Qu’est la guerre pour l’Amérique ?

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Les U.S.A. étaient, de nom, une puissance neutre; de fait, ils menaient ouvertement la guerre aux côtés des Alliés (Angleterre, France, Russie et Italie). Cela, tous le savent. L’Amérique a fourni aux Alliés des quantités de matériel militaire, ceci sans interruption, et ses « sympathies » pour les Français et les Belges étaient pres-qu’aussi élevées que ses profits. Le Capitalisme américain aurait été, évidemment, disposé à servir les deux camps en guerre : à vendre aux Allemands des obus contre les Français, et aux Français contre les Allemands. C’eût été pour le Capitalisme une politique « rêvée » de neutralité. Les canons, les sympathies et les obus auraient été répartis de façon égale entre les belligérants. Mais l’Angleterre institua le Blocus. La route vers les Empires centraux était coupée. Si Wilson avait voulu alors agir comme il agit maintenant, il aurait dû, au nom de « la liberté des mers », rompre les relations diplomatiques avec l’Angleterre et, en général, avec les Alliés. Mais dans ce cas, l’industrie américaine aurait été coupée des deux camps en guerre. Les U.S.A. admirent donc le Blocus (c’est là le « Pacifisme » de Wilson), et le Capitalisme américain reçut la possibilité de faire des profits fantastiques sous le pavillon de la neutralité. Voici que fin janvier, l’Allemagne déclare le Blocus total de tous ses ennemis. Si le Blocus allemand était assez fort non seulement pour couper l’Amérique des Alliés, mais pour permettre l’écoulement des marchandises américaines, les capitalistes américains se seraient pliés à cet état de choses, et ils auraient expédié à Berlin toutes les munitions destinées à Londres. Toutes les « sympathies » auraient été reportées sur les Allemands qui protègent l’Europe de la barbarie russe. Et Wilson continuerait de porter la robe de chambre du « pacifiste ». Mais il ne peut en être question. Le travail des sous-marins allemands réussit à couper les communications entre les U.S.A. et les Alliés, mais il ne suffit pas à ouvrir le marché allemand aux capitalistes américains. Le résultat des deux Blocus est de couper l’Amérique des deux camps. Que doit-on faire ? Adopter une politique stricte de neutralité ? Suspendre les envois de munitions ? Ceci signifierait non seulement la perte de profits colossaux, mais aussi quelque chose de plus ! Pendant la guerre, l’industrie américaine s’est convertie totalement. Au lieu de fabriquer des produits de consommation, le Capitalisme américain s’est reconverti dans la fabrication d’instruments de destruction. Des forces et des moyens incalculables (matériel brut, machines, masses ouvrières) sont consacrés à l’industrie de guerre. La suspension des transports vers l’Europe signifierait une crise jamais encore connue. De nombreuses usines, des entreprises sous-traitantes plus nombreuses encore, devraient aussitôt arrêter tout travail. Les cours s’effondreraient aussitôt. II y aurait des pleurs et des grincements de dents dans le monde capitaliste. Les signes avant-coureurs de cette crise sont déjà là. Les navires ne partent pas. Les ports sont encombrés. Les marchandises s’accumulent dans les docks. Les wagons ne sont pas déchargés. Mais ce ne sont que les fleurs ! Les fruits doivent encore mûrir ! La Bourse est secouée par des pressentiments funestes. Le Capitalisme financier s’agite nerveusement. Les dirigeants des trusts réclament des actes décisifs. Wilson enlève ses pantoufles de pacifiste et chausse ses bottes de combat. Mais à quoi servira l’intervention armée des U.S.A. ? On ne peut pas balayer les sous-marins allemands avec des articles de presse et des vantardises patriotiques ! Si la puissante flotte anglaise ne réussit pas à garantir la liberté des mers, que feront les navires de guerre américains encore moins capables de réaliser des miracles ? Donc, dans le cas d’une intervention directe, la production de guerre américaine resterait, quand même, coupée du marché européen.

Ceci est indiscutable. Mais, pour les marchands de canons américains, s’ouvrira aussitôt un nouveau marché colossal : dans l’Amérique même.

Voici le nœud de la question. Les U.S.A., en alimentant la guerre européenne, ont édifié la Tour de Babel de la production de guerre. Cette tour se dresse au-dessus de la Bourse, de la Maison-Blanche, du Parlement, de la conscience des journalistes. S’il n’est plus possible d’exporter les engins de mort vers l’Europe, il ne reste plus qu’à faire payer ceux-ci par la République américaine. Il faut, le plus vite possible, créer son propre militarisme. Jusqu’à maintenant, les marchands de munitions se sont nourris du sang européen. Maintenant, ils s’apprêtent, à l’instar de leurs homologues européens, à se nourrir du sang de leurs propres prolétaires. Quel caractère prendra la guerre du côté américain ? Cette question particulière n’est pas encore claire, même pour les dirigeants de Washington. Mais la guerre leur est indispensable. Il leur faut le « danger qui menace la Nation » pour charger les épaules du peuple américain du poids de la tour babylonienne de l’industrie de guerre.