Lettre au Daily Herald, 23 avril 1938

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La Parole est au Labour Party

Cher monsieur,

Dans le vocabulaire de tous les pays civilisés, il existe le mot « cynisme ». Comme exemple classique de cynisme affiché, il faudrait introduire dès maintenant dans toutes les encyclopédies la défense par le gouvernement britannique des intérêts d’une petite clique d’exploiteurs capitalistes. C’est pourquoi je ne me (rompe pas en disant que l’opinion publique attend avec le plus grand intérêt d’entendre la voix du Labour Party britannique concernant le rôle scandaleux de la diplomatie anglaise dans l’affaire de l’expropriation de la compagnie pétrolière Eagle, décidée par le gouvernement mexicain.

L’aspect juridique de la question est clair, même pour un enfant. Dans le but d’exploiter les richesses naturelles du Mexique, les capitalistes anglais se sont placés sous la protection et en même temps sous le contrôle des lois et des autorités mexicaines. Personne n’obligeait messieurs les capitalistes à le faire, que ce soit par la force militaire ou par des notes diplomatiques. Ils l’ont fait avec une totale liberté et en pleine conscience. Aujourd’hui M. Chamberlain et Lord Halifax veulent obliger l’humanité à croire que les capitalistes britanniques ne se sont engagés à reconnaître les lois du Mexique que dans la mesure où ils le jugeaient nécessaire. Il apparaît en outre tout à fait par hasard que l’interprétation tout à fait « impartiale » des lois mexicaines que font MM. Chamberlain et Halifax coïncide mot pour mot avec celle des capitalistes intéressés. Le gouvernement britannique ne peut cependant nier que, pour l’interprétation des lois du Mexique, seuls soient compétents le gouvernement mexicain et la Cour Suprême de Justice de ce pays. Pour Lord Halifax, qui éprouve tant de sympathie pour les lois et les tribunaux de Hitler, les lois et les tribunaux du Mexique peuvent paraître déficients. Mais qui a confié au gouvernement britannique le droit de contrôle sur la politique intérieure et la jurisprudence d’un pays indépendant? Cette question contient déjà une partie de la réponse : le gouvernement anglais, qui est habitué à disposer librement de centaines de millions d’esclaves et demi-esclaves coloniaux, essaie d’appliquer au Mexique les mêmes méthodes. S’étant heurté à une résistance courageuse, il a chargé ses juristes d’inventer précipitamment des arguments dans lesquels la logique juridique fait place au cynisme impérialiste.

L’aspect économique et social du problème est aussi clair que son aspect juridique. Le comité exécutif de votre parti aurait correctement agi, selon moi, s’il avait nommé une commission spéciale chargée d’enquêter sur ce que le capital britannique, et en général le capital étranger, a investi au Mexique, et ce qu’il en a retiré. Une telle commission pourrait présenter à bref délai à l’opinion publique britannique un bilan impressionnant de l’exploitation impérialiste. Une petite clique de magnats étrangers absorbe, au plein sens du terme, les sucs vivants, aussi bien du Mexique que de toute une série d’autres pays faibles et arriérés. Les discours solennels sur l’introduction de la « civilisation » réalisée par le Capital étranger ou avec sa collaboration, dans le développement de l’économie nationale etc. sont du pharisaïsme pur. Il s’agit en réalité de l’exploitation des richesses naturelles du pays. La nature a eu besoin de millions d’années pour placer dans le sol et dans le sous-sol du Mexique l’or, l’argent et le pétrole. Les impérialistes étrangers veulent dérober ces richesses dans le plus bref délai possible, en utilisant le bon marché de la force de travail et la protection de leur diplomatie et de leur flotte. Visitez n’importe quel centre d’industrie minière : les centaines de millions de dollars extraits du sol par le capital étranger, il y a bien longtemps qu’ils ne donnent rien pour la culture du pays, ni routes, ni bâtiments, ni urbanisation. Pourquoi en effet dépenserait-on le pétrole, l’or, l’argent mexicains dans un Mexique lointain et étranger quand, avec les bénéfices qu’on en a tiré, on peut construire des palais, des musées et des théâtres à Londres ou à Monaco? C’est ainsi que sont les exploiteurs! En échange des richesses qu’ils ont extraites, ils laissent au Mexique des trous dans le sol et des ouvriers malades.

Les notes du gouvernement britannique invoquent le « droit international ». Même l’ironie baisse les bras en signe d’impuissance devant un tel argument. De quel droit international s’agit-il ? Évidemment de celui qui prévaut en Éthiopie et auquel le gouvernement britannique se prépare à donner sa sanction. Évidemment du même droit que les avions et les tanks de Mussolini et de Hitler introduisent en Espagne depuis deux ans, avec la complicité traîtresse du gouvernement britannique. Ce même gouvernement a maintenu d’interminables charlataneries à propos du retrait d’Espagne des « volontaires » étrangers. L’opinion publique naïve a longtemps cru qu’il s’agissait d’empêcher l’intervention des bandits fascistes. En réalité, le gouvernement britannique ne demandait à Mussolini qu’une seule chose : qu’il retire ses troupes d’Espagne, après avoir assuré la victoire de Franco. Dans ce cas, comme dans tous les autres, la tâche n’était pas de défendre le « droit international » ou la « démocratie », mais de protéger les intérêts britanniques dans l’industrie minière espagnole contre des atteintes éventuelles de la part de l’Italie.

Au Mexique, le gouvernement anglais mène au fond la même politique qu’en Espagne. Sauf qu’en Espagne, il le fait de façon passive, alors qu’au Mexique, il le fait activement. Nous assistons aujourd’hui aux premiers pas de cette activité. Comment va-t-elle se développer à l’avenir? Personne ne peut le prédire aujourd’hui. Chamberlain lui-même ne le sait pas encore. On peut seulement dire à coup sûr une seule chose : le développement ultérieur de la politique des atteintes de l’impérialisme britannique contre le Mexique dépendra dans une large mesure du comportement de la classe ouvrière britannique. Il faut une ferme résolution de paralyser la main criminelle de la violence impérialiste. C’est pour cette raison que je conclus de la même manière que j’ai commencé : l’opinion publique mondiale attend d’entendre la voix ferme du Labour Party britannique !

P.-S. Quelques journaux impérialistes ont essayé de me présenter comme l’initiateur de l’expropriation. De telles absurdités ne méritent pas d’être réfutées. En tant que personne privée jouissant de l’hospitalité de ce pays, j’ai appris dans la presse toutes les étapes de la lutte des capitalistes étrangers contre les lois mexicaines. Mais cela m’a suffi comme base pour me faire mon opinion. Exprimer cette opinion à haute voix est le devoir élémentaire de tous ceux qui participent à la lutte émancipatrice du prolétariat.