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Special pages :
Sklianski est mort
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 28 août 1925 |
La vie est inépuisable en malices méchantes. Une dépêche nous apprend la mort de Sklianski. Il s'est noyé sur un petit lac des environs de New York, au cours d'une promenade en canot.
Je rencontrais pour la première fois Sklianski à l'une des conférences militaires du front, pendant l'automne 1917. Ce tout jeune médecin militaire était à cette conférence l'un des rares bolcheviks, sinon le seul. Il écoutait davantage qu'il ne parlait. Il apprenait. Il savait dès alors traduire les pensées et les discours en tâches pratiques. Cette capacité devait plus tard se développer chez lui, donnant naissance à un puissant talent organisateur qu'il révéla à l'armée et dans la production. Très jeune, il eut à remplir les fonctions impliquant le plus de responsabilité. Il fut à la tête de l'administration de l'armée rouge — et dans quelles années ! — tandis que celle-ci se formait dans le feu et la fumée de batailles incessantes.
Dans toute œuvre humaine, les petits aspect se mêlent aux grands. On disait Sklianski ambitieux et autoritaire. Je ne m'en suis pas aperçu. Ce que j'ai le mieux observé chez lui, dans notre collaboration quotidienne, c'est son inlassable amour du travail. Il demeurait du matin au soir et à la nuit avancée dans son cabinet de travail. On pouvait, pendant la guerre civile, lui téléphoner à toute heure de la nuit ; il était toujours à son poste, les paupières rougies, mais l'esprit clair et calme.
C'était, malgré sa jeunesse, un homme d'une humeur étonnamment égale, et absolument convaincu de notre victoire finale. La perte de villes, de provinces, de pays entiers ne le démontait pas, l'obligeant seulement à recommencer ses calculs laborieux de forces et de ressources nécessaires à la reprise de ce que perdait la révolution. «Admirable travailleur !» en disait Vladimir Illitch Note du ton dont il parlait de nos bâtisseurs les plus dévoués, les plus fermes et les plus opiniâtres.
Directeur du trust des draperies de Moscou (Moussoukno), il avait accompli, avant de partir pour l'étranger, un labeur colossal. Préparant la création de nouvelles fabriques, il s'était trouvé dans la nécessité d'aller voir sur place, à l'étranger, l'organisation de sa branche de production. Son grand voyage en Europe et en Amérique lui était une joie. Il avait soif de voir, d'entendre, d'assimiler, de transmettre. Il se montrait dans l'industrie textile le même organisateur talentueux, le même homme d'une énergie concentrée et inlassable qu'à la guerre civile. Il ne faisait, semble-t-il, que commencer son œuvre. Une excursion de trois mois à l'étranger allait ouvrir dans son activité un nouveau chapitre. Survivant des périls de la guerre civile, il a péri, sur un petit lac des Etats-Unis. Nous perdons une vaste expérience de constructeur unie à une jeune puissance créatrice. Le coup est dur pour le parti et pour l'Etat ouvrier. Le coup est plus dur encore pour les amis du défunt.
L. D. Trotski
(Pravda nº 196 du 28 août 1925)
Note de la rédaction de Correspondance Internationale :
Efraïl Markovitch Sklianski naquit en 1892, à Vinniza, Ukraine. Enfance à Jitomir, études à Kiev. Adhésion au parti bolchevik en 1913 (organisation illégale de Kiev). En 1917, élu par la 2e conférence des soldats, président du Comité de la 5e Armée. Membre du IIe Congrès des Soviets et participant de la révolution d'Octobre à Pétrograd. Membre du Conseil du Commissariat de la Guerre, directeur du ravitaillement de l'Armée Rouge, à la tête du Commissariat de la Guerre pendant les offensives tchécoslovaques. En septembre 1918, nommé suppléant à la présidence du Conseil Supérieur Révolutionnaire de l'Armée dont Trotsky est le président. En 1924, chargé de la direction du trust de l'industrie nationalisée des Draperies de Moscou.
Complément publié dans la «Correspondance Internationale»
Sania Kourghuine
Sania Kourghuine a péri avec Sklianski. Vieux militant ouvrier juif, vétéran de 1905, passionné pour la cause de l'émancipation des travailleurs juifs, il n'était venu au communisme qu'en 1918, avec le Bund, pour participer activement aux luttes révolutionnaires de l'Ukraine. Il s'était fait remarquer ensuite en dirigeant l'édilité de Kiev.
Kourghuine disparaît à 38 ans, en pleine vigueur, avant d'avoir donné la pleine mesure de ses forces.
La rédaction de Correspondance Internationale