Lettre à Max Shachtman, 16 avril 1930. La conférence muette

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Cher Camarade Shachtman,

Remerciements tardifs pour votre rapport détaillé sur les événements de Berlin. Le tableau que vous peignez n'est pas très rose. J'ai appris maintenant - par Seipold, que la situation a pris un tour favorable. J'ai exprimé franchement aux amis berlinois la suspicion qu'il se trouve dans leurs rangs nombre d'agents de la bureaucratie officielle qui font leur sale travail de scissionnistes. En outre, je crois que ce type de procédés est tout à fait dans l'esprit de la pratique bureaucratique stalinienne et que nous devons mettre en garde contre lui partout, y compris en Amérique.

Et maintenant, sur la conférence internationale, elle a été pour moi une grande déception, à tous égards. Il n'était pas vraiment bien avisé de convoquer une conférence muette. Si nos adversaires n'ont conservé que la moitié de leurs esprits, et dans ce domaine, ils ont des cerveaux très créateurs - ils en tireront immédiatement et publiquement la conclusion : les représentants de l'Opposition qui y étaient réunis étaient aussi divisés ou à ce point dans le noir, ou les deux à la fois, qu'ils n'aient pas osé exprimer une seule idée politique" Personne après tout, personne qui pense politiquement ne croira que des gens sont venus de New York, de Berlin, de Prague, d'Espagne, etc. à Paris pour ne rien dire. Voyager pour garder le silence est réellement une dépense politique superflue. Pour constituer un secrétariat, on aurait seulement besoin de quatre ou cinq cartes postales, pas plus. On peut bien sûr dire que la majorité des déléguée étaient présents à Paris. Mais le lecteur des communiqués officiels l'ignore et cela ne change en substance rien à la question.

Pourquoi n'a-t-on pas publié une courte déclaration de principe ou un manifeste ? Pourquoi ? Un tel document aurait été de la plus grande importance politique. On pourrait le montrer à tout ouvrier dans tout pays et s'en servir comme base pour le travail de propagande de l'Opposition internationale. Il faut toujours conserver à l'esprit que la majorité des groupes nationaux sont relativement faibles, sans tradition et sans autorité parmi les travailleurs, ce qui crée de grands obstacles et difficultés au début. Nous citons l'autorité de l'Opposition russe qui est plutôt abstraite pour les ouvriers. On donne souvent à l'autorité une tournure personnelle qui est politiquement inconfortable à tous égards et inadmissible sur le terrain des principes. Un ouvrier qui sympathise en général avec l'Opposition mais n'a pas encore une confiance suffisante en son groupe national pousserait un soupir de soulagement si on pouvait lui présenter une déclaration de principes succincte et claire. Et nous nous sommes privés de cette arme pour une période indéterminée ? Pour quelles raisons ? Le camarade Naville, dans une lettre rédigée à la hâte, m’en mentionne une : le refus des Italiens et le demi-refus des belges Je ne peux en aucun cas accepter cet argument. Nous donnons une conférence pour donner une expression aux idées de ceux des groupes qui sont arrivés à la clarté, pas de ceux qui sont en pleine confusion. En outre, les Italiens n'étaient pas représentés officiellement et les belges étaient divisés. Le manifeste aurait pu être adopté à l'unanimité ou avec un vote contre d'un des belges. On peut m'objecter que nous ne voulons pas d'un heurt avec les gens de Bruxelles. Je crois que c'est encore plus difficile à comprendre car eux-mêmes guerroient contre nos camarades de Charleroi que nous devons soutenir sans réserves. En ce qui concerne les Italiens, je trouve également que la politique d'"indulgence" patiente est tout à fait fausse. Si nous avions pressé les Italiens de se décider par des articles exposant ouvertement la question, nous serions maintenant un peu plus avancés avec eux que nous ne le sommes, malheureusement.

Il faut reconnaître que nous avons perdu beaucoup trop de temps, même avant la conférence. Il aurait fallu constituer le secrétariat il y a six mois au moins, Urbahns n'aurait jamais pu faire, dans son organisation d'aussi relativement profondes percées s'il y avait eu une sorte de contrôle de l'Opposition internationale et si les membres du Leninbund avaient compris qu'il s'agissait de rompre avec l'Opposition internationale tout entière. Par cet inexplicable délai nous avons aidé Urbahns contre nous-mêmes, de même que nous aidons aujourd'hui les brouillons chez les Belges, les Italiens et ailleurs par cette conférence muette (c'est sous ce nom qu'elle entrera dans l'histoire).

J’insiste sur ce point parce que je sens que sur cette question importante, il existe des tendances qui sont en désaccord avec l'internationalisme révolutionnaire actif de l'Opposition et, si on ne les met pas au jour et si on ne les élimine pas à temps, elles peuvent devenir dangereuses.

Si je ne me trompe pas, les choses ne sont pas non plus en ordre au sens formel et ici, mon cher Shachtman, je dois vous mettre en cause directement. Par l'intermédiaire de vos bons offices, j'ai fait des propositions à la conférence. Mais elle n'en a pas entendu un mot. Qui a décidé, dans le dos de la conférence qu'une importante proposition qui lui était adressée ne lui serait même pas communiquée ? Cela ne me semble pas très "démocratique" en ce qui concerne la conférence elle-même. Ce qui est réellement non-démocratique (sans guillemets), c'est que 99%, sinon plus, des membres de l'Opposition seraient, si on le leur demandait, en faveur de la publication d'un tel manifeste. En outre, un référendum sur cette question ne serait pas très difficile puisque nous ne sommes hélas pas trop nombreux.

Ainsi, l'ensemble de la façon dont on a procédé me paraît politiquement tout à fait faux et organisationnellement un peu arbitraire.

Ce que vous me dites, sur la foi du camarade Pfemfert, au sujet de prétendues propositions de publication de ma biographie en yiddish est un malentendu. La somme est le dixième de celle que vous donnez dans votre lettre. Je suis tout à fait désolé que le projet du Militant[1] soit beaucoup plus réduit que vous ne l'avez imaginé sur la base de ce malentendu.

J'ai reçu avec gratitude la lettre du camarade Martin Abern avec son importante information.

J'ai reçu une lettre très chaleureuse du camarade Winitsky et je joins une réponse à vos bons soins. J'ai malheureusement dû l'écrire également en allemand. Si votre conseil estime que ma réponse n'est pas prudente, ne remettez pas la lettre, rendez seulement compte oralement de son contenu pratique.

  1. The Militant était la revue des trotskystes américains.