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Rapport sur la situation internationale à la XVe Conférence du PCUS
Auteur·e(s) | Nikolaï Boukharine |
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Écriture | 26 octobre 1926 |
Publié dans La Correspondance Internationale, 3 novembre 1926, n°117, pp. 1308-1321, rubrique : « Dans l'Internationale ».
La XVe Conférence du P. C de l’Union soviétiste
(Première journée 26 octobre)
Le 26 octobre s’est ouvert dans la salle des Congrès du Palais du Kremlin, la XVe Conférence du Parti Communiste de l’Union Soviétiste. Sont présents 817 délégués, dont 194 avec voix délibérative et 623 avec voix consultative. Parmi ces derniers, se trouvent 36 délégués des sections de l’I. C. Après que les délégués eurent honoré la mémoire de Dzerjinski, le Bureau, composé de 37 camarades, dont Staline, Rykov, Boukharine, Molotov, Tomski, Kalinine, Vorochilov et Kouibychev, est élu à l’unanimité.
Ensuite, Boukharine, salué par une ovation enthousiaste, rapporte sur la situation internationale.
Les questions de la politique internationale[modifier le wikicode]
(Sténogramme du rapport de BOUKHARINE à la XVe Conférence du P C. de l’URSS)
Partie I. Les questions de la stabilisation capitaliste[modifier le wikicode]
Je commence par la question de la stabilisation. Nous en avons tous par dessus les oreilles de cette question, mais je crois que, assez longtemps encore, elle reviendra fatalement à l’ordre du jour lorsque nous examinerons les problèmes courants de la politique internationale. Il nous faut aussi développer cette question à cette conférence parce qu’à l’intérieur de notre parti, les points de vue sur cette question se sont partagé de telle façon, il est vrai, que d’un côté se trouve une majorité prépondérante et de l’autre côté une insignifiante minorité. Néanmoins il y a sur cette question des divergences d’opinions dans notre parti. Vous vous rappelez qu’à la session du plénum du C. C., en juillet dernier, une polémique s’est élevée sur cette question entre les représentants de la majorité du C.C, et les camarades de l’opposition. Il nous a fallu montrer que dans les discours des représentants de l’opposition, on ne pouvait pas constater de ligne claire sur cette question. Entre autres, l’opposition prétend que la stabilisation est devenue discontinue et, en fin de compte, qu’elle a disparu complètement. Le cours du développement historique a désagrégé et englouti la stabilisation. Or, les camarades de l’opposition ayant ouvertement et résolument déclaré qu’ils ne veulent pas abandonner leurs points de vue, il y a donc divergence d’opinions et c’est aussi pour cela que je développe la question.
Les caractéristiques générales et internationales de la stabilisation[modifier le wikicode]
Je pose tout d’abord la question d’une façon tout à fait générale : y a-t-il des signes quelconques en faveur de l’amélioration de la situation du capitalisme international ? Je souligne que je pose cette question sous une forme aussi générale que possible.
Je prends d’abord les chiffres qui se rapportent à l’ensemble de la production mondiale en partant de 1922 environ. Si nous prenons les branches de production les plus importantes et les plus caractéristiques pour le capitalisme, la production mondiale, comparée, en pourcentage, à la production de 1913, s’élevait aux chiffres suivants :
Pour la fonte : 1922, 73,6 % ; 1923, 89,8 % ; 1924, 87,2 % ; 1925 95,7 % ; pour le premier semestre 1926, le chiffre correspondant s’élève à environ 98 %. Ce dernier chiffre repose sur des données approximatives et ne tient pas compte des modifications qu’entraîne la grève anglaise.
La production de l’acier a atteint pendant la même période en 1922, 90,5 % ; en 1923, 105,5 % ; en 1924, 105,0 % ; en 1925, 115,4 %, et en 1926, 118 %. Ainsi, nous constatons ici une élévation presque rectiligne d’année en année aussi bien dans la production de la fonte que dans celle de l’acier.
La production de charbon montre les chiffres suivants :
1922, 86,8% ; 1923, 98% ; en 1924 on constate un certain recul : 96,9%, puis une nouvelle élévation : 1925, 97,6%. C’est à peu près le même tableau que pour la production de la fonte et de l’acier.
Les surfaces cultivées montrent un accroissement général, mais je ne veux pas m’occuper spécialement de cette question, car elle est assez connue. Si nous prenons les chiffres de la production (et les chiffres de la production sont, comme on le sait, la base de tous les autres), nous pouvons dire que le niveau de la production mondiale qui était tombé pendant la guerre, s’approche, au commencement de 1926, du niveau d’avant-guerre. Dans certaines branches de l’industrie, le tableau peut être un peu différent, mais, en général, nous pouvons dire que le capitalisme arrive au terme de sa période de reconstruction en même temps que la dynamique des rapports de production montre, dans les dernières années, une élévation de la production des produits fondamentaux qui caractérisent l’ordre capitaliste.
Je prends une autre caractéristique, celle du point de vue de la restauration des rapports internationaux, de la restauration des divers rapports entre les différentes parties de l’économie mondiale et qui avaient été bouleversés par la guerre. Un des phénomènes les plus clairs et les plus essentiels de la crise provoquée par la guerre mondiale et du fort recul du capitalisme pendant la guerre consistait dans la décadence de l’économie mondiale. Or, nous voyons maintenant que les chiffres de la circulation commerciale mondiale sont en croissance dans ces dernières années. On ne peut le nier, voici les chiffres se rapportant à 32 pays pour ces dernières années :
En 1923-1924 (en chiffres ronds) la circulation du commerce extérieur de ces pays s’est élevée à 29 milliards de dollars ; en 1924-25, à 32,5 milliards de dollars ; en 1925-26, à 32,9 milliards de dollars ; en 1925-26, le rythme de l’accroissement s’est bien ralenti mais il y a toujours croissance. Le chiffre correspondant de l’année 1913 s’élevait à 35,4 milliards de dollars, la circulation totale du commerce extérieur n’a donc pas encore atteint le niveau d’avant-guerre, mais sa dynamique (et elle est caractéristique pour savoir s’il y a une stabilisation ou non) est telle que les chiffres de la circulation, dans les trois dernières années, ce sont approchés de leur norme d’avant-guerre.
J’en arrive à la 3e caractéristique, à la monnaie. Lorsque nous considérons les différentes monnaies qui, comme on le sait, ont été très désorganisées par la guerre, nous voyons également ici des phénomènes qui sont en faveur d’une certaine stabilisation capitaliste. Dans les dernières années, le niveau commun des coûts des changes, pris pour 40 pays, est en hausse considérable, et nous constatons une hausse aussi bien de la courbe européenne que de la courbe mondiale. Ces deux courbes montent à peu près parallèlement. Pour l’Europe les facteurs déterminants ont été des phénomènes comme la stabilisation du mark allemand et l’élévation du cours de la monnaie anglaise.
Si nous comparons les rapports de pourcentages à la parité, nous voyons que les chiffres correspondants pour la livre sterling se sont élevés, en 1923-1924, à 89,9 % ; en 1924-1925, à 98 %, et, en 1925-1926, à 99,8 %. Les deux pays les plus importants qui ont stabilisé leur monnaie — l’Allemagne et l’Angleterre — ont fait monter ainsi toute la courbe européenne. Des tendances contraires se sont manifestées surtout dans les monnaies des pays romans qui montrent ou bien une courbe descendante, ou une courbe présentant des oscillations extrêmement fébriles, les modifications en sont saccadées et elles font descendre la courbe générale. Les chiffres anglais et allemands l’emportent néanmoins ; c’est pourquoi la courbe générale de la monnaie se trouve, en définitive, ascendante.
Nous voyons donc : 1° une croissance de la production mondiale ; 2° une croissance du commerce extérieur et 3° les rapports des monnaies. Tout cela montre une courbe moyenne ascendante.
Mais j’ai développé la question d’une façon tout à fait générale. Comme vous le verrez plus tard, on ne saurait se contenter de poser ainsi la question, car la diversité des situations, la diversité des types de développement, la différence entre les courbes, entre les index dans les pays sont si grandes que l’on ne peut pas se contenter du calcul de la moyenne statistique. Un tel calcul ne fait que donner une première indication simplement approximative de la situation et il caractérise ainsi d’une façon insuffisante le développement.
La discontinuité et l’irrégularité de la stabilisation[modifier le wikicode]
A ces faits positifs du point de vue capitaliste, s’opposent une série de faits négatifs qui soulignent l’autre côté de la question. Si la première série de faits dont j’ai parlé montre l’existence de la stabilisation, la deuxième série dont je vais parler montre toute la relativité de cette stabilisation. Cela vient avant tout du caractère tout à fait particulier des oscillations de la conjoncture, de la succession de crises et de périodes de dépression, d’une part, et de périodes d’essor industriel, d’autre part. Le rythme et les cycles de développement d’avant-guerre, qui étaient caractéristiques pour ces époques du capitalisme que l’on traitait de normales, montrent que la périodicité en quelque sorte régulière des crises industrielles et qui, avant la guerre, caractérisait les cycles mêmes, a fait place à un phénomène tout à fait différent. Naturellement, il existe encore une certaine normalité. Mais elle est mille fois plus complexe et elle montre en même temps le caractère anormal du développement capitaliste dans la période présente. Le processus de reconstruction de la production capitaliste procède par bonds extrêmement irréguliers et d’une façon tout à fait maladive. Une période succède à l’autre de façon tout à fait différente et à une allure tout à fait autre qu’avant la guerre.
Or, si nous considérons la production mondiale de ce point de vue, nous voyons, en 1919, un recul ; en 1920, un essor ; en 1921, une forte crise ; en 1922-1923, un certain essor en même temps qu’une crise extrêmement forte en Allemagne à la suite du conflit de la Ruhr. L’année 1924 amène à nouveau un certain recul de la production et, en 1925, une certaine élévation qui se termine par une crise en Allemagne ainsi que par une dépression en Angleterre. La première moitié de 1926 s’écoule sous le signe de la crise allemande et du conflit charbonnier anglais. Le premier signe de la relativité de la stabilisation, symptôme de l’état anormal et pathologique de l’économie capitaliste, est indiqué par les oscillations fébriles de cette courbe qui n’a absolument rien de commun avec la courbe du développement de l’économie capitaliste d’avant-guerre.
Le deuxième fait que je voudrais faire remarquer, c’est la profonde irrégularité de l’ensemble du développement dans les différents pays.
Si cette irrégularité existait déjà dans la période normale du développement capitaliste, c’est maintenant qu’elle prend un caractère particulièrement accentué, c’est maintenant qu’elle prend une ampleur inconnue avant la guerre. Les chiffres de la production du charbon, du fer et de l’acier que j’ai cités se rapportent à la production mondiale. Mais si nous laissons de côté la question générale et si nous considérons les chiffres correspondants d’après les différents pays ou les différents groupes de pays, nous avons un tableau extrêmement intéressant. C’est ainsi que la production mondiale du charbon a déjà presque atteint, au commencement de 1926, le niveau d’avant-guerre, elle s’élève à 96,7 % de la production de 1913. Mais si nous considérons seulement l’Europe, la production est presque de 10% inférieure à celle d’avant guerre et, en revanche, la production des Etats-Unis a dépassé le niveau d’avant-guerre (102,5 %). Pour l’Angleterre, qui montre la tendance la plus forte à la décadence dans le cadre de l’économie européenne, le chiffre correspondant est de 84,2 %. C’est d’une façon à peu près semblable que se comporte la production du fer, de l’acier, etc...
Que voyons-nous ? Nous voyons que pour une production mondiale moyenne se rapprochant du niveau d’avant-guerre, il existe une grande différence, des rapports très différents entre l’économie européenne et l’économie américaine. Si nous considérons seulement l’Europe# nous voyons qu’au sein de l’Europe il y a des différences de développement entre l’Angleterre et l’Europe centrale.
Cette irrégularité du développement est également un trait tout à fait caractéristique de la situation présente. Il nous faut examiner cela soigneusement. Il nous faut dégager une certaine base objective, une certaine ligne qui nous permette de régler les problèmes tactiques et de déterminer notre politique. Notre analyse ne doit absolument pas se borner à poser de façon générale la question de la stabilisation capitaliste. Le temps est maintenant passé où nous pouvions nous borner à la formule qui consistait à dire qu’il y a une stabilisation, mais que c’est une stabilisation partielle, relative, etc. Nous ne pouvons plus aujourd’hui utiliser cette formule pour déterminer notre tactique, car elle ne représente gue le premier pas qui nous permet de poser la question d’une façon différenciée afin d’analyser la situation dans les différents pays. Si nous posons maintenant la question de la stabilisation de façon plus concrète, plus différenciée nous constatons plusieurs types de situation économique dans les différents pays.
Les « types de stabilisation » dans les différents pays[modifier le wikicode]
Lorsque nous considérons les Etats-Unis d’Europe [pour d’Amérique !], c’est-à-dire le pays où la courbe du développement capitaliste monte, en général, de la façon la plus rapide et où — soit dit en passant — la consommation en énergie électrique a monté, de 1914 à 1920, de 3,3 milliards à 13,3 milliards de chevaux-vapeur par an, ils représentent un type de développement sans aucune analogie dans les pays européens.
L’Angleterre appartient à une autre catégorie de pays, aux pays qui montrent la décadence la plus grande (et se développant de façon assez régulière). Cette décadence s’exprime dans les rapports de classes extrêmement tendus, dans le regroupement vraiment extraordinaire des forces sociales et dans de gigantesques conflits sociaux et des batailles sociales de classe comme on en n’avait encore jamais vu dans ce pays.
Mais lorsque nous considérons de ce point de vue les différents points de la carte et que nous prenons, par exemple, de gigantesques pays coloniaux ou semi-coloniaux comme la Chine et l’Indonésie, nous ne voyons pas seulement un manque de stabilisation, mais une véritable guerre civile déclarée. Nous voyons là un processus révolutionnaire d’une importance historique mondiale que l’on ne saurait sous-estimer.
Et puis, si nous prenons notre Union Soviétiste qui est devenue un pays où règne la dictature prolétarienne, elle n’a pas cessé pour cela d’exister ni matériellement, ni économiquement, ni politiquement. Nous y constatons une stabilisation toujours plus ferme du socialisme qui avance et se développe. Sans doute, la stabilisation du socialisme n’est pas caractéristique pour tous les domaines économiques du pays, mais le poids spécifique des éléments socialistes s’accroît de plus en plus dans l’ensemble de l’économie du pays et le rôle dirigeant de ces éléments socialistes se renforce toujours davantage — en dépit de toutes les assertions pessimistes et de toutes les prophéties sceptiques.
A l’intérieur du continent européen, nous voyons également différents types de rapports et différentes situations de « bonne santé capitaliste ». En France et en Allemagne, la courbe de la stabilisation capitaliste est en hausse indiscutable. C’est en France que ce mouvement ascensionnel a commencé le premier, c’est maintenant en Allemagne qu’il se trace son chemin à travers la crise la plus aiguë et au milieu d’autres difficultés. Je crois ce fait indiscutable. J :y reviendrai encore plus tard, car ce problème de la France et de l’Allemagne est le problème central auquel se lient d’autres problèmes de la politique internationale et parmi eux aussi les problèmes des difficultés inouïes qui se dressent sur la route de la stabilisation capitaliste. Nous avons jusqu’ici cité cinq groupes de pays. Dans le 6e groupe de pays on voit réunies les nuances les plus diverses. On peut y compter des pays comme la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Pologne qui se trouvent à peu près au même niveau mais où quelques-uns d’entre eux montrent une tendance nette à un « développement régressif ». Ils montrent la tendance de leur économie nationale à devenir agraire, c’est-à-dire la tendance à une diminution du poids spécifique de l’industrie par rapport à la production agricole.
« L’agrarisation », la consomption, la désagrégation, telle est à peu près la caractéristique générale de cet ensemble de pays quoique qu’il y ait ici différents types dans les oscillations des conjonctures. C’est ainsi, par exemple, que la grève des mineurs anglais a amené une hausse passagère de la production du charbon en Pologne alors que l’essor de l’exportation allemande a eu pour résultat l’aggravation de la dépression en Tchécoslovaquie. En somme, nous voyons un tableau particulier de différents types de pays européens qui ne sont pas semblables, que l’on ne peut pas mettre dans un même panier, car certains pays, comme l’Allemagne, la France ou l’Angleterre, montrent certaines particularités qui ont naturellement leur répercussion sur les rapports entre les forces sociales. C’est pourquoi il est clair que pour la détermination de notre tactique, il nous faut compter avec les particularités spécifiques de tel ou tel pays.
Je souligne encore une fois l’idée que nous n’avons en aucun cas le droit de nous borner à la caractéristique générale de la situation du capitalisme international, mais qu’il nous faut absolument poser la question de façon différenciée au moins d’après les divers groupes de pays, sinon nos conclusions ne reposeraient sur une aucune base vraiment ferme.
Les traits caractéristiques de la crise capitaliste présente[modifier le wikicode]
Permettez-moi maintenant, camarades, de m’occuper de quelques questions qui s’imposent malgré nous au cours de l’analyse de la situation actuelle du capitalisme. Il est clair que nous avons affaire ici à une crise spéciale. Et je crois qu’on peut ici facilement tomber dans l’erreur commise par beaucoup de camarades. Ils prétendent qu’il existe maintenant dans un certain nombre de pays, et surtout dans un nombre décisif de pays, une crise ordinaire de surproduction, c’est-à-dire une situation telle que l’appareil de production est plus large que son utilisation, une crise où l’offre des marchandises est plus grande que la force réelle d’achat. On peut en tirer facilement la déduction que le capitalisme s’est élevé au degré de développement d’une crise normale de surproduction capitaliste, que, par suite, le capitalisme a déjà atteint sa norme générale et qu’il se meut d’après ses lois habituelles.
Pour ma part, je ne suis pas d’accord avec une telle façon de présenter la question et je crois judicieux de dire quelques mots, sur ce thème.
Je crois que l’on peut distinguer au moins trois types de crises de production capitaliste : a) Des crises capitalistes normales qui étaient caractéristiques pour la période d’avant guerre ; b) Des crises de sous-production, des crises de famine, qui ont été caractéristiques pour un grand nombre de pays, et en premier lieu pour des pays européens, pendant la guerre et aussi en partie après la guerre ; c) Les crises actuelles de surproduction qui, à mon avis, sont des crises tout à fait spéciales et qu’il faut distinguer des crises précédentes ;
Déjà pendant la guerre et aussi après la guerre on a lancé, comme vous le savez, une théorie étrange dont les savants bourgeois faisaient l’apologie mais qui, chez les communistes allemands, s’appuyait sur la théorie inexacte de Rosa Luxembourg. Cette théorie prétendait qu’il s’est produit pendant la guerre une accumulation énorme de capital et une croissante énorme de l’appareil de production. Du point de vue de cette théorie, la crise actuelle de la production capitaliste s’explique très simplement. Pendant la guerre, le capital et l’appareil de production des pays qui l’ont faite se sont accrus très fortement. Puis, la guerre s’est terminée. Cet appareil de production est resté sans rien faire, d’où surproduction de cet appareil de production. La crise vient de là, ainsi elle est la conséquence de ce qu’on peut appeler la prospérité de la guerre.
Je ne suis pas d’accord avec cette théorie, je crois qu’elle est fausse et qu’elle ne répond pas du tout à la réalité. Je crois qu’il est tout à fait faux, qu’il est même absurde de se représenter les choses comme s’il y avait eu pendant la guerre une grande accumulation quelconque de capital. C’est absurde, car il résulterait de cette théorie qu’il y a d’autant plus de capital accumulé dans un pays qu’il a fait plus de guerres. L’effet destructeur de la guerre en serait non seulement absolument contredit mais, au contraire, on fournirait ainsi une « preuve » de la grande utilité économique des guerres.
De quoi s’agit-il ? Avant tout, on confond l’accroissement de l’ensemble du capital du pays avec l’accroissement du capital dans diverses branches économiques Si, à la suite de la guerre, tout le capital d’un pays peut être réduit et même a été réellement réduit, c’est parce que la consommation improductive, la consommation pour la destruction, etc. s’est accrue de façon énorme, en même temps qu’il s’est produit un processus gigantesque de nouvelle répartition du capital par l’expropriation des couches des petits et moyens capitalistes. Sur certaines sections du front économique, et en premier lieu dans l’industrie lourde, il peut aussi y avoir développement de l’appareil de production ainsi qu’accroissement de l’accumulation du capital.
Ce n’est que si l’on voit seulement ce côté et si l’on n’examine l’appareil de production que sur cette section du front économique, c’est-à-dire si l’on confond la totalité de l’appareil de production d’un pays, y compris aussi la petite et moyenne production, avec l’appareil de production de certaines branches économiques - exception faite de l’industrie lourde — que l’on peut arriver à cette théorie étrange que je viens de décrire.
A mon avis, la chose se passe, en réalité, de la manière suivante : Le capital de base, surtout dans les pays qui ont été le plus sous l’influence négative de la guerre, a subi une réduction et même une très forte réduction, bien qu’il ait pu s’accroître un peu dans certains domaines de l’appareil de production. En même temps, la consommation intérieure a régressé de façon effroyable parce que la force d’achat des masses a baissé par suite de leur paupérisation. Il n’y a rien d’extraordinaire, par conséquent, qu’il se soit produit, même au cours de la réduction de tout l’appareil de production du pays et par suite de la chute encore plus forte de la force d’achat des masses, une disproportion entre l’appareil de production réduit et la force d’achat. Dans un très grand nombre de pays, la situation est telle, à mon avis, que, bien que l’appareil de production ce soit réduit, la force d’achat des masses paupérisées a diminué encore plus rapidement, amenant ainsi une surproduction de l’appareil de production. Je vais formuler cela d’une façon encore plus accentuée, bien que cette chose paraisse un peu paradoxale, parce qu’elle est de sérieuse importance pour des questions très actuelles. En réalité, il peut se produire des différences, une disproportion entre la production et la consommation, entre l’appareil de production et la force d’achat effective des masses dans les circonstances les plus diverses : l’appareil de production peut croître très rapidement alors que la force d’achat des masses ne s’accroît pas suivant le même rythme, — il en résulte alors une surproduction de l’appareil de production. L’appareil de production peut s’accroître, mais la force d’achat des masses reste au même niveau — et il en résulte une surproduction de l’appareil de production. Enfin, l’appareil de production ainsi que la force d’achat des masses peuvent diminuer — et il peut en résulter cependant une surproduction de l’appareil de production parce que le rythme de la réduction de ce dernier est plus lent que celui de la chute de la force d’achat.
Il est tout à fait clair que ces différents processus ont une importance économique tout à fait différente. La situation réelle en Europe, à mon avis, consiste dans le fait que l’appareil de production ne s’est pas accru aussi démesurément qu’on l’a raconté, mais qu’en revanche la force d’achat des masses est tombée de façon effroyable. De là, résulte la disproportion entre la production et la consommation, la divergence entre l’appareil de production et la demande réelle, c’est-à-dire la force d’achat des masses. La caractéristique spécifique des crises de production actuelles qui se distinguent des crises d’avant-guerre, c’est que dans celles-ci la production se développait rapidement, mais la consommation, tout en faisant également des progrès, restait en arrière du développement de la production.
Or, maintenant, cette surproduction de l’appareil de production a lieu en sens inverse et elle repose surtout sur la paupérisation des larges masses. On peut prouver par un grand nombre de données statistiques l’existence d’une surproduction de l’appareil de production, et même, cela dit sans exagération, de sa surproduction assez considérable.
La revue américaine bien connue Iron Age est d’avis que dans la production mondiale les usines ont été concentrées dans une proportion de 59,8 % pour la fonte et de 65,4 % pour l’acier. D’après les données du Reichsarbeitblatt, il y avait en Allemagne, au milieu de 1926, 12 % des usines qui étaient bien occupées, 25 % qui l’étaient de façon satisfaisante et 62 % qui l’étaient faiblement.
Les données sur l’industrie des Etats-Unis montrent que leurs usines n’étaient occupées que pour 78 % de leur capacité de rendement. Tout ceci prouve que la capacité de production de l’appareil de production actuel du capitalisme est considérablement plus grande que la demande effective, c’est-à-dire qu’il existe une surproduction de l’appareil de production. Il en résulte que le problème du marché est devenu maintenant le problème central du monde capitaliste. Si chez nous, dans l’Union Soviétiste, la demande du marché dépasse l’offre et les possibilités de production de la période actuelle, ce qui caractérise le monde capitaliste c’est l’étroitesse extraordinaire du marché en Europe surtout, par suite de la paupérisation de ses masses qui affecte d’ailleurs aussi l’Amérique. Si la situation est telle que le problème du marché représente maintenant un des problèmes centraux de toute la politique économique de la bourgeoisie, il est tout à fait naturel de voir apparaître cette forte tendance à la diminution du prix de revient, à la rationalisation, à l’élargissement des marchés par la diminution du prix de revient de la production et par la réduction de la production dans certaines branches économiques.
Le processus de la rationalisation capitaliste[modifier le wikicode]
Ce processus a des formes diverses et il revêt des traits de caractères différents et très intéressants qu’il nous faut également discriminer clairement afin de pouvoir orienter exactement nos partis ouvriers. Les formes principales de ce processus sont : 1° une pression directe sur la classe ouvrière ; 2° une organisation du travail telle qu’elle assure en même temps une productivité plus grande et une plus grande intensité du travail, et finalement, diverses améliorations techniques. Il faut y joindre aussi le fait que nous vivons à une époque de trustification extrêmement intensive de la production, de fermeture des entreprises non rentables, de l’union de différentes entreprises non seulement sous la forme commerciale, c’està-dire de façon que les marchés soient répartis entre elles (cartels ou syndicats), mais aussi d’une fusion directe, aussi bien verticale qu’horizontale, de différentes branches de production. Je dois vous dire, camarades, qu’il m’est extrêmement difficile de vous tracer un tableau complet permettant de décrire dans sa totalité ce processus, parce que je serais obligé d’imposer à ceux qui assistent à cette conférence une grande quantité de données de différentes natures. Permettez-moi cependant de citer ici quelques exemples. Je vais les prendre principalement dans le domaine de l’industrie et dans vie économique allemandes, car c’est là que ce processus de rationalisation, en liaison avec le paupérisme des masses dans ce pays, se produit de la façon la plus accentuée, on pourrait dire de façon classique.
Dans la littérature de l’Union Soviétiste — et dans la littérature communiste aussi — on croit très souvent que cette rationalisation se borne exclusivement à l’organisation du travail et que les modifications techniques n’y jouent aucun rôle. Je crois que cette opinion est fausse, quand bien même elle partirait des meilleures intentions. S’il en était ainsi, cela aggraverait beaucoup la situation du monde capitaliste par rapport à nous. Mais, malheureusement, il n’en est pas encore ainsi dans la réalité. Les différentes étapes de ce processus de rationalisation se succèdent de façon tout à fait naturelle. Qu’est-ce que la bourgeoisie dut faire tout d’abord ? Il lui fallut d’abord opprimer la classe ouvrière. Cette oppression de la classe ouvrière, en particulier de la classe ouvrière allemande, a été le point de départ social de classe de la rationalisation. Puis la rationalisation, comme cela arrive souvent, a pris le chemin de la moindre résistance. Qu’est-ce qu’il a dû ensuite être fait du point de vue de la bourgeoisie, du point de vue de la politique bourgeoise ? Il a fallu exercer, sous une forme grossière et directe, une pression économique sur la classe ouvrière. C’est ce que la bourgeoisie a fait. Elle a manœuvré sur la ligne d’organisation du travail et a obtenu un appoint énorme de plus-value. Souvent c’est la phase du renouvellement de l’équipement technique qui vient en dernier lieu, car elle représente la forme la plus compliquée de la rationalisation qui exige un nombre considérable d’autres conditions préalables. Bien entendu, il ne faut pas interpréter de façon absolue cette succession de processus. On ne doit pas s’imaginer que telle phase est séparée d’une autre par une muraille de Chine, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Telle phase s’enchevêtre avec une autre, mais le centre de gravité passe de l’une à l’autre. Si nous examinons la situation allemande et avant tout celle de quelques branches décisives de la production nous voyons qu’il se produit un développement dans diverses directions et que la bourgeoisie allemande a remporté — également là pour notre malheur — quelques succès.
Je crois qu’il serait tout à fait faux de nier ces succès et de dire que la bourgeoisie n’a rien pu mettre debout. Elle a réussi, malheureusement, à faire quelque chose.
Si nous prenons comme exemple l’industrie du charbon, nous voyons un progrès considérable dans la concentration. Les puits non associés ne représentent pour toute l’Allemagne que 2 à 3 % de toute la production en charbon. En ce qui concerne les « Kombinate », c’est-à-dire les unions de diverses branches de production, nous voyons que le cartel du fer représente les 2/3 de l’extraction totale en charbon et que l’union des industries électrique et chimique représente les 2/3 de la totalité de la production en lignite. Considérée du point de vue de la transformation technique, la production du charbon a réalisé un grand nombre de choses : rationalisation de la force vapeur, utilisation des sous-produits pour la fabrication d’énergie électrique et pour d’autres buts, mécanisation croissante des entreprises auxiliaires, mécanisation du transport, progrès dans la mécanisation de l’extraction du charbon elle-même, etc.. Presque la moitié de toute l’extraction du charbon dans la Ruhr est produite actuellement par des moyens mécaniques. La productivité du travail des ouvriers montre également dans la Ruhr un accroissement assez considérable. Voici des chiffres à ce sujet : si nous représentons par 100 la productivité du travail d’un ouvrier en 1913, nous voyons qu’elle tombe, en 1922, jusqu’à 63, mais qu’en juin 1926, le chiffre correspondant s’élève déjà à 116, c’est-à-dire qu’elle est de l6 % plus grande qu’avant la guerre. Continuons avec les chiffres qui caractérisent la production allemande de l’acier en prenant pour base la production journalière d’un ouvrier. Si nous représentons cette production, en août 1925, par 100, elle s’élève, en novembre 1925, à 119,5 ; en février 1926, à 119,9 ; en mai 1926, à 134,6 et en août 1926, à 143,8. Il y a depuis août 1925, une augmentation de 43,8 %.
J’ai également des données caractéristiques pour le développement d’une autre branche de production allemande : l’industrie de la potasse. Nous y constatons une rationalisation extrêmement forte basée également sur un grand nombre de mesures techniques et d’organisation, ainsi que des améliorations.
Enfin, j’attire votre attention sur les données de l’industrie chimique. Il faut que je vous dise que l’industrie chimique joue un très grand rôle dans l’économie allemande, d’une part parce que certaines régions industrielles ont été enlevées à l’Allemagne, et, d’autre part, parce qu’un grand nombre d’inventions dans le domaine de la chimie commencent à faire passer le centre de gravité de l’économie Allemande à l’industrie chimique. Je ne crois pas que Hilferding ait raison lorsque, dans un de ses derniers articles dans la revue Gesellschaft, il exprime l’opinion que l’industrie lourde a fini de jouer son rôle et que l’on peut entrevoir maintenant une époque où l’industrie chimique remplacera l’industrie lourde dans les postes de commandements, il n’y a pas de raison pour une telle affirmation et pour une appréciation aussi catégorique. Dans tous les cas, l’industrie chimique joue, dans la phase actuelle de développement de l’Allemagne, un rôle énorme et nous constatons dans ce domaine un certain nombre de grandes acquisitions.
La production d’une entreprise chimique, par exemple, s’est accrue de 200 % en même temps que le nombre d’ouvriers s’est réduit des 2/3 et que la semaine de travail est passée de 50 à 42 heures. Ces succès ont été obtenus par l’introduction de la chaîne, par l’organisation des transports, par la réduction du temps où les produits demi-ouvrés restent en entrepôt dans les différents stades de fabrication, par diverses manières de normalisation, par l’introduction du système aux pièces et aux primes, etc. ... D’une façon générale, il faut signaler dans l’industrie chimique un certain nombre de découvertes techniques qui ont entrainé une transformation essentielle du processus de production comme, par exemple, la liquéfaction du charbon, la fabrication de la benzine par hydration, la fabrication de la soie artificielle par de nouvelles méthodes, etc.…
La formation des trusts et des cartels[modifier le wikicode]
Je passe maintenant à l’autre côté de la question, à la question des unions capitalistes de différentes sortes, à la question de la croissance des trusts, syndicats, cartels, etc... Sous ce rapport, il nous faut constater incontestablement un progrès gigantesque des formes capitalistes d’organisation, progrès qui laisse considérablement dans l’ombre les grandes unions de la période immédiatement consécutive à la guerre {Stinnes, etc.) D’une part, ces dernières représentaient un type inférieur d’union ; c’étaient des unions plus ou moins commerciales. D’autre part, en ce qui concerne leur étendue et leur poids spécifique dans l’économie générale, elles ne peuvent être comparées avec les unions actuelles, comme, par exemple les « Aciéries Réunies » que la revue Wirtschaftsdienst cite comme représentant un édifice monumental et l’incarnation symbolique de la rationalisation allemande.
On peut se faire une idée du capital formidable de cette incarnation symbolique de la rationalisation allemande quand on pense que les actions de fondation de ce trust d’acier représentent 800 millions de marks. Nous avons affaire ici à un des plus grands « Koncerns » d’Europe réunissant plusieurs branches de production. Un autre exemple non moins intéressant de fusions capitalistes actuelles nous est fourni par le cartel chimique, connu sous le nom de l’industrie des colorants J. G. et qui est un des plus grands du monde. Son capital-actions s’élève à 1 milliard 100 millions de marks (900 millions de marks d’actions de fondation et 200 millions de marks d’actions privilégiées)
Je ne m’occuperai pas plus longtemps des différentes phases de ce processus de formation des trusts. Mais, je me contenterai de constater encore une fois que dans un grand nombre d’unités de production se manifeste une tendance à la fusion, à la collaboration la plus étroite. Evidemment, ce n’est qu’un élément du processus général de rationalisation.
Pour un grand nombre de raisons, et parce que les pays d’Europe souffrent le plus de la faible capacité d’absorption de leurs marchés, ainsi que de la concurrence américaine, etc... et de leurs propre désorganisation, il s’y manifeste de fortes tendances à la fondation d’unions internationales. C’est ce qui explique la fondation récente de ce que l’on appelle le cartel d’acier européen qui groupe l’Allemagne, la France, la Belgique, le Luxembourg et la région de la Sarre. C’est une des plus grandes Unions de type international, qui, selon toute vraisemblance, est destinée à jouer un rôle assez considérable. Dans ces derniers temps d’autres cartels internationaux ce sont formés (le cartel du rail, le Syndicat du Cuivre, etc.). Je signale encore que l’on prépare la création d’un trust électrique de l’Europe centrale.
Il nous faut apprécier exactement tous ces phénomènes — trustification renforcée de la production à l’intérieur des différents pays, et surtout en Allemagne et, de l’autre côté, fondation de cartels internationaux, d’accords industriels internationaux. Nous ne pouvons pas les laisser de côté. Il faut nous en occuper également parce que, en liaison avec ce phénomène, nous constatons une orientation particulière de notre adversaire principal au sein de la classe ouvrière, le parti social-démocrate. Evidemment, le parti social-démocrate reflète ici l’état d’esprit de divers idéologues bourgeois. C’est ainsi qu’un certain K. Singer, économiste bourgeois, écrit, dans le Wirtschaftsdienst, que nous allons entrer dans un domaine inexploré de nouveaux rapports capitalistes.
Le mouvement paneuropéen et le manifeste des banquiers[modifier le wikicode]
S’il existe parmi les milieux d’affaires bourgeois des différentes branches de production une tendance à la rationalisation, particulièrement sous la forme de la constitution de cartels internationaux, cette tendance est devenue, dans certains milieux d’intellectuels, une idéologie complète, pour laquelle il n’existe pas encore une base économique correspondante. Je fais allusion au mouvement dit « paneuropéen » gui possède une idéologie toute spéciale et part de ce point de vue qu’il faut organiser l’Europe, sous peine de la voir submergée par la vague américaine. D’autre part, il est nécessaire d’organiser l’Europe pour avoir un appui contre la Russie bolchévique.
Je n’ai pas l’intention de m’occuper longuement de ce mouvement, étant donné que le bruit qu’il fait ne correspond pas le moins du monde à son contenu politique réel.
Mais ce mouvement sert à la social-démocratie comme d’un moyen de tromper la classe ouvrière. C’est pourquoi nous devons en dire quelques mots ici. Je constate tout d’abord quelques traits caractéristiques de ce mouvement, tels qu’ils se sont manifestés ces derniers temps à l’occasion des différentes discussions économiques. Je fais allusion, par exemple, au grand économiste anglais Hobson, qui écrit dans la revue d’Hilferding Gesellschaft, sur le problème du mouvement paneuropéen. Il pose la question de la manière suivante : « Tout cela est très beau, mais si l’on marche sans l’Angleterre, celle-ci s’efforcera de s’allier à l’Amérique et il en résultera des conséquences très désagréables pour le monde entier. Mais si l’on veut marcher avec l’Angleterre, comment des pays tels que le Canada, l’Australie et autres Dominions anglaises pourront-ils entrer dans l’alliance européenne ? » Et en fin de compte, Hobson pose un point d’interrogation, qui n’est autre chose que la preuve de l’impossibilité d’exécuter ce projet d’alliance européenne sous une forme bourgeoise, étant donné qu’une alliance avec l’Angleterre est impossible dans la situation actuelle. D’autre part, les partisans de l’alliance paneuropéenne regardent de travers l’Union Soviétiste, avec laquelle ils n’ont pas l’intention de s’allier. Il est caractéristique que l’économiste Naphtali polémique dans la même revue social-démocrate contre le menchévik Voitinski et déclare ouvertement qu’on ne peut pas s’allier avec la Russie bolchévique, car il faudrait pratiquer une autre politique. Il faut conclure de tout ce qui précède que l’union d’un certain nombre de branches de production est réalisable. Ce ne sera certainement pas une union durable (je parlerai là dessus plus tard), étant donné que nous sommes à la veille d’une lutte violente pour la participation de chaque branche de la production à l’intérieur du syndicat, mais en tout cas cette union a cependant une base rationnelle. Ce n’est pas le cas, par contre, du mouvement paneuropéen. La « Paneurope », sur une base bourgeoise est une utopie irréalisable. C’est ce que comprennent même des partisans de ce mouvement, tels que Hobson
Il faut distinguer, à mon avis, le mouvement paneuropéen des tentatives qui manifestent extérieurement de fortes tendances à l’Union, comme, par exemple, le manifeste des banquiers. Il ne faut pas confondre cette tendance avec l’utopie paneuropéenne. II s’agit ici de quelque chose d’autre. Ce n’est pas une rechute dans le « Wilsonisme » économique. Si, pendant la guerre et immédiatement après la guerre, le Wilsonisme défendait le principe du droit de libre détermination des peuples, parce que ce mot d’ordre ouvrait la porte à l’influence des EtatsUnis sur la vie politique européenne, le mot d’ordre actuel de l’Amérique doit être la porte ouverte partout et dans toutes les directions. Seuls, les Etats-Unis auraient à gagner à la suppression des barrières douanières, car cette suppression permettrait aux Etats-Unis de battre tous les autres pays. Le manifeste des banquiers est un contre-projet opposé aux différentes tentatives d’union des différentes branches de la production, tentatives que l’on peut constater au sein de la bourgeoisie européenne. Ce contre-projet arbore le masque des idées universalistes, et se propose, en réalité, de créer un instrument en vue de conquérir le marché européen et d’ouvrir toutes les portes pour faciliter la pénétration du capital européen. Telle est la signification du manifeste des banquiers.
Il est nécessaire de mentionner encore un mouvement tendant à l’encerclement de l’Union Soviétiste. Ce mouvement fait également partie intégrante de la politique de rationalisation capitaliste. Les nombreux traités d’alliance, l’« esprit de Locarno », l’orientation occidentale de l’Allemagne, les traités conclus entre la Roumanie et l’Allemagne, entre la Pologne, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, et tous les autres accords diplomatiques analogues, l’activité hostile au gouvernement soviétiste de l’Angleterre, les provocations de Tchang Tso Lin, derrière lesquelles se trouve le lapon, tout cela fait partie intégrante du système des tendances de stabilisation du monde capitaliste.
La rationalisation dans l’Union Soviétiste et les pays capitalistes[modifier le wikicode]
Les difficultés de la rationalisation des Etats capitalistes[modifier le wikicode]
En rapport avec ce qui précède, il faut encore examiner deux questions. Avant tout, la question de la rationalisation dans l’Union Soviétiste et dans les pays capitalistes et la difficulté de la rationalisation dans les pays capitalistes. Il est tout à fait évident et tous les communistes doivent s’en rendre nettement compte que la rationalisation se poursuit chez nous dans l’intérêt de l’ensemble de la classe ouvrière, dans l’intérêt de l’édification du socialisme, et non dans l’intérêt de la bourgeoisie, dans l’intérêt du renforcement du capitalisme
Ce serait une de ces vérités sur lesquelles il n’y aurait pas à discuter, s’il n’y avait pas des camarades qui considèrent que l’Etat Soviétiste est encore loin d’être un Etat prolétarien. Mais pour l’immense majorité, pour ceux qui considèrent notre Etat comme un Etat prolétarien et nos entreprises du type socialiste conséquent, il ne peut pas y avoir deux opinions à ce sujet. Je voudrais éclaircir encore un autre côté de la question, à savoir la différence considérable qui existe dans le mécanisme du développement de la rationalisation chez nous et chez les capitalistes, non seulement du point de vue du contenu social de classe, mais aussi du point de vue du développement des forces productives elles-mêmes. Chez nous le but principal de la rationalisation est de satisfaire les besoins des masses, à propos de quoi il faut remarquer que la capacité d’absorption du marché est plus grande chez nous que notre capacité de production. Chez les capitalistes, le but principal de la rationalisation est d’accroître le profit et d’adapter la production aux capacités limitées du marché. Chez nous les dimensions du marché sont plus considérables que les dimensions de la production ; chez les capitalistes, c’est le contraire. C’est pourquoi, chez nous, l’adaptation de la production au marché nécessite l’extension de la production, tandis que, chez les capitalistes, cette adaptation, au stade de développement actuel, doit inévitablement amener la réduction de la production.
Il en découle une situation tout à fait différente en ce qui concerne la classe ouvrière et le nombre des ouvriers occupés. Malgré la rationalisation, nous serons obligés d’engager, au cours de la période prochaine, de grandes quantités de nouveaux ouvriers tandis que chez les capitalistes, la rationalisation a pour résultat le développement du chômage dans les principaux pays d’Europe, un chômage chronique avec des proportions absolument inouïes. Considérons les pays tels que l’Angleterre ou l’Allemagne. Chez nous, le chômage est surtout un chômage agricole, nos chômeurs sont surtout des paysans qui arrivent de la campagne dans les villes. Chez les capitalistes, l’armée des chômeurs est composée d’ouvriers d’usines, qui ont perdu leur emploi.
Tout cela constitue une différence considérable, déterminée, en fin de compte, par la différence de la structure sociale. Mais même du point de vue du développement des forces productives, il existe une différence considérable qui s’exprime inévitablement dans l’allure du développement chez nous et dans les pays d’Europe occidentale (je passerai rapidement sur ce thème, qui ne fait pas partie de mon rapport), c’est-à-dire que l’allure du développement doit être beaucoup plus rapide chez nous.
La question suivante est la question des difficultés considérables liées à la rationalisation capitaliste. Je ne doute pas le moins du monde des résultats de la rationalisation dans les principaux pays d’Europe, en Allemagne et en France, la rationalisation en Allemagne étant pour moi un exemple classique.
Mais je dois dire que les idéologues et les partisans de la bourgeoise allemande, et, en première ligne, les social-démocrates, voient la situation, sans aucune raison, sous un jour beaucoup trop rose, il suffit, pour s’en rendre compte, d’examiner la question des réparations allemandes et des emprunts américains. Jusqu’ici, l’Allemagne a vécu, jusqu’à un certain degré, précisément d’emprunts américains. Si nous comparons les paiements de réparations de l’Allemagne avec les emprunts que l’Allemagne reçoit de ses créanciers américains, nous constatons que les emprunts américains dépassent le montant des paiements des réparations. Etant donné que, dans la période prochaine, le montant des paiements des réparations croîtra d’une façon continuelle (ils ont été établi de telle sorte que l’Allemagne devra payer, au cours de l’exercice 1924-25, un milliard ; en 1925-26, 1 220 millions ; en 1926-27, 1 500 millions ; en 1927-28, 1 750 millions et, en 1928-29, 2 500 millions), l’Amérique pourra difficilement continuer à élever dans la même proportion le montant des emprunts à l’Allemagne, et c’est pourquoi la disproportion entre les emprunts américains et le montant des paiements de réparations ne fera que croître. Le plan Dawes entrera alors dans une nouvelle phase de développement et deviendra de plus en plus intolérable pour l’économie allemande. Il est caractéristique qu’un économiste jouissant d’une telle autorité, que l’économiste anglais Keynes déclare que tout le montant des réparations a été jusqu’ici couvert par les emprunts étrangers et, en premier lieu, par les emprunts américains. D’autre part, étant donné que ces emprunts américains sont exposés à un certain danger du fait que l’Allemagne ne possède pas de marché et qu’elle doit payer les réparations, on constate chez les créanciers américains une certaine inquiétude au sujet du sort de leurs placements de capitaux et des perspectives des futurs crédits à l’industrie allemande. C’est ainsi que le New York Journal of Commerce, du 24 mai 1926, écrit à ce sujet : « Il est grandement temps de mettre fin à cette farce, car ce qui se passe en réalité, n’est rien d’autre qu’une farce. » Ce n’est pas là, naturellement, l’état d’esprit des créanciers américains, mais c’est malgré tout un certain symptôme, un pressentiment des difficultés dans lesquelles doit inévitablement tomber l’économie allemande, malgré les succès obtenus ces derniers temps.
Partie 2. Les principales questions de l’économie internationale[modifier le wikicode]
J’en arrive maintenant à une autre partie de mon rapport. Je pense qu’on peut dégager de l’analyse qui précède cinq problèmes principaux, cinq tâches principales à résoudre en premier lieu.
La première question est celle de la voie dans laquelle s’engagera la Révolution chinoise. Cette question joue un rôle considérable en rapport avec la stabilisation capitaliste. En parlant plus haut des différents pays, j’ai mentionné, entre autres types, la Chine. La conséquence des événements chinois est vraiment considérable. C’est pourquoi la question du développement de la Révolution chinoise doit jouer un rôle considérable.
La deuxième question est la question de savoir si le capitalisme est entré dans une phase qui supprime le développement impérialiste. On sait que les social-démocrates en approuvant la stabilisation, s’appuient sur le développement des cartels internationaux, sur des faits tels que l’existence de la Société des Nations, etc. C’est pourquoi nous devons répondre également à la question de savoir si nous sommes véritablement entrés dans cette phase de développement des relations capitalistes, dont Kautsky a depuis longtemps prophétisé la venue et qu’il a appelée la phase du sur-impérialisme. C’est là un problème de la solution duquel dépend la solution de toute une série de questions de la tactique politique.
La troisième question que nous devons résoudre est l’appréciation de l’impérialisme allemand. On discute dans notre parti frère d’Allemagne la question de savoir s’il existe ou non un impérialisme allemand. Cette question est d’une importance extraordinaire, car c’est d’elle que dépend la solution de la question de l’attitude que doit adopter le parti communiste allemand. Doit-il considérer l’Allemagne comme un Etat nationalement opprimé, que le parti communiste doit défendre, ou l’Etat allemand actuel est-il un Etat impérialiste, et si oui, dans quelles proportions ?
La quatrième question, qui est également d’une importance considérable, est la question de savoir quelle doit être notre attitude, à nous autres communistes, à l’égard de la rationalisation économique. Cette question n’est naturellement pas aussi simple qu’elle le parait au premier abord, car la notion de rationalisation contient des éléments tels que l’amélioration de la technique, l’introduction de nouvelles machines, en un mot toute une série de faits qui se meuvent dans la ligne du progrès technique et économique.
Enfin, la cinquième question est la question des rapports des communistes vis-à-vis du pouvoir soviétiste. Je considère qu’il est nécessaire de poser cette question, étant donné qu’à la suite d’attaques de certains groupements d’opposition, on a défendu certaines opinions sur le rôle, la signification et le caractère de classe de l’Union et recommandé vis-à-vis de l’Union Soviétiste une attitude différente de celle qui, dans la période de développement précédent, était caractéristique pour tous les communistes sans exception.
Les conditions et les tâches de la Révolution chinoise[modifier le wikicode]
Je commencerai tout d’abord par dire quelques mots sur la Chine et la Révolution chinoise et je vous prierai de m’excuser si je suis contraint, pour la dernière fois dans ce rapport, de citer quelques chiffres. Mais je crois que ce petit crime est nécessaire. Je dois dire, avant tout, que le fait de la révolution chinoise et la marche victorieuse actuelle des troupes révolutionnaires unies constituent déjà par eux-mêmes un facteur d’une importance mondiale considérable. Nous nous rappelons très bien comment, dans ses derniers articles, Lénine nous a prédit la participation des larges masses des peuples d’Orient et, en premier lieu, de la Chine, au mouvement révolutionnaire mondial. On a discuté très longtemps, dans notre parti et dans l’Internationale Communiste, la question de notre attitude vis-à-vis de ce mouvement. Je me contenterai de rappeler. en posant cette question d’une façon tout à fait généra1e, que, déjà, au IIe Congrès de l’Internationale Communiste, Lénine indiquait que ces pays pouvaient, dans leur développement général, adopter une voie toute particulière. Je me contenterai de rappeler que Lénine a discuté la question des révolutions coloniales en général et celle des révolutions dans les pays semi-coloniaux, et a rédigé sur ce sujet une thèse extraordinairement importante, que nous devons étudier également du point de vue de notre politique pratique. Il déclarait que, dans certaines conditions historiques, toute une série de pays peuvent traverser à une allure précipitée les différentes phases de leur développement. Il est clair que c’est là une perspective tout à fait générale et tout à fait lointaine. Mais je crois que nous ne devons pas la perdre de vue. Ce n’est que sous cette forme, sous la forme d’une perspective lointaine que je pose maintenant cette question.
Je dois dire que nous avons relativement peu de renseignements sur l’Orient, sur le mouvement colonial et, entre autres, sur un mouvement aussi formidable que la révolution nationale actuelle en Chine. Cette révolution est un coup formidable porté à la stabilisation du monde capitaliste. Elle a une importance historique mondiale, particulièrement du fait de sa proximité géographique avec notre pays dans lequel existe la dictature du prolétariat.
Si nous connaissons parfaitement les bases de l’économie et de la politique des différents pays de l’Europe occidentale, et même les principales personnalités et les dirigeants des partis bourgeois, de la social-démocratie et les leaders des partis communistes, nous devons reconnaître que nous connaissons très mal les bases profondes de la structure économique et politique des pays de l’Orient. Et c’est pour cette raison qu’il nous est extraordinairement difficile de trouver une ligne politique tant soit peu juste. Je voudrais tout d’abord dire quelques mots sur la structure économique de la Chine. Nous possédons très peu de données complètes, mais celles que nous possédons montrent dans les derniers temps le développement des rapports capitaliste dans ce pays, même si du point de vue de l’appréciation de la situation générale du pays ce développement capitaliste n’a pas fait des progrès très considérables. Je n’ai sur ce sujet qu’un petit nombre de données qui m’ont été fournies par des camarades s’occupant tout spécialement de la question chinoise.
Si nous considérons, par exemple la grande industrie, nous voyons qu’elle progresse lentement au cours des années 1918 à 1923. C’est ainsi que dans l’industrie textile le nombre des broches a passé de 478 000, en 1918, à 1 740 000, en 1921 et à 1 802 000 en 1923. Il faut remarquer à ce sujet que les propriétaires de la grande industrie appartiennent aux nationalités suivantes : en 1924, le nombre des usines textiles chinoises représentait 61 %, celui des usines japonaises, 34 % et celui des usines britanniques 5 % du nombre total des usines textiles.
De même, l’extraction de la houille s’accroît, quoique lentement. C’est ainsi qu’elle s’élevait, en 1918, à 18 millions de tonnes et, en 1923, à 22,6 millions. D’après leur nationalité, les propriétaires des mines se repartissent de la manière suivante (je m’appuierai ici non seulement sur le nombre des mines, mais sur l’importance du capital investi dans l’industrie houillère) 50 millions de dollars appartiennent aux propriétaires chinois, 22 millions de dollars aux propriétaires anglais, 27 millions de dollars aux japonais et 250 000 dollars aux allemands. Le capital investi dans l’industrie houillère appartient donc pour moitié aux propriétaires chinois et pour moitié aux propriétaires étrangers.
En ce qui concerne l’importance sociale et la force numérique de la classe ouvrière, particulièrement du prolétariat industriel, il faut dire que les statistiques, à ce sujet différent considérablement et qu’il est extraordinairement difficile de fournir des chiffres exacts. Mais on peut admettre d’une façon générale qu’il existe, en Chine, environ 5 millions d’ouvriers industriels, sans compter les ouvriers agricoles.
Beaucoup plus intéressante est la question de la structure agraire de la Chine. Vous comprenez bien que dans un pays comme la Chine et dans une révolution telle que la révolution chinoise, la paysannerie doit nécessairement jouer un rôle considérable et que la question paysanne doit être étroitement liée à la question agraire. Il est extraordinairement difficile de se rendre compte de la façon dont ces questions sont liées ensemble. Je me contenterai d’attirer votre attention sur un tableau général pour n’avoir pas à vous citer les chiffres des différentes provinces, car j’ai peur que vous m’envoyiez en Chine pour mieux les étudier. (Hilarité.)
49,5 % de toutes les exploitations paysannes sont composés de petites parcelles de 20 à 25 Mus (un Mu représente, si je ne me trompe, un seizième de déciatine). Ces exploitations parcellaires représentent 15 à 16 % de la surface cultivée : la moitié de la population paysanne possède donc 16 % de la surface cultivée, 23 % des familles possèdent des exploitations de 20 à 40 mus, soit 22 % de la surface cultivée, 15 % des familles possèdent des exploitations de 40 à 75 mus, soit 25 % de la surface totale, 11 % des familles possèdent des exploitations de plus de75 mus, soit 35,9 % de la surface totale. Ces chiffres montrent le degré de différentiation sociale au sein de la paysannerie chinoise. Pour compléter ce tableau, je dois déclarer que, quoique la Chine soit, d’une façon générale, un pays de petite exploitation paysanne, une partie du sol est aux mains de grands propriétaires fonciers.
Cette partie peut être considérée comme grande exploitation dans la véritable acception du terme. De grandes exploitations agricoles sont aux mains des restes de l’ancienne bureaucratie féodale et des généraux actuels. Il y a environ 200 propriétaires fonciers, disposant d’une surface totale de plus de 10 000 mus, et environ 30 000 propriétaires fonciers possédant chacun plus de 1 000 mus. Vous comprendrez, camarades, que, si nous parlons d’une aussi petite unité de surface que le mu, nous ne devons pas comparer l’importance économique de cette unité de surface avec notre déciatine, car en Chine la terre est cultivée d’une façon extrêmement intensive et que, par conséquent, une surface moindre a une plus grande importance économique. Dès l’apparition des économistes de la période de la grande révolution française, l’agriculture chinoise a été considérée comme la forme d’exploitation la plus intensive.
Il existe cependant, dans certaines provinces, de grandes catégories de propriétaires fonciers. Il faut souligner que dans la province du Kvantoung, la grande propriété foncière est plus développée que dans les autres provinces de la Chine. Dans la vallée du Yang Tsé, 85 % de la surface cultivée sont aux mains de grands propriétaires fonciers. Dans la province du Honan, dans le district de Tchiauté, un tiers du district appartient à la famille de Yuang Schi Kaï. Je n’énumérerai pas toute la série de ces propriétaires fonciers, je me contenterai de dire qu’il existe toute une catégorie de propriétaires fonciers possédant plus d’un millier de domestiques. Il faut encore mentionner les terres appartenant à l’Eglise et dont les dimensions dépassent considérablement celles de la grande exploitation paysanne.
Comme vous le voyez, la question paysanne est étroitement liée à la question agraire. Il ne faut donc pas dire que cette question agraire n’est pas à l’ordre du jour en Chine et que l’on peut complètement la rayer de l’ordre du jour de la révolution chinoise, sous prétexte que la Chine est un pays de petite exploitation paysanne. Une telle façon de poser la question serait absolument fausse.
La deuxième question, qui intéresse de larges couches de la population chinoise, est la question des impôts, dont le poids pèse principalement sur les larges masses travailleuses, c’est-à-dire sur la paysannerie et les artisans. La Chine est un pays qui bat tous les records en ce qui concerne le poids des impôts. Naturellement, les impôts sont différents selon les provinces, mais de toute façon il existe dix-huit sortes d’impôts, que doivent payer les paysans. A cela, il faut ajouter le fait qu’un certain nombre de provinces et une certaine catégorie de paysans ont encore à supporter les frais des guerres entre les différents gouverneurs militaires. Et il existe même des provinces où les gouverneurs militaires ont prélevé les impôts pour quatre-vingt-dix ans à l’avance. Même les gouvernements révolutionnaires ont prélevé les impôts pour quelques années à l’avance, naturellement dans une proportion bien moindre que les militaires. Certains écrivains américains pensent que, par suite des dernières crises économiques, politiques et autres, l’agriculture chinoise est dévastée dans une proportion d’environ 46 %. Il est complètement impossible d’examiner le bienfondé de cette affirmation, mais ce qui ne fait aucun doute, c’est que par suite de la pauvreté de la paysannerie et du poids considérable des impôts, de l’oppression inouïe que les étrangers — qui disposent des ports, des douanes et des principaux impôts — font peser sur 1a population, on assiste à un processus formidable d’appauvrissement de la paysannerie. Cet appauvrissement est tel que des millions de gens déclassés errent à travers le pays et forment de nombreuses bandes. A Pékin même, le nombre de ces éléments déclassés qui, malgré leurs besoins extrêmement modérés, sont exposés littéralement à la mort par la faim, est considérable. C’est ce qui explique qu’ils se laissent recruter par n’importe quel général, qu’ils passent d’un gouvernement à l’autre sans se sentir liés d’une manière quelconque. C’est là le signe d’une certaine décomposition de la vie économique du pays, qui montre l’appauvrissement général de la population chinoise.
Quelles sont maintenant les principales difficultés et les principaux problèmes de la révolution chinoise dans son stade actuel de développement ? Il est tout à fait clair que les principaux efforts du peuple chinois, du parti Kuomintang et du parti communiste doivent être actuellement consacrés à la lutte contre les impérialistes étrangers. C’est là la principale tâche de l’heure actuelle : la lutte pour l’indépendance de la Chine, pour la libération nationale du pays. Pour résoudre cette tâche, il faut maintenir l’unité du front national révolutionnaire qui englobe actuellement non seulement les paysans, les ouvriers, les artisans et les intellectuels démocrates, mais aussi la bourgeoisie commerciale et industrielle. Naturellement, tous les marchands et tous les industriels ne font pas partie de ce front unique, mais exclusivement ceux qui ne sont pas liés actuellement au capital étranger et qui n’appartiennent pas à la catégorie des Compradores, c’est-à-dire des intermédiaires entre le capital étranger et la population chinoise. Mais cette partie de la bourgeoisie commerciale et industrielle, qui joue actuellement un rôle révolutionnaire et avec qui il est nécessaire de constituer un bloc dans la phase actuelle du développement, pour opposer les plus grandes forces possibles aux impérialistes étrangers, cette partie de la bourgeoisie est liée par l’intermédiaire du gouvernement avec les éléments semi-féodaux et gros paysans du village.
Il faut ajouter que le système du sous-fermage est encore extrêmement développé en Chine. Il existe de grandes Sociétés par actions qui prennent à ferme de grandes surfaces de terres, pour l’affermer ensuite à des intermédiaires. Ces derniers afferment la terre à d’autres, etc. Si l’on touche cette propriété foncière et si l’on commence à la secouer, le mouvement se propage jusqu’aux milieux commerciaux et industriels. Il est caractéristique que dans la province de Kvantoung, la principale base du gouvernement de Canton, une partie considérable du sol est aux mains des grands propriétaires fonciers, et ceux-ci sont liés à la bourgeoisie industrielle et commerciale, qui soutient le gouvernement de Canton. Si vous les touchez, la répercussion s’en fait sentir jusqu’au sein du gouvernement.
C’est en cela que consiste l’une des plus grandes difficultés de la révolution chinoise. Le rapport des forces à l’intérieur du Kuomintang est tel que ce parti comprend trois ailes : une droite, un centre et une gauche. La droite du Kuomintang s’appuie sur la bourgeoisie, même sur ses éléments les plus orientés à droite, et représente leurs intérêts de classe. D’autre part, le développement de la révolution nécessite la participation de la paysannerie. On ne peut pas gouverner aujourd’hui contre la paysannerie et l’on ne peut pas organiser les forces de la révolution sans créer à cette révolution une base paysanne.
C’est là que réside la principale difficulté de la situation actuelle en Chine et c’est en cela que consiste le principal problème actuel de la révolution chinoise. La situation est aujourd’hui telle que le parti communiste chinois doit engager une lutte énergique en faveur de la réforme agraire. Bien que la principale tâche consiste dans la lutte contre l’impérialisme étranger, malgré l’importance considérable du maintien de l’unité du front national-révolutionnaire, il faut réaliser la réforme agraire et organiser la paysannerie. L’intérêt de la révolution chinoise exige d’une façon impérieuse la mobilisation des immenses réserves paysannes qui commencent maintenant seulement à entrer dans la lutte. Et naturellement cela aura pour conséquence certaines oscillations au sein de l’aile droite du Kuomintang. Il est également naturel que cette nécessité peut susciter le danger de certaines maladies infantiles de gauche, qu’il faut combattre, c’est-à-dire certaines tendances à un changement prématuré de tactique et à une dissolution prématurée du bloc national révolutionnaire. Il faut lutter contre ces tendances. La situation est donc extraordinairement compliquée et on peut la formuler de la manière suivante : tout en maintenant le front unique national révolutionnaire contre l’impérialisme étranger, il faut réaliser immédiatement la réforme agraire et placer la révolution chinoise sur une large base paysanne. Il n’est pas difficile de se représenter les perspectives qui découlent d’une telle combinaison de forces. Je ne m’étendrai pas ici sur ce sujet. Je me contenterai de dire qu’en cas de victoire des troupes cantonaises et de développement du mouvement national révolutionnaire chinois, ce n’est pas une utopie de prétendre que la révolution chinoise victorieuse trouvera un écho immense dans toute une série de pays coloniaux, situés à proximité de la Chine, tels que l’Inde, l’Indonésie, les Indes néerlandaises, où, depuis quelques mois, se déroule une véritable guerre civile, qui pose des problèmes extrêmement complexes. Tout cela fait de la Chine un véritable centre d’attraction pour la périphérie coloniale et c’est pourquoi il ne faut pas sous-estimer cet immense mouvement, l’un des plus formidables de l’histoire mondiale, qui porte un coup très dur à l’ensemble de la stabilisation capitaliste. C’est l’essentiel de ce que je voulais vous dire sur la révolution chinoise. J’avais l’intention de poser toute une série d’autres problèmes, mais il m’est impossible de le faire dans le temps dont je dispose.
La résurrection de l’impérialisme allemand[modifier le wikicode]
J’en arrive à la deuxième grande question que j’ai mentionnée, à savoir la question de l’impérialisme allemand.
Au sujet de l’impérialisme allemand, on a discuté, comme je l’ai déjà dit, dans notre parti frère allemand. Il faut comprendre la raison de cette discussion. Comment cette question est-elle apparue et quelle est son importance pratique ? Pour montrer cette importance, je rappellerai la période qui précéda l’occupation de la Ruhr et les événements qui suivirent. Comment la question fut-elle posée dans le parti allemand et dans l’Internationale Communiste ?
Dès le début de la guerre mondiale, Lénine a considéré qu’iI était possible, en cas de victoire de l’une quelconque des coalitions d’Europe, de mener une lutte nationale contre l’impérialiste victorieux, si l’une quelconque des grandes puissances impérialistes battues au cours de la guerre mondiale commençait à jouer dans le systéme des puissances un rôle complètement différent de celui qu’elle jouait autrefois. Lorsque l’Allemagne battue fut soumise au joug des puissances de l’Entente, lorsqu’elle fut placée dans la situation d’un pays semicolonial et quand, en cette qualité, elle opposa quelque résistance à l’impérialisme victorieux de l’Entente, les organes suprêmes de l’Union Soviétiste ont fait montre de quelque sympathie pour elle dans leurs manifestes, proclamations. , etc., etc. A l’époque, on considérait dans le parti communiste allemand que la possibilité de la défense de la patrie allemande contre l’impérialisme de l’Entente n’était pas exclue, car l’Allemagne se trouvait dans la situation d’une semi-colonie du capital de l’Entente. Son rôle social se transforma d’un rôle impérialiste en une certaine force qui constituait objectivement un obstacle dans la voie du capitalisme et qui était dirigée dans une certaine mesure contre la domination de l’impérialisme de l’Entente.
C’était en même temps la période dans laquelle la bourgeoisie allemande regardait du côté de l’Union Soviétiste, un Etat étranger d’après sa structure sociale, qui réussit à établir et à organiser la République des Soviets sur un sixième de la surface du globe.
Un certain temps s’est écoulé depuis et nous avons assisté à une consolidation du capitalisme allemand. Le capitalisme allemand commença à poser la question du retour de ses anciennes colonies, bien qu’il ne l’ait pas encore résolue et qu’il ne soit pas en état de la résoudre d’ici longtemps. Peu à peu, il commença à tâter le terrain pour les exportations de capitaux. Et il adopta un autre ton. Ce ton correspond à la structure impérialiste du capital allemand et à la reconstitution de sa puissance économique. C’est ainsi qu’est apparue la question de la résurrection du capitalisme allemand. La signification pratique de cette question consiste en ce que le parti communiste allemand doit résoudre la question de savoir si le point de vue adopté par 1es communistes allemands, en ce qui concerne la défense de la patrie allemande en 1921, doit être reconnu comme juste pour la période actuelle. La majorité de nos camarades répondent par la négative. La situation est tout autre qu’à l’époque. Le rôle social international de l’Allemagne est autre qu’il y a quelques années. L’Allemagne ne peut mener aujourd’hui aucune guerre nationale contre les Etats impérialistes. C’est pourquoi l’attitude qui était bonne pour 1923 a été, par l’histoire, rayée de l’ordre du jour, et c’est en cela que réside la signification pratique de la question de l’impérialisme.
La question suivante se rapporte au « surimpérialisme ». J’en dirai encore quelques mots. Etant donnés le développement des cartels internationaux et la fondation des syndicats nationaux, étant donnée l’existence d’un mouvement tel que le mouvement paneuropéen, les troubadours du parti social-démocrate voient dans ce phénomène une confirmation de leur vieille théorie, selon laquelle le capitalisme entre dans une nouvelle phase où il n’y aura plus de guerres, où tout sera tranché par la Société des Nations et où la paix générale régnera en Europe. Le développement des cartels internationaux, comme l’écrit un économiste bourgeois, le développement de l’économie rationnelle sous la forme capitaliste, est de base économique de cette nouvelle phase du capitalisme.
Cette théorie était fausse et reste encore fausse. Même le syndicat de l’acier dont j’ai parlé n’est pas une union durable. Avant le massacre mondial, il y avait également des cartels internationaux qui ont été dissous. Dernièrement on a créé le trust de l’acier, mais il est inévitable qu’au sein de ce trust se développe une lutte pour la participation de chaque pays à l’ensemble de la production du trust. Toute modification sérieuse dans le rapport des forces existant met en question l’existence même du trust. Aucun des antagonismes politiques mondiaux et aucun des antagonismes de la politique européenne n’a disparu. Même si ces buts étaient réalisables, le mouvement pan-européen se transformerait en un bloc contre les banquiers américains. En même temps les antagonismes anglo-français ne cessent pas d’exister de sorte que tout ce que nous avons dit sur cet antagonisme, et que je ne veux pas répéter ici reste en vigueur. Seuls, ceux qui veulent tromper le prolétariat allemand el français, le prolétariat européen et le prolétariat en général, (c’est le cas des social-démocrates) peuvent prétendre que nous sommes vraiment entrés dans une phase complètement nouvelle du capitalisme, une pbase surimpérialiste de l’économie mondiale.
J’effleurerai rapidement la question de notre attitude à l’égard de la rationalisation. La social-démocratie appuie actuellement de toutes ses forces la rationalisation capitaliste. Elle emploie les mêmes arguments que nous employons chez nous pour la réalisation de la rationalisation. Si l’on réussit à réglementer la production, les ouvriers réussiront également à obtenir une plus grande partie de la production augmentée, c’est pourquoi ils doivent attendre, leur situation s’améliorera, on procédera à des améliorations d’ordre technique, les forces productives du pays seront multipliées, il n’y a pas d’autre issue,
Les social-démocrates, qui sont séduits par la rationalisation, proposent une concentration sévère, de même que Trotski, à l’époque, proposait une concentration sévère de notre industrie, en demandant, entre autres, la fermeture des usines Poutilov. (Nous avons eu la générosité de ne pas en parler à l’époque de la discussion, alors qu’on aurait pu le rappeler au moment où il promet toutes sortes de bienfaits à la classe ouvrière.) La social-démocratie appuie complètement et de toutes ses forces la rationalisation capitaliste. Devons-nous l’appuyer nous aussi ? La réponse ne fait pour nous aucun doute. Nous ne sommes pas des auxiliaires de la stabilisation capitaliste, nous ne voulons pas aider à tirer le capitalisme de sa situation difficile. Nous ne voulons pas aider au développement des forces productives de la société capitaliste, c’est pourquoi notre attitude à l’égard de la stabilisation capitaliste est opposée à l’attitude des social-démocrates.
A mon avis, notre mot d’ordre doit être le suivant : transfert de tous les frais de la stabilisation et de la rationalisation capitaliste sur les épaules de la classe dominante, lutte contre toutes les conséquences de la rationalisation contraires aux intérêts de la classe ouvrière. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes contre l’introduction de nouvelles machines. Nous ne pouvons pas poser ainsi la question et dire que nous sommes, en principe, contre l’introduction d’un nouveau système d’organisation du travail. Mais comme tout cela ce fait dans les cadres du régime capitaliste, nous sommes contre toutes les conséquences nuisibles à la classe ouvrière de ces mesures et nous devons mobiliser contre l’ensemble de ces répercussions nuisibles toutes les forces de la classe ouvrière. C’est ainsi, à mon avis, que nous devons résoudre la question de notre attitude à l’égard de la rationalisation capitaliste.
Je pense qu’il est inutile d’insister longuement sur la question de l’attitude des communistes à l’égard de la rationalisation dans l’Union Soviétiste parce que nous maintenons notre ancien point de vue et que nous ne pouvons pas faire à nos différents critiques de l’opposition le plaisir de faire chorus avec les social-démocrates.
J’en arrive maintenant à un autre côté de la question, qui est lié à nos différentes tâches politiques. La crise actuelle est une crise de surproduction, résultant de la diminution de la capacité d’achat. D’où la chasse aux débouchés, d’où la tendance à la diminution des frais de production, la tendance à la rationalisation, d’où les attaques contre la classe ouvrière. Tout cela est étroitement lié ensemble. L’économie détermine ici la politique économique et la politique tout court.
Si nous considérons la classe ouvrière et si nous nous demandons : De quelle façon ces processus de rationalisation se reflètent-ils sur la classe ouvrière ? Nous devons dire qu’ils se manifestent avant tout dans de grandes transformations à l’intérieur de la classe ouvrière elle-même. La crise capitalise provoque des transformations considérables au sein du prolétariat mondial. C’est ainsi qu’autrefois la classe ouvrière anglaise était une aristocratie ouvrière. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela montre les transformations formidables qui se sont réalisées dans la composition de la classe ouvrière. C’est l’une des raisons du développement du mouvement révolutionnaire international. Le processus de rationalisation modifie avant tout la structure intérieure du prolétariat de chaque pays. La simplification considérable de la production supprime la division du prolétariat en aristocratie ouvrière et en ouvriers non qualifiés, elle nivelle la classe ouvrière et fond étroitement ensemble ses différentes catégories. Je ne vais pas jusqu’à dire, comme font certains camarades, que cela supprime complètement le problème de l’aristocratie ouvrière, étant donné que la rationalisation, à son tour, crée des germes d’une nouvelle aristocratie ouvrière. C’est ainsi que l’introduction du système Ford dans la production a donné naissance à certains types de surveillants, de contrôleurs et d’ouvriers qui, d’après leur formation technique, se rapprochent des ingénieurs, mais l’importance numérique de ces groupes sera moins grande que l’importance numérique de l’aristocratie ouvrière. C’est ainsi que, malgré tout, un assiste à un processus de nivellement de la classe ouvrière.
Si nous continuons à examiner la question des répercussions exercées par la rationalisation sur la situation de la classe ouvrière, il nous faut considérer une question très importante, celle de la politique capitaliste des prix. Pour la curiosité du fait, je dois mentionner que lorsque j’ai lu toute la littérature économique étrangère sur cette question, j’ai constaté qu’il existe au sein de la bourgeoise les mêmes tendances qu’au sein du parti communiste. Ils poursuivent les mêmes discussions, naturellement avec des formules bourgeoises, car la bourgeoise est placée devant la question de comment elle doit rationaliser ses entreprises et élever la productivité du travail. Et l’on constate ici l’existence de tendances qui argumentent à peu près de la même façon que l’on argumente chez nous, dans le pays de la dictature du prolétariat. Ils disent il est nécessaire d’adopter une politique des prix élevés en utilisant les monopoles capitalistes, c’est-à-dire qu’ils préconisent l’augmentation des prix des produits industriels (Interruption du camarade Kossior : Ils soutiennent la politique de Piatakov. Hilarité) D’autres, et, parmi eux, se trouvent des gens tels qu’Hoover, défendent la politique de notre Comité Central (Hilarité.) Ils disent : notre tâche consiste à ne tirer qu’un petit profit sur l’unité des produits et à gagner sur la quantité des produits fabriqués en intensifiant la circulation du capital. Ils protestent, par conséquent, contre la paresse des monopoles, de même que j’ai polémiqué contre Préobrajenski. Ils sont d’avis de tirer plus de bénéfices de la rapidité de la circulation des marchandises.
Mais je dois dire que nos camarades de l’opposition sont plus arriérés que maints bourgeois libéraux. Je dois reconnaître, d’autre part, avec satisfaction, qu’alors que chez nous, c’est la politique des bas prix et du développement progressif qui l’a emporté, au sein de la bourgeoisie, ce sont les « partisans de Piatakov » qui ont triomphé, car en fait, la bourgeoisie pratique une politique de prix élevés, une politique de circulation ralentie. Et toutes les belles phrases de la bourgeoisie concernant l’intensification de la circulation, la diminution des prix, etc., ne sont appliquées nulle part, même en Amérique, quoique les économistes américains s’efforcent de masquer le fait en affirmant que le salaire des ouvriers en Amérique croît constamment et que les prix diminuent et que tout est dans le meilleur ordre du monde. C’est ainsi qu’un célèbre économiste, Carwer, déclare que le capitalisme est en train de disparaître en Amérique, car chaque ouvrier est en train de devenir lui-même un capitaliste. Mais tout cela n’est que du bavardage. En réalité, ils mènent « la politique de l’opposition ». Non seulement, les modifications qu’ils prêchent n’ont pas lieu, mais c’est tout le contraire qui se produit.
L’orientation à gauche de la classe ouvrière[modifier le wikicode]
Il résulte de ce qui précède que le processus de la rationalisation, actuellement déterminée par toute la situation du capitalisme, s’accompagne inévitablement d’une pression sous telle ou telle forme, sur la classe ouvrière, que ce soit sous la forme d’une augmentation considérable de la productivité du travail avec un salaire diminué, ou sous la forme de la prolongation de la journée de travail, ou encore sous la forme de l’exploitation des consommateurs ouvriers au moyen des hauts prix de monopole. La rationalisation est, par conséquent, le point de départ d’une radicalisation se poursuivant sur une nouvelle base de la classe ouvrière, d’une aggravation de la lutte de classe. C’est pourquoi, même dans le pays où la stabilisation capitaliste a célébré ses plus grands triomphes (je fais ici surtout allusion à l’Allemagne, qui se trouve placée devant des difficultés immenses contre lesquelles elle peut se rompre le cou), on assiste, sur la base du processus de la stabilisation, à une aggravation des antagonismes de classe, à une radicalisation constante de la classe ouvrière. C’est ce qui explique également, la forme spécifique de cette rationalisation.
Il est caractéristique que, dans la plupart des pays, la classe ouvrière ne passe pas directement au parti communiste et que même dans la majorité des pays, elle n’engage aucune lutte violente. Au stade de développement actuel, nous constatons des formes tout à fait caractéristiques de cette orientation à gauche, que nous n’avons pas connues jusqu’ici.
Nous assistons, d’une part, au développement, et même à un développement considérable, de l’opposition syndicale. Dans les syndicats, l’opposition de gauche, le mouvement minoritaire se renforce. Nous voyons, en outre, comment à l’intérieur des partis social-démocrates le mouvement de l’aile gauche contre les chefs, et même contre les chefs de gauche, s’accroît. Nous voyons comment, sous la pression des masses, les chefs de gauche sont poussés à des actes tels que la scission du parti (comme c’est le cas, par exemple, en Saxe où les social-démocrates de gauche se sont emparés de la majorité et ont exclu du parti les social-démocrates de droite, dont la politique est analogue à celle du Comité Central du parti. Ces leaders de gauche sont d’incroyables charlatans politiques, mais la masse, qui exerce une pression sur eux, incarne le processus d’orientation générale à gauche. Telle est la seconde forme de cette nouvelle orientation. La troisième est le développement de toutes sortes d’associations radicales. Par exemple, l’Association des Combattants Rouges, qui jouit d’une popularité considérable dans le pays, dont les adhérents se composent dans une proportion considérable de sans-parti et même d’ouvriers social-démocrates. Nous assistons également à une forme analogue d’orientation à gauche en Italie. Ce mouvement s’étend même aux ouvriers catholiques. C’est ainsi qu’on a décidé l’envoi de délégations d’ouvriers catholiques dans l’Union Soviétiste malgré l’opposition du Vatican. Enfin, cette orientation de gauche se manifeste également à l’intérieur de partis, tels que le parti du Centre en Allemagne, le Parti catholique en Italie, etc.
En ce qui concerne les délégations ouvrières qui visitent l’Union Soviétiste, je dois dire que nous avons déjà oublié l’importance considérable des nombreuses délégations qui nous ont visitées ces derniers temps. Nous sommes déjà habitués à elles. Les premières délégations, nous les avons reçues avec une grande solennité, puis les suivantes ont été reçues de moins en moins solennellement, du fait qu’il y en avait une grande quantité et que nous ne pouvions pas tous les jours recevoir solennellement de nouvelles délégations, et telle est la situation considérée de notre point de vue. Mais qu’en est-il si nous considérons la situation du point de vue des ouvriers des pays de l’Europe Occidentale ? Ces délégations ne sont pas composées de touristes qui viennent nous visiter, pour s’en aller ensuite. Elles sont nommées, dans la majorité des cas, par de grandes assemblées ouvrières. Dans la majorité des cas, ces délégués reçoivent des directives spéciales de leurs mandants. Les rapports de ces délégués, à leur retour, ont une importance considérable, et le nombre des délégations comprend déjà plusieurs dizaines.
Ces faits, qui expriment le processus d’orientation générale à gauche de la classe ouvrière, constitue la réponse à la stabilisation capitaliste. Cette réponse est, naturellement, différente selon les pays.
Il est important de constater que nous assistons dans les différents pays à des formes différentes de la lutte de classe, malgré ses nombreux caractères communs. La grève en Angleterre, qui joue un rôle considérable et constitue un coup formidable à la stabilisation capitaliste qui cause des dommages inouïs à la vie économique de l’Angleterre, a eu pour conséquence la transformation de toute une série de rapports économiques en Europe. Cette grève est l’une des luttes défensives, qui ont une tendance à se transformer et se transforment effectivement, en luttes offensives.
Une autre forme du mouvement d’orientation à gauche de la classe ouvrière est représentée par le mouvement en faveur de l’expropriation des maisons princières en Allemagne, engagé sur l’initiative du parti communiste allemand, mouvement qui a été mené d’une façon remarquable et a donné d’importants résultats politiques.
Il faut mentionner encore la grève récente des dockers de Hambourg, qui fut un événement considérable, quoiqu’elle se termina par une défaite. Ce fut une grève « sauvage », qui fut menée contre la volonté des syndicats, et au cours de laquelle les communistes ont lutté avec les ouvriers social-démocrates contre la direction syndicale réformiste.
Telles sont les transformations réalisées au sein de la classe ouvrière. Le rôle de l’aristocratie ouvrière diminue, la lutte de classe s’aggrave, des formes spéciales d’orientation à gauche du prolétariat se manifestent. Tout cela crée d’immenses réserves prolétariennes pour le parti communiste.
Les ultra-gauchistes d’Allemagne répandent l’idée invraisemblable, absurde que les cercles dirigeants de notre parti veulent liquider l’Internationale Communiste et les partis communistes qui la constituent pour les remplacer par des organisations sans forme. Naturellement, peuvent répandre ce bruit, seuls des gens qui possèdent une intelligence « ultra-gauchiste », à la place d’une intelligence normale, et qui ne comprennent pas que la mobilisation des masses doit servir de moyen en vue de transformer les partis communistes en parti de masse de la classe ouvrière. C’est ce qui découle de toute la situation.
La lutte pour la conquête des masses et les tâches de l’Internationale Communiste[modifier le wikicode]
Je dois examiner maintenant ce qui détermine en dernière analyse la situation internationale actuelle et en quoi consiste la principale tâche actuelle de l’Internationale Communiste et de ses partis.
Il est évident que si nous assistons actuellement à une aggravation de la lutte de classe, les questions économiques qui se transforment directement en questions politiques doivent avoir une importance considérable. On comprend, par conséquent, le rôle qui incombe dans cette lutte à des organisions telles que les syndicats et quelles sont les tâches que doivent remplir les communistes. Il est évident que le problème de la coordination des revendications partielles avec nos revendications générales et avec l’orientation de notre politique dans le sens de l’instauration de la dictature du prolétariat acquiert actuellement une importance extraordinaire. Notre politique internationale, étant données la situation mondiale, l’expérience de la grève anglaise et les transformations considérables réalisées au sein du prolétariat anglais, doit passer à une étape supérieure.
Il y a quelque temps, l’un des principaux événements mondiaux a été la constitution du comité anglo-russe. L’une de nos tâches principales a consisté à pousser les syndicats russes au premier rang de la lutte pour l’unité syndicale. Les syndicats de l’Union Soviétiste ont collaboré dans ce but avec les représentants du mouvement ouvrier anglais. Actuellement, nous passons à un stade supérieur. Si, autrefois, l’Internationale Syndicale Rouge ne pouvait développer une activité très considérable et si les syndicats russes ne possédaient pas encore une grande autorité aux yeux des couches arriérées du prolétariat anglais, il n’en est plus de même actuellement. Au dernier congrès syndical, une minorité considérable se prononça au vote d’une façon plus gauche encore que Cook.
Ces transformations réalisées au sein de la classe ouvrière anglaise sont considérables et c’est pourquoi les communistes au cours du développement de notre lutte révolutionnaire, devront renforcer leur travail sur le front syndical.
Cela doit se traduire dans les mots d’ordre concrets suivants : avant tout, établir des relations plus étroites entre le Conseil Central des syndicats de l’Union Soviétiste et l’Internationale Syndicale Rouge, intensifier l’activité du Conseil central des syndicats de l’Union soviétiste au sein de l’I. S. R. et développer l’activité de l’I. S. R. elle-même. Cette dernière est une organisation internationale autonome. Dans la mesure où cela dépend des communistes, il faudra, dans l’avenir renforcer notre activité dans les syndicats. Nos syndicats doivent se grouper plus étroitement autour de l’I. S. R. et s’efforcer de jouer dans cette organisation le même rôle que celui que le Parti Communiste de l’Union Soviétiste joue dans l’Internationale Communiste.
Je suis obligé de raccourcir mon rapport et de passer à la question suivante. Avant tout je voulais dire qu’étant donné ce qui précède, et les tentatives internationales de stabilisation capitaliste et les résultats obtenus par ces tentatives dans un certain nombre de pays, nous assistons à toute une série de phénomènes à l’intérieur des partis communistes. Ces phénomènes se manifestent dans le renforcement des éléments d’extrême-droite et d’extrêmegauche, les premiers chantant la même chanson que les derniers, comme c’est également le cas dans notre parti. Le tournant, qui ne correspond pas tellement à la stabilisation du capitalisme international mais à la stabilisation du socialisme dans notre pays, a provoqué également certaines déviations au sein du Parti Communiste de l’Union Soviétiste. Ces déviations ont trouvé leur expression dans le bloc d’opposition, au sein duquel se sont unis les « droites » et les « gauches ».
L’incapacité de s’adapter à la nouvelle situation s’est exprimée dans une certaine banqueroute de certains leaders du parti. Cette banqueroute s’est manifestée dans toute une série de partis et particulièrement dans le nôtre, sous une forme correspondant au caractère particulier du développement de chaque pays. Elle a donné naissance à certaines manifestations critiques, qui n’ont pas été aussi effrayantes que se l’étaient imaginé leurs auteurs. Dans un certain nombre de pays, les groupements d’extrême-gauche comme ceux d’extrême-droite se sont unis du fait que la bourgeoisie des pays en question s’est détournée de l’Union Soviétiste et a commencé à adopter une politique orientée vers l’Ouest et que cette politique bourgeoise, hostile à l’Union Soviétiste, s‘est reflétée parmi les éléments flottants, penchant vers la petite-bourgeoisie, des partis communistes.
Je ne puis insister longtemps sur cette question, mais je voudrais cependant fournir quelques exemples intéressants tirés des écrits des éléments d’extrême-gauche et d’extrêmedroite. Les éléments d’extrême-droite comprennent les éléments exclus du parti français, les éléments d’extrême-gauche, les éléments exclus du parti allemand ou restés à l’intérieur du parti. Les ultra-gauchistes Korsch et Katz, exclus du parti allemand, déclarent que la révolution russe est une révolution bourgeoise et qu’elle se trouve actuellement dans une phase dans laquelle elle se transforme de révolution bourgeoise radicale en révolution bourgeoise tout court.
Ils ne considèrent pas nos entreprises comme des entreprises du type socialiste ou du type socialiste conséquent, mais tout simplement comme des entreprises purement capitalistes. Pour eux, notre pays n’est pas le pays de la dictature prolétarienne, mais simplement un pays de nouveau capitalisme croissant, du genre américain. Même en cas de guerre dirigée contre l’Union Soviétiste, on ne doit pas la défendre. Si on le faisait, on commettrait, d’après Korsch, un crime aussi ignominieux que le crime commis par la social-démocratie allemande en août 1914.
C’est dans le même esprit qu’écrit également Schwartz, qui se rapproche beaucoup de Korsch. Ils se sont disputés il n’y a pas longtemps pour une machine à écrire (Hilarité.), ils se sont accusés réciproquement de vol d’un duplicateur. La différence qui les sépare consiste en ce que Korsch est professeur d’Université, tandis que Schwartz n’est que professeur de lycée ; c’est pourquoi la concurrence entre eux est très grande. Schwartz déclare qu’il faut poser la question d’une insurrection armée contre le pouvoir soviétiste. Vous voyez d’ici l’expressiou extrême de ce courant ultra-gauchiste qui nous accuse d’avoir trahi le léninisme, le marxisme. Ils lancent actuellement le mot d’ordre : Retour à Zimmerwald, à la gauche zimmervaldienne. Ce mot d’ordre est actuellement le moteur idéologique de tout le bloc de l’opposition allemande. Et l’extrême-droite, Souvarine, un ami intime d’un certain nombre de leaders de l’opposition, est exclu du parti français.
J’ai reçu aujourd’hui le dernier numéro de sa revue : La Révolution Prolétarienne. Dans cette revue, je lis ce qui suit : « Le bloc oppositionnel défend les intérêts matériels et moraux du prolétariat, inséparables de la démocratie ouvrière, donc l’avenir de la Révolution ; la fraction dominante représente plus ou moins consciemment les intérêts acquis au cours du bouleversement, c’est-à-dire ceux de la paysannerie enrichie ou en voie de l’être, de la nouvelle bourgeoisie petite ou grande ». Après nous avoir caractérisé ainsi, il examine ce que nous voulons faire et comment il faut apprécier nos efforts :
« La fraction omnipotente semble vouloir — devinez ce que nous voulons ? — provoquer la guerre civile. Réprimant implacablement toute velléité d’expression révolutionnaire, menaçant des plus extrêmes mesures les défenseurs des intérêts du prolétariat, elle accule l’opposition aux procédures extra-normales servant de prétextes à de nouvelles répressions. Le refus d’accorder une issue légale aux mécontentements accumulés ne pourrait qu’imprimer un cours dangereux aux événements. »
Je ne citerai pas plus loin. Le sens de tout cet article est le suivant : Nous (c’est-à-dire le Comité Central) nous sommes des koulaks, des koulaks qui veulent provoquer la guerre civile, des sortes de Cavaignac russes, qui adoptons une politique de guerre civile et de lutte violente contre les défenseurs des intérêts du prolétariat. Cela n’est autre chose que les légendes de Korsch.
Et qui alimente ces légendes ? Il faut comprendre, camarades, que ce point de vue n’est que l’approfondissement des bêtises répandues dans notre pays par un certain nombre des « défenseurs du prolétariat », quoique ces derniers n’aient obtenu aucun succès au cours des derniers mois de la vie de notre parti.
Si nous prenons une autre question, celle de l’appréciation de la situation internationale, nous ferons les mêmes remarques. Zinoviev a déclaré quelque part qu’il n’y avait aucune stabilisation capitaliste et qu’elle avait disparu. Tout le monde se rappelle qu’on en a parlé au cours de l’une des dernières séances du Comité Central. Korsch a repris cette formule et déclaré qu’il n’y avait pas de stabilisation et qu’il n’y en avait jamais eue, que la stabilisation avait été inventée par les liquidateurs de l’Internationale Communiste.
On nous reproche souvent une politique extérieure soi-disant fausse, opportuniste. Les ultra-gauchistes s’emparent de cette nourriture intellectuelle et déclarent ouvertement par la bouche de Korsch : « Vous n’êtes rien d’autre que les partisans d’Hindenburg. » A ce sujet, Korsch écrit que le traité récemment conclu entre l’Allemagne et l’Union Soviétiste est une alliance entre l’impérialisme de Marx et d’Hindenburg et l’Union Soviétiste. Ces gens déclarent que nous avons constitué avec les brigands impérialistes un bloc dans le domaine de la politique extérieure et que, dans notre politique intérieure, nous ne sommes qu’un gouvernement de koulaks allié aux nepman. Ils déclarent que nous sommes depuis longtemps complètement dégénérés, que notre parti est un parti de koulaks, que le processus de la liquidation de l’Internationale Communiste se poursuit sous la forme du remplacement des partis communistes par des organisations ouvrières sans forme qui ne sont, au fond, que des organisations bourgeoises. Telle est la façon dont nous représentent les ultra-gauchistes. Je dois d’ailleurs indiquer que cet état d’esprit de l’opposition comporte des nuances différentes. Je n’ai fait que prendre la plus extrême.
Le groupe Ruth Fischer, Urbahns, Maslow, qui se tient directement derrière ces gens, ne pose pas les questions d’une manière aussi accusée, mais il se meut dans la même direction. A proximité de ce groupe se trouve le groupe Weber. Tous ces groupes, cela ne fait aucun doute, vivent exclusivement de la nourriture intellectuelle fournie par notre opposition, en poussant les idées défendues par cette dernière jusqu’à leurs conséquences logiques et même souvent jusqu’à l’absurde.
Ils se servent, en outre, d’un certain nombre de méthodes et de l’expérience de notre opposition et reçoivent d’elle leurs instructions, leur matériel, etc. Il est tout à fait naturel qu’après que nous en avons terminé dans notre parti — et je crois que c’est pour un temps considérable — avec l’opposition, et que nous l’avons obligée à rentrer dans le cadre légal de la constitution du parti, l’Internationale Communiste et ses différentes sections, particulièrement la section allemande, ont le devoir de mettre fin à cette situation dans laquelle il existe, dans un parti, des fractions légalisées, qui font ce qui leur plaît, et où des gens exclus du parti dirigent ouvertement des fractions de ce parti. Bolchévisation des partis, suppression de la théorie pratique de la liberté des fractions. C’est pourquoi, à mon avis, le Comité Central du Parti Communiste Allemand avait parfaitement raison lorsqu’il imposa à sa propre opposition toute une série de conditions et lorsqu’il menaça d’employer des mesures de représailles contre les leaders des groupements d’opposition qui ne voulaient pas se soumettre aux décisions du parti. Ces derniers temps, une vaste discussion a été menée au sein du parti communiste allemand. Toutes les questions ont été discutées à fond. La question russe était, ces derniers temps, la question centrale. L’opposition publia ses propres documents et, en particulier, des documents qui ont été répandus illégalement chez nous. Ils furent répandus dans le Parti allemand et publiés légalement par les leaders de l’opposition. Dans ce sens, le parti a fait un travail immense, quoique pas très élevé qualitativement.
Il faut actuellement faire un pas en avant dans la voie de la bolchévisation. Criez tant que vous voulez, mais ne constituez pas de fractions ! Criez, mais soumettez-vous une fois les décisions prises. Je pense qu’une fois que la chose a été réglée dans notre parti, il sera relativement facile pour le parti allemand de la régler chez lui et il en résultera une consolidation des partis communistes à un niveau supérieur.
Naturellement, les tâches spéciales devant lesquelles nous et les autres partis communistes sommes placés ne sont pas, loin de là, épuisées par cette musique à l’intérieur du parti. Dans chaque pays, ces tâches sont différentes. En Allemagne, on a réussi à obtenir des succès considérables en ce qui concerne l’influence du parti communiste sur la vie politique du pays. Mais, et cela est confirmé par tous les camarades, de larges masses ouvrières et même social-démocrates ont confiance dans la politique du parti communiste, mais elles n’ont aucune confiance en ce qui concerne la lutte économique. Elles ne croient pas que le parti communiste puisse diriger une lutte économique. Elles croient que les opportunistes social-démocrates savent mieux calculer, manœuvrer, etc., etc. Cet état d’esprit existe encore. C’est pourquoi le problème de la direction, le problème des revendications partielles, le problème de la lutte contre un tel état d’esprit parmi les masses ouvrières, le problème de l’utilisation de l’influence politique croissante de notre parti doivent être placés au premier plan.
En Angleterre, nous devrons corriger un certain nombre d’erreurs de droite commises ces derniers temps par notre parti frère. Dans d’autres pays, nous sommes placés devant d’autres problèmes, mais je ne peux pas en parler maintenant. Je ne toucherai plus qu’un problème central, d’une importance considérable pour toute l’Internationale Communiste. Notre dernier congrès a donné à notre délégation à l’Internationale Communiste la directive de renforcer par tous les moyens l’activité du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, de faire participer plus que cela n’a été le cas jusqu’ici les camarades non russes à la direction de l’Internationale communiste, de s’efforcer de créer une direction collective, etc., etc. Ces directives de notre congrès ont été universellement approuvées par toutes les sections de l’Internationale Communiste sans exception, qui sont en train de les exécuter. Les camarades non-russes participent beaucoup plus que cela n’a été le cas jusqu’ici à la direction de l’Internationale Communiste et à son Comité Exécutif, mais tout n’a pas encore été fait dans ce sens.
Il n’existe pas encore de direction véritablement ferme et, si l’on a obtenu certains résultats dans le domaine de l’élévation du niveau théorique, résultats qui se sont manifestés, entre autres, par le fait que nous publions maintenant en Russie et en Allemagne notre organe, l’organe central de l’Internationale Communiste, comme revue hebdomadaire. Si nous faisons des profits dans ce domaine, nous avons encore peu fait en ce qui concerne l’établissement d’une ferme direction organique sur cette nouvelle base. C’est l’une des principales tâches que le prochain Comité Exécutif Elargi aura à résoudre.
Les trois colonnes de la Révolution mondiale[modifier le wikicode]
J’en arrive à la fin de mon rapport. La stabilisation capitaliste comporte deux formidables brèches : l’une est l’Angleterre, la seconde est la Chine. L’Angleterre incarne la courbe descendante du vieux monde capitaliste. La Chine incarne le développement formidable des peuples coloniaux. Ce sont les deux points sur lesquels se déroulent de formidables événements ayant une importance mondiale. La grève des mineurs anglais et la révolution nationale en Chine, ce sont les deux points principaux où nous devons engager nos forces, exception faite naturellement de l’Union soviétiste. La révolution marche dans ces trois directions : l’édification du socialisme dans l’Union soviétiste, le mouvement ouvrier anglais et la révolution chinoise. Et je crois qu’en ce qui concerne ces trois points, nous n’avons aucune raison d’être pessimiste. Notre Union soviétiste marche de l’avant, malgré toutes les prophéties mensongères. On peut prophétiser dix, vingt et cent fois notre chute, nous continuerons cependant à marcher de l’avant. On peut s’inquiéter des échecs momentanés de la révolution chinoise. Mais il y a là à l’œuvre une machine formidable, une machine de 400 millions .de têtes, et si de temps en temps une vis et même une roue sautent, cette machine n’en continuera pas moins à fonctionner, malgré tous ces petits accidents momentanés.
De même, la classe ouvrière anglaise ne peut pas être arrêtée dans sa marche révolutionnaire, car la base principale de la communauté de travail entre la bourgeoisie et la classe ouvrière anglaise a disparu. Le capitalisme anglais se trouve plus qu’aucun autre capitalisme au bord de l’abîme. C’est pourquoi la voie que prendra le développement de la classe ouvrière ne fait aucun doute, elle ira de plus en plus dans la voie de la révolution, dans la voie de la dictature prolétarienne. On s’efforce en vain de construire actuellement en Angleterre différentes organisations mixtes d’ouvriers et d’entrepreneurs, c’est en vain que l’on s’imagine pouvoir transplanter en Angleterre les méthodes américaines de corruption des ouvriers. Si ces méthodes n’ont donné à la bourgeoisie que quelques petits succès, elles ont en tout cas, en Amérique, une certaine base économique. Mais, en Angleterre, cette base n’existe pas, et c’est pourquoi tous ces palliatifs sont condamnés d’avance.
La révolution mondiale s’avance sur trois colonnes. Elle s’avance à l’Orient par la marche de plusieurs centaines de millions de travailleurs chinois. Elle s’avance à l’Occident par la marche mesurée des mineurs anglais et elle s’avance dans l’Union soviétiste par notre offensive croissante contre les éléments capitalistes de notre économie. Ces trois forces deviennent de plus en plus décisives. Ces trois forces remporteront la victoire finale. (Ovations enthousiastes et prolongées.)