Sur le “Workers” Party

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A votre avis, les divergences entre majorité et minorité étaient‑elles suffisantes pour justifier une scission ?[modifier le wikicode]

Trotsky. ‑ Là aussi, il faut aborder la question de façon dialectique et pas mécanique. Que signifie donc ce mot terrible « dialectique » ? Il signifie considérer les choses dans leur développement, pas dans leur situation statique. Si nous prenons les divergences politiques telles qu'elles sont, nous pouvons dire qu'elles ne suffisent pas pour une scission, mais si elles développaient une tendance à se détourner du prolétariat pour aller vers les cercles petits­-bourgeois, les mêmes divergences pourraient avoir une valeur tout à fait différente, acquérir un poids différent, si elles sont reliées à un groupe social différent. C'est un point très important.

Nous avons ce fait que la minorité a fait scission avec nous, malgré toutes les mesures prises par la majorité pour éviter la scission. Cela signifie que ses sentiments sociaux intimes étaient tels qu'il leur était impossible de continuer avec nous. C'est une tendance petite‑bourgeoise, pas prolétarienne. Si l'on en veut une nouvelle confirmation, nous en avons un excellent exemple dans l'article de Dwight Macdonald[1].

Avant tout, qu'est‑ce qui caractérise un parti prolétarien ? Personne n'est obligé de militer dans un parti révolutionnaire, mais, s'il le fait, il prend son parti au sérieux. Quand on ose appeler le peuple à un changement révolutionnaire de société, on porte une énorme responsabilité qu'il faut prendre très au sérieux. Et qu’est-ce que notre théorie, sinon, simplement l'outil de notre action ? Cet outil, c'est la théorie, marxiste, parce que, jusqu'à présent, nous n'en avons pas trouvé de meilleur. Un ouvrier ne se livre à aucune fantaisie avec ses outils : si ce sont les meilleurs outils qu'il puisse avoir, il en prend grand soin; il ne les abandonne pas et n'exige pas des outils fantaisistes, qui n'existent pas.

Burnham est un snob intellectuel. Il prend un parti, l'abandonne, en prend un autre. Un ouvrier ne peut agir ainsi. S’il entre dans un parti révolutionnaire, s'adresse aux gens, les appelle à l'action, il devient comme un général en temps de guerre : il doit savoir où il les mène. Que dirait‑on d'un général qui dirait que, selon lui, les fusils ne valent rien, qu'il vaudrait mieux attendre dix ans pour qu'on ait le temps d'inventer de meilleurs fusils, et qu'en attendant chacun ferait mieux de rentrer chez lui ? C'est ainsi que Burnham raisonne. Ainsi il a abandonné le parti[2]. Mais il y a toujours des chômeurs, et la guerre continue. On ne peut pas renvoyer tout cela à plus tard. Aussi est‑ce seulement Burnham qui a renvoyé son action à plus tard.

Dwight Macdonald n'est pas un snob, mais il est un peu stupide. Je le cite : « L'intellectuel, s'il veut remplir dans la société un rôle tant soit peu utile, ne doit tromper ni lui-même ni autres, ne doit pas accepter comme valable ce qu'il sait être la fausse monnaie, ne doit pas oublier dans un moment de crise ce qu'il a appris pendant une période d'années et de décennies. » Bien. Tout à fait correct. Je cite encore : « Ce n'est que si nous abordons les terribles années de tempête qui sont devant nous à la fois avec scepticisme et ferveur ‑ scepticisme à l’égard de toutes les théories, gouvernements et systèmes sociaux, ferveur pour le combat révolutionnaire des masses, ce n'est qu'ainsi que nous pourrons nous justifier nous-mêmes en tant qu'intellectuels. »

Voilà donc un des dirigeants de ce soi‑disant parti "ouvrier" (Workers Party[3]) qui ne se considère pas comme un prolétaire, mais comme un intellectuel. Il parle de scepticisme à l'égard de toutes les théories.

Nous nous sommes préparés à cette crise en étudiant et en édifiant une méthode scientifique, et notre méthode, c'est le marxisme. La crise survient, et Macdonald se déclare « sceptique à l'égard de toutes les théories » et se met à parler de ferveur et de dévouement à la révolution sans remplacer notre théorie par une autre nouvelle. A moins que ce ne soit par le scepticisme qui lui est propre. Comment travailler sans, une théorie ? Qu'est‑ce que la lutte des masses et qu'est‑ce qu'un révolutionnaire ? L'ensemble de cet article est scandaleux, et un parti qui peut tolérer un tel homme comme un de ses dirigeant n'est pas sérieux.

Je cite encore : « Quelle est donc la nature de la bête (le fascisme) ? Trotsky insiste sur le fait que ce n'est ni plus ni moi moins que le phénomène familier du bonapartisme dans lequel une clique se maintient au pouvoir en jouant sur une classe contre l'autre à tour de rôle, donnant ainsi au pouvoir d'État un caractère temporairement autonome. Mais ces régimes totalitaires modernes ne sont pas des phénomènes temporaires : ils ont déjà changé les infrastructures économiques et sociales, non seulement en manipulant les formes anciennes, mais en détruisant leur vitalité interne. La bureaucratie nazie est‑elle donc une nouvelle classe dirigeante et le fascisme une forme nouvelle de société comparable au capitalisme ? Cela ne semble pas être non plus. »

Il crée ici une théorie nouvelle du fascisme, une nouvelle définition, mais souhaite néanmoins que nous soyions sceptiques à l'égard de toutes les théories. Sans doute dirait‑il également aux ouvriers que les outils avec lequels ils travaillent n'ont pas d'importance, mais qu'ils doivent se dévouer à leur travail ! Je pense que les ouvriers trouveraient un qualificatif énergique pour une déclaration de ce genre.

C'est très caractéristique de l'intellectuel déçu. Il voit la guerre, l'époque terrible qui est devant nous, avec des pertes, des sacrifices, et il a peur. Il commence à propager le scepticisme et croit encore possible de l'unir au dévouement révolutionnaire. On ne peut développer un dévouement révolutionnaire que si l'on est certain qu'il est rationnel et possible, et l’on ne peut avoir de certitude de ce genre sans théorie de travail. Celui qui propage le scepticisme théorique est un traître.

Dans le fascisme, nous avons analysé divers éléments :

1. 'élément que le fascisme a en commun avec le vieux bonapartisme est qu'il a utilisé les antagonismes de classe pour donner au pouvoir d'Etat la plus grande indépendance. Mais nous avons déjà souligné que l'ancien bonapartisme datait de l'époque de la société bourgeoise ascendante, tandis que le fascisme est un pouvoir d'Etat de la société bourgeoise en déclin.

2. Le fascisme est une tentative de la classe bourgeoise pour surmonter, dépasser la contradiction entre la technique nouvelle et la propriété privée sans éliminer la propriété privée. C'est l'"économie planifiée" du fascisme. C'est une tentative à la fois pour sauver la propriété privée et pour la contrôler.

3. Une tentative également pour dépasser la contradiction entre les nouvelles techniques modernes des forces productives dans les frontières bornées de l'Etat national. Cette technique nouvelle ne peut pas être limitée par les frontières de l'Etat national, et le fascisme essaie de surmonter cette contradiction. Le résultat, c'est la guerre. Nous avons déjà analysé tous ces éléments.

Dwight Macdonald abandonnera le parti, exactement comme Burnham l'a fait, mais, peut‑être parce qu'il est un tantinet net plus paresseux, cela n'arrivera que plus tard.

A une époque, Burnham était considéré comme un "bon élément" ? Oui, le parti prolétarien, à notre époque, doit se servir de tout intellectuel qui peut contribuer à son travail. J'ai consacré des mois à Diego Rivera[4] pour le sauver pour notre mouvement, mais je n'y ai pas réussi. Mais chacune des Internationales a connu une expérience de ce type. La I° Inter­nationale a eu des difficultés avec le poète Freiligrath[5] qui était lui aussi, très capricieux. La II° et la III° Internationales ont eu des difficultés avec Maxime Gorky. La IV° Internationale avec Diego Rivera. Dans tous ces cas, ils nous ont quittés.

Burnham était bien sûr, plus proche du mouvement, mais on avait des doutes à son sujet. Il sait écrire et il a une pensée d'une certaine habileté formelle, pas profonde, mais adroite. Il peut accepter votre idée, la développer, écrire dessus un bon article ‑ puis l'oublier. L'auteur peut oublier - pas l'ouvrier ‑ Toutefois, aussi longtemps qu'on peut utiliser des gens de ce genre, tout est pour le mieux. En son temps, Mussolini[6] fût, lui aussi, un "bon élément".

  1. Dwight Macdonald (1906‑1982), journaliste et écrivain, un des animateurs de Partisan Review, avait participé à la campagne de défense de Trotsky adhéré au S.W.P. en 1939 pour y soutenir la minorité de Shachtman et Burnham. Il avait suivi ces derniers dans la scission et venait de publier dans Partisan Review un article sur l'attitude des socialistes vis‑à‑vis de la défense nationale.
  2. Non seulement Burnham avait quitté le S.W.P., mais il avait également quitté le Workers Party qu'il venait lui‑même de fonder avec les autres scissionnistes.
  3. Workers Party (W.P.) était le nom du parti fondé par la minorité shachtmanienne lors de la scission du S.W.P.
  4. Diego Rivera : Peintre mexicain, d'abord partisan enthousiaste de la Quatrième Internationale accueillît et hébergea Trotsky lors de son arrivée au Mexique, puis au début de 1939 se lança dans des aventures politiques bruyantes. Soutint un général de droite Almazar, candidat aux élections présidentielles avant de se retrouver dans les rangs du stalinisme au cours de la guerre mondiale. Trotsky rompit avec lui dès que Rivera qui venait de signer aux cotés de Breton et à la place de Trotsky le Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant rédigé par Breton et Trotsky, rompit aussitôt toute relation avec lui.
  5. Ferdinand Freiligrath (1810‑1876) avait été proche de la Ligue des communistes de Marx et Engels.
  6. Mussolini avait été longtemps tenu pour le chef de file de la gauche du P.S.I.