Rapport sur la question nationale pour le 4e Congrès de la Section Belge de la IVe Internationale

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I. Rapport sur la Question Nationale[modifier le wikicode]

La guerre impérialiste ne produit pas seulement une formidable exacerbation des luttes de classes au sein des grandes nations capitalistes. Elle mène aussi à l’assujettissement d une foule de nations, petites et moyennes, par les grands impérialismes. Ainsi, dans la première période de cette guerre, l’impérialisme allemand a conquis l’Europe entière, l’impérialisme italien a reçu quelques parcelles de ces conquêtes, l’impérialisme japonais a conquis de larges parties de l’Asie. En même temps, les impérialismes américains et anglais arrondissaient leurs magots dans la deuxième partie de la guerre. Ces impérialismes commencent à mettre la main sur les nations impérialistes de l’axe.

L’assujettissement de nations auparavant indépendantes n’est donc pas un phénomène passager ou exceptionnel. Il est inhérent à l'ère impérialiste. De même que les partis révolutionnaires tracent leur tactique dans les pays impérialistes indépendants, il faut qu’ils élaborent les lignes de leur conduite dans les pays impérialistes asservis momentanément ou d’une façon durable.

Lorsqu’on parle de l’oppression impérialistes nations conquises, il faut distinguer entre deux sortes d’oppressions. Il y a l’oppression de la bourgeoisie impérialiste par les impérialismes vainqueurs et il y a l’oppression des masses populaires des pays vaincus par les impérialismes vainqueurs. La lutte nationale de la bourgeoisie vaincue est une lutte impérialiste qui n'a rien de progressif (contrairement à la lutte nationale de la bourgeoisie coloniale). La bourgeoisie des pays vaincus ne lutte pas pour la création des cadres nationaux de la production (ce stade étant depuis longtemps dépassé), elle lutte pour les marchés et les investissements de capitaux.

Le prolétariat révolutionnaire n’a rien de commun avec la lutte pour la « libération nationale » de sa bourgeoisie. Il s’oppose de toutes ses forces à la restauration de son pouvoir politique (Armée, Etat).

La lutte nationale des masses populaires (petite bourgeoisie et prolétariat), par contre, n’est que la résistance des masses populaires à l’impérialisme étranger qui les exploite comme exploite ses propres masses populaires. La petite bourgeoisie des pays occupés est expropriée et opprimée. Le prolétariat est surexploité. Le parti révolutionnaire doit soutenir sans hésiter la résistance des masses populaires à l’exploitation par l’impérialisme étranger.

Lénine dit :

« Sans trahir le socialisme, nous devons soutenir toute insurrection contre notre principale ennemie, la bourgeoisie des grandes puissances, si ce n’est pas une insurrection de la classe réactionnaire. En renonçant à soutenir les insurrections des pays annexés, nous devenons, objectivement parlant, des annexionnistes. C’est précisément dans l'ère de l’impérialisme qui est Père du début de la révolution sociale, c’est alors que le prolétariat soutiendra avec une particulière énergie aujourd’hui l’insurrection des régions annexées, pour attaquer, en même temps ou demain, la bourgeoisie de la « grande puissance affaiblie par ce soulèvement. »

Il va de soi que cette lutte des masses populaires des pays occupés contre l’impérialisme étranger qui les opprime — paysans bosniaques ou serbes défendant leurs récoltes, ouvriers hollandais, belges, français, etc., luttant contre leur déportation, juifs de Varsovie luttant pour la vie, ouvriers d ’Alsace et du Luxembourg luttant contre leur mobilisation dans la Wehrmacht — est accompagnée d’un épanouissement de préjugés chauvins. Mais le caractère subjectivement réactionnaire du mouvement ne change rien à son caractère objectivement révolutionnaire.

Lénine dit:

« La révolution socialiste en Europe ne peut être autre chose qu’une explosion de la lutte des masses, de tous ceux qui sont opprimés et mécontents, quels qu’ils soient. Des portions de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y prendront fatalement part. Sans leur participation, la lutte de masses est IMPOSSIBLE , aucune révolution n’est possible. Et ces éléments, d’une façon non moins fatale, mêleront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils attaqueront le CAPITAL , et l’avant-garde consciente de la révolution, en exprimant cette vérité objective des masses les plus hétéroclites, les moins unies extérieurement, des voix les plus diverses, pourra unifier et diriger le mouvement, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts, etc....

Lénine dit encore:

« La révolution de 1905 était démocratico-bourgeoise. Elle consista en une suite de batailles livrées par toutes les classes, les groupes, les éléments mécontents “de la population. Parmi eux, il y avait des masses qui entretenaient encore les plus sauvages préjugés, qui poursuivaient des buts extrêmement confus et fanatiques, il y eut de petits groupes qui acceptaient de l’argent du Japon, il y eut des spéculateurs et des aventuriers, etc. OBJECTIVEMENT , le mouvement des masses brisait le tsarisme et frayait la route à la démocratie, et c ’est pourquoi les ouvriers conscients le dirigeaient. »

Lénine dit ensuite que ceux qui ne com­prennent pas le caractère objectivement révolutionnaire de ces différents mouvements, sont des renégats de la révolution sociale, des révolutionnaires en parole. « Penser que la révolution sociale soit concevable sans le soulèvement des petites notions dans les colonies et en Europe, sans une explosion révolutionnaire de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans des mouvements de masses prolétariennes et semi-prolétariennes non conscientes, contre l’oppression des propriétaires, de l’église, de la monarchie, de la nation étrangère, etc..., penser ainsi, c'est renier la révolution sociale. On imagine donc qu’à un endroit quelconque l’on verra se ranger une troupe proclamant: « Nous sommes partisans du socialisme », tandis qu’en face une autre troupe proclamera: « Nous sommes partisans de l’impérialisme », et que cela sera la révolution sociale. Celui qui attend une « pure y> révolution sociale, celui-là ne la verra jamais venir. Celui-là est un révolutionnaire en paroles, qui ne comprend pas la véritable révolution ». (Lénine: << Contre le Courant ». PP. 130, 150, 151.)

« Les grands états-majors, dans la guerre actuelle, s’efforcent soigneusement d'utiliser tout mouvement national et révolutionnaire dans le camp ennemi. Les Allemands cherchent à se servir de .l’insurrection irlandaise, les Français veulent utiliser le mouvement tchèque, etc... Et de leur point de vue, ils ont parfaitement raison. On ne peut mener une guerre sérieuse sans chercher à tirer profit de la moindre faiblesse de l'adversaire, sans s'efforcer de .saisir la moindre chance, d'autant plus qu’il est impossible de savoir à quel moment précis et avec quelle violence explosera « telle ou telle poudrière ». Nous serions de très mauvais révolutionnaires si, dans la grande guerre d’émancipation du prolétariat pour le socialisme, nous ne savions pas utiliser N’IMPORTE quel mouvement populaire contre TELES OU TELLES calamités de l’impérialisme, en cherchant à aggraver et n'élargir la crise par ce moyen » (Lénine).

Il va de soi que le parti révolutionnaire, en soutenant tel ou tel mouvement populaire contre telle ou telle calamité impérialiste, en l’occurrence contre l'exploitation des masses asservies d’une nation conquise par un impérialisme étranger, doit combattre avec la dernière énergie le nationalisme, les préjugés chauvins dont sont imbues ces masses.

Il doit dans toute sa propagande expliquer à ces masses que les ouvriers des impérialismes envahisseurs ne sont nullement responsables de leurs souffrances. Bien au contraire, ils souffrent aussi de l’oppression de leur bourgeoisie. Le parti révolutionnaire, en soutenant les masses populaires dans leur lutte contre l'exploitation impérialiste dont elles sont l’objet, doit sans cesse les appeler à créer un front étroit avec les ouvriers des pays occupants. C'est ainsi seulement que la lutte des ouvriers des pays envahis a la chance d'aboutir à des résultats concrets.

Le parti révolutionnaire doit combattre avec la dernière énergie l’influence de la bourgeoisie nationale ou de l'impérialisme étranger « allié », qui peut s'exercer sur les masses populaires en lutte. Il doit montrer aux masses populaires que cette bourgeoisie et que cet impérialisme mènent une guerre impérialiste et non pas une guerre « pour la libération des petites nations ».

Le parti révolutionnaire doit s’efforcer de lier dans toutes les circonstances la lutte contre l’exploitation de l'impérialisme étranger à la lutte contre l’exploitation de la bourgeoisie nationale. D’ailleurs, en pratique, ces deux luttes se lient intimement. Les masses ne peuvent s’attaquer sérieusement à l'exploitation de l'impérialisme ennemi sans s’attaquer à l’exploitation de la bourgeoisie nationale. Les masses ne peuvent s’attaquer à l’exploitation de la bourgeoisie nationale, sans s'attaquer à l'exploitation de l'impérialisme étranger.

Il va de soi que le soutien des mouvements de masses contre l’impérialisme étranger ne peut être un « but en soi ». Il est évident, surtout dans la période révolutionnaire causée par la guerre impérialiste, que le parti révolutionnaire doit transformer tout mouvement populaire, objectivement révolutionnaire, en un assaut général contre le capitalisme. Dans chaque grève importante, chaque insurrection, le parti du prolétariat s’efforcera de former ou de consolider les organes du double pouvoir, les soviets, qui, dans un moment favorable, deviendront des organes du pouvoir prolétarien.

II. Résolution sur la Question Nationale adoptée au IVe Congrès du PCR[modifier le wikicode]

1. — Dans les pays occupés de l’Europe occidentale, l'effondrement des vieux Etats bourgeois fut accompagné d un abaissement considérable du niveau de vie des masses prolétariennes et petites-bourgeoises. D’autre part, l’occupation hitlérienne y détruisit tous les vestiges de la « démocratie » bourgeoise, surtout toutes les organisations prolétariennes. Hitler a ainsi objectivement rempli le rôle historique que les différents mouvements fascistes « indigents » n'ont pas pu jouer. La puissance de résistance des masses à l’oppression impérialiste répond objectivement à la lutte contre rabaissement du niveau de vie et contre l’oppression fasciste. En même temps l'appareil d’occupation allemand fait fonction d’appareil d’Etat de la bourgeoi­sie belge. Toute lutte partielle économique contre la bourgeoisie belge met le prolétariat belge en collision avec l’impérialisme allemand.

2. — En vue du danger mortel qui la menace, la bourgeoisie des pays occupés laisse de plus en plus tomber ses valets fascistes et essaye de canaliser et de briser la montée révolutionnaire avec l’aide des organisations nationalistes. En même temps, ceux-ci ont pour fonction de profiter du mouvement de masse pour reconstituer l'Etat et l’armée belge et pour préparer une participation plus « active » de la bourgeoisie dans la guerre de brigandage impérialiste. La lutte la plus implacable contre le « Front de l'indépendance », la « Brigade blanche », etc..., lutte contre le poison chauvin, lutte contre le gouvernement Pierlot, est donc un devoir pressant pour le P.C.R. L’art de la stratégie léniniste consiste précisément à DETACHER les masses de ces agences impérialistes et de transformer leur mouvement de résistance contre l’oppression et l’exploitation impérialiste en révolution prolétarienne.

3. — Mais par-dessus tout, un fait domine la situation: l’exacerbation des contradictions sociales résultant de la guerre. Si les masses se mettent en mouvement contre l’oppression dont elles sont l'objet, sous quelque drapeau qu'il soit, ce ne sera pas le caractère idéologique (« la conscience nationaliste » ) mais bien le caractère social (« la lutte de classes » ) qui déterminera la direction et les formes de leur combat. La prédominance fatale du prolétariat dans tout mouvement de masses, déterminera des formes spécifiquement prolétariennes de lutte: comités. grève, milices, etc. Au moment où le prolétariat entre en lutte ouverte et générale contre l’occupation allemande, il crée en même temps les germes d'un double pouvoir, qui menace tout autant de balayer la bourgeoisie nationale.

4. — Le P.C.R soutient et pousse en avant les mouvements de résistance des masses à l’exploitation impérialiste, pour créer et développer les organes du pouvoir prolétarien et pour saboter toutes les tentatives des agences bourgeoises de reconstituer le pouvoir capitaliste national. Il soutient les objectifs immédiats du mouvement de résistance des masses à l'impérialisme, et les lie à ses revendications transitoires. Les formes de ce soutien dépendront des circonstances. Là où des organisations nationalistes déclencheront des mouvements insurrectionnels non suivis des masses, le P.C.R considérera ces mouvements comme des mouvements de la classe réactionnaire, les sabotera et essayera, le cas échéant, de les détruire.

5. — Au milieu de la lutte des masses (grèves, manifestations, grève générale, insurrection, etc.), le P.C.R luttera pour la réalisation du front unique prolétarien sur la base des comités et des milices. Dans ces comités, il luttera de toutes ses forces pour son propre programme.

Pour des buts techniques limités (remise d’armes, etc.), il pourrait conclure des accords pratiques avec des organisations petites-bourgeoises, SANS JAMAIS SE LIER POLITIQUEMENT, tout en les combattant politiquement avec la dernière énergie. Jamais il n’entrera, sous quelque forme que ce soit, dans les combinaisons à la « Front Populaire ». Au contraire, démasquer la démagogie « anti-fasciste » des agences de la bourgeoisie, qui mène la guerre pour ses propres buts de rapine et poursuit ces mêmes buts dans la lutte contre l’impérialisme allemand, devra constituer à ce stade de l’évolution Taxe de notre propagande, comme l’action prolétarienne internationale, indépendante et anticapitaliste, doit être représentée dès maintenant comme une condition nécessaire et suffisante pour la victoire des masses contre Hitler.

6. — Au moment où un gouvernement national « démocratique-bourgeois » ou non surgirait de la lutte, la lutte contre le « Front de l’Indépendance », etc., se prolongerait logiquement en une lutte tout aussi énergique contre ce gouvernement. Au moment où l’appareil d’occupation allemand serait remplacé par l’appareil d’occupation anglo-saxon, la lutte également implacable se poursuivrait contre cet appareil d’oppression et d’exploitation.

7. — Le P.C.R défend le mot d’ordre du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

Pour que ce mot d’ordre serve tout autant à démasquer la bourgeoisie nationale il le lie au droit d’auto-détermination de TOUS les peuples, il exige la libération des peuples coloniaux du Congo, des Indes, de l’Afrique du Nord, etc.

Il lie également ce mot d’ordre à celui des Etats-Unis socialistes d’Europe, et montre aux masses opprimées que seule la révolution socialiste peut réaliser leur libération de toute oppression nationale. Pour cela, il est indispensable de mener une campagne internationaliste de fraternisation prolétarienne avec les masses opprimées du monde entier, surtout avec les prolétaires allemands en uniforme.