Lettre à Karl et Rebecca Grünstein, 12 avril 1928

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« Nos Contacts »

Chers Amis,

Nous avons reçu aujourd’hui 12 avril votre lettre du 24 mars. C’est un délai relativement acceptable pour la distribution du courrier. C’est parfois bien pire. Le jour où j’ai reçu votre télégramme, je vous ai envoyé une carte postale. J’espère que vous l’avez reçue. Votre lettre est excellente en ce qu’elle donne une image assez claire de vos conditions de vie. Malheureusement, ce n’est pas une image joyeuse ou réconfortante. Je présume que l’on met des obstacles sur votre route en ce qui concerne la correspondance et en ce qui concerne la pêche et la chasse. Si c’est le cas, il s’agit indubitablement d’autorités locales agissant de leur propre initiative. Ce fut pareil pour nous au début. Mais quand on eut envoyé à Moscou des télégrammes de protestation, la situation changea. Je pense qu’il vous faut énergiquement protester contre toute interférence dénuée de sens, de quelque sorte qu’elle soit.

L’arrivée du courrier est l’apogée de la journée, comme pour vous à Tcherdyne. Pendant les toutes premières semaines, il n’y avait pas de courrier du tout. Nous adressions des télégrammes et des cartes postales à toutes les adresses de nos amis que nous connaissions. La vôtre a été l’une des dernières à nous parvenir. Petit à petit, nous avons commencé à recevoir des réponses, d’abord par télégraphe, puis par le courrier. Rakovsky et Sosnovsky sont ceux qui écrivent le plus régulièrement. Nous avons déjà réussi à échanger plusieurs lettres avec eux. En outre, Rakovsky m’envoie des journaux étrangers d’Astrakhan. J’ai commencé à recevoir des journaux étrangers de Moscou aussi, avec des livres...

D’I. N. Smirnov, nous avons déjà eu une lettre de son lieu de résidence, c’est-à-dire Novo-Bayazet en Arménie. Son trou semble pouvoir concurrencer Tcherdyne, bien qu’il soit à l’autre bout de la carte. De Sérébriakov, nous n’avons reçu qu’une carte postale. Il travaille sur le chemin de fer Turkestan-Sibérie, est bien placé, mais se plaint de l’ennui. Il y a eu une carte de Radek. Il lit et écrit beaucoup, mais souffre des reins (il ne nous a pas parlé de lui ; c’est sa femme qui l’a fait). Il y a eu une lettre de Beloborodov3 (d’Ust-Kulom dans la région autonome Komi). Dans cette colonie d’exil, il est difficile d’obtenir des chandelles et du kérosène. Valentinov vit là également. Il y a eu une lettre d’Ichtchenko, de Kainsk, 37 rue Kraskov. Il a un emploi et se plaint que la paperasserie bureaucratique lui fasse perdre tout le temps qu’il veut consacrer à ses propres projets. Ichtchenko écrivait sous l’impression récente de la lettre tout à fait stupide de Piatakov qui l’a beaucoup indigné. Nous avons reçu une lettre très réconfortante de Kasparova, de Kourgan (109, rue Sovietskaia). Il semble que le fils de Kasparova ait également été exilé de Moscou, d’après ce qu’on a écrit à notre fils. Jusqu’à présent, il n’y a eu que deux télégrammes de Mratchkovsky (Veliky Oustioug, rue Kurochkine). Dans le second, arrivé il y a quelques jours, il se plaint de ne recevoir aucune lettre de moi, bien que je lui aie écrit une première lettre dès le 28 février, soit il y a plus d’un mois. N. I. Mouralov travaille dans un bureau de planification de district, 3 rue Fourier dans la ville de Tara). Nous avons reçu deux lettres de lui. Il y a eu aussi une lettre de Préobrajensky, d’Ouralsk (13 place Nekrassov). Préobrajensky fait aussi un travail pour le gouvernement, aux côtés d’un ancien membre du comité central des S.R. de droite, Timofeiev. Il fait beaucoup de travail théorique. Soit dit en passant, en ce moment précis, il est à Moscou où il vient de lui naître un fils... J’ai écrit à Smilga à Narym à plusieurs reprises et reçu un télégramme de lui et d’un groupe de camarades qui sont dans la même région, mais pas encore de lettre (Kolpatchevo, district postal, Narym). Il y a eu aussi un télégramme de Vratchev, de Vologda, et de Iouchkine et Drozdov, à Andijan. Le télégramme a été envoyé quand nous étions en route. Eltsine est à Oust-Vym (dans la région du Komi). Le camarade Sermouks a abouti aussi là-bas. Nous avons reçu un télégramme de lui il y a quelques jours. Je crois que c’est tout pour les camarades avec lesquels nous avons établi ou sommes en train d’établir une correspondance. A l’exception de Moscou. Aujourd’hui il est arrivé en même temps que votre lettre une lettre de Rakovsky. Il travaille beaucoup dans la commission provinciale de planification et à du travail littéraire. Il travaille pour l’Institut Marx et Engels sur le thème du saint-simonisme. En outre, il travaille à ses mémoires. Voilà je crois toutes les informations les plus importantes que je puis vous communiquer brièvement sur nos amis jusqu’à présent.

Je travaille sur la décennie d’après-guerre. Le but à long terme de ce travail est de tirer les leçons généralisées de la lutte révolutionnaire internationale de l’après-guerre, basée sur une évaluation des principaux courants de l’économie et de la politique d’après-guerre. J’ai apporté une partie des matériaux avec moi. Mon second fils m’apportera le reste des livres. Nous attendons son arrivée dans quelques semaines. En outre je traduis de l’allemand la brochure de Marx sur Karl Vogt et je projette de traduire un petit livre du socialiste utopique Hodgskin pour la maison d’édition de l’Institut Marx et Engels.

Quant à notre installation domestique, elle est très agréable, surtout en comparaison d’autres amis. Ma santé était très bonne jusqu’à ce que j’aie pris froid récemment. Maintenant j’ai de la bronchite dans le prolongement de la grippe. Mais il semble que cela aille mieux. Les choses ne vont pas si bien pour Natalia Ivanovna. Elle a eu une rechute de malaria, qui est très répandue dans la région. Les conditions sanitaires sont terribles. Le docteur local soupçonne que moi aussi j’ai la malaria, pas seulement la grippe. Nous avons de grands espoirs pour la saison d’été quand nous pourrons monter sur les collines à quelques huit verstes de la ville où il y a des orchidées et des maisons ou plutôt des baraquements d’été. Le climat y est infiniment meilleur. Il y est plus frais en été et la malaria n’atteint guère cette altitude. Nous pourrons aller dans une maison d’été début mai.

Je joins un rapport sur nos expéditions de chasse écrit pour les camarades chasseurs Préobrajensky et Mouralov et pour le candidat chasseur Rakovsky. La saison de chasse est terminée maintenant. Il nous faudra attendre le 1er août. Dans l’intervalle nous nous serons préparés à la pêche. Nous enverrons en temps voulu des rapports sur nos succès et nos échecs. J’espère que vous aurez aussi l’occasion d’utiliser vos instruments de chasse et de pêche.