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Special pages :
Pourquoi tant de centres ? Pourquoi obéissent-ils tous à Trotski ?
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 6 mars 1938 |
(6 mars 1938 – 5 heures du matin)
En août 1936, le monde apprenait l’existence du « centre unifié » des zinoviévistes et des trotskystes, qui dirigeait tous les crimes possibles et impossibles. En janvier 1937, le « centre parallèle » ou « centre trotskyste » pur (Piatakov-Radek) entrait en scène. Pour expliquer l’apparition de ce centre, Radek, le principal porte-parole du procureur Vychinsky, expliqua que Trotsky ne faisait pas suffisamment confiance aux zinoviévistes et qu’il voulait donc avoir « son propre » centre.
Cette explication était cousue de fil blanc. D’abord, d’anciens trotskystes, d’une envergure plus sérieuse que Piatakov et Radek, appartenaient au centre Zinoviev-Kamenev. Deuxièmement, Sokolnikov, ancien ambassadeur en Angleterre, un homme qui n’avait jamais eu de lien avec les trotskystes, appartenait au prétendu « centre trotskyste ». Mais ne nous arrêtons pas à de tels détails. Admettons que le « centre trotskyste » parallèle fût réellement créé pour des conspirations très « importantes » et que Sokolnikov y aboutît par hasard. Mais, en mars 1938, non seulement le monde a appris l’existence d’un troisième « centre trotskyste-droite », mais on nous dit en outre, de façon inattendue, que c’est précisément ce centre, complètement méconnu des deux centres précédents, qui constitue l’organisation la plus puissante et la plus conspirative. Il faut ajouter que les membres de ces trois centres indépendants se connaissaient depuis vingt ou trente ans, vivaient dans la même ville de Moscou et exécutaient en général la même besogne : terrorisme, espionnage, sabotage, défaitisme, et le démembrement de la Russie. En particulier, tous ces centres, les uns après les autres, ont assassiné Kirov.
Mais ici apparaît une difficulté. Si j’ai créé un « centre trotskyste » (Radek-Piatakov) parce que je n’avais pas suffisamment confiance en Zinoviev-Kamenev, comment aurais-je pu alors avoir confiance en Rykov et Boukharine qui, jusqu’au jour même de mon expulsion d'U.R.S.S., étaient les proches alliés de Staline et conduisaient toute la lutte contre le trotskysme, y compris mon arrestation et mon exil ? Pendant la période où je vivais à Moscou et étais membre du bureau politique et du gouvernement, j’étais apparemment impuissant à convaincre Boukharine et Rykov de la justesse de mes idées. Ils votaient contre moi, faisaient contre moi, dans des meetings de masse, des discours hostiles. Boukharine écrivit contre moi plusieurs centai nés d’articles rageurs. Les deux chefs de la droite votèrent pour mon exclusion du parti, pour mon bannissement, plus tard, pour mon expulsion d’U.R.S.S. Mais, quand je fus arrivé en Turquie et, plus tard, en France, en Norvège et au Mexique, et me trouvai séparé de Moscou par des milliers de kilomètres, alors, Rykov et Boukharine, comme, en général, tous les accusés des derniers procès, commencèrent, non seulement à être parfaitement d’accord avec moi, mais décidèrent aussi d’exécuter mes « instructions » sans réserve. Des membres du gouvernement, des ambassadeurs, des généraux de l’Armée rouge, devinrent des espions étrangers, « sur instructions de Trotsky ». C’est exactement de cette façon qu’agirent Rykov, l’ancien chef du gouvernement, et Boukharine, l’ancien chef de l’Internationale communiste. Aucune autre explication de leurs « crimes » monstrueux et absurdes n’est proférée par les accusés.
Au cours de ce procès, Rykov et Boukharine ont essayé de nier toute responsabilité directe pour l’assassinat de Kirov, qui, comme on l’a dit plus haut, fut tué tour à tour par tous les groupes d’opposition en U.R.S.S. Mais Henrikh Iagoda, l’ancien chef du G.P.U. – qui, avant de s’asseoir sur le banc des accusés, fit fusiller plusieurs centaines de personnes pour l’assassinat de Kirov – déclara tout de suite que Rykov et Boukharine mentaient. « Eux comme moi, déclara Iagoda, nous sommes réellement opposés à l’assassinat de Kirov au début. Mais les instructions venaient de Trotsky et nous nous sommes soumis. »
On est littéralement figé de surprise en lisant les mots de l’inquisiteur d’hier. Des affirmations quant à l’omnipotence des « instructions » sonnaient déjà absurdes dans la bouche de Piatakov et Radek. Mais ces hommes, au moins avaient été mes partisans onze ans auparavant. Il est vrai qu’ils m’avaient renié et étaient devenus mes ennemis acharnés. Mais le procurent Vychinsky affirme que cette inimitié était « feinte » et qu'en réalité ces anciens trotskystes étaient inspirés par une fervente dévotion personnelle à Trotsky. Bien entendu on ne peut comprendre quand et pourquoi cette fervente dévotion se refroidit si vite en prison et permit à Piatakov et Radek de me dépeindre sous les couleurs les plus sombres. Mais laissons cela de côté. Admettons que les liens passés me donnaient une influence hypnotique, à travers les continents et les océans, sur mes anciens partisans. Mais comment expliquer ce rapport en ce qui concerne Rykov et Boukharine ? Comment et par quel moyen peut-on expliquer le fait qu’ils devinrent des élèves obéissants de Trotsky, après m’avoir eux-mêmes expulsé d’U.R.S.S. ?
Le cas de Iagoda est cependant particulièrement mystérieux. Cet homme était, voyez-vous, contre l’assassinat de Kirov, mais il capitula tout de suite devant mes « instructions ». Depuis quand Iagoda a-t-il appris à appliquer mes instructions? En tant que chef du G.P.U., il supervisa directement toutes les opérations répressives contre l’Opposition ; détruisit mon secrétariat ; poussa au suicide deux de mes secrétaires ; fusilla mes disciples et jeunes amis, Blumkine, Silov, Rabinovitch ; voua à une mort prématurée plusieurs membres de ma famille; m’arrêta et m’expulsa ; prépara le procès Zinoviev-Kamenev ; supervisa les impostures et crimes contre l’Opposition. Il apparaît maintenant qu’il a commis tout cela seulement à titre de « camouflage ». En réalité il était secrètement trotskyste et exécutait mes « instructions ».
Non, c’est trop ! Même les omnivores « amis de l’U.R.S.S. » ne pourront avaler ça ! Ils ont avalé le procès Zinoviev-Kamenev ; ils ont avalé le procès Piatakov-Radek ! Mais je crains beaucoup qu’ils ne s’étranglent avec le témoignage de Iagoda.