Lettre à Jeanne Martin, juillet 1930. La crise française

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Chère camarade Jeanne,

Dans la lettre-circulaire, j'ai essayé d'analyser précisément les mêmes questions que vous soulevez dans votre dernière lettre. Vous permettrez que je ne revienne pas à ces questions générales dans cette lettre. Je veux seulement noter une chose qui me parait assez importante. C'est juste que nous n'opposons pas l'Opposition au parti communiste. Mais, pratiquement, nous sommes obligés de nous opposer de la manière la plus distincte à la direction du parti que nous considérons comme direction de la fraction stalinienne qui avait provoqué la scission du parti. Pour gagner les ouvriers à nos idées, il faut populariser I'organisation qui les représente, c'est-à-dire la Ligue. Voilà pourquoi nous devons faire "la réclame" pour la Ligue. La question du tact nécessaire garde naturellement son importance, mais le "patriotisme" de son organisation, patriotisme ferme, courageux et offensif, est obligatoire pour chaque communiste de gauche. Sans cela, on ne peut vaincre.

Sur la crise de l'Opposition française, j'ai écrit mon opinion au camarade Senine. Les divergences, quelles que soit leur importance, ne peuvent ne doivent pas mener l'organisation à des secousses. La forme aiguë et personnelle de la lutte s'explique par une certaine stagnation de l'Opposition française, par le manque d'ouvriers, d'éléments jeunes et pas usés. Mais je regrette beaucoup que vous n'indiquiez pas dans votre lettre ce que, personnellement, vous ou Raymond, ou d'autres camarades qui sont mécontents de la direction, entreprenez pour s'approcher des ouvriers. Vous dites que l'idée d'obliger chaque membre de la Ligue a avoir dans son entourage au moins trois jeunes ouvriers est mécanique. Jusqu'à un certain point, oui, comme toutes les règles générales qui doivent diriger, préciser le travail. Mais je trouve cette idée tout à fait indiquée, surtout pour l'Opposition française. Cette "règle" oblige à développer de l'initiative quotidienne pour sortir de l'isolement. Quelle que soit la justesse de la critique des camarades de la majorité parisienne, cette critique aura démontré toute sa valeur du moment où elle marchera parallèlement avec l'initiative pratique. La même chose pour le contenu de La Vérité, pour sa distribution, etc.

J'ai aussi écrit à Senine sur le point délicat qui m'avait beaucoup inquiété pendant votre séjour chez nous. J'avais écrit avec votre aide une lettre dans laquelle j'avais essayé de démontrer que la décision néfaste aura très longtemps des conséquences, sur toute la vie. C'est une faute grave de croire que cette répercussion est déjà surmontée. Malheureusement non: l'activité de notre ami donnera toujours aux ennemis de classe la possibilité de manier cette arme dangereuse devant les masses. Je regrette beaucoup d'être obligé de soulever ces choses désagréables. Mais je crois que, dans l'amitié révolutionnaire, comme dans la politique révolutionnaire en général, on se doit réciproquement de ne pas (masquer) les vérités, même amères, mais d'essayer de mieux prévoir pour mieux s'armer d'avance. Je crois que notre ami devrait ajouter à son dévouement et à son énergie un peu d'autodiscipline et de réserve comme vous.

Je suis tout à fait prêt à m'exprimer, si vous le souhaitez sur les questions intéressantes dans des lettres adressées à toute l'organisation. Je le ferai dans l'avenir. Mais la première chose, c'est d'endiguer la crise, d'assurer la continuité, de La Vérité comme hebdomadaire, de La Lutte de Classes comme mensuel, d'organiser la vie de la Ligue sur la base plus démocratique et en même temps plus large - parce qu'une trentaine de camarades, ce n'est pas grand chose et la démocratie ouvrière sans ouvriers aboutit toujours à des crises personnelles.