Lettre à Max Schatman, 18 août 1930. Une situation difficile

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Cher camarade Shachtman,

1 . Il est bien entendu regrettable que The Militant a été obligé de se réduire à un bi-hebdomadaire. Mais en tout cas ce n'est pas une catastrophe. Je m'inquiète seulement un peu d'un symptôme purement technique qui a parfois sa signification politique. La correction des épreuves dans le dernier numéro est lamentable. Ce peut être une simple coïncidence, mais c'est quelquefois un signe de démoralisation dans le comité de rédaction et quelquefois une crise dans l'organisation commence avec la négligence du travail dans le détail. Je suis certain que ce n'est pas le cas avec la League.

2 . Je regrette que tous nos plans financiers soient réduits à zéro. Rieder a complètement retapé et ravaudé l'édition en yiddisch. Et je vois que vous n'avez pas pu placer des chapitres du nouveau livre dans la presse de langue étrangère. Scribner m'écrit que la crise a beaucoup nui à la vente de l'autobiographie. Il n'a jusqu'à présent vendu que quatre mille exemplaires.

3 . Sur l'Opposition française: les comptes-rendus sur la crise qui vous ont touché semblent très exagérés. Rosmer n'a pas démissionné. Il est maintenant en congé et reprendra son poste dans quelques semaines. Comme toujours le conflit a laissé les camarades avec un goût amer dans la bouche, mais j'ai confiance que les résultats positifs l'emporteront à temps sur les négatifs. Bien des questions ont été clarifiées par la crise, bien des positions précisées. La travail de la Ligue n'a pas été gêné, il avance et avec succès. Nous attendons l'arrivée du camarade Molinier très bientôt. Naville viendra plus tard. Je pourrai vous donner des informations plus concrètes sur les aspects personnels à ce moment. Je crois cependant que la crise a été fondamentalement surmontée dans ses aspects politiques et personnels.

4 . La situation est bien pire dans le travail international. Tous mes efforts pour déterminer ce qui a été réellement décidé à la conférence d'avril ont été insatisfaisants dans la mesure où je crois comprendre qu'aucune décision formelle n'a été prise et qu'il n'y a pas eu de compte-rendu (le camarade Frankel me corrige sur ce point et me dit qu'un compte-rendu détaillé et des décisions écrites doivent être fournis). En tout cas je ne les ai pas encore reçus. La conférence d'avril était plus ou moins un malentendu. Le travail a été sommairement balancé à la Ligue française sans détermination d'une division du travail précise. Laissant de côté la question d'un manifeste politique, les aspects techniques-organisationnels auraient dû être traités avec attention. Je le souligne parce que j'ai peur qu'une bonne partie de cette espèce de négligence existe aussi au niveau national, faisant un mal incroyable à notre travail. La bureaucratie a aussi de bons côtés: exactitude, ponctualité, résolutions précises, etc. Cet aspect de la "bureaucratie" est quelque chose que l'Opposition devrait commencer à acquérir.

5 . Vous écrivez que le Secrétariat International devrait réellement trancher la question de ma lettre-circulaire. Vous maintenez et ce n'est pas faux, que c'est ce pour quoi il a été formé. Oui, c'est ainsi qu'il faudrait que ce soit. Mais, comme je l'ai dit, malgré une dizaine de lettres, j'ai été incapable de découvrir ce qu'étaient les décisions réelles. Il y avait un certain nombre de nuances ou divergences sur un certain nombre de questions internationales. Ces nuances étaient absolument inévitables et dans une certaine mesure stimulent le mouvement. Mais il doit y avoir une organisation qui puisse aller de la discussion des nuances à la décision et l'action. J'avais espéré avec votre collaboration, cher Shachtman, trouver la route vers elle à Paris. Mais puisque ce n'a pas été le cas, il n'y avait d'autre issue que de se tourner directement vers l'Opposition et de clarifier la situation dans l'opinion des membres. En tout cas j'ai réalisé dans cette lettre-circulaire ce que je n'avais pu réaliser à travers d'innombrables lettres privées. Un comité de rédaction séparé du Bulletin international a été constitué et j'écris ici chaque jour pour son premier numéro.

6 . Vous écrivez que ma lettre-circulaire sera communiquée aux membres de la direction. Bien entendu, vous savez mieux comment procéder en Amérique. En principe cependant je pense que nous devrions procéder aussi démocratiquement que possible. Ce que nous avons dans les rangs de l'Opposition, ce sont des cadres; il faut les entraîner, les entraîner jusqu'à ce qu'ils soient capables d'agir totalement par eux-mêmes. Cela ne viendra pas à travers leur croyance dans un Secrétariat International tout-puissant mais plutôt s'ils prennent part sur toutes les questions à toutes les actions qui conduiront graduellement à la création d'un centre capable.

7 . Sur les bordiguistes: dans le tout dernier numéro de La Lutte des Classes, vous trouverez les documents les plus importants qui expliquent l'état des deux groupes de l'Opposition italienne. Les rapports avec les bordiguistes de Paris sont un peu tendus. Ici aussi la situation serait meilleure si on ne l'avait pas traitée de façon peu démocratique, c'est-à-dire si les négociations au niveau de la direction avaient été depuis longtemps complétées par l'information de tous les oppositionnels français et italiens. Rien n'oblige les dirigeants à définir leurs idées et actions autant que le fait qu'ils sont observés et donc sous le contrôle de l'opinion publique de leurs membres. Cette règle n'est pas appliquée seulement aux staliniens mais également à vous. Il ne faudrait jamais l'oublier.

Le nouveau groupe italien est très actif et semble avoir à sa disposition des forces bien entraînées et capables. Notre intention est que ces deux groupes soient représentés par un seul, ou si le pire empirait, deux camarades au Secrétariat International. Si les bordiguistes de Paris n'étaient pas si sectaires, ils auraient salué la nouvelle Opposition comme un signe de leur succès politique. Malheureusement ils accordent une grande importance au maintien à tout prix de leur position en tant qu'aristocratie oppositionnelle.

En tout cas, je ne pense pas que vous ayez à modifier votre attitude à l'égard des bordiguistes de New York. A mon avis, vous devez cependant discuter des questions contestées sur la base des matériaux dans le dernier numéro de Lutte de Classes, tout à fait ouvertement dans l'organisation et en présence des bordiguistes.

8 .. Sur un front unique des trois organisations communistes aux Etats-Unis. Bien entendu, il est hors de question pour nous d'entrer dans un bloc quelconque avec la droite si le parti n'y participe pas. L'élément le plus important, dans le document de Gitlow est son admission que son organisation a des différences tant tactiques que politiques avec nous. C'est à dire qu'en dépit de toutes les affirmations contraires des staliniens, les droitiers reconnaissent qu'ils sont bien plus proches des centristes que de nous. Il faut en tirer profit politiquement. Vinitsky m'a envoyé la grande résolution sur "le trotskysme" de la conférence nationale des droitiers. Elle a neuf pages et je n'ai fait qu'y jeter un coup d'œil. Je la commenterai dans un article dans le proche avenir. Le fait que vous avez forcé ces gens à préciser leur position est en soi un gain important pour nous.

9 . Les affaires qui concernent le Biulleten russe, je les passe à Ljova, puisque c'est son département. Il vous écrira bientôt là-dessus.

10 . J'ai reçu sans problèmes la ligne de pêche. Le maestro Kharalambos l'a essayée et l'a trouvée excellente. J'espère que la technique américaine sera à la hauteur de sa réputation dans la prochaine saison de pêche.