Lettre au Secrétariat international, 22 mars 1936

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Encore une indiscrétion

Chers Camarades,

Le camarade Cannon m'a écrit il y a quelque temps une lettre accompagnée d'une copie éventuellement destinée au secrétariat international ; à cause des fâcheuses expériences qu'il avait faites, il me laissait libre d'envoyer ou de ne pas envoyer cette copie au secrétariat international. Je la lui ai fait parvenir comme document ultra‑confidentiel. Cela n'a pas empêché le secrétariat international de la reproduire en plusieurs exemplaires et de la diffuser[1] . Au moment où cela s'est fait, on ne pouvait absolument pas savoir comment les choses évolueraient en Amérique et quel effet aurait ce nouvel abus de confiance à l'égard du camarade Cannon[2] . Aussi ne puis‑je qualifier ce procédé autrement que de criminel. En vue de l'information des sections, le secrétariat international pouvait élaborer un document objectif sous sa responsabilité : il n'avait pas à publier un écrit qui n'était pas destiné à être rendu public.

La prochaine fois, si une situation analogue se reproduit, je serai contraint de m'abstenir de vous transmettre les copies de lettres privées.


Une expérience positive

Chers Camarades,

Je ne saurais attirer plus énergiquement votre attention sur la lettre du camarade américain du 4 mars[3] (sur le déroulement et le résultat de la conférence du Workers Party des Etats‑Unis). Cette lettre est hautement caractéristique du tournant qui s'est produit dans le parti américain. Son auteur faisait partie des adversaires de l'entrée dans le parti socialiste, mais il s'est ensuite ravisé.

Le plus important est cependant ce qu'il dit de l'atmosphère générale qui règne dans le parti. Après un an de stagnation et de morosité, l'organisation voit une perspective devant elle. Même si l'entrée n'a pas de bien grands résultats ou, pire même, si elle n'a pas lieu du tout (ce qui n'est pas à exclure), la nouvelle expérience aura des effets bénéfiques et décisifs sur le développement ultérieur de l'organisation.

Je ne peux que souhaiter que cette expérience ait une influence analogue aussi sur notre direction internationale. Nous ne pouvons pas prescrire à nos sections les étapes qu'elles ont à parcourir d'après un itinéraire abstrait. C'est une erreur fatale que d'intervenir comme deus ex machina dans leur évolution interne. Si nous avions soutenu l'opposition à partir d'un principe purement abstrait (l' « indépendance »), nous aurions aujourd'hui uniquement la scission, sans avoir pour autant empêché l'entrée de la majorité dans le parti socialiste[4].

On ne peut intervenir avec succès que si on a une idée très claire de la logique du développement interne de telle ou telle section. Sinon, on court le danger de causer des dégâts.

  1. Il n'a pas été possible de savoir avec certitude de quel document il s'agit. Le bulletin du SI daté du 12 février reproduit une lettre de Cannon et Shachtman expliquant les raisons de leur tournant et de leur décision de pr poser l'entrée immédiate dans le P.S. Le texte comporte quelques appréciations peu flatteuses concernant la « stérilité » de Weber et Muste, contient également des éléments d'information sur les négociations pour l'entrée et les perspectives de travail dont on peut penser qu'il n'était pas souhaitable de courir le risque de les rendre publiques. C'est peut‑être de ce texte qu'il s'agit.
  2. Trotsky parle de « nouvel abus de confiance » parce que le S.I. avait déjà l'année précédente publié une lettre confidentielle de Cannon à Trotsky.
  3. Il s'agit d'une lettre que Trotskv avait reçue d'Harold R. Isaacs. A son arrivée aux Etats‑Unis, retour de Chine via l'Europe, ce jeune militant s'était d'abord prononcé contre l'entrée dans le P.S. américain.
  4. C'était un peu ce qui s'était passé dans la section belge en 1935 puisque le S.I. (et Trotsky lui‑même) était très réservé sur l'entrée (à cause de ses conditions) et que la majorité était passée outre, cependant que la minorité Vereeken refusait de s'incliner.