Lettre à Karl Marx, 3 avril 1868

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11, Portland Place, Lower‑Clapton,

N. E.; 3 avril 1868.

Cher Marx,

L'envoi des faire‑part de votre fille Laura a été pour nous la plus agréable des surprises.

Nous ne savions nullement que l'heureux événement fût si proche et nous adressons de tout cœur nos meilleurs vœux de bonheur au jeune couple ainsi qu'à toi et à ta chère femme.

Permets‑moi aussi de te remercier enfin, de t'être amicalement souvenu de moi en me faisant présent du I° tome de ton Capital. Du retard que j'ai mis à te remercier ne déduis pas que ma gratitude a perdu de sa sincérité ou de sa chaleur, je t'en prie instamment. J'avais toujours l'intention de m'en acquitter personnellement, mais tous les travaux et tous les ennuis que m'ont réservés ces derniers mois ne me l'ont pas permis. Accepte donc maintenant encore mes remerciements et sois convaincu que je suis un des nombreux admirateurs qui applaudissent avec joie au monumentum aere perennius [monument plus durable que l'airain] que tu as érigé (et que tu continueras à ériger) en écrivant un ouvrage qui témoigne d'un esprit, d'un savoir et d'un labeur étonnants.

Tu le sais, je ne suis pas un spécialiste (je ne suis économiste que de cœur), aussi ne me demande pas un jugement détaillé, mais je puis t'affirmer que sa lecture ou plutôt son étude m'a fourni des enseignements très variés et procuré un très grand plaisir.

C'est justement un livre qui demande à être étudié, aussi le succès ne sera‑t‑il peut‑être pas extrêmement rapide ni tapageur, mais, sans bruit, son effet n'en sera que plus profond et plus durable. Je sais que, sur les bords du Rhin, beaucoup de jeunes négociants et industriels s'enthousiasment pour ton livre. Dans ces milieux, il atteindra son but; aux savants, il sera indispensable en outre comme œuvre de référence. Encore une fois, merci de tout cœur ! Et, n'est‑ce pas, à la prochaine occasion, tu écriras aussi ton nom sur mon exemplaire ?

Notre Louise s'est fiancée, elle aussi; quand la maladie infantile des fiançailles et des mariages a fait irruption dans une maison, rien n'y fait : l'histoire doit suivre son cours. The matrimonial measles ! [La rougeole matrimoniale !]

Mais il y a encore une bonne étape d'ici au mariage : Louise est très jeune et doit attendre encore. Son fiancé est Heinrich Wiens, un cousin du mari de Catherine : c'est un véritable Wiking, un de ces pirates qui enlèvent les filles des vieux poètes.

J'espère que tu vas de nouveau mieux; nous viendrons bientôt nous en convaincre. En attendant, salutations les plus cordiales de nous tous, à toi et à tes dames.

Ton

Freiligrath