Lettre à André Breton et Jacqueline Lamba, 6 décembre 1938

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Des Difficultés avec Diego

Mes chers Amis,

Je suis vraiment bien embarrassé. Le mutisme de Diego n’a absolument rien de commun avec quelque indifférence ou mécontentement contre vous deux, comme vous le supposez un peu dans votre dernière lettre. Je sais aussi que Frieda a été bien contente de votre préface qu’elle a reçue à la veille de son départ pour les Etats-Unis. Le mutisme épistolaire de Diego est un élément invariable de son caractère. Il a passé aussi par de longues semaines de fatigue, de maladie, de nervosité. J’ai eu moi-même de grandes difficultés à me rencontrer avec lui durant ces semaines-là. Il évitait un peu tout le monde, la F.I.A.R.I. y compris. Il va maintenant beaucoup mieux physiquement. Il est parti, il y a une heure, pour Patzcuaro pour peindre. Avant de partir il m’a transmis, par l’intermédiaire de Van, votre dernière lettre, celle d’André Gide et la coupure concernant Malacki. Malheureusement, l’affaire Malacki est venue juste au moment du départ de Diego et ne sera prise en mains par lui qu’après son retour, c’est-à-dire dans une semaine. Espérons que cette semaine-là ne sera pas trop longue. En tout cas, Diego fera le nécessaire pour arranger l’affaire.

Sur la F.I.A.R.I., Van vous donnera des renseignements, qui ne sont d’ailleurs pas très abondants à cause des circonstances indiquées plus haut. Je vous assure, cher ami, que les tentatives de mettre la roue en marche n’ont pas manqué. Mais elles se sont heurtées à une fatalité passive, aussi invincible que lors de la période de conception de la F.I.A.R.I. (vous vous en souvenez ?) J’écris simultanément à Partisan Review. Vous savez peut-être que, de mensuelle, la revue est devenue trimestrielle. Cet échec est le résultat, pour moi évident, de l’esprit d’adaptation, des louvoiements, du manque d’audace dans l’attaque et autres péchés originels des intellectuels petits-bourgeois, même s’ils se disent révolutionnaires. Vous avez certainement reçu le dernier numéro de la revue contenant le Manifeste et une courte déclaration en première place. Je vais leur demander de donner les renseignements les plus exacts sur le côté organisationnel.

Ne considérez pas ces lignes comme une complainte contre Diego. Il faut le prendre comme il est et, malgré sa répugnance pour le métier épistolaire, il est magnifique.

Je suis bien touché par votre intention de faire publier mon livre sur la littérature, qui m’apparaît maintenant appartenir à une époque presque préhistorique. De votre lettre, je ne vois pas bien si les éditeurs éventuels demandent une copie française pour se décider ? En ce cas-là, la tâche serait insoluble pour moi. Mais il existe une traduction anglaise et Van m’assure aussi des traductions allemande et espagnole. Les éditeurs ne pourraient-ils pas se former une opinion sur la base des éditions étrangères, la russe y compris ?

Pour le reste, on continue. Physiquement, Natalia et moi sommes un peu moins bien que lors de votre séjour. Toute la maison (sauf peut-être Van, qui reste dans la carrière diplomatique) est occupée maintenant par les cactus dont nous recherchons les plus rares et les plus magnifiques pour le jardin. Vous ne le reconnaîtriez sûrement pas maintenant.