Lettre à Pierre Naville, 25 novembre 1930

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Büyükada, le 25 novembre 1930

Cher camarade Naville,

Le fait même qu’au moment de la crise la plus accentuée qui frappe non seulement l’opposition française, mais qui paralyse aussi le Bureau International et le secrétariat qui vient de se constituer, vous ne m’écrivez point, éclaircit distinctement la direction de vos sentiments, votre façon d’agir et vos intentions. Je ne parle pas de ce que, à mes yeux, la caractéristique d’un révolutionnaire consiste en ce qu’il prenne au sérieux les engagements pris par lui. Du point de vue formel et objectif, il est également inadmissible que par exemple la parution du deuxième numéro du Bulletin International pour lequel nous avons tous dépensé tant de temps soit différé complètement par votre attitude. Même d’ici, nous aurions déjà pu faire paraître ce numéro depuis longtemps.

C’est peut-être le succès du camarade Landau ainsi que ses interprétations qui, s’appuyant — non sans votre aide — sur l’indignation de Rosmer, prépara d’une façon toute spéciale (la mort de) la Conférence, c’est-à-dire par des artifices organisatoires et non comme expression politique d’une organisation révolutionnaire, — qui vous a stimulé en ce sens. Le camarade Landau fait erreur s’il pense que l’opposition allemande se soit formée grâce à ses habiles artifices de coulisses. Non, ce qui s’est formé de cette façon n’est que le Mahnruf, c’est-à-dire pas beaucoup plus que rien du tout. L’existence de l’opposition allemande est le produit de son appui contre l’opposition internationale et de son soutien de la part de celle-ci. Je suis le dernier à renier que le camarade Landau y a collaboré ou d’en diminuer la valeur. Mais la façon spécifique qui a été induite au travail et qui a commencé à fleurir au cours de la dernière Conférence, ne peut que nuire. A Berlin, lieu immédiat de l’activité de Landau, on a aucun succès à marquer.

Vous comprendrez qu’il m’est tout à fait égal si le camarade qui se trouve à la tête de l’opposition allemande s’appelle Landau ou autrement. Ce qui importe, ce ne sont que les principes qu’on défend, les méthodes avec lesquelles on lutte, les buts qu’on se pose. Le camarade Landau n’a pas de principes indépendants, ce sont les principes communs à l’opposition internationale, mais les méthodes qu’il applique sont opposées à ces principes.

Maintenant, à la France : il ne s’agit pas aujourd’hui de la querelle Molinier-Naville. La seule question importante est la question syndicale. Le seul document décisif, ce sont les thèses de Gourget. Est-ce que vous les acceptez, camarade Naville, ou les combattez-vous ? Moi pour ma part, je les combats rigoureusement. Vous comprendrez que je n’ai pas rompu avec les centristes de Russie pour prendre une responsabilité quelconque pour les thèses confuses et centristes du camarade Gourget. Et si je le faisais, les sept mille cinq cents oppositionnels emprisonnés et déportés me marqueraient à juste titre comme traître ; si les fusillés ne peuvent pas m’accuser en même temps qu’eux ce ne serait pas de leur faute. Vous comprenez que je n’ai pas du tout l’intention de devenir pathétique. Je veux simplement rappeler à quelques jeunes camarades qu’il y a des choses, principes, et des engagements qui doivent être pris au sérieux. Je suis prêt à faire tout mon possible pour maintenir la collaboration avec Rosmer. Mais s’il soutient les thèses de Gourget et sa façon d’agir envers sa propre organisation, ce fait éliminerait du moins pour le prochain temps notre collaboration. Voilà l’état des choses.

Pratiquement le Bureau International ne peut pas dépendre de la bonne ou mauvaise volonté d’un camarade français ou de l’autre. Il doit exister en permanence. C’est-à-dire à partir de demain. Si le camarade Rosmer a démissionné vraiment et s’il ne veut pas retirer sa décision, le Bureau Exécutif doit dès aujourd’hui élire un autre représentant. Vous êtes membre du Secrétariat provisoire. Vous devez remplir régulièrement vos fonctions, c’est votre devoir international élémentaire.

Il y a une foule de questions actuelles qui demandent des décisions formelles. En premier lieu la question autrichienne. Si je ne reçois pas de réponse sur mes propositions de la part du représentant français, je m’adresserai avec ces propositions à toutes les sections ; cela entraînerait, bien entendu, les plus grandes complications, mais c’est la seule voie possible.

J’attends votre réponse télégraphique ; c’est-à-dire : « Demain » (« Après-demain ») signifierait pour moi que le Bureau International et le Secrétariat reprendront demain (après demain) leur travail. « Impossible » signifierait une réponse négative qui me laisserait, en tant que membre du Bureau International, les mains libres.

[L. Trotski]