Lettre ouverte à Staline, 17 août 1939

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Je dirai sur toi une vérité pire que tout mensonge. A.S. Griboiédov.

Staline, vous m’avez déclaré « hors la loi ». Vous me mettez par cet acte sur le même pied, en ce qui concerne les droits — ou plus exactement, l’absence de tout droit — que tous les citoyens soviétiques qui, sous votre domination, vivent hors la loi.

De mon côté, je vous rends la pareille : je vous renvoie ma carte d'entrée dans le royaume du « socialisme » édifié par vous et je romps avec votre régime.

Votre « socialisme », dans le triomphe duquel ses instaurateurs n’ont trouvé place que derrière les barreaux des prisons, est aussi éloigné du vrai socialisme que l’arbitraire de votre dictature personnelle l’est de la dictature du prolétariat.

Il ne vous servirait de rien que, arborant une décoration, le vénéré révolutionnaire populiste N. A, Morozov vienne vous confirmer que ce « socialisme »-là lui a valu de passer vingt années de sa vie sous les voûtes de la forteresse de Schlusselbourg.

Le mécontentement de plus en plus violent des ouvriers, des paysans et des intellectuels exigeait impérieusement un revirement politique pareil à celui que fit Lénine, en 1921, quand il introduisit la N.E.P. Sous la pression du peuple soviétique, vous avez « fait don » à celui-ci d’une Constitution démocratique[1]. Le pays tout entier l’accueillit avec un sincère enthousiasme.

L’application loyale des principes démocratiques de la Constitution de 1936, incarnation de ce que voulait et espérait le peuple, eût marqué une nouvelle étape d’extension de la démocratie soviétique.

Mais dans votre esprit, toute opération politique signifie mensonge, fourberie. Vous faites de la politique sans morale, de l’autorité sans loyauté, du socialisme sans amour pour l'homme.

Staline, qu’avez-vous fait de la Constitution ?

Redoutant des élections libres comme « un saut dans l'inconnu » qui mettrait votre pouvoir personnel en péril, vous avez foulé aux pieds la Constitution, réduite en chiffon de papier, et transformé en pitoyable farce le vote pour un candidat unique, tandis que vous emplissiez les sessions du Soviet suprême d’hymnes et d’ovations en votre honneur. Entre deux sessions, vous supprimez discrètement les députés empêtrés dans leurs ruses, de courtisans, vous moquant de leur immunité et leur rappelant que le maître de la terre soviétique, ce n’est pas le Soviet suprême, mais vous.

Vous avez tout fait pour discréditer la démocratie soviétique, comme vous avez discrédité le socialisme.

Au lieu de vous conformer au tournant esquissé par la Constitution, vous étouffez par la violence et la terreur le mécontentement qui monte. Ayant remplacé peu à peu la dictature du prolétariat par votre dictature personnelle, vous avez ouvert une nouvelle étape qui, dans l'histoire, s’appellera « la terreur ».

Nul, dans l’Union soviétique, ne se sent en sécurité ou ne sait, en se couchant, s’il échappera à l’arrestation nocturne. Personne n’est épargné. Innocents ou coupables, héros d’Octobre ou ennemis de la révolution, vieux bolcheviks ou sans-parti[2], paysans kolkhoziens ou représentants plénipotentiaires, commissaires du peuple ou ouvriers, intellectuels ou maréchaux de l’Union soviétique, tous sont exposés dans une égale mesure aux coups de votre fouet et précipités dans une ronde diabolique et sanglante.

De même qu’en pleine éruption d’un volcan d’énormes blocs de lave s’effondrent avec fracas dans le cratère, des couches entières de la société soviétique roulent au fond de l’abîme.

Vous avez commencé la sanglante répression par les anciens trotskystes, les zinoviévistes, les boukhariniens et passé ensuite à l’extermination des vieux bolcheviks ; vous avez anéanti les cadres du Parti et des sans-parti qui, formés pendant la guerre civile, ont porté sur leurs épaules le poids des premiers plans quinquennaux, et vous avez organisé l’extermination des Jeunesses communistes.

Vous vous abritez derrière le slogan de la lutte contre « les espions trotskystes et boukhariniens. ». Or ce n’est pas d’hier que le pouvoir est entre vos mains. Nul n’a pu « se hisser » aux postes de responsabilité sans que vous l’ayez nommé vous-même.

— Qui a installé les prétendus « ennemis du peuple » aux plus hauts postes de responsabilité de l'Etat, du Parti, de l’armée, de la diplomatie ?

— Joseph Staline.

— Qui a fait pénétrer les prétendus « saboteurs » dans tous les pores de l’appareil du Parti et des soviets ?

— Joseph Staline.

Relisez les anciens procès-verbaux du Bureau politique : ils fourmillent exclusivement de nominations et de mutations d'« espions », de « parasites » et de « saboteurs trotskystes et boukhariniens », et au bas de ces procès-verbaux s’étale fièrement : J. Staline. Sachant tout cela, vous vous faites passer pour un jocrisse que des monstres masqués de carnaval auraient mené par le bout du nez pendant des années.

Cherchez et attifez des « boucs émissaires », soufflez-vous à votre entourage, et chargez de mes propres péchés les victimes désignées et vouées à être immolées.

Vous avez enchaîné le pays par la terreur. Même le plus brave des braves ne peut vous jeter la vérité à la face.

Les vagues de l’autocritique « en dehors de toute considération de personne » viennent mourir humblement au pied de votre trône.

Vous êtes infaillible, comme le pape ! Vous ne vous trompez jamais ! Mais le peuple soviétique sait parfaitement que le responsable de tout, c’est vous, le "forgeron du bonheur universel" !

Au moyen d’ignobles faux, vous avez mis en scène des procès où l'absurdité des accusations dépasse ce que vous avez appris dans les manuels de votre séminaire sur les procès en sorcellerie du Moyen Age.

Vous savez très bien que Piatakov n’est jamais allé à Oslo en avion[3], que Maxime Gorki a eu une mort naturelle[4] et que Trotsky n'a pas fait dérailler de trains[5]. Sachant que tout cela n’est que mensonge, vous soufflez à votre entourage :

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. » Vous savez que je n’ai jamais été trotskyste. J’ai combattu, au contraire, sur le plan idéologique toutes les oppositions, que ce soit dans la presse ou dans de vastes réunions. Aujourd’hui encore, je désapprouve la position politique de Trotsky, son programme et sa tactique. Mais, tout en étant séparé de lui par des questions de principe, je le considère comme un révolutionnaire honnête. Je ne crois pas et ne croirai jamais à sa « collusion » avec Hitler ou avec Hess[6].

Vous êtes un cuisinier habitué à préparer des plats trop épicés ! pour un estomac normal, ils ne sont pas mangeables.

Sur le cercueil de Lénine, vous avez juré d’exécuter le Testament de celui-ci et de conserver, comme la prunelle de vos yeux, l'unité du Parti.

Parjure, vous avez trahi même le Testament de Lénine. Vous avez calomnié, déshonoré et fusillé ceux qui, pendant de longues années, furent les compagnons de Lénine : Kaménev, Zinoviev, Boukharine, Rykov et autres, alors que vous saviez très bien qu’ils étaient innocents. Vous les avez forcés, avant de mourir, à exprimer leur repentir pour des crimes qu’ils n’avaient jamais commis et à se couvrir de boue de la tête aux pieds.

Où sont les héros d'Octobre ? Où est Boubnov ? Et Krylenko ? Et Antonov-Ovséenko ? Et Dybenko ?

Vous les avez arrêtés, Staline.

Où est la vieille garde ? Elle n'est plus de ce monde.

Vous l’avez fusillée, Staline !

Vous avez corrompu et souillé l'âme de vos compagnons d’armes. Vous avez obligé ceux qui vous suivent « patauger, le coeur torturé et le dégoût aux lèvres, dans les flaques de sang de vos compagnons et amis d’hier.

Dans l’histoire mensongère du Parti, écrite sous votre propre direction[7], vous avez détroussé les morts, assassinés et diffamés par vos soins, de leurs faits d’armes et des services rendus par eux.

Vous avez anéanti le parti de Lénine, et, sur son cadavre, vous avez bâti un nouveau « parti de Lénine-Staline », qui sert de couverture à votre pouvoir personnel. Ce parti, vous l’avez fondé non pas sur un programme et une tactique d’ordre général, comme il sied à tout parti de s’organiser, mais sur le culte de votre personne et sur un dévouement total à celle-ci. Les membres de ce parti ne sont pas obligés de connaître son programme, mais ils sont tenus d’adorer sans cesse Staline, que la presse encense journellement. L’étude du programme du parti est remplacée par le culte de Staline et par la justification de ce culte.

Vous êtes un renégat qui a rompu avec son passé et trahi l’oeuvre de Lénine !

Vous avez proclamé solennellement comme un mot d’ordre la promotion de nouveaux cadres. Mais combien de ces jeunes cadres gémissent déjà dans vos casemates ? Combien en avez-vous fusillés, Staline ? Avec une cruauté sadique, vous exterminez les cadres, utiles et même indispensables au pays ; vous les jugez dangereux pour votre dictature personnelle.

A la veille de la guerre, vous démantelez l’Armée rouge, amour et fierté du pays, rempart de sa puissance.

Vous avez décapité l’Armée et la Flotte rouges, assassiné leurs capitaines les plus doués — le brillant maréchal Toukhatchevski en tête — formés dans le feu de la guerre mondiale et de la guerre civile.

Vous avez exterminé les héros de la guerre civile qui avaient réorganisé l’Armée rouge selon le dernier mot de la technique et l’avaient rendue invincible. Au moment où le danger de guerre est le plus grand, vous continuez à décimer l’Armée rouge, ses chefs, ses officiers supérieurs et subalternes.

Où est le maréchal Blücher ? Où est le maréchal Iégorov ?

Vous les avez emprisonnés, Staline.

Pour tranquilliser les esprits, vous trompez le pays en lui affirmant que l'Armée rouge, affaiblie par les arrestations et les exécutions, n’en est que plus forte. Tout en sachant que les lois de la science militaire exigent l'unité de commandement, vous avez restauré le système des commissaires politiques, né à l’aube de l’Armée et de la Flotte rouges, alors que nous ne disposions pas encore de nos propres commandants, d’où la nécessité d’un contrôle politique sur les techniciens militaires de l'ancienne armée. Par défiance vis-à-vis des commandants rouges, vous instituez dans l’armée une double autorité et vous ruinez la discipline militaire.

Sous la pression du peuple soviétique, vous ressuscitez hypocritement le culte des héros historiques de la Russie, Alexandre Nevski et Dmitri Donskoï, Souvorov et Koutouzov, avec l'espoir que, dans la guerre future, ils vous seront d’un plus grand secours que les maréchaux et généraux exécutés.

Profitant de ce que vous n’avez confiance en personne, les vrais agents de la Gestapo et du contre-espionnage japonais pêchent dans l'eau que vous avez troublée : ils vous glissent des liasses de documents apocryphes qui accablent les hommes les meilleurs, les plus doués et les plus intègres.

Dans l'ambiance empoisonnée de suspicion, de méfiance réciproque, de persécution générale et d’omnipotence du commissariat du peuple à l’intérieur, à la merci duquel vous avez livré l’Armée rouge et le pays entier, n’importe quel document « intercepté » est cru ou feint d’être cru comme une preuve indiscutable.

Glissant aux agents d’Iejov de faux documents qui compromettent de loyaux collaborateurs de notre mission militaire, le « service intérieur » du R.O.V.S., en la personne du capitaine Foes, est parvenu à démanteler notre représentation plénipotentiaire en Bulgarie, depuis le chauffeur M. I. Kazakov jusqu’à l’attaché militaire, le colonel V. T. Sonkhoroukov[8].

Vous anéantissez les unes après les autres les conquêtes d’Octobre. Sous prétexte de combattre l’ « instabilité de la main-d'œuvre », vous avez supprimé la liberté du travail, réduit à l’état de serfs les travailleurs soviétiques que vous avez attachés aux fabriques et aux usines. Vous avez ruiné l’organisme économique du pays, désorganisé l’industrie et les transports, sapé l’autorité des directeurs, ingénieurs et agents de maîtrise, accompagnant l’incessant chassé-croisé des révocations et nominations d’arrestations et de persécutions d’ingénieurs, de directeurs, d’ouvriers, qualifiés de « saboteurs occultes non encore démasqués ».

Ayant rendu toute activité normale impossible, vous obligez les travailleurs, sous prétexte de combattre les « absences volontaires » et les « arrivées en retard » au travail, à trimer sous le fouet et les morsures de décrets draconiens et antiprolétariens.

Votre répression inhumaine rend la vie impossible aux travailleurs soviétiques qui, à la moindre peccadille, sont congédiés avec un billet à coucher dehors et chassés de leur logement[9].

La classe ouvrière a supporté avec abnégation et héroïsme tout le poids d’un effort tendu à l'extrême, la disette, la faim, un salaire misérable, l’exiguïté du logement et le manque d’articles de première nécessité. Elle a cru que vous la meniez au socialisme, mais vous avec trahi sa confiance. Elle espérait qu’avec la victoire du socialisme dans notre pays, une fois réalisé le rêve de grande fraternité humaine fait par les esprits les plus lucides de l’humanité, elle aurait une vie joyeuse et facile.

Vous lui avez ôté jusqu’à cette espérance ; vous avez annoncé que le socialisme était instauré dès à présent dans son ensemble. Et les travailleurs soviétiques, trahissant leur perplexité par des murmures, s’interrogent les uns les autres :

— Si c’est ça le socialisme, pourquoi avons-nous combattu, camarades ?

Dénaturant la doctrine de Lénine sur le dépérissement de l’Etat comme vous avez dénaturé tout le marxisme-léninisme, vous promettez, par la bouche de vos "théoriciens" ignares ou amateurs, qui occupent les places vacantes de Boukharine, Kamenev et Lounatcharski, que même sous le communisme vous maintiendrez l'omnipotence de la Guépéou[10].

Rien ne vous empêchera demain de déclarer que le communisme est instauré[11].

Vulgarisateur primitif, vous avez tout fait pour discréditer la théorie de Lénine sur la construction du socialisme dans un seul pays.

Vous avec enlevé aux kolkhoziens tout stimulant au travail. Pour les forcer à travailler dans les champs des kolkhozes, vous supprimez, sous prétexte de combattre le « bazardage » des terres kolkhoziennes, le fondement de la vie matérielle des paysans, leurs lopins individuels. Bafouant le kolkhozien, vous êtes allé jusqu’à prélever un impôt de viande non par tête de bétail, mais par hectare.

Organisateur de la famine, par les méthodes brutales et cruelles et d'ailleurs inintelligibles qui caractérisent votre tactique, vous avez tout fait pour discréditer le principe léniniste de la collectivisation.

Après avoir proclamé hypocritement que l'intelligentsia était « le sel de la terre », vous avez privé les écrivains, les savants et les peintres du minimum de liberté personnelle dans leur travail, Vous avez enserré le mouvement artistique dans un étau où il étouffe, s’étiole et succombe. La rage de la censure terrorisée par vous et la servilité compréhensible des rédacteurs, qui répondent de tout sur leur tête, ont abouti à la sclérose et à la paralysie de la littérature soviétique. L’écrivain ne peut se faire imprimer, le dramaturge ne peut faire jouer son œuvre, le critique ne peut donner son opinion si celle-ci n’a pas reçu le sceau officiel.

Vous étouffez le mouvement artistique soviétique, exigeant de lui une servilité de courtisan, mais il préfère se taire plutôt que d’entonner le los en votre honneur. Vous implantez un pseudo-mouvement artistique qui, avec une fastidieuse monotonie, encense à donner la nausée votre fameux « esprit génial ».

Des plumitifs sans talent vous glorifient comme un demi-dieu « tombé sur terre de la lune ou du soleil » et vous, tel un despote oriental, vous vous grisez de l'encens de cette grossière flagornerie.

Vous exterminez impitoyablement des écrivains russes pleins de talent, mais qui n’ont pas l’heur de vous plaire.

Où est Boris Pilniak ? Où est Serge Trétiakov ? Et Alexandre Arossev ? Et Michel Koltsov ? Et Tarassov-Rodionov ? Où est Sérébrianova, coupable d’avoir été la femme de Sokolnikov ?

Vous les avez emprisonnés, Staline !

Suivant les traces d’Hitler, vous avez ressuscité les autodafés de livres, comme au Moyen Age. J’ai vu de mes yeux, envoyées aux bibliothèques soviétiques, des listes interminables d’ouvrages à mettre au pilon entièrement et sans délai. Lorsque j’étais ministre plénipotentiaire en Bulgarie, en 1937, j’ai découvert dans une liste d'oeuvres littéraires interdites vouées au feu mon livre de souvenirs historiques : Cronstadt et Piter en 1917. En regard des noms de nombreux écrivains, publicistes et critiques soviétiques figurait la mention : "Détruire tous les ouvrages, brochures et portraits."

Vous avez privé les savants soviétiques, surtout dans le domaine des sciences humaines, d’un minimum de liberté de pensée scientifique, à défaut duquel le travail créateur d’un chercheur devient impossible.

Les intrigues, cancans et tracasseries d’êtres ignares, mais remplis de présomption, empêchent les savants de travailler dans les universités, les laboratoires et les instituts.

A la face du monde, vous avez proclamé "non rentrants" d’éminents savants russes de réputation mondiale, les académiciens Ipatiev et Tchitchibabine, croyant ingénument les amoindrir. Ce faisant, vous n’avez fait que vous couvrir de honte en portant à la connaissance du pays tout entier et de l’opinion publique mondiale un fait qui déshonore votre régime, à savoir que les meilleurs de nos savants fuient votre paradis en vous abandonnant vos « bienfaits » : logement, automobile et carte donnant droit aux repas dans le restaurant réservé aux commissaires du peuple.

Vous exterminez les savants russes de talent.

Où est Toupolev, le meilleur constructeur d’avions soviétiques ? Même lui, vous ne l’avez pas épargné. Vous avez emprisonné Toupolev, Staline !

Il n’y a pas de région, pas de coin où l’on puisse se livrer tranquillement au travail que l’on aime. Directeur de théâtre, remarquable metteur en scène, éminent artiste, Vsevolod Meyerhold ne faisait pas de politique. Mais vous l’avez lui aussi emprisonné, Staline !

Tout en sachant qu'en raison de notre pénurie de cadres tout diplomate cultivé et expérimenté est particulièrement précieux, vous avez attiré à Moscou et anéanti les uns après les autres presque tous les représentants plénipotentiaires soviétiques. Vous avez détruit de fond en comble le commissariat des affaires étrangères.

Anéantissant les élites, la jeune génération, vous avez exterminé à la fleur de l’âge des diplomates de talent et pleins de promesses.

A l’heure où la menace militaire s’accroît, où le fer de lance du fascisme est dirigé contre l’Union soviétique, où la lutte pour Dantzig et la guerre en Chine ne font que préparer une intervention contre l’U.R.S.S., où l’objectif principal de l’agression germano-nippone est notre pays, où la logique d’une lutte conséquente pour la paix exige l’adhésion ouverte de l’Union soviétique au bloc des Etats démocratiques et la conclusion rapide d’une alliance politique et militaire avec l’Angleterre et la France, vous hésitez, vous tergiversez et oscillez comme un pendule.

Dans tous vos calculs de politique intérieure et extérieure, vous agissez en fonction non pas de l’amour de la patrie, lequel vous est étranger, mais d’une peur animale de perdre votre pouvoir personnel.

Votre dictature sans principes, tel un tronc pourri, barre la route de notre pays.

« Père des peuples », vous avez trahi les révolutionnaires espagnols vaincus, les abandonnant à leur sort et laissant à d’autres Etats le soin de s’occuper d’eux. Sauver magnanimement des vies humaines n’est pas dans votre caractère. Malheur aux vaincus ! Vous n’avez plus rien à en tirer.

Vous avez d’un œil sec voué à la mort les ouvriers, intellectuels, et artisans juifs qui fuyaient la barbarie fasciste en leur fermant les portes de notre pays qui, sur son vaste territoire, peut donner asile à des milliers d’émigrants.

Comme tous les patriotes soviétiques, j’ai travaillé en fermant les yeux sur bien des choses. Je me suis tu trop longtemps. Il m’était difficile de rompre les derniers liens non pas avec vous et votre régime condamné, mais avec les restes de l'ancien parti de Lénine, dans lequel je suis resté près de trente années et que vous avez saccagé en trois ans. Il m'était épouvantablement douloureux d'être privé de mon pays.

Plus l'on va, plus les intérêts de votre dictature personnelle s’opposent irréductiblement aux intérêts des ouvriers, des paysans, des intellectuels, aux intérêts du pays tout entier sur lequel vous vous acharnez comme un tyran parvenu au pouvoir personnel.

Votre base sociale se réduit de jour en jour. Cherchant fébrilement des appuis, vous vous répandez en compliments hypocrites sur les « bolcheviks sans parti », vous créez l’un après l'autre des groupes privilégiés, vous les comblez de faveurs, vous les nourrissez d’aumônes, mais vous ne pouvez garantir à ces nouveaux « califes d'une heure », non seulement leurs privilèges, mais même leur simple droit à la vie.

Votre folle bacchanale ne saurait se prolonger longtemps.

La liste de vos crimes est infinie, comme l’est également celle de vos victimes ! Les énumérer est impossible.

Tôt ou tard, le peuple soviétique vous traînera au banc des accusés comme traître au socialisme et à la révolution, comme le principal saboteur, le véritable ennemi du peuple, l’organisateur de la famine et des procès fabriqués.

  1. En 1936, Staline fit promulguer une nouvelle constitution de l’U.R.S.S..
  2. Dans le processus de sa liquidation comme organisme politique (et non comme appareil !), Staline tendit à dissoudre sans cesse plus le Parti dans la masse des « sans-parti », la masse des citoyens. En 1946, Staline déclarera : « La seule différence entre les sans-parti et les militants du Parti, c’est que les uns sont membres du Parti et les autres non, mais ce n'est là qu'une différence formelle. »
  3. Accusé du second procès de Moscou, Piatakov avait «avoué» être allé voir Trotsky par avion à Oslo pour recevoir ses instructions terroristes.
  4. Au troisième procès de Moscou, l’ancien dirigeant de la Guépéou, Iagoda, « avoua » avoir assassiné l’écrivain Maxime Gorki.
  5. Parmi les « accusations » des procès de Moscou contre les trotskystes, celle de sabotage était particulièrement fréquente.
  6. L’une des « accusations » portées contre Trotsky aux procès de Moscou, était celle de collusion avec Hitler, par l'intermédiaire de l'adjoint de ce dernier, Rudolf Hess.
  7. L'Histoire du P.C.b) de l'U.R.S.S. de 1938.
  8. R.O.V.S. ; service de police.
  9. C’est en décembre 1938 que Staline fait instaurer le livret de travail obligatoire et promulguer une réglementation d’une incroyable sévérité contre les retards d'ouvriers à leur travail (trois absences de vingt minutes entraînant la condamnation à des peines de travaux forcés).
  10. Staline avait, dès 1933. annoncé en effet que le développement du socialisme devait entraîner le renforcement de l'appareil d’Etat, c’est-à-dire de la police !
  11. Dès le XVIIIe congrès (1939), Staline annonce le passage à la construction du communisme comme imminent.