétariat, le droit conjugal doit laisser place à la régulation des relations de l’État à la maternité et des relations de la mère à la fois à l’enfant et au collectif ouvrier (la protection du travail de l’épouse, la subvention aux besoins des femmes enceintes et des nourrices, la subvention aux besoins des enfants et leur éducation sociale, l’établissement de relations réciproques entre la mère et l’enfant socialement éduqué). Le droit de la paternité ne doit pas être établi à travers le mariage, mais par la régulation directe des relations réciproques entre le père et l’enfant (ne revêtant pas de caractère matériel), dans la reconnaissance volontaire de la paternité (droit du père à égalité avec la mère de choisir pour l’enfant le système social d’éducation, droit d’avoir des relations spirituelles avec l’enfant et possibilité d’exercer une influence sur lui, dans la mesure où cela ne nuit pas au collectif, etc.).

14. Les relations conjugales entre les sexes peuvent relever de la régulation légale dans l’intérêt du collectif ouvrier par deux aspects : a) la santé nationale et l’hygiène de la race ; b) la croissance ou la décroissance de la population selon les besoins du collectif économique national.

C’est pour cela qu’à l’époque de la dictature du prolétariat, l’intervention du collectif ouvrier dans les relations conjugales entre les sexes doit entrer dans une nouvelle phase et passer de la régulation par voie de prescriptions légales, de responsabilité devant le tribunal, etc., au domaine de l’action moralo-agitationnelle et hygiéno-civilisatrice, d’une part, aux mesures sociales assainissant les relations entre les sexes et assurant une descendance saine, d’autre part.

Par exemple, le combat contre les infections vénériennes et autres maladies contagieuses doit être mené à partir du travail largement déployé par les Commissariats du Peuple à la santé et à l’éducation dans le domaine de l’hygiène et de l’instruction des masses, réduisant non seulement la possibilité de transmettre des infections lors de relations sexuelles, mais également les « contaminations de la vie quotidienne ».

La culpabilité doit être établie et une poursuite judiciaire engagée non pour l’acte des relations conjugales, mais pour avoir consciemment tu et dissimulé une maladie contagieuse, aussi bien au cours de relations avec des collègues de travail et des colocataires que lors de rapports sexuels, mais également pour n’avoir pas observé les mesures de précaution afin de réduire la probabilité de la contagion.

15. Durant la période de la dictature, c’est la morale communiste, et non le droit (la loi), qui régule les rapports entre les sexes, dans les intérêts du collectif ouvrier et des futures générations.

Communisme et morale conjugale et sexuelle[modifier le wikicode]

16. Dans le développement de la société, chaque époque historique, et donc économique, a son idéal conjugal et sa morale conjugale et sexuelle. Sous le système tribal, avec ses liens de sang et de famille, la morale conjugale était différente de celle développée durant l’établissement de la propriété privée et de la domination du mari et du père (patriarcat). Dans des systèmes d’économie différents s’affermissent des morales conjugales différentes.

Et ce n’est pas seulement à chaque niveau de développement de la société, mais à chaque classe que correspond sa morale conjugale et sexuelle (il suffit de comparer les mœurs de la classe féodalo-seigneuriale et celles de la classe bourgeoise à une même époque). Plus les principes de la propriété privée sont fermement établis, plus sévère est la morale conjugale. L’exigence de chasteté pour les femmes avant le mariage légal découlait du principe de la propriété privée et de la réticence de l’homme à nourrir et entretenir l’enfant d’un autre.

Le fondement de la morale bourgeoise est l’hypocrisie (le respect apparent de la décence et l’épanouissement bien réel de toutes sortes de débauche) et la double morale : une morale pour l’homme, une autre pour la femme.

17. Dans le domaine des relations conjugales entre les sexes, la morale communiste doit avant tout rejeter catégoriquement toute hypocrisie héritée de la pensée bourgeoise, et éliminer le double standard de morale à l’endroit de l’homme et de la femme.

18. Les relations conjugales durant la période de la dictature du prolétariat doivent être évaluées uniquement à partir des deux points de vue susmentionnés : celui de la santé de la population ouvrière et celui relatif au développement de liens de solidarité et à la consolidation affective et spirituelle du collectif.

L’acte sexuel doit être vu non comme un acte honteux ou coupable, mais naturel et légitime, à l’instar de toute autre manifestation de l’organisme sain, tels que l’assouvissement de la faim ou l’étanchement de la soif. Dans les phénomènes de la nature, il n’y a ni morale ni immoralité. La satisfaction des instincts sains et naturels ne cesse d’être normale que quand elle dépasse les frontières fixées par l’hygiène. En effet, cela ne nuit pas seulement à la santé de la personne intempérante, mais également au collectif ouvrier, qui a besoin de l’utilisation rationnelle des forces et de l’énergie de ses membres ainsi que du maintien de leur bonne santé. C’est pourquoi la morale communiste, tout en reconnaissant ouvertement la normalité de la saine attirance sexuelle à un âge attestant la maturité sexuelle, fixe néanmoins des limites aux manifestations sexuelles qui adoptent des formes malsaines, contre-natures et monstrueuses ou qui, par leurs excès, mais également par des relations conjugales trop précoces, épuisent l’organisme et amoindrissent de ce fait la productivité des membres de la république ouvrière.

19. Mais la morale communiste, en se fondant sur l’assainissement de la population, condamne pareillement la complète abstinence sexuelle.

« Le concept de santé renferme la pleine et juste satisfaction de tous les besoins de l’homme, c’est justement en cela que consiste le but auquel doit tendre l’hygiène, et non pas en la répression artificielle d’une des plus importantes fonctions de l’organisme, l’attirance sexuelle » (Bebel August, La femme et le socialisme). L’excès sexuel, y compris les relations conjugales entre jeunes adolescents, quand l’organisme n’a pas acquis toute sa vigueur et n’a pas terminé son développement, tout comme la complète abstinence, pour l’homme comme pour la femme, doivent être reconnus comme également nuisibles. Du point de vue de l’hygiène de la race, on ne peut instituer ni la monogamie ni la polygamie comme forme obligatoire de relations entre les sexes, puisque les excès sexuels peuvent avoir lieu dans le mariage à deux, tandis que l’alternance des relations conjugales est loin de signifier l’intempérance sexuelle.

Néanmoins, la médecine établit que la polyandrie, c’est-à-dire les rapports sexuels d’une femme avec de nombreux hommes au même moment, diminue l’aptitude de la femme à la reproduction. De même, les relations conjugales d’un homme avec de nombreuses femmes au même moment, en épuisant les forces de l’homme, se reflètent négativement sur sa descendance. Par conséquent, de telles relations conjugales, en tant que forme instituée, ne sont pas souhaitables du point de vue des intérêts du collectif ouvrier, qui a besoin de l’accroissement d’une population saine et résistante.

20. C’est un fait scientifique largement reconnu que l’état psychologique des parents au moment de l’acte sexuel influence la santé et l’aptitude vitale de l’enfant. Dans l’intérêt de l’assainissement de l’humanité, la morale communiste condamne donc les relations sexuelles provoquées par la seule attirance physique, sans teinte d’amour, ou du moins d’une passion passagère ou d’un engouement.

Mais la morale communiste, dans les intérêts du collectif, condamne pareillement les relations conjugales de personnes n’éprouvant pas d’attirance physiologique l’une pour l’autre, fondées sur des calculs accessoires, mais également sur l’habitude ou même sur une affinité spirituelle dépourvue d’inclination physiologique.

21. En évaluant les relations conjugales du point de vue de la croissance et du développement des sentiments de solidarité et du renforcement de l’assise morale dans le collectif ouvrier, il convient d’établir avant tout que la séparation du couple conjugal en une cellule isolée ne répond pas aux intérêts du communisme.

Le fondement de la morale communiste est la culture au sein de la classe ouvrière des sentiments de camaraderie, la fusion dans un seul collectif ouvrier de la volonté et de l’esprit de ses membres particuliers. Les demandes et les intérêts d’une personne particulière doivent être soumis aux intérêts et aux objectifs du collectif.

Il s’ensuit la nécessité d’affaiblir les liens familiaux et conjugaux et, au contraire, de cultiver dans l’homme et la femme des sentiments de solidarité et de subordination de leur volonté à celle du collectif.

La république ouvrière exige aujourd’hui déjà des mères qu’elles apprennent à être des mères non pas seulement pour leurs enfants, mais pour tous les enfants des ouvriers et des paysans, et elle ne reconnaît pas les intérêts indépendants du couple conjugal ou des épouses désertant leur travail pour s’occuper de la cohabitation conjugale.

La morale communiste dans le domaine des relations conjugales exige : a) La fin de tout type de relations fondées sur des considérations matérielles ou d’autres intérêts accessoires. L’achat et la vente de caresses abaissent le sens de l’égalité entre les sexes et sapent ainsi le fondement de la solidarité fraternelle sans laquelle la société communiste ne peut exister. De ce point de vue, aussi bien la prostitution sous toutes ses formes que tout type de mariage de convenance, même reconnu par la loi soviétique, sont moralement condamnables. b) L’abolition de la réglementation relative au mariage, qui donne l’illusion que le collectif communiste ouvrier peut reconnaître les intérêts détachés et isolés de deux de ses membres qui se marient. Plus les liens des membres avec le collectif sont forts, moins on a besoin d’établir des relations conjugales fortes. c) L’éducation de la jeune génération dans l’esprit de la saine responsabilité devant le collectif et la conscience que l’amour n’est pas le fond de la vie (il est particulièrement important de l’inculquer aux femmes, auxquelles on a appris le contraire pendant des siècles). L’amour n’est qu’une des manifestations de la vie. Les émotions amoureuses ne doivent pas éclipser les intérêts variés d’une personne associés aux objectifs et aux intérêts du collectif. L’idéal de la classe bourgeoise était le couple marié, où chacun trouve pleinement son complément chez l’autre et n’a donc pas besoin de relations sincères et spirituelles avec le collectif social (cet idéal fut réalisé de façon caricaturale par Pulchérie Ivanovna et Athanase Ivanovitch[2] ), tandis que la morale communiste exige de cultiver au sein de la jeune génération une diversité spirituelle liant fermement chaque membre isolé du collectif ouvrier, de façon sincère et spirituelle, à de nombreux autres camarades, hommes et femmes, augmentant ainsi la somme des sentiments et des émotions d’amour et de sympathie de toute l’humanité. À la place de l’ancienne devise : tout pour la personne aimée, la morale communiste exige : tout pour le collectif. Si elle soumet l’amour sexuel aux intérêts du collectif, la morale communiste exige néanmoins que la jeune génération s’enrichisse affectivement et spirituellement, que l’on cultive en son sein, par l’éducation, la finesse affective et l’exigence spirituelle vis-à-vis de soi-même et de la personne avec laquelle on se marie. Héritée de la bourgeoisie, l’approche des relations conjugales comme d’un acte avant tout grossièrement sexuel doit être remplacée par toute une gamme d’émotions amoureuses saines et joyeuses, qui enrichissent les relations conjugales et accroissent la somme de bonheur. Plus est grande la réserve de qualités développées affectivement et spirituellement dans l’homme, moins il y a de place pour la physiologie toute nue et plus vive est l’émotion amoureuse.

22. Ainsi, du point de vue des intérêts du collectif ouvrier durant la période transitoire de la dictature du prolétariat, les relations conjugales doivent être fondées sur :

1) l’attirance réciproque, l’amour, l’engouement ou la passion, mais en aucun cas sur le calcul. Tout type de calcul relatif à la conclusion d’une union conjugale doit être soumis à une condamnation fraternelle implacable.

2) La forme et la durée du mariage ne sont soumises à aucune régulation ; cependant, du point de vue de l’hygiène, de la race et de la morale communiste, les relations conjugales ne doivent pas dégénérer en pur acte physiologique ni être accompagnées d’excès nuisant à la santé.

3) Le couple marié qui peut transmettre sa maladie en héritage doit s’abstenir d’avoir une descendance.

4) La jalousie et l’attitude possessive vis-à-vis de la personne aimée doivent laisser place à la compréhension amicale de l’autre âme et à la reconnaissance de sa liberté dans le domaine des émotions amoureuses. La jalousie est un principe de désunion, elle est donc inacceptable du point de vue du collectif communiste.

5) Le développement de liens spirituels plus solides avec le collectif, le développement des intérêts scientifiques, politiques, et autres au sein de la jeune génération sont obtenus par le développement d’émotions saines et vives dans l’amour lui-même.

23. Plus est soudé le collectif, stable la vie quotidienne, unifié le vécu spirituel de la société ouvrière, plus est solidaire la volonté du collectif et moins il est nécessaire de chercher dans le mariage un refuge contre la solitude affective.

24. L’essor des émotions spirituelles et affectives de l’humanité atteindra un degré inouï dans le communisme par la soumission des forces aveugles de la matière à un collectif ouvrier solidement soudé, et par conséquent extraordinairement puissant.

Dans les tréfonds de ce collectif mûriront aussi des formes encore jamais vues de rapports entre les sexes, où l’amour sain et vif acquerra une coloration multiple, illuminée par le bonheur jubilatoire d’une nature éternellement créatrice et reproductrice.

  1. NdT : Le passage auquel Kollontaï fait référence est probablement celui-ci : « Moins le travail est développé, moins est grande la masse de ses produits et, par conséquent, la richesse de la société, plus aussi l’influence prédominante des liens du sang semble dominer l’ordre social » (Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, Traduction de Jeanne Stern, Paris, Éditions sociales, 1975).
  2. NdT : Personnages de la nouvelle de Gogol Ménages d’autrefois.