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Manifeste du Parti Révolutionnaire des Indes. Un appel au prolétariat britannique
Auteur·e(s) | Manabendra Nath Roy |
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Écriture | juillet 1920 |
Le moment est arrivé pour les révolutionnaires des Indes de faire devant le monde un exposé clair de leurs principes et de leurs buts. L'objet d'un tel exposé est d'intéresser le prolétariat européen et américain à la lutte des masses indiennes[1], qui prend rapidement le caractère d'un combat pour l'émancipation économique et sociale et pour l'abolition du gouvernement de classe.
Ce manifeste s'adresse particulièrement au prolétariat britannique à cause de son rapport direct avec les mouvements révolutionnaires croissant dans les différents pays assujettis à l'impérialisme britannique.
Le mouvement nationaliste des Indes qui lutte pour l'indépendance politique et pour l'établissement d'un gouvernement démocratique est loin de satisfaire l'immense majorité de la population des Indes, pour la raison qu'il ne peut dire en termes précis comment les masses pourraient profiter d'une telle « existence nationale indépendante ». Un mouvement purement politique ne pourra jamais extirper les maux économiques et sociaux profondément enracinés qui sont à l'origine du mécontentement populaire et qui ont conduit le peuple à l'action révolutionnaire des masses. L'émancipation de la classe ouvrière des Indes réside dans la Révolution sociale et dans la fondation d'un Etat communiste. Pour atteindre ce but, l'esprit de rébellion croissant dans les masses de l'Inde doit être organisé sur les bases de la lutte de classe, en union étroite et en coopération avec le mouvement prolétarien mondial. C'est parce que les Indes sont politiquement et militairement dominées par un puissant impérialisme étranger, qui prive le peuple des droits élémentaires indispensables à l'organisation d'une lutte économique et sociale, qu'un mouvement révolutionnaire doit soigneusement établir dans son programme les conditions de la libération politique du pays.
Mais ceci ne signifie pas que le but final de la Révolution doive être l'établissement d'une démocratie politique bourgeoise sous laquelle la classe privilégiée indigène remplacerait les capitalistes et les bureaucrates britanniques pour exploiter les travailleurs indiens.
Jusqu ici le prolétariat britannique a été dans l'ignorance de la nature réelle de la lutte révolutionnaire aux Indes.
Le monde croit que le mouvement révolutionnaire en ce pays n'est rien qu'une agitation pour l'autonomie politique ou l'indépendance complète. La presse capitaliste et le gouvernement de la Grande-Bretagne se sont toujours efforcés d'interpréter l'agitation de l'Inde comme l'expression de l'ambition politique d'une poignée de mécontents de la classe moyenne avec lesquels les masses n'ont rien à voir. Seuls, les conservateurs et les politiciens modérés qui croient en une libération anglaise et qui emploient une terminologie de républicains du 18e siècle sont autorisés à quitter les Indes publiquement et sans être molestés. Ils font une propagande purement politique, attaquant la bourgeoisie de l'Angleterre et d'autres pays, critiquant la politique de l'exploitation impériale poursuivie par le gouvernement anglo-indien et plaident les droits sacrés du peuple indien à l'indépendance politique et à une représentation au gouvernement. Par « peuple indien », ils entendent naturellement « la bourgeoisie indienne ». Cette forme d'agitation n'a très naturellement pas réussi à entraîner la sympathie et la coopération de la classe ouvrière d'aucune région.
En effet, la classe ouvrière doit toujours rester indifférente aux aspirations purement nationalistes, ayant pour fin l'établissement de nouveaux démocrates bourgeois, avec la même division des classes en exploiteurs et exploités.
Mais l'idée d'une lutte de classe consciente, contre l'exploitation capitaliste, a gagné du terrain aux Indes, puissamment stimulée par le développement de la guerre. L'accélération de la vie industrielle, l'élévation incessante du coût de la vie, l'envoi de troupes indiennes en service d'outre-mer, et les échos lointains de la révolution russe, tout cela servit à exciter les germes de mécontentement qui ont toujours subsisté au cœur des masses indiennes.
Le mouvement révolutionnaire nationaliste, qui se recrute principalement dans les rangs de la jeunesse, instruite des classes moyennes, tenta de diriger ce mécontentement populaire vers une insurrection armée contre le gouvernement étranger. Depuis le début de ce siècle, le terrorisme et les soulèvements locaux deviennent de plus en plus fréquents et sérieux. Des conspirations secrètes tendant à renverser le gouvernement furent découvertes et punies avec une sévérité croissante : elles étaient traitées de trahison parles gouvernants el d'anarchie par les meneurs politiques défenseurs de l'autonomie au sein de l'Empire. Au cours de la guerre européenne, différentes tentatives de révolte armée ont été réprimées et dénoncées comme intrigues germaniques. Finalement, tout le pays fut, en réalité, soumis au régime de la loi martiale.
Mais toute cette activité révolutionnaire ne pouvait inspirer aux masses un enthousiasme durable. La solidarité nationale prêchée par les meneurs dans cette phase du mouvement était purement sentimentale. Ces leaders, tout sincèrement idéalistes qu'ils étaient, ne formulaient pas un programme portant remède aux souffrances sociales et économiques qui pèsent sur les travailleurs.
Mais les forces économiques dynamiques qui portent le prolétariat à la révolte dans tous les pays se sont développées dans les Indes. Elles ont eu pour résultat de rendre de plus en plus manifeste l'esprit de rébellion d'un peuple nourri jusqu'ici des doctrines purement nationalistes qu'on lui prêchait depuis un demi-siècle. Aujourd'hui, il y a deux tendances distinctes dans le mouvement indien, clairement définies quant aux principes et visant à des buts différents.
L'un est le mouvement nationaliste qui veut des Indes politiquement autonomes et indépendantes et dont les chefs incitent la masse à renverser l'exploiteur étranger, en présentant un programme de vague démocratie et même sans programme aucun. L'autre est le vrai mouvement révolutionnaire, poursuivant l'émancipation économique des travailleurs et qui a derrière lui la puissance croissante d'un prolétariat industriel et agricole conscient.
Ce mouvement a dépassé la compréhension ou le contrôle des leaders politiques bourgeois, et le seul programme qui puisse satisfaire ses aspirations est celui de la révolution sociale. Le présent manifeste s'adresse à ceux qui appartiennent à ce mouvement. Nous voulons faire savoir au prolétariat mondial que le nationalisme appartient par nature à la bourgeoisie, alors que le prolétariat s'éveille à l'appel de la Révolution mondiale.
La croissance de la conscience de classe dans le prolétariat indien resta inconnue du reste du monde jusqu'au début de l'an dernier, lorsqu'éclata une grève générale des plus puissantes et des mieux organisées que l'histoire ait connue, et qui, dirigée par les révolutionnaires indiens, se maintint pendant plus de trois semaines et épuisa tout le pays.
Quoique les meneurs nationalistes retirassent des avantages de celte action directe en l'utilisant comme une arme contre l'oppression politique, et en la présentant comme une grève de protestation contre le Rule Bill, il reste en fait que cette première grève générale dans l'histoire des Indes fut une révolte spontanée du prolétariat contre l'insupportable exploitation économique. Le seul fait que les premiers grévistes furent les travailleurs du coton, des usines indigènes, prouve suffisamment que la grève n'était en rien une démonstration nationaliste fomentée par des politiciens bourgeois. C'était une révolte des exploités contre les exploiteurs, les uns et les autres indigènes et étrangers. On n'ignore pas en Angleterre comment fut écrasée par l'impérialisme britannique cette révolte des ouvriers indiens affamés. Toutes les armes meurtrières de la guerre moderne ont été dirigées contre les grévistes désarmés. De front ou en les prenant par derrière, les soldats ouvrirent le feu sur la foule des meetings. De paisibles manifestations d'ouvriers furent fauchées par les mitrailleuses, les tanks, les autos blindées et les avions de bombardement.
Comment le prolétariat britannique répondit-il à cette révolte de ses camarades indiens contre l'oppression capitaliste ? Et quelle fut son attitude envers la manière dont la réaction fut menée ?
Malgré toutes les preuves du contraire, le prolétariat britannique crut apparemment que la grève générale indienne était simplement une démonstration nationaliste. Trompé par ses chefs nationalistes, il s'abstint de toute action précise en accord avec la solidarité de classe. Une grève générale simultanée en Grande-Bretagne aurait donné un coup mortel à l'impérialisme capitaliste de la métropole et de la colonie ; mais, malheureusement, le prolétariat n'a pas profité de l'occasion.
Le seul geste accompli fut très faible et d'un caractère petit-bourgeois. C'était une protestation publiée au nom de la classe ouvrière anglaise et signée par Robert Smillie, Robert Williams, George Lansbury et J.-H.Thomas, où l'on ne pouvait pas reconnaître la voix d'un prolétariat révolutionnaire soulevé pour défendre ses intérêts de classe. Les leaders du mouvement ouvrier anglais condamnèrent la façon dont fut vaincue la révolte des Indes. Ils invoquent que par de telles mesures le gouvernement des Indes exposait à de graves dangers « la vie et les biens de femmes et d'enfants anglais aux Indes ». Comme de vrais disciples du libéralisme anglais croyant à la Société des Nations, ils plaidèrent le droit du peuple indien à la libre détermination en réclamant pour lui un gouvernement autonome. Ils écrivaient que l'impérialisme anglais était devenu fou, voulant dire par là qu'il devrait agir plus raisonnablement pour accomplir sa mission de démocratiser les peuples arriérés qui sont placés sous sa dépendance et sa responsabilité.
Le mouvement nationaliste bourgeois aux Indes, qui n'est en aucune façon une lutte de classe, ne peut avoir d'importance pour la lutte prolétarienne mondiale ni pour la classe ouvrière anglaise qui éprouve journellement la vanité de l'indépendance politique simple et du gouvernement représentatif, illusoire dans l'organisation capitaliste de la société.
Mais l'importance d'un mouvement prolétarien aux Indes, aussi bien que dans tout autre pays soumis à l'impérialisme britannique, doit intéresser vivement les travailleurs anglais.
Ils devraient non seulement cesser de rester indifférents à de tels mouvements, mais ils devraient en fomenter là où il n'en existe pas. La redoutable puissance que l'impérialisme capitaliste retire des possessions coloniales riches de ressources naturelles et de main-d'œuvre à bon marché ne peut être ignorée plus longtemps. Aussi longtemps que les millions de producteurs des Indes et des autres pays colonisés resteront sans secours, victimes de l'exploitation capitaliste, la destruction du régime capitaliste en Angleterre restera lointaine, sinon impossible. Aussi longtemps que le capitalisme britannique sera certain de conserver la maîtrise absolue sur des millions et des millions de bêtes de somme de ses colonies, il sera capable de satisfaire aux exigences conservatrices des trade-unionistes anglais et par là de retarder la révolution prolétarienne qui finalement l'abattra. Pour chaque penny concédé aux travailleurs de la métropole, une livre sterling sera volée à leurs camarades des colonies.
Manabendra Nath Roy, Abani Mukherji, Santa Levi
- ↑ La traduction parue dans le Bulletin communiste parle de masses « hindoues », terme vieilli et incorrect que la MIA a remplacé par « indien » dans ce texte, où le sens du terme n'est clairement pas religieux.