Quelques aspects économiques de l’économie mondiale au 1er semestre 1924

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Après avoir tracé un tableau général de l’économie mondiale au 1er semestre 1924, le camarade Varga étudie de plus près les phénomènes les plus importants. Voir l’article paru dans le N°67 de la C. I. du 24 septembre. La Réd.

I. Le chômage[modifier le wikicode]

Le tableau suivant montre le pourcentage des chômeurs, par rapport au nombre des ouvriers syndiqués :

Angleterre Belgique Hollande Danemark Suède Norvège Allemagne Chômeurs partiels (Allemagne)
1923
Novembre 10,5 2,7 13,9 11,4 1,1 9,5 23,4 47,3
Décembre 9,7 3,6 17,3 16,0 14,1 14,0 28,0 42,0
1924
Janvier 8,9 3,7 22,7 21,0 13,6 9,1 26,5 23,4
Février 8,6 3,6 16,0 21,3 13,2 8,1 25,1 17,1
Mars 7,9 2,05 13,2 18,4 13,8 7,6 16,6 9,9
Avril 7,5 2,94 9,0 9,3 11,4 - 10,4 5,8
Mai 7,0 3,25 8,2 6,1 7,5 - 8,5 8,2
Juin 7,2 - 5,1 - - - 10,4 19,4

Sur le nombre des chômeurs aux Etats-Unis d’Amérique il n’existe pas de statistique officielle. D’après les chiffres fournis par le Fédéral Reserve Board nous pouvons évaluer à 3 millions le nombre des chômeurs dans ce pays. L’Allemagne continue à souffrir de la crise du chômage. Le nombre des chômeurs recevant des allocations accuse, jusqu’au 1er juin, une diminution. A partir de cette date il recommence à augmenter et monte de 200 000 au 1er juin à 276 000 au 15 juillet. Ces chiffres ne concernent que le territoire non-occupé et ne donnent que le nombre des sans-travail (chômeurs partiels non compris) recevant des allocations de l’Etat. Il convient de remarquer à ce sujet que la victoire de la bourgeoisie allemande a eu pour conséquence de réduire fortement le nombre des personnes ayant droit aux allocations de chômage. Nous croyons être dans le vrai en évaluant à un million l’ensemble des chômeurs en Allemagne occupée et non occupée. L’Angleterre en compte plus d’un million et si nous y ajoutons les autres pays, nous arrivons au chiffre de 7 — 10 millions de chômeurs, le même qui avait marqué le point culminant de la grande crise en 1921.

II. Les fluctuations du change[modifier le wikicode]

Le cours du change a été, en général, sujet à moins de fluctuations qu’en 1923. Nous observons depuis mars dernier une tendance à amélioration. Le tableau du mouvement des devises étrangères à New-York (moyenne mensuelle) et que nous donnons ci-dessous, le montre :

Dollar au pair Janvier 1923 Janvier 1924 Avril 1924 Mai 1924 Juillet 1924
Suisse (francs) 100 19,30 18,80 17,81 17,60 17,80 18,17
Suède (couronne!) 100 26,80 26,86 26,20 26,40 26,50 26,62
Hollande (florins) 10 40,20 39,56 37,30 37,20 37,40 37,89
Angleterre (liv. ster.) 1 4,87 4,65 4,25 4,35 3,37 4,37
Espagne (pesetas) 100 19,30 15,66 12,74 13,64 13,83 13,28
Danemark (couronnes) 100 26,80 19,79 16,94 16,64 16,96 16,14
Norvège (couronnes) 100 26,80 18,66 14,08 13,79 13,88 13,44
France (francs) 100 19,30 6,68 4,67 6,16 5,98 5,09
Belgique (francs) 100 19,30 6,08 4,18 5,23 4,98 4,55
Italie (Lires) 100 19,30 4,88 4,55 4,44 4,44 4,44
Finlande (marks) 100 19,30 2,48 2,38 2,51 2,51 2,51[1]
Tchécoslovaquie (cour.) 100 20,26 2,85 2,90 2,96 2,94 2,93
Yougoslavie (dinars) 100 19,30 51,94 49,93 51,88 50,55 43,08
Roumanie (lei) 100 19,30 51,94 49,93 51,88 50,55 43,08
Allemagne (marks). 10 000 2 382,00 - 0,22 0,22 0,22 0,23[2]
Hongrie (couronnes) 10 000 2 026,00 - 0,39 0,14 0,12 0,11
Pologne (mark.) 10 000 2 382,00 - 0,12 0,11 0,11[3] -
Autriche (couronnes) 10 000 2 026,00 - 0,14 0,14 0,14 0,14

Le mouvement du franc français ne concorde pas avec la tendance générale du marché monétaire. La dépréciation de la monnaie française, qui avait commencé au dernier trimestre de I923, a continué au 1er trimestre de l’année courante, jusqu’au début de mars qui marqua le plus bas de la chute du franc dont le cours tomba à 16,6% de la valeur-or. La livre sterling fut cotée 120 francs.

Sans une intervention internationale, le franc aurait inévitablement subi le sort du mark allemand. Grâce à cette intervention, il a rapidement recouvré 35% de sa valeur-or, atteignant ainsi un cours maximum inconnu depuis le début de 1923. A la fin d’avril dernier commença une nouvelle période de dépréciation, terminée par la stabilisation du cours du franc dans la proportion de 80 à 1 par rapport à la livre sterling.

Les faits qui avaient provoqué la chute du franc sont connus. Les moyens dont disposait le pays ne suffisaient plus à équilibrer le budget et surtout à couvrir les frais de la reconstruction des régions dévastées. L’Etat n’avait plus la faculté de placer les emprunts à court terme. La majoration des taxes et impôts s’est avérée, du temps de M. Poincaré, un expédient rendu inutile par la dépréciation même du franc.

On a dit. en France, que la chute du franc était l’œuvre de la spéculation étrangère. La crise ouverte par la hausse du franc à la Bourse de Berlin et surtout à celle de Vienne ne laisse subsister aucun doute sur l’action de la spéculation contre le franc. On se demande seulement si l’Amérique et l’Angleterre étaient étrangères à cette campagne contre le franc et si ce n’étaient pas elles qui en avaient pris l’initiative pour exercer une pression politique sur la France qu’il fallait amener à accepter le Plan Dawes. Faute d’une documentation suffisante nous n’osons répondre par l’affirmative. Il parait néanmoins certain que l’intervention anglo-américaine, qui avait déterminé la hausse du franc à partir du 12 mars, a été le résultat d’un engagement pris par la France relativement au Plan Dawes. L’absence de preuves ne nous empêche pas de supposer que la chute vertigineuse du franc et la hausse rapide qui l’a suivie faisaient parties d’une manœuvre internationale du capital américain préparant la colonisation de l’Allemagne.

Un autre fait important que nous relevons dans le mouvement des devises étrangères concerne la Pologne. Ce pays a introduit une nouvelle unité monétaire, le Zloty (un franc-or) et retiré de la circulation le mark polonais. Grâce à cette reforme monétaire, la Pologne a une monnaie à cours stable. Les opérations financières qui ont abouti à la stabilisation du change polonais furent menées par la nouvelle Banque d’émission. La majeure partie des devises étrangères qui forment le capital de cette banque a été fournie par des souscripteurs polonais.

III. Crise de la navigation mondiale[modifier le wikicode]

Après une légère amélioration au 1er trimestre 1924, une crise de la navigation se fait remarquer, proportionnellement à la crise économique générale. Au 2e trimestre, nous constatons une augmentation du tonnage inutilisé et une diminution des transports. La crise des transports a, naturellement, eu des répercussions sur la construction de navires et le tonnage mondial. C’est, abstraction faite des années de guerre, la première fois depuis l’existence du Registre Lloyd que le tonnage mondial accuse une diminution.

Les chiffres que voici sont très instructifs à cet égard :

Juin 1924
Bateaux à vapeur et à moteur Voiliers Ensemble
Tonnage brut
Grande-Bretagne 18 954 158 151 680 19 105 838
Autres pays 42 559 982 2 357 747 44 917 729
Total 61 514 140 2 509 427 64 023 567
Juin 1923
Bateaux à vapeur et à moteurVoiliersEnsemble
Tonnage brut
Grande-Bretagne19 115 178166 37119 281 549
Autres pays43 220 1952 664 49445 884 689
Total62 335 3732 830 86565 166 238

Les pays dont la marine marchande a subi la plus grande diminution de tonnage sont les Etats-Unis (1 000 000 tonnes), la France (239 000 tonnes) et l’Italie (202 000 tonnes). Le tonnage a augmenté dans deux pays : en Allemagne de 364 000 tonnes et au Japon de 239 000 tonnes. La diminution du tonnage s’explique par le fait que nombre de navires d’anciens types ont été mis hors d’usage. Il convient de remarquer que, malgré la crise actuelle, le tonnage mondial, en juin dernier, était de beaucoup supérieur à celui de juin 1914.

En dépit de la situation où se trouve actuellement la navigation mondiale on constate, en Angleterre, une légère augmentation des constructions navales. Le tonnage total en construction y était de 1 373 000 tonnes en 31 mars 1924, contre 1 231 000 à fin décembre 1923. Par contre, on constate dans les autres pays une diminution du nombre des navires en chantier.

IV. Le mouvement des prix et l’exploitation des pays à change déprécié[modifier le wikicode]

Le mouvement des prix pendant le 1er semestre 1924 accuse fort peu de variations. Cela s’explique par la stabilité relative du change. Le tableau ci-dessous enregistre le mouvement des prix dans les pays les plus importants :

Etats-Unis Suède Suisse Japon Angleterre Danemark France Italie Allemagne
Décembre 144 150 183 210 179 210 459 577 125
Janvier 143 152 183 211 182 223 495 571 117
Février 140 153 180 208 182 227 544 573 116
Mars 137 154 182 206 181 228 500 579 121
Avril 136 156 180 207 181 225 450 579 124
Mai 134 151 178 -- 177 219 459 571 122
Juin -- -- -- -- 177 -- -- -- 118
Juillet -- -- -- -- -- -- -- -- 113

La hausse considérable des prix en France, au printemps dernier, correspond à la baisse du franc à cette époque.

Le Federal Reserve Board, de Washington, a établi pour les principaux pays l’index des prix calculés en or. En prenant pour base la moyenne des prix en 1913 et que nous supposons égale à 100, nous arrivons par ce calcul au résultat suivant :

Etats-Unis Angleterre France Canada Japon
Moyenne annuelle 1919 210 219 -- 198 241
Moyenne annuelle 1920 210 233 187 223 242
Moyenne annuelle 1921 149 156 133 150 175
Moyenne annuelle 1922 158 150 136 147 175
Moyenne annuelle 1923 164 159 124 147 183
Janvier 1924 163 156 108 142 185
Février 1924 163 160 107 144 182
Mars 1924 160 158 117 143 172
Avril 1924 158 162 137 140 165

Ces chiffres nous apprennent d’abord que l’index au Japon est supérieur à celui des EtatsUnis, tandis qu’en Angleterre, au Canada et surtout en France il est inférieur. Nous observons en France le phénomène que nous avions constaté en Allemagne pendant la période de chute du mark : les prix-or sont plus bas sur le marché intérieur que sur le marché mondial. Cette circonstance caractérise la « conjoncture de liquidation ». On l’a vu avec une grande netteté en France, au 1er trimestre 1924, lorsque les prix étaient d’un tiers plus bas qu’aux Etats-Unis. Ces chiffres exigent naturellement quelques réserves puisqu’ils sont le résultat d’une méthode de calcul qu’on ne saurait toujours appliquer avec succès à des pays autres que les Etats- Unis.

Nous trouvons dans la même statistique des données sur les différences de prix entre le marché intérieur et extérieur. Nous donnons les chiffres pour avril dernier :

Etats-Unis Angleterre France Canada Japon
Produits du pays écoulés sur le marché intérieur 159 183 418 141 199
Produits importés 141 178 479 159 214
Produits exportés 182 188 433 130 198

Il ressort de ces chiffres que les pays à change déprécié vendent leurs produits à meilleur marché et achètent plus cher, tandis que les pays à change élevé vendent plus cher et achètent à meilleur compte. La France, par exemple, vend à beaucoup meilleur marché qu’elle n’achète à l’étranger. Avec les Etats-Unis c’est tout le contraire. De cette manière les pays à change déprécié sont exploités par les pays à change élevé, car pour la même somme d’argent ils livrent plus de produits, c’est-à-dire plus de journées de travail, qu’avant la guerre et plus qu’ils n’en reçoivent en échange.

  1. [Notes de Varga explicitées] Pour la Finlande, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la Roumanie et la Hongrie, le taux de change de juillet est celui du 3 juin.
  2. Pour l’Allemagne, en 1924, le tableau donne la valeur en dollar d’un billion de mark-papier
  3. Pour la Pologne, en 1924, le tableau donne la valeur en dollar d’un million de marks polonais.