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Special pages :
Lettre à James P. Cannon, 27 décembre 1939
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 27 décembre 1939 |
L’Opposition a soif de publicité
Chers amis,
Je dois avouer que ce que vous m’avez fait savoir de l’insistance des camarades Burnham et Shachtman sur la publication des articles de discussion dans New International et Socialist Appeal m’a de prime abord surpris. Quelle peut en être la raison ? me suis-je demandé ! Il est tout à fait exclu qu’ils se sentent si sûrs de leur position. Leurs arguments sont très primitifs, il y a entre eux des contradictions aiguës, et ils ne peuvent pas ne pas sentir que la majorité représente la tradition et la doctrine marxiste. Ils ne peuvent espérer sortir vainqueurs d’un combat théorique : Shachtman et Abern, et même Burnham, doivent s’en rendre compte. Quelle est donc la source de leur soif de publicité ? L’explication en est simple : ils sont impatients de se justifier devant l’opinion publique démocratique, de crier à tous les Eastman, Hook et autres, qu’eux, l’opposition, ne sont pas aussi mauvais que nous. Cette nécessité interne doit être particulièrement impérative chez Burnham. Il s’agit du même genre de capitulation interne qu’on a pu observer chez Zinoviev et Kamenev à la veille de la révolution d’Octobre, et chez beaucoup d’« internationalistes » soumis à la pression de la vague patriotique de la guerre. Si l’on fait abstraction de toutes les particularités personnelles, des hasards ou des malentendus, on se trouve en présence de la première déviation social-patriote de notre parti. Vous l’avez à juste titre souligné depuis le début, mais cela ne m’apparaît en pleine clarté que maintenant que nos opposants viennent de proclamer leur désir d’annoncer — comme les poumistes, les pivertistes et tant d’autres — qu’ils ne sont pas aussi mauvais que les « trotskystes ».
Cette remarque constitue un argument supplémentaire contre toute concession dans ce domaine. Dans ces conditions, nous avons parfaitement le droit de leur dire : vous devez attendre le verdict du parti, et non faire appel de ce verdict devant les juges démocrates patriotes, avant qu’il ait été prononcé.
Jusqu’à maintenant, j’ai considéré la question de façon trop abstraite, ou, plus précisément, je me suis placé du seul point de vue de la lutte théorique, et, de ce point de vue, je suis entièrement d’accord avec le camarade Goldman que nous ne pouvons que gagner. Mais des critères politiques plus larges montrent qu’il nous faut empêcher toute intervention prématurée des patriotes démocrates dans la bataille interne du parti : l’opposition ne doit compter dans la discussion que sur ses propres forces, tout comme la majorité. Dans ces conditions, la mise à l’épreuve et la sélection des différentes composantes de l’opposition peuvent être plus efficaces et les résultats n’en seront que meilleurs pour le parti.
Engels a parlé quelque part de la mentalité des petits-bourgeois enragés. Il me semble qu’on peut trouver trace de cet état d’esprit dans les rangs de l’opposition. Hier, nombre d’entre eux étaient hypnotisés par la tradition bolchevique. Ils ne l’ont jamais pleinement assimilée, mais ils n’osaient pas se dresser ouvertement contre elle. Mais Shachtman et Abern leur ont donné ce courage-là et ils ont désormais ouvertement cet état d’esprit de petits-bourgeois enragés. Telle est, par exemple, l’impression que m’ont produit les derniers articles et les dernières lettres de Stanley. Il a tout à fait perdu tout esprit d’auto-critique, et il croit sincèrement que toute inspiration qui lui traverse l’esprit est digne d’être proclamée et imprimée, pourvu qu’elle soit dirigée contre le programme et la tradition du parti. Le crime de Shachtman et d’Abern consiste précisément dans cette explosion d’auto-satisfaction petite-bourgeoise qu’ils ont provoquée.