Projet d'adresse de la seconde Chambre (1849)

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Cologne, le 16 mars.

Nous communiquons ci-dessous à nos lecteurs le projet d'adresse de la seconde Chambre [1] ; c'est une copie, pâle et servile du discours du trône. Il a été rédigé par le chevalier de la terre rouge[2] , si tristement connu, le vaillant (!) von Vincke.

La commission de l'adresse « reconnaît » (style de l'Ancien Testament) avec gratitude l'« établissement » de la « situation juridique » par la Constitution du 5 décembre dernier. Et même elle commet ce remerciement au nom du « peuple prussien ». Et pourquoi le peuple remercie-t-il la commission de l'adresse pour la Constitution de décembre octroyée par le sabre ? Parce qu'il est « pénétré » du désir de voir rétablir une situation juridique officielle. Vincke, triste sire ! Il lui fallait faire ses preuves en homme « du terrain juridique », sa spécialité. Et comment reconnaître le « terrain juridique » face au ministère Brandenburg qui a justement fait voler en éclats ce terrain juridique en déchirant les lois des 6 et 8 avril ? Rien de plus simple ! Le ministère a octroyé un nouveau terrain juridique, la loi martiale et en même temps la charte, le code et la philosophie de la loi martiale, c'est-à-dire la Constitution du 5 décembre. En premier lieu le ministère abolit la « situation juridique officielle ». Ensuite le gouver­nement en proclame une autre, la première « situation juridique officielle » croate venue, une situation juridique quelconque. Et la commission de l'adresse, au nom du peuple prussien, et Vincke, au nom de la commission de l'adresse prussienne, n'ont rien de plus pressé à saluer que le retour d'une « situation juridique officielle » (n'importe laquelle, la première venue !). Le terrain juridique est mort ! Vive le terrain juridique ! Si le gouvernement prussien est renversé demain, si un comité du salut public est proclamé à Berlin, il se trouvera immanquablement un « homme du terrain juridique », un Vincke quelconque pour être parmi les premiers à convier à la noce, et le retour d'une quelconque « situation juridique officielle » sera accueilli avec émotion.

La commission de l'adresse et les morts vont vite[3] ! Et d'abord, suivant la prescription de la Neue Preussische Zeitung , « de la gratitude » pour le coup d'État du 5 décembre. Ensuite la proclamation de la Constitution ayant la loi martiale « comme seule loi fondamentale désormais en vigueur, de l'État prussien ». Finalement, la promesse solennelle de procéder à la « révision, avec respect et loyalisme à l'égard de Sa Majesté royale ! », c'est-à-dire une révision dans l'esprit du donateur. On peut espérer que sur cette voie, nous serons ramenés en-deçà de la Diète unifiée !

Quant à « l'état de siège » de Berlin, la commission de l'adresse se laissera exclusivement dominer par le lieu commun suivant lequel « la véritable liberté ne peut subsister sans ordre légal ». Depuis Varsovie[4] on connaît le cri de guerre : « ordre légal ». Si seulement la Prusse pouvait subsister sans argent et se procurer de l'argent sans ces importuns péroreurs du Parlement ! Quant aux états de siège sporadiques « en dehors de la ville de Berlin », la commission de l'adresse estime opportun « d'attendre la venue » d'une nouvelle communication de Sa Majesté royale ». Pendant ce temps Erfurt et les districts silésiens, gratifiés de l'état de siège, peuvent toujours voir venir. Vincke est satisfait . Pourvu que la censure militaire d'Erfurt et de Rosenberg ne biffe pas son propre projet d'adresse. Pas de danger !

Ensuite Vincke promet, au nom de la commission de l'adresse, et la commission de l'adresse promet, au nom de la seconde Chambre, et la seconde Chambre promet au nom du peuple de terminer « en redoublant d'activité » et à la plus grande satisfaction possible les pensums infligés à la « prétendue représentation populaire » par le gouvernement royal prussien. Bonne chance !

« Nous reconnaissons aussi avec joie que l'armée prussienne a confirmé sa gloire militaire dans les jours de lutte et sa fidélité dans de difficiles épreuves. »

Campagne du tribunal d'empire au Danemark[5] . Batailles de Miloslaw et de Wreschen ![6]

Victoires d'Anhalt, de Mayence, de Francfort-sur-le-Main[7] . Bien plus ! Vincke reconnaît joyeusement la fidélité avec laquelle « Ma splendide armée » a pourchassé les prédécesseurs de Vincke et fait du feu avec les documents de l'ancienne Assemblée nationale. Vincke est dans le vrai sans la « fidélité » de « l'armée prussienne dans de difficiles épreuves » notre Vincke n'aurait jamais trouvé l'occasion de se rendre immortel grâce à ce projet d'adresse qu'il a rédigé lui-même. Remarquons d'ailleurs en passant, qu'à ce propos, la commission de l'adresse se conforme en bonne élève aux prescriptions données par la Neue preussische Zeitung dans le plan général de réformes des Hohenzollern.

Et la question allemande ?

La « Prusse » ne reculera devant « aucun sacrifice » pour tirer à soi la petite Allemagne par une voie différente de celle que prit Frédéric[8] pour tirer à soi la grande Silésie[9] . Quant aux « conquêtes », la Prusse moderne rend hommage au progrès « pacifique ». En outre la commission de l'adresse « espère » « l'entente de tous les gouvernements allemands et de l'Assemblée nationale allemande ». Pour nous, nous espérons que les gouvernements allemands ne tiendront pas grand compte de ce séminaire impérial de pédants.

La commission de l'adresse souhaite également que la « dénonciation de l'armistice par la Cour de Danemark » ne trouble « aucunement la paix ». Vincke sait très bien qu'on ne prend pas plus au sérieux cette dénonciation danoise de l'armistice que la guerre prusso-danoise. Les troupes prussiennes, au nom de l'empire, au Schleswig-Holstein, les troupes du Schleswig-Holstein, au nom de l'empire, en Allemagne du Sud, proclamant la loi martiale, les unes ici, les autres là !

Condoléances pour la mort du prince Waldemar, protestations de dévouement avec lesquelles les von Bodelschwingh, les Riedel, von Seckendorf, Arnim, Harkort, le comte Renard, Camphausen, Vincke, les Grün et autres canailles du même genre se sont abaissés au rang de Lycurgue et de Solon prussiens; la crainte de Dieu, le respect de la loi, l'esprit de corps, la justice, la Providence, le cœur des rois et l'avenir de la Prusse « et avec elle de l'Allemagne », voilà ce que la commission de l'adresse réserve pour la bonne bouche, par l'aimable entremise de Vincke !

Il faut que l'idiotie ait droit de cité dans une représentation populaire et dans un peuple pour qu'un von Vincke, au nom de la commission de l'adresse, au nom d'une Chambre, au nom du peuple lui-même, puisse se permettre par un tel galimatias de les ridiculiser devant la galerie européenne.

  1. Cf. Stenographische Berichte über die Verhandlungen der durch das Allerhöchste Patent vom 5. Dezember 1848 einberufenen Kammern. Zweite Kammer. (Compte-rendu sténographique, t. 2, pp. 329 à 374).
  2. La Westphalie.
  3. Die Toten reiten schnell : vers extrait de Lénore , la célèbre ballade du poète Gottfried August Bürger.
  4. Allusion à la répression du soulèvement polonais de 1830-1831 par les troupes du tsar en septembre 1831.
  5. Engels emploie cette expression pour caractériser la façon dont la Prusse mena les opérations durant la guerre prusso-danoise de 1848 qui avait pour enjeu le Schleswig-Holstein. Le tribunal d'empire (Reichskammergericht), le tribunal suprême d'Allemagne, exista de 1495 jusqu'à la dissolution du Saint Empire romain germanique de 1806. Il était connu pour sa lenteur et sa vénalité.
  6. Cf. article du n° 190 du 9 janvier 1849 intitulé. « Message de Nouvel An ».
  7. Engels qualifie ironiquement de « victoires de l'armée prussienne » la répression sanglante des soulèvements populaires d'Anhalt-Bernburg en mars 1849, de Mayence en mai 1848 et de Francfort-sur-le-Main en septembre 1848.
  8. Frédéric II.
  9. Le 20 octobre 1740, la mort de l'empereur. Charles VI ouvrit la crise de la succession d'Autriche. Par la Pragmatique sanction, Charles avait aligné le mode de succession autrichien sur celui de la Hongrie, en décidant qu'un représentant mâle primait une femme, même plus proche héritière, mais en cas d'absence d'héritier mâle, la femme la plus proche du dernier souverain régnant lui succéderait. C'est en vertu de cette Pragmatique sanction que sa fille Marie-Thérèse lui succéda. Or Marie-Thérèse vit aussitôt ses droits contestés par l'électeur Charles-Albert de Bavière qui réclamait tout l'héritage, par le roi d'Espagne Philippe V, et par le roi de Sardaigne; mais le plus résolu de ses adversaires était le nouveau roi de Prusse, Frédéric II, qui revendiquait la Silésie sur laquelle les Hohenzollern avaient eu jadis quelques droits; il est vrai qu'ils y avaient renoncé par traité, mais cela n'était pas pour embarrasser Frédéric II qui fut le premier à envahir le territoire convoité, en décembre 1740. Aux représentants de son ministre, il répondait : « L'article de droit est l'affaire des ministres, c'est la vôtre; il est temps d'y travailler en secret, car les ordres aux troupes sont donnés. » (Cité par C. Weil : La Morale du grand Frédéric d'après sa correspondance.) Après de nombreuses péripéties et après avoir entraîné, sans profit pour eux, de nombreux États, dont la France, dans une coalition contre Marie-Thérèse (c'est de cette époque que date l'expression : « travailler pour le roi de Prusse »), Frédéric II imposa à Marie-Thérèse le traité de Dresde par lequel elle renonçait à la Silésie qui fut alors rattachée à la Prusse.