Lettre au Ministre français de la Justice, 7 février 1939

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Appel à la Justice

A M. le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux de la République Française.

Monsieur le Ministre

Si je me permets d’occuper votre attention avec un cas personnel, ce n’est pas seulement, bien entendu, parce qu’il a une importance extrême pour moi, — ce serait bien insuffisant, — mais parce qu’il est du domaine de votre compétence. Il s’agit de mon petit-fils, Vsiévolod Volkov, garçonnet de treize ans qui vit actuellement à Paris et que je veux prendre chez moi au Mexique, où je vis actuellement.

Brièvement rapportée, l’histoire de ce garçonnet est la suivante. En 1931, il quitta Moscou avec sa mère, ma fille Zinaida, femme Volkov par son mariage, qui, avec l’autorisation du gouvernement soviétique, partit à l’étranger pour se soigner de la tuberculose. A ce moment-là précisément, les autorités soviétiques me privèrent, ainsi que ma fille, de la nationalité soviétique. Ma fille se vit reprendre son passeport lorsqu’elle se présenta au Consulat soviétique à Berlin. Séparée des autres membres de sa famille, Zinaida Volkov se suicida en janvier 1933. Vsiévolod resta dans la famille de mon fils Léon Sedov, qui vivait alors à Berlin avec sa compagne, Mme Jeanne Molinier, de nationalité française. Après l’arrivée de Hitler au pouvoir, mon fils se trouva contraint d’émigrer à Paris, avec Mme Jeanne Molinier et le garçonnet. Comme vous le savez peut-être, Monsieur le Ministre, mon fils décéda le 16 février 1938 à Paris, dans des circonstances qui continuent à rester pour moi mystérieuses. Depuis lors, le garçonnet se trouve dans les mains de Mme Jeanne Molinier.

La situation juridique de Vsiévolod Volkov est la suivante. Sa mère, comme je l’ai indiqué, est décédée. Son père, qui vivait en U.R.S.S., est disparu depuis bientôt cinq ans sans laisser de traces. Ayant pris dans le passé une part active au travail de l’opposition, il ne peut y avoir de doute qu’il ait péri dans une des « épurations ». Les autorités soviétiques considèrent certainement Vsiévolod Volkov comme privé de la nationalité soviétique ; attendre d’elles des certificats ou des documents quelconques serait absolument illusoire.

Je reste ainsi le seul parent par le sang de Vsiévolod, mon petit-fils légitime. S’il n’est pas facile, dans les conditions actuelles, de démontrer ce fait par des documents officiels, on peut l’établir sans peine (si quelque vérification est nécessaire) par les témoignages de dizaines de citoyens français qui connaissent parfaitement la situation de ma famille. Dans une note jointe à cette lettre, je donne la liste d’un certain nombre de ces personnes.

Vsiévolod Volkov n’a aucun lien de parenté directe ou indirecte en France ou dans quelque autre pays. Mme Jeanne Molinier n’a avec lui aucun lien de parenté, ni par le sang ni par alliance. J’ai proposé à Mme Jeanne Molinier, aux mains de qui se trouve actuellement le garçonnet, de venir avec lui au Mexique. Pour des raisons de caractère personnel, elle s’y est refusée. N’ayant pas la possibilité de me rendre moi-même en France, je me trouve dans la nécessité d’organiser le voyage de mon petit-fils par l’intermédiaire de tierces personnes. Le représentant de mes intérêts dans cette question est M. Gérard Rosenthal, avocat à la Cour, 15 rued’Édimbourg, à Paris.

Pour faciliter les investigations nécessaires je me permets d’indiquer que les autorités françaises ont par deux fois accordé à Vsiévolod Volkov l’autorisation de séjourner en France, la première fois à la fin de 1932 pour quitter Constantinople, la seconde en 1934 pour quitter Vienne. Les deux fois, l’autorisation fut accordée à Vsiévolod Volkov comme étant mon petit-fils. La correspondance liée à cette affaire doit se trouver dans les archives du Ministère de l’Intérieur et peut apporter un point d’appui inébranlable pour la décision que je sollicite.

Le gouvernement mexicain a déjà transmis des instructions à son Consulat à Paris pour que Vsiévolod Volkov soit admis au Mexique sans difficulté. Le reste ne dépend que des autorités françaises.

Très simple et hors de discussion quant à sa base matérielle, l’affaire peut, vu l’ensemble des circonstances indiquées plus haut, se présenter du point de vue juridique d’une façon extrêmement compliquée, car Vsiévolod Volkov ne possède aucun papier qui confirmât les faits exposés ci-dessus. Si une affaire de ce genre est abordée de façon bureaucratique, elle peut traîner indéfiniment. L’intervention de votre autorité, Monsieur le Ministre, peut trancher le nœud en vingt-quatre heures. C’est précisément ce qui me force à occuper votre attention.

Je vous prie, Monsieur le Ministre, d’accepter l’assurance de mes sincères sentiments.

Note indiquant quelques-unes des personnes susceptibles d’apporter leur témoignage dans l’affaire du jeune Vsiévolod Volkov.

— M. Alfred Griot, 187 Cité-Jardins, Les Lilas, Seine.

— Mme Marguerite Thévenet, 187 Cité-Jardins, Les Lilas, Seine.

— Mme et M. Pierre Naville, 26 rue Pelleport, Paris, 20e.

— M. le Dr Rosenthal, 15 rue d’Édimbourg, Paris, 8e.

— M. Jean Rous, 3 rue Ernest-Cresson, Paris, 14e.

— M. Alexis Bardin, 7 bis rue Soyer, Neuilly-sur-Seine, Seine.

— M. Victor Serge, Paris.

— M. Ivan Craipeau, Paris.