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Special pages :
Lettre à Ludwig Kugelmann, 3 avril 1871
Auteur·e(s) | Jenny von Westphalen |
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Écriture | 3 avril 1871 |
Le 3 avril 1871.
Cher docteur Kugelmann,
J'avoue que votre lettre me surprend un peu, et si je ne savais que c'est votre amitié sincère pour le Maure qui vous l'a dictée, je me mettrais en colère. Je ne sais vraiment pas en quoi j'ai mérité le sermon que vous me faites. S'il m'est arrivé de plaisanter et d'oser toucher de mes mains profanes la sacro‑sainte profession médicale dans la mesure où elle prétend être un sacerdoce, je puis vous assurer (et il est étrange que vous ayez besoin de telles assurances) que, lorsqu'il s'agit de la santé de mon père, il n'est plus question de « plaisanter ». Vous me chapitrez sur la nécessité de voir le Maure mener à terme sa grande œuvre et remplir sa mission. Rassurez‑vous, mon cher ami, je n'ai pas besoin d'un tel encouragement : le petit doigt de mon père m'est bien plus précieux que tous les livres qui ont jamais été ou seront jamais écrits. Et c'est en vérité ce livre qui empêche toute guérison radicale. Me rendant compte que toutes les drogues que prend le Maure ne lui font aucun bien, je lui ai souvent demandé d'aller avec Tussy et moi dans les Pyrénées, mais il ne veut pas interrompre son travail ! Notre exil, les années d'isolement, etc., etc. sont des sacrifices à la noble cause du prolétariat et je ne les regrette pas. Mais j'avoue néanmoins qu'il me reste encore certaines faiblesses humaines et que la santé de mon père est plus précieuse pour moi que l'achèvement du second volume du Capital dont, soit dit en passant, la « grande » nation allemande n'a même pas daigné lire le premier volume.
Faites mes amitiés à la chère Trautchen. Je la remercie de sa lettre, mais je ne me sens pas suffisamment bien pour lui écrire aujourd'hui. Faites aussi mes amitiés à Françoise et croyez‑moi.
Bien sincèrement vôtre,
Jenny Marx.