Lettre à Jules Guesde, 19 octobre 1912

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Berlin, 19 octobre 1912.

Cher et vénéré camarade Guesde,

Le capitalisme incendiaire accomplit son œuvre néfaste plus dangereusement que jamais, et dans le voisinage de plus en plus menaçant de ces gigantesques poudrières que sont les grandes puissances militaires européennes. Des esclaves affamés parcourent le pays au pied des Balkans, agitant les torches de la guerre, bercés par leurs despotes de l’illusion qu’ils sont le porte-flambeau de la liberté pour les esclaves au-delà les frontières dans lesquelles ils vivotent eux-mêmes privés de droit et réduit économiquement à la misère. Tous les conflits internationaux sont portés au dernier point d’intensité. L’impérialisme, pareil un cyclone, tourbillonne sur le globe, le militarisme écrase les peuples et suce le sang comme un vampire. Les cavaliers de l’Apocalypse, Famine et Massacre, chevauchent à travers le monde.

Toutes les conjurations de la diplomatie ont été vaines ; ce n’étaient que charlatanisme et mirage. La guerre et la paix sont pour le capitalisme une affaire et rien qu’une affaire. La vie et le bien-être des millions d’hommes qui sont le prolétariat de toutes les contrées sont pour lui un objet d’exploitation et rien que cela.

Seul, le prolétariat international peut écarter cet épouvantable danger ; car seuls les intérêts des prolétaires sont les mêmes dans tous les Etats capitalistes. Solidarité internationale du prolétariat, sans accepter de frontières, lutte commune contre les ennemis communs, nationaux et internationaux, du prolétariat, les profiteurs de la pression politique, les stipendiés de l’exploitation économique et de la misère des masses.

Le capitalisme est la guerre – le socialisme est la paix. Le socialisme aura-t-il la force de réfréner la furie de la guerre ? Il aura cette force si le prolétariat de France, d’Angleterre, d’Autriche et d’Allemagne fait son devoir. Et il fera son devoir – ainsi que le montre le passé, ainsi que nous apprend ce fatidique mois de janvier 1911 avec ses grands mouvements ouvriers en Angleterre et en France, avec ses imposantes manifestations pour la paix en Allemagne. La classe ouvrière allemande a, le dimanche 20 octobre, manifesté de nouveau sa volonté de paix dans de grandioses démonstrations publiques.

Les fauteurs de guerre, capitalistes et impérialistes, doivent savoir ce qui est en jeu s’ils jettent sur le tapis le dé de fer de Mars. Nous les avertissons, nous les prévenons, nous les menaçons : nous en Allemagne comme nos amis en France et en Angleterre. Ce n’est qu’internationalement que peut être menée notre guerre à la guerre ; et c’est internationalement qu’elle est menée. De même que nous avons confiance dans nos frères de France, d’Angleterre et d’Autriche, de même vous pouvez avoir confiance à nous, dans le prolétariat qui lutte en Allemagne.

Guerre à l’intérieur contre l’ennemi intérieur, les oppresseurs et les exploiteurs des masses, lutte de classe – paix à l’extérieur, solidarité internationale, paix entre les peuples : voilà le mot d’ordre sacré de la démocratie socialiste internationale qui affranchit les nations. C’est sous ce signe que nous pouvons et que nous devons vaincre, même contre un monde d’ennemis. Pas d’hésitation – confiance en la victoire ! Frères de France, à la bataille, coûte que coûte ! Vive le socialisme !