Lettre de protestation à la Rédaction de la revue Autogestion et socialisme, 14 octobre 1972

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Paris, le 14 octobre 1972

A la Rédaction de la revue AUTOGESTION ET SOCIALISME


Camarades,

Daniel Guérin m’avait demandé de publier dans votre revue le chapitre sur les collectivités espagnoles de mon livre « Jalones de Derrota ; promesa de victoria » et j’avais mis comme condition la publication simultanée d’un texte sur l’autogestion paru dans un numéro d'Alarma que je lui envoyais en même temps. Et j’exprimais le désir de rester en marge au cas où vous n’accepteriez pas cette proposition.

Cette attitude était entièrement justifiée car ma pensée est opposée à l’autogestion et le dit chapitre de mon livre ne s’exprimant pas là-dessus, pour cause évidente d’asynchronisme entre l’époque de sa rédaction et celle où l’on a commencé à parler d’autogestion, sa publication dans votre revue induirait tout lecteur à me ranger, à l’encontre de la vérité, parmi les partisans de l’autogestion.

Voilà qui est fait dans votre numéro 18-19, janvier-avril, dont j’ai pris connaissance par hasard, et avec retard car vous n’avez pas jugé bon de me l’adresser. Sans que le chapitre y soit reproduit intégralement, de larges extraits couvrent huit pages de la revue. Quelle équivoque ou quelle idée vous a permis d’agir de la sorte ?

Je l’ignore, mais j’espère qu’il ne vous semblera pas excessif de vous demander la publication de cette lettre et particulièrement des lignes qui suivent, dans le prochain numéro de votre revue :

1- L’autogestion est, à mes yeux, l’une des méprises les plus troubles qui aient été introduites dans les rangs ouvriers, sans pour autant préjuger de l’honnêteté des révolutionnaires qui la tiennent pour une découverte. Maintes autres personnes et tendances de toute évidence non révolutionnaires — réformistes et bourgeois — et même contre-révolutionnaires — Staliniens et chefs d’Etat policiers — y trouvent aussi leur, compte. Et il ne sert à rien de leur attribuer un abus de la formule ou des intentions mystificatrices.

2- Les collectivités de 1936-37 en Espagne ne sont pas des cas d’autogestion avant la lettre. Certaines organisèrent une sorte de communisme local qui n’avait de relations mercantiles qu’avec l’extérieur, tout comme dans les anciennes sociétés du communisme primitif. D’autres étaient des coopératives de métier ou de village, distribuant entre leurs membres les anciens profits du capital. Toutes ont, plus ou moins, abandonné la rétribution des travailleurs selon les lois du marché de la force de travail ainsi que, les unes plus que les autres, selon le travail nécessaire et le surtravail d’où le capital tire la plus-value et toute la substance de son organisation sociale. En outre, les collectivités ont fait des dons en nature, aussi abondants que répétés, aux milices de combat. On ne peut donc définir ces collectivités que par leur caractère révolutionnaire, bref par le système de production et de distribution en rupture avec les notions capitalistes de valeur (d’échange nécessairement), leur autonomie de gestion n’étant qu’une forme en contradiction avec leur contenu profond. Si bien que ce fut là, non seulement la source de leurs difficultés, mais ce qui permit au stalinisme et au gouvernement qui lui était asservi, de les combattre et, finalement, de les détruire. L’autonomie de gestion fut donc la négation des collectivités. Elles-mêmes s’en rendirent compte, mais trop tard.

3- Je suis présenté dans votre revue comme trotskiste orthodoxe, sans intention méchante certes, mais à l’encontre de la réalité. Pour une pensée dialectique, orthodoxie et révolution s’excluent réciproquement. Je prétends rester révolutionnaire, non orthodoxe de quoi que ce soit. J’ai formellement rompu avec la IVème Internationale en 1948 — tout comme Natalia Sedova Trotsky l’a fait ultérieurement — mais cela ne m’empêchera pas de lever la main comme trotskiste face aux calomniateurs policiers de Moscou ou de Pékin, ou à cette troisième catégorie de sujets, facture XXème Congrès, qui jubilent à présent des erreurs de Trotsky comme s’ils pouvaient justifier leurs accointances avec la contre-révolution stalinienne.

Salutations

G. M.


P.S. J’espère que vous me ferez parvenir le numéro d’Autogestion et Socialisme où paraîtra cette lettre.

Une coquille, sans doute obsessionnelle, dans votre traduction p. 166 «poussant à l’extrême du possible son dessein autosocialiste, le gouvernement Negrin... etc. » On doit lire : son dessein anti-socialiste