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Special pages :
Nature de la révolution sociale dans les pays coloniaux
Auteur·e(s) | Saumyendranath Tagore |
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Écriture | 18 août 1928 |
"Sixième Congrès mondial de l’Internationale Communiste : 36e session, Moscou, 18 août 1928 (matin). Continuation of the Discussion on the Question of the Revolutionary Movement in the Colonies », dans International Press Correspondence, numéro spécial, vol. 8. N° 76, 30 octobre 1928, pp. 1390-1391. Traduit de l’anglais par MIA.
Discours prononcés au Sixième Congrès mondial de l'Internationale communiste, Moscou, URSS, 1928
I.
Au nom de la délégation indienne, je salue le programme qui a été soumis au Congrès. Le cinquième congrès de l'Internationale communiste avait accepté un projet. Quatre ans se sont écoulés depuis, et la révolution prolétarienne en Chine et dans les colonies nous a fourni suffisamment de matière pour élaborer un programme.
L'un des traits les plus importants du projet de programme est l'accent mis sur l'aspect colonial de la révolution prolétarienne. Mais c'est précisément cet aspect de la révolution mondiale tel que formulé dans le programme qui nous confronte à certaines difficultés.
Prenez, par exemple, cette section du premier chapitre du projet de programme où nous trouvons la déclaration : « Que le mouvement colonial du prolétariat marche sous la direction du mouvement révolutionnaire prolétarien dans les métropoles impérialistes. Cela signifie que le mouvement prolétarien en Inde doit marcher sous la direction du Parti communiste britannique, ou que le mouvement communiste javanais doit marcher sous la direction du Parti communiste néerlandais. Personne ne niera que dans la structure organique de l'impérialisme britannique, l'Inde et l'Angleterre sont étroitement liées l'une à l'autre et, pour la même raison ; les partis communistes en Inde et en Grande-Bretagne sont aussi organiquement liés l'un à l'autre pour mener à bien la révolution prolétarienne dans ces deux pays ; mais cela ne signifie en aucun cas la subordination du parti colonial à la direction de la métropole impérialiste. Je suis sûr que l'auteur du projet de programme ne veut pas dire cela du tout. Mais la formulation amène à cette conclusion. Nous devons corriger cela. Bien sûr, les mouvements dans les pays coloniaux ne doivent pas être privés de l'expérience du mouvement prolétarien mondial et de la direction de l'Internationale communiste. La seule direction acceptable est la direction de l'Internationale communiste. Je pense que la formulation n'est pas tout à fait claire, et cette section devrait être formulée différemment.
Prenons ensuite le quatrième chapitre du projet de programme. On y dit que dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, l'industrie est encore à l'état embryonnaire, parfois assez développée, mais insuffisante pour l'édification socialiste indépendante. Je considère que cette formulation n'est pas non plus très valable. Regrouper différents pays à des niveaux de développement industriel très différents est méthodologiquement erroné et illogique. Par exemple, l'Inde et le Maroc : il est impossible de faire une comparaison valable entre les développements industriels relatifs de l'Inde et de pays comme le Maroc. Si nous disons que l'industrie dans ces pays est à un stade embryonnaire, alors en ce qui concerne l'Inde, ce n'est pas vrai. Si nous disons que le développement de l'Inde est insuffisant pour l'édification socialiste, c'est un fait.
De plus, on dit qu'il existe dans ces pays des relations féodales et médiévales, tant en ce qui concerne la base économique que la superstructure politique. En ce qui concerne l'Inde, ce n'est pas exact. Le développement récent des industries, la pénétration des villages par le capitalisme, la prédominance des rapports marchands dans les villages sont des faits avérés. Cette formulation peut être applicable au Maroc, mais elle n'est certainement pas correcte en ce qui concerne l'Inde.
Plus loin, il a été affirmé que les colonies et les semi-colonies sont importantes, dans cette période de transition, pour la raison qu'elles représenteraient les districts ruraux du monde, par rapport aux pays industriels, qui seraient ses villes. Cette formulation n'est pas non plus très heureuse. Si nous disons que les colonies et les semi-colonies sont les villages du monde, cela signifie qu'il n'y a pas eu là de développement capitaliste. Ce n'est pas vrai, même de loin, pour l'Inde. Une autre implication serait que s'il y avait un développement capitaliste, il devrait être entravé et supprimé, et que les colonies et les semi-colonies doivraient être maintenues à fournir des matières premières à l'Occident industriel. Je suis sûr que ce n'est pas dans l'intention de l'Internationale communiste, mais la formulation inexacte et inappropriée donne lieu à des implications très différentes.
Le sixième chapitre du projet de programme déclare à propos des partis communistes dans les pays coloniaux et semi-coloniaux : « Des accords temporaires avec la bourgeoisie nationale ne peuvent être conclus que dans la mesure où ils n'entravent pas l'organisation révolutionnaire des ouvriers et des paysans et impliquent véritablement le combat contre l'impérialisme.
Je considère que cette formulation est fondamentalement erronée. Après notre expérience de 1922 en Inde, lorsque la bourgeoisie a trahi le grand mouvement de masse qui a secoué l'Inde d'un bout à l'autre, il est grand temps que nous reformulions maintenant ce point plus clairement pour indiquer que la bourgeoisie ne peut véritablement combattre l'impérialisme. Les manifestations que la bourgeoisie indienne a organisées dans tout le pays contre la Commission Simon[1] ont fait naître dans l'esprit de certains camarades d'ici l'illusion que la bourgeoisie est encore capable de jouer un rôle révolutionnaire. Mais si nous recherchons un programme révolutionnaire - les mesures concrètes que la bourgeoisie prendrait en Inde pour réaliser un tel programme révolutionnaire - nous constatons qu'elles n'existent pas.
Leur combat débouchera sur un compromis basé sur un meilleur partage du butin amassé par l'exploitation des masses indiennes. Certes, il y a des contradictions entre la bourgeoisie impérialiste et la bourgeoisie indigène comme il y aura toujours des contradictions entre deux exploiteurs pour le monopole du même butin. Bien sûr, le Parti communiste indien et le mouvement prolétarien devraient profiter de ces différences et les utiliser pour faire avancer la révolution. Il ne faut cependant pas oublier que cette querelle entre la bourgeoisie nationale et la bourgeoisie impérialiste a le caractère d'une querelle de famille entre deux frères au sujet de la propriété, et que les forces du prolétariat montant en Inde seront certainement confrontées à un front commun des bourgeoisies indigène et impérialiste - sinon aujourd'hui, alors demain. La bourgeoisie indienne se bat toujours sur les mêmes vieux problèmes constitutionnels, et c'est toujours entièrement à son propre avantage. Ceci est clairement démontré dans son programme et sa tactique à chaque phase de sa lutte contre la bourgeoisie impérialiste. Même une alliance partielle avec la bourgeoisie signifierait l'abandon du mot d'ordre de la révolution agraire, aboutissant à l'abandon virtuel de la lutte révolutionnaire dans les pays coloniaux, en particulier dans un pays à prédominance agricole comme l'Inde. Je pense que cette formulation n'est pas la bonne. Je voudrais insister sur le fait que la bourgeoisie en Inde est passée du côté de la réaction, même si elle n'est pas encore du côté de la contre-révolution ouverte.
Au nom de la délégation indienne, je présenterai notre résolution au Bureau en temps voulu.
II.
L'une des différences les plus fondamentales entre l'attitude opportuniste de l'Internationale d'Amsterdam à l'égard de la politique coloniale et l'attitude révolutionnaire de la IIIe Internationale a été très bien définie par le camarade Lénine au IIe congrès de l'Internationale communiste dans ses thèses sur les pays coloniaux. Depuis lors, l'Internationale communiste a adopté une attitude résolument révolutionnaire à l'égard des colonies.
Entre le deuxième et le sixième congrès, des changements et des développements fondamentaux se sont produits dans les pays coloniaux. Au nom de la délégation indienne, je salue les thèses sur le mouvement révolutionnaire dans les colonies et semi-colonies, notamment en raison de l'accent très fort qui a été mis sur la question indienne. Mais il y a dans ces thèses des contradictions que je veux signaler ici.
À la page 6 des thèses, nous trouvons la déclaration : « La véritable industrialisation des pays coloniaux, en particulier la constitution d'industries mécaniques efficaces qui pourraient être nécessaires au développement indépendant des forces productives du pays, n’est pas encouragée mais retardée par le monopole impérialiste. C'est la fonction fondamentale de l'assujettissement colonial. Le pays colonial est contraint de sacrifier les intérêts de son développement indépendant et de servir de marché économique au capitalisme afin de renforcer le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie du pays impérialiste, afin de perpétuer le monopole dans la colonie, afin d'accroître le pouvoir d'expansion des impérialistes respectifs par rapport au reste du monde. »
Je pense que cette déclaration ne donne pas une image fidèle de la croissance dynamique du capitalisme et de l'industrialisation en Inde. Jusqu'à la guerre mondiale, la politique de l'impérialisme britannique était la forme classique de l'exploitation impérialiste. Elle consistait à conserver l'Inde comme source de matières premières et comme débouché pour les produits industriels des industries britanniques. Il y avait une politique visant à maintenir délibérément l'Inde comme sous-développée industriellement. Des tarifs élevés, des droits de douane élevés et des embargos sur les machines ont été imposés par les impérialistes britanniques afin d'empêcher l'industrialisation de l'Inde. Pendant ces années, le capital britannique a été exclusivement utilisé pour les chemins de fer, pour les travaux d'irrigation et pour le développement des ports. En d'autres termes, le capital britannique était utilisé dans le seul but de l'expansion du marché. L'impérialisme britannique n'adopte pas aujourd'hui les mêmes méthodes pour exploiter l'Inde. Des changements fondamentaux dans les conditions objectives ont amené des changements dans la politique des impérialistes britanniques.
Les causes de ces changements sont :
Premièrement, les conditions pendant et après la guerre. Pendant la guerre, il est devenu nécessaire que du matériel de guerre soit fabriqué en Inde pour répondre aux besoins des troupes en Mésopotamie et sur d'autres théâtres de guerre de l'Est. La Grande-Bretagne ne pouvait pas les fournir efficacement à moins que des industries, en particulier des industries de guerre, soient développées en Inde. Cela a abouti à la création de la Commission industrielle, qui marqua un tournant majeur dans la politique de l'impérialisme britannique.
Deuxièmement, le Japon et l'Amérique posaient un sérieux défi économique au monopole britannique sur le marché indien. La Grande-Bretagne a réalisé son incapacité à faire face à cette situation sans changer sa politique en Inde. Cela a conduit au quasi-abandon de la politique traditionnelle de libre-échange et à la reconnaissance d'un protectionnisme différentiel en Inde que l'on retrouve, par exemple, dans les industries textiles de Bombay. Cela montre bien que la stabilisation des industries britanniques, pendant cette période de décadence, faisait de l'industrialisation de l'Inde une nécessité absolue.
L'industrialisation de l'Inde a créé un marché supplémentaire pour les industries mécaniques et métallurgiques. La main-d'œuvre indienne bon marché pouvait être utilisée plus efficacement afin de stabiliser l'industrie britannique.
Troisièmement, la Commission de la fiscalité a été créée. Son seul objectif était de répartir la charge fiscale afin d'élargir le marché intérieur. Le plan de modernisation de l'agriculture a été élaboré pour augmenter le pouvoir d'achat de la paysannerie.
Enfin, l'Inde ne pouvait être convertie en base militaire à l'Est de l'impérialisme britannique que si la bourgeoisie nationale l’acceptait, et la bourgeoisie nationale ne pouvait l’accepter que si certaines concessions lui étaient accordées.
Quelle est l'expression politique de cette politique ? Ceci : que pour industrialiser l'Inde, il faut étendre le marché intérieur, faire certaines réformes agraires impossibles à réaliser pour l'impérialisme britannique, en raison d’un régime foncier très compliqué.
Ainsi, l'industrialisation tend à paupériser la paysannerie, ce qui crée la possibilité d'une révolution agraire. Elle donne aussi lieu au développement du prolétariat, qui porte avec lui la possibilité d'une révolution socialiste. De plus, elle entraîne un changement dans l'attitude de la bourgeoisie nationale. Ce sont là les conséquences politiques du changement de politique économique de la Grande-Bretagne envers l'Inde.
Si nous ne voyons pas ce processus de manière dialectique et dans sa juste perspective, nous arriverons à des conclusions erronées concernant le rôle de la bourgeoisie indigène et nous tirerons les mêmes conclusions erronées qu’a tirées l'auteur des thèses.
Tant que l'impérialisme a entravé le développement capitaliste en Inde, la bourgeoisie indienne a été la force motrice du changement social. Mais les changements dans la politique britannique ont déjà conduit à un changement correspondant dans l'attitude de la bourgeoisie indienne envers l'impérialisme. Nous constatons qu'à mesure que les obstacles au développement capitaliste ont été supprimés par l'impérialisme britannique, la bourgeoisie s'oriente vers la coopération avec lui, un groupe après l'autre capitulant devant l'impérialisme. Jamais dans son histoire, la bourgeoisie indienne n'a adopté une attitude révolutionnaire à l'égard de l'impérialisme britannique. Elle n'a jamais franchi les limites de l'agitation constitutionnelle acceptable et, au moment critique, elle a trahi le mouvement. Celui qui connaît le mouvement national indien sait que la bourgeoisie indienne a des liens étroits avec le féodalisme ; par conséquent, elle ne peut pas soulever les masses ; elle ne peut faire des réformes agraires sans miner sa propre position. On ne peut donc pas s'attendre à ce qu'elle soulève et conduise les masses jusqu’à l’achèvement de la révolution agraire en Inde.
Voyons maintenant comment ce rôle de la bourgeoisie a été formulé dans les thèses. Nous voyons à la page 17, paragraphe 19 : « En tant que règle de classe, un avenir de développement capitaliste « libre » et indépendant, une hégémonie sur un peuple indépendant – cela ne sera jamais donné volontairement à la bourgeoisie nationale par l'impérialisme. Mais c'est là précisément le but de classe de la bourgeoisie, son avenir en tant que classe indépendante, en tant que représentant dirigeant d'une nation indépendante. Sur ce point, le conflit d'intérêts entre la bourgeoisie nationale du pays colonial et les impérialistes revêt objectivement un caractère de principe ; il est infranchissable ; il exige la capitulation d'un côté ou de l'autre. »
Trop insister sur la nature et l'intensité du conflit entre la bourgeoisie nationale du pays colonial et la bourgeoisie impérialiste a conduit à certaines conclusions erronées. Il est dit page 21 paragraphe 23 : « Dans la première période préparatoire du mouvement révolutionnaire de ces pays où l'organisation du prolétariat et l'influence du parti communiste sont encore faibles, mais celle des partis bourgeois en revanche est beaucoup plus forte, quand ces derniers occupent la position de leader dans le mouvement national parce que dans l'intérêt des revendications de pouvoir de la bourgeoisie nationale, ils manifestent encore temporairement leur opposition (aussi vacillante et réformiste soit-elle) contre le bloc de pouvoir impérialiste-féodal au pouvoir, et quand les masses de la population les suivent, à ce stade (comme actuellement, par exemple en Inde et en Egypte), ce serait une erreur ultra-gauche de commencer l'agitation du Parti communiste en identifiant simplement les nationaux-réformistes (Swarajistes, Wafdistes et autres) avec le bloc contre-révolutionnaire dominant des impérialistes et des seigneurs féodaux. »
« Il n'est pas vrai que les Swarajistes, Wafdistes et autres se soient déjà dévoilés aux yeux des masses laborieuses comme des alliés de l'impérialisme, comme des traîtres contre-révolutionnaires au mouvement national. »
Quelques lignes plus loin : « Les Swarajistes, Wafdistes, etc., n'ont pas encore trahi la lutte de libération nationale de la manière décisive dont, par exemple, le Kuomintang l'a fait en Chine. » Les conclusions qui sont tirées de cette formulation sont que le Parti communiste en Inde devrait se taire et ne pas critiquer les hésitations de la bourgeoisie réformiste parce qu'elle n'a pas encore à jouer un rôle révolutionnaire. Il est également déclaré qu '« ils n'ont pas trahi le mouvement de libération nationale de manière décisive ». C'est loin d'être vrai. La décision Bardoli était une trahison définitive des masses indiennes par les nationalistes en 1922, lorsque de grands soulèvements de masse ont eu lieu, et il y avait la plus grande possibilité qu'une révolution agraire éclate en Inde. La bourgeoisie a résolument trahi le mouvement sous la direction de Gandhi par pur et simple intérêt de classe. C'est la menace de la révolution agraire qui a forcé la bourgeoisie nationale à trahir le mouvement. Peut-être que ce n'est peut-être pas de la même manière que la traîtresse bourgeoisie contre-révolutionnaire chinoise qui a versé le sang de millions d'ouvriers et de paysans, mais la bourgeoisie indienne a trompé les masses en 1922.
À la fin du paragraphe, nous trouvons : « A ce stade l'agitation des communistes indiens ne devrait pas concentrer la lutte la plus acharnée contre la bourgeoisie, mais devrait la tourner contre le principal ennemi immédiat actuel, le bloc impérialiste-féodal au pouvoir. »
Je considère que cette déclaration ne donne pas une appréciation réaliste de la situation en Inde et de l'attitude contre-révolutionnaire croissante de la bourgeoisie envers le mouvement révolutionnaire national. Cette formulation peut conduire à une bévue tactique.
Maintenant, j'en viens à une autre question qui se trouve dans le dernier paragraphe des thèses de la page 37, paragraphe 32. Ici, en décrivant les activités des partis ouvriers et paysans et en tirant les conclusions de leur expérience, il est dit : « Les partis particuliers, ouvriers et paysans, aussi révolutionnaires soient-ils, peuvent facilement se transformer en partis petits-bourgeois ordinaires. Par conséquent, l'organisation de tels partis est déconseillée, tout comme le Parti communiste ne peut pas se construire sur une base d'amalgamation de deux classes, il est tout aussi erroné d'organiser d'autres partis sur cette base, qui est typique des membres petits-bourgeois. »
Il me semble que certains camarades font un cauchemar, qui est le résultat de leur propre fantasme irrationnel, que le Parti Ouvrier et Paysan se substitue au Parti communiste. Personne n'a jamais avancé l'idée que le Parti Ouvrier et Paysan deviendrait un substitut du Parti communiste.
Les éléments petits-bourgeois d'un pays arriéré qui ont été prolétarisés sont parfois plus prolétarisés que le prolétariat lui-même. L'intelligentsia petite-bourgeoise, la petite bourgeoisie urbaine, a un rôle à jouer dans le mouvement révolutionnaire des colonies. Quelle devrait être l'expression organisationnelle d'un front anti-impérialiste des éléments petits-bourgeois ? Pouvons-nous nous permettre d'inonder le Parti communiste d'éléments aussi petits-bourgeois ? Nous ne le pouvons pas. D'autre part, le Parti communiste indien devrait utiliser les énergies révolutionnaires de la petite bourgeoisie. Je pense qu'il est clair que ce front anti-impérialiste ne peut prendre que la forme organisationnelle d'un Parti Ouvrier et Paysan composé de l'intelligentsia urbaine et des éléments petits-bourgeois sous la direction du prolétariat.
Ces Partis Ouvriers et Paysans, qui ont vu le jour en Inde en 1925, ont poursuivi une ligne d'action déterminée. Ce parti a organisé 30.000 travailleurs à Bombay dans des manifestations contre la sous des slogans révolutionnaires tels que « A bas l'impérialisme » et « Indépendance totale de l'Inde ». Les mouvements de grève sont aujourd'hui dirigés par le Parti des Ouvriers et des Paysans. La grève à Lilloah[2] était menée par le Parti des Ouvriers et des Paysans sous le contrôle du Parti communiste indien. Nous avons pu reprendre certains syndicats. On nous dit maintenant de liquider tous ces Partis Ouvriers et Paysans. C'est du dogmatisme professionnel pur et simple contre lequel Lénine nous a tant de fois mis en garde.
Mais si nous regardons la situation en Inde elle-même, quels sont les canaux par lesquels les communistes font sentir leur influence parmi les masses ? Je pense qu'il est tout à fait clair que, sous la direction du Parti communiste de l'Inde, les Partis Ouvriers et Paysans sont des canaux précieux pour la propagation des idées communistes en Inde. Il n'y avait pas de tendance de gauche dans le mouvement national indien avant que les Partis Ouvriers et Paysans n'apparaissent sur le terrain. Aujourd'hui, tous les éléments de gauche du pays tournent autour de ces organisations, et une certaine cristallisation des forces de gauche s'opère à travers ces partis.
Et, par conséquent, je pense que la formulation en question est fausse, à la fois tactiquement et en principe.
Dans le même passage, il est dit qu’on n'exclut nullement l'organisation d’un bloc combattant des masses ouvrières et paysannes, nécessaire à la conquête du pouvoir dans la révolution démocratique bourgeoise au moment du soulèvement, sous la forme de soviets élus et d'autres formes d'organisation souples. Des formes d'organisation souples sont admises, et de telles organisations pourraient être formées sur la base d'une alliance entre les paysans et les ouvriers. Mais quand un parti concret entre sur le terrain en tant que parti de gauche qui donne une orientation de gauche au mouvement révolutionnaire nationaliste en Inde, il devrait être liquidé. Je ne comprends pas la logique de cet argument et je considère qu'il s'agit d'une attitude erronée et irréaliste à l'égard du Parti Ouvrier et Paysan.
- ↑ La Commission indienne statutaire ou plus communément la Commission Simon (Indian Statutory Commission) fut une commission mise en place en 1927 au sein du Parlement du Royaume-Uni afin de déterminer le statut de l'Inde. Elle a été présidée par John Allsebrook Simon, qui lui a donné son nom, et comptait comme membre important Clement Attlee. En 1928, elle négocie avec l’Indian National Congress et le Tehrik-e-Pakistan pour aller vers des réformes constitutionnelles.
- ↑ Grève de Lilloah. Grève des ouvriers des chemins de fer des ateliers de Lilloah de la East Indian Railway Company, près de Calcutta. Le 3 mars 1928, quatre travailleurs sont renvoyés à la suite du dépôt d’une pétition sur les salaires et les conditions de logement. La réintégration est promise mais ne concerne pas deux autres ouvriers syndiqués renvoyés quelques semaine plus tôt à l’occasion de la reconnaissance du syndicat. Le 7 mars, les travailleurs ripostent par une grève avec occupation. Le lendemain, 8 mars, 14.000 ouvriers sont lockoutés. Dans la répression qui suit, deux grévistes sont été abattus plusieurs blessés. Des actions de solidarité ont lieu dans la plupart des centres de chemin de fer des Indes orientales - à Howrah, Kharaghpur, etc. Cf. Clemens Dutt « The Present Strike Movement in India ».