Lettre au congrès du Leninbund, janvier 1928

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La situation de l’Opposition à l’intérieur du K.P.D. comme chez les « communistes de gauche » exige une appréciation générale sur les perspectives. Il faut répondre à la question : quelle est l’orientation de l'Opposition ?

1. Il est impossible d’établir l’existence d’un développement des gauches ou d’un mouvement de masses. La conquête de Suhl et du Palatinat paraît être le résultat de phénomènes locaux mais non de regroupements dans les masses du parti. Pourquoi progressons-nous précisément dans ces deux endroits alors que nous avons marqué un net recul dans une localité prolétarienne comme Wedding? L’impression générale est que nous ne progressons pas dans le parti lui-même.

2. Le test le plus important est l’exemple d’Altona. Si nous examinons les deux premiers numéros de Die Fahne des Kommunismus publiés depuis cette défaite – nous n’avons pas vu le suivant – , il semble que nos amis n’ont pas suffisamment tenu compte de la raison pour laquelle nous avons subi à Altona une telle défaite et les perspectives qu’elle ouvre. La réponse à cette question est la réponse à la question centrale pour les gauches en Allemagne.

3. Le C.C. du K.P.D. n’a ni moyens d’État ni moyens économiques pour obliger les masses à demeurer dans le parti et à se soumettre à sa politique, et, bien que le C.C. ait très peu d’autorité et mène une politique très mauvaise, il reste dans le parti un noyau de 60 à 80000 ouvriers. Qu’est-ce qui les y retient tous ? Deux idées : à) après leurs expériences de la guerre, ils ne veulent pas revenir au S.P.D. ; b) ils veulent soutenir l’U.R.S.S. et la défendre. Ces deux idées révolutionnaires positives donnent sa force au K.P.D. et jouent momentanément contre l’aile gauche, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Pour les raisons suivantes : tous ceux qui ont été exclus ou qui ont quitté le K.P.D. sont allés au S.P.D. La masse du parti ne tient pas compte de ce que, jusqu’en 1923, ce furent réellement des droitiers qui furent exclus de l’I.C. et que maintenant, ce sont des gauches. Elle attend, méfiante, pour voir si Urbahns, Ruth Fischer, etc. ne vont pas aller au S.P.D. ; c) toutes les critiques contre la révolution russe ont été faites par la presse bourgeoise et celle du S.P.D. La masse du parti ne s’interroge pas actuellement sur le caractère de cette critique ni si elle est faite parce que le parti mène une politique de gauche ou une politique de droite. La masse du parti ne veut voir en U.R.S.S. que ce qui est bon. Elle ne comprend pas encore que la critique de l’Opposition constitue la défense de la dictature en Russie. A ces deux facteurs qui sont causes de la faiblesse des gauches en Allemagne s’en joint encore un troisième : les gauches ont été les seuls à avoir eu une position internationale révolutionnaire juste, mais quelle que soit l’importance de cette position – dans les moments cruciaux, elle peut être décisive – , la gauche ne peut pas gagner, ni attirer de grandes masses sans critique de la politique intérieure du K.P.D. convaincante pour les masses du parti, sans faire des propositions pratiques qui soient plus convaincantes que celles du C.C.

4. Si la gauche se concentre davantage sur les questions allemandes, si elle prend vis-à-vis d’elles une position juste, c’est-à-dire si elle fait des besoins de la masse le levier de l’agitation, elle se renforcera avec le temps, car les deux facteurs prépondérants pour sa faiblesse perdront de leur force. La période d’attente dans laquelle les ouvriers se sont demandés si Urbahns, Ruth [Fischer], Maslow, n’iront pas au S.P.D. prendra fin. Staline bénéficie de plus en plus des louanges de la presse bourgeoise et cela inquiète les ouvriers communistes. La situation en Russie devient de plus en plus claire et la justesse des accusations de l’Opposition russe est confirmée par des faits qui sont également visibles pour les ouvriers européens.

5. Le mouvement général des masses ouvrières vers la gauche dont bénéficient à présent le S.P.D. et le K.P.D. favorisera un regroupement de gauche dans les masses en faveur du K.P.D. et fera place dans le K.P.D. à un mouvement vers l’Opposition. Les communistes de gauche peuvent devenir un mouvement de masses.

6. Ce processus sera perturbé dans deux cas : si l’Opposition abdique dans le K.P.D., renonce à la propagande en faveur de ses conceptions, voire les renie comme l’a fait Zinoviev. Ce serait une capitulation. Mais l’Opposition se dessécherait aussi dans le cas où elle s’organiserait en deuxième parti. Le K.P.D. est à 99 % un parti ouvrier : si la masse du parti bouge, elle peut amender la politique du parti, la pousser vers la gauche. La bureaucratie du parti, en revanche, n’a que de faibles moyens de puissance et c’est pourquoi un deuxième parti n’est pas nécessaire. Sa fondation ne ferait que gêner le processus de cristallisation de l’aile gauche dans le parti. L’ouvrier communiste sait combien la lutte est difficile contre le S.P.D. et les partis bourgeois. Il ne veut pas d’émiettement des forces communistes, il ne va pas croire que le K.P.D. n’est plus communiste, car il est le parti de l’opposition la plus vigoureuse et les communistes de gauche n’ont à présent à lui offrir que l’opposition. Certes une opposition plus claire et plus fondamentale, mais une opposition seulement, pas une lutte directe pour le pouvoir. La masse ouvrière communiste ne suivra pas un second parti communiste, même si elle est prête à tourner vers la gauche le gouvernail du parti.

7. Le test sera les élections au Reichstag. Jusqu’à présent nous avions des députés qui avaient été élus autrefois sur des listes générales. Il s’agit maintenant de lutter pour avoir des mandats des masses. Cela signifie : ouvriers, n’allez pas au K.P.D., venez « à nous », c’est-à-dire au deuxième parti. Un journal à nous peut servir à poursuivre le but : rentrez dans le K.P.D. et améliorez sa politique, faites pression sur lui pour qu’il aille à gauche. Nos propres candidatures signifient : le K.P.D. n’est plus communiste. A bas le K.P.D. / Franchir un tel pas, c’est achever la scission et cela rendra impossible la conquête du parti. Ce serait un suicide.

8. Alors, que faire? Les exclus restent un groupe de propagande avec leur hebdomadaire et agissent de l’extérieur du parti. Ils doivent donner à leur journal la même attitude que s’ils étaient membres du parti. Une critique de camarades, sans exagération. Ils ne doivent pas se laisser provoquer par la façon dont on les combat. Les oppositionnels dans le parti luttent par tous les moyens, parlent dans les réunions, écrivent dans la presse du parti là où nous avons la majorité, conquièrent des organes et les transforment dans le sens de l’Opposition. Ils se soumettent aux décisions, mais ils luttent durement pour leurs convictions. Avant tout, ils se font les défenseurs de la lutte de classes intrépide, les défenseurs de la ligne communiste dans le parti. Leur exclusion du parti ne sera pas aussi facile qu’en Russie, mais si elle a lieu avec cette tactique, elle ne nous fera pas disparaître parce qu’elle suscitera dans le parti de nouveaux adhérents à l’Opposition. Du fait de la lutte de classes en Allemagne, l’unification sera ensuite plus facile.