Stratégie et politique socialistes

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Sous ce titre, j’ai envoyé à la presse socialiste suisse une lettre provoquée par une nouvelle falsification de Grünbach. N’étant pas sûr que, dans les conditions postales actuelles, la lettre arrive à destination, j’estime indispensable de la publier dans les colonnes de Naché Slovo.

« Par l’intermédiaire de ses amis, j’ai reçu la brochure de Grumbach intitulée L’erreur de Zimmerwald-Kienthal, qui c’est autre que son rapport lu à Berne le 3 Juin 1916.

» Je n’ai pas l’intention d’entamer une polémiqué de principe. Mais je vous prie de bien vouloir me réserver une place afin que je réfute les allégations mensongères portées contre moi. Je poursuis un but personnel, mais naturel et légal : je veux protester contre les affirmations éhontées faites par Grumbach au sujet de ma brochure; je veux en même temps définir et caractériser ce personnage, principal informateur des Français quant à la vie du Socialisme allemand.

“ A Zimmerwald-Kienthal, écrit Grumbach, Trotsky était présent; il y en eut peu comme lui à attaquer le Parti français sur sa position pendant la guerre et sur l’application pratique du principe de la Défense nationale. Et cependant, dans sa brochure La Guerre et l’Internationale, Trotsky a affirmé ce qui était la justification « die denkbar beste » (la meilleure possible) de la position adoptée par les sociaüstes français ”.[1]

» Démontrant que le principal ennemi de l’Impérialisme allemand était l’Angleterre, mais que pour lui faire la guerre il fallait en passer d’abord par la France et en partie par la Russie, j’écrivais que la direction des hostilités était prise non par les socialistes, mais par les Junkers dont l’objet de la haine était non la Russie, mais la République française. Cette affirmation suffisait à mon argumentation dirigée alors contre le social-patriotisme allemand, s’affublant des oripeaux révolutionnaires anti-tsaristes. Mais si Renaudel et son Grumbach avaient tenté de tirer de mes pages la thèse inverse, à savoir que la lutte franco-allemande est celle d’une république contre une monarchie, ils auraient dû passer sous silence la Russie, de même que les socialistes allemands n’ont fait aucune allusion à la France.

» Fait primordial ! cette guerre n’est pas le choc de formes politiques ou de structures de gouvernements : c’est celle des appétits impérialistes, et les différences de gouvernements ne jouent que le rôle d’armes plus ou moins bien adaptées. C’est le sens donné à toute ma brochure.

» Voici la seconde citation, dont Grumbach a fait usage :

“ Comme la résistance française sera d’autant plus acharnée qu’elle défend son territoire contre l’agresseur allemand, ce dernier sera cloué sur sa frontière occidentale. Les socialistes allemands regardent l’offensive de leurs armées en Belgique et en France comme des actions secondaires à côté du problème majeur : « abattre le Tsarisme ». ”

» Mais avez-vous réfléchi à ceci ? Que la France ne pourra pas s’opposer à l’avance allemande ! Plus ceux-ci s’approcheront de Paris, plus il sera manifeste que “ abattre le Tsarisme ” n’est plus le but de la guerre, pas plus que son résultat. Grumbach n’explique pas en quel sens mes affirmations de l’automne 1914, et vérifiées par le cours des événements, puissent servir de base à la tactique de Renaudel. On peut arriver à penser, en lisant Grumbach, que les internationalistes ignorent la géographie et la topographie ainsi que l’occupation de la Belgique et du Nord de la France. Je suis, paraît-il, très mécontent de la tactique Renaudel-Sembat parce que, lors de mon dernier séjour, j’étais très “ monté ” contre le Parti socialiste français, ce qui m’empêchait de me rendre compte des différences fondamentales entre nous. La question serait très simple s’il suffisait de constater que les Allemands se trouvent à Noyon pour justifier l’entrée des socialistes dans le ministère et le vote des crédits.

» M’adressant aux socialistes allemands, qui affirmaient que leur gouvernement menait une guerre défensive et soumettaient l’analyse des contradictions au critère de la guerre offensive et défensive, j’écrivais ce qui suit :

“ Tous les critères témoignent unanimement que les actions guerrières entreprises par l’Allemagne ne cadrent pas avec celles d’une guerre défensive et que, de plus, elles n’ont aucune signification pour la Social-démocratie

» Je démontrais que, même si la question se limitait à la sauvegarde de l’intégrité du territoire national, nous n’avions pas le droit, en tant que Parti du prolétariat, de lier notre sort à l’action du militarisme national.

“ Réduisant l’Internationale en petits morceaux, la Social- démocratie détruit la seule force capable de s’opposer aux baïonnettes par un programme d’indépendance nationale et de démocratie, capable aussi de faire se réaliser ce programme sur une plus ou moins grande échelle indépendamment de : quelle baïonnette remportera la victoire !

» Notre tactique, formulée catégoriquement à Kienthal, ne doit en aucun cas dépendre de la situation stratégique et militaire. Il est évident que la situation militaire exerce une très forte influence sur les masses et qu’elle peut, de concert avec d’autres facteurs, affaiblir ou renforcer la propagande internationale. Mais aucune situation ne justifie la capitulation du Socialisme. Au contraire, si dans le territoire occupé par l’ennemi, les masses deviennent, de ce fait, plus attachées à l’idéologie nationaliste, la minorité socialiste doit faire front unanimement et opposer une digue ferme au torrent du chauvinisme. Voici pourquoi je n’ai pas trouvé de justification à l’attitude du Parti socialiste français, déjà prise avant que soit déterminée la situation stratégique. Dans la préface de ma brochure, j'écrivais :

“ Le naufrage de l’Internationale est un fait, fermer les yeux relève de l’aveuglement ou de la lâcheté. La position du Parti socialiste français et d’une grande partie du socialisme anglais est pour une grande part responsable de cet état de fait, ainsi que la conduite des sociaux-démocrates allemands et autrichiens. ”

» Je n’avais nul besoin d’aller à Paris et de me “ monter ” contre les socialistes français, comme l’insinue Grumbach, pour me rendre compte que la politique suivie par Renaudel et Sembat était mortellement hostile aux intérêts du Prolétariat.

» Ce qui pouvait réellement à Paris me “ pousser à la colère ”, et je n’étais pas le seul, c’était l’information transmise par Noteaux à Renaudel. Se tenant, au début, à des méthodes prudentes, Grumbach se voit obligé, quand il parle du durcissement de la lutte au sein du Parti, de recourir à des arguments de plus en plus grossiers. Ses articles sur la Conférence de Kienthal étaient dignes d’une presse réactionnaire. Mais sa “ sortie ” contre notre ami serbe Katzlérovitch, qu’il traite d’espion autrichien, est encore plus vile. Justement les socialistes serbes donnent l’exemple de la plus haute fidélité aux principes de l’Internationale – dans un pays où la position stratégique ne laisse aucun doute. C’est le motif pour lequel Noteaux calomnie Katzlérovitch, remplissant ainsi la mission confiée par ses maîtres actuels. Horreur ! Le Serbe avait reçu du consulat austro-hongrois un laissez-passer pour regagner son infortuné pays ! »

  1. A cette affirmation, suivant laquelle ma brochure aurait fourni des arguments au social-patriotisme français, il n’est pas mauvais d’opposer deux faits : 1° la publication d’extraits de cette brochure dans le journal disparu, Goloss, donna l’occasion à Voronov de classer l’auteur parmi les… pangermanistes; 2° les exemplaires diffusés en Allemagne furent l’objet de saisies et l’auteur condamné, par contumace, à une peine d’emprisonnement.